Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.

  Octobre 2015 (17 articles)

Propos de sondages

  jeudi 29 octobre 2015

Il y a eu l’un ou l’autre commentaire à la nouvelle, d’origine indirectement gouvernementale préciserais-je pour amorcer le débat, selon laquelle Poutine avait ces temps dernier une popularité supérieure au pic de popularité dont il a joui durant la crise ukrainienne. (Voir le texte du 23 octobre 2015 : « [L]a popularité de Poutine n’a jamais été aussi haute, même par rapport au pic précédent, en pleine crise ukrainienne (juin 2015) : 89,1% en juin 2015, 89,9% en octobre 2015 (17-18 octobre, alors que l’intervention russe en Syrie était déjà effective et montrait son vrai visage). ») Le sondage a été effectué, soulignait dans le Forum du texte un de nos lecteurs, Mr. Toulet, « par le Centre Panrusse d'étude de l'opinion publique - VTsIOM - lequel est un organisme d'Etat, contrôlé par les autorités publiques - il dépend du Ministère du Travail et des Affaires sociales. » Et ce même lecteur commentait :

« Une méfiance de bon aloi envers les productions des grands médias et des organisation étatiques du Bloc atlantique en terme de doctrine comme de représentation de la réalité n'a aucune raison d'être incompatible avec une lucidité sur ce que sont les médias et les organisations étatiques de la Russie – c'est-à-dire eux aussi les instruments d'une propagande.

» Cela ne prouve pas que le chiffre de “90%” d'approbation des Russes envers la politique de leur gouvernement soit faux bien entendu.

» Simplement, il est aussi suspect que sa source. »

Cette intervention me paraît bien complète pour ouvrir le débat que je voudrais développer ici. Je comprends parfaitement le point de vue de notre lecteur et, sur divers points comme sur l’essentiel du propos, je suis en complet désaccord avec lui ; cela est écrit, je le précise avec force, sans la moindre acrimonie, sans agressivité évidemment, sans mauvaise humeur, je dirais presque avec entrain et bonhomie, et en tendant loyalement la main. Je n’entends pas une seconde ouvrir une polémique mais bien, à travers une réplique argumentée, tenter de mieux définir encore la façon dont nous travaillons, dont je travaille, etc., et tout cela engageant ma seule responsabilité...  C’est-à-dire que l’on n’entendra nulle affirmation qui se voudrait objective, qui ferait appel à une référence ferme en-dehors de moi, éventuellement au nom de laquelle on pourrait condamner (mon interlocuteur dans ce cas) en s’en lavant les mains ; rien de cela parce que je ne mange pas de ce pain-là ; rien de cela non plus, – et là, j’entre dans le vif du débat, – parce qu’il n’y a rien de cette sorte qui le permette, aujourd’hui, dans le monde de la communication. J’avancerais l’interprétation que l’on nous a forcés tous dans cette position formelle en matière de communication et d’information, qui n’empêche pas de chercher à nouer des liens entre nous, certes, mais qui au départ nous force à figurer dans ce cadre paradoxalement informe, désarticulé, instructuré, inexistant du “chacun pour soi”, qui devient en un peu plus élaboré “à chacun de se faire sa religion” ; ainsi en a voulu le Système qui a organisé la plus formidable offensive d’individualisme et d’isolement de l’individu qu’ait jamais expérimenté l’espèce, et ainsi nous laisse-t-il face à nous-mêmes, chacun face à soi-même, dans un formidable réseau de communication et de circulation d’information. (Je dirais naturellement que cela vaut pour le lecteur de dedefensa.org : chaque lecteur doit juger de ce “média” pour lui-même, et trancher de cette façon, seul à seul avec dde.org.) ... Que tout cela fasse office de préambule que l’on doit garder à l’esprit, avant de passer au cœur du débat.

Dans les remarques de notre lecteur rapportées plus haut, nombre de détails sont contraires à ma conviction et à mon expérience et, par conséquent, l’ensemble ne peut rencontrer mon sentiment. J’essaie de ne pas faire trop long, mais je compte bien également faire de cette réplique bien plus qu’une réponse, je le répète, c’est-à-dire en faire un élément de plus pour renforcer l’explication permanente que je dois, que dedefensa.org doit à ses lecteurs (dont Mr. Toulet, certes) pour expliquer notre méthodologie, à dde.org et à moi. Ne pas faire trop long, c’est-à-dire faire (assez) court en se limitant au commentaire de trois “détails” essentiels des remarques de notre lecteur, qui m’arrêtent, avant de passer à un exposé plus général.

• On nous parle de “méfiance”, ou de “méfiance de bon aloi”. Je rejette pour mon compte cette attitude, étant un homme de confiance, notamment parce que je suis un homme de foi (de fides : confiance). Moi, je parle de “doute” et même de “doute-absolu” (voir “vérité-de-situation” dans le Glossaire.dde). La méfiance est un trait de caractère dont je suis absolument dépourvu, le doute est un jugement subjectif (pas celui d’un tribunal, mais le mien) dont la cause est l’objet du doute, – et du doute, on s’en doute, je fais le miel de toutes mes analyses et réflexion sur l’état présent du désordre du monde. Autrement dit, ce qui détermine mon jugement sur les affaires de ce monde n’est pas un trait de mon caractère mais ce que je juge, par ma raison, mon expérience et surtout l’intuition qui j’espère m’est donnée, des affaires de ce monde ; et il se trouve que les affaires du monde, aujourd’hui, ici et maintenant, justifient absolument l’utilisation d’un tel outil, non pas à cause de mon caractère mais à cause de ce qu’est le monde aujourd’hui.

(Suite)

La forêt chante

  mardi 27 octobre 2015

Ce matin, il y eut la promenade quotidienne avec Klara, dont je vous ai déjà parlé. C’est le deuxième jour de grand soleil, après des semaines d’agitations et d’incertitudes climatiques diverses. Mais le “grand soleil”, en automne, c’est quelque chose de tout à fait particulier ; c’est le paradoxe d’une lumière retenue et pourtant éclatante, toute en nuances et qui pourtant vous éclaire jusqu’au fond de vous-même, une lumière comme réduite à sa source mais qui semble renaître de partout, translucide et légère, une lumière de grâce pure. Les couleurs de l’automne, innombrables, chatoyantes et changeantes, transfigurées par cette lumière unique, semblent faites pour grandir l’âme poétique.

Toutes ces pensées étaient-elles en moi, ce matin ? Rien n’est moins sûr, car mon humeur était sombre, – pour changer commentera-t-on sarcastiquement. Puis vint la marche dans la forêt et l’effleurement de l’enchantement naquit. La forêt où je fais ma promenade n’est pas uniforme en sous-bois mais plutôt par endroits épars, des taillis souvent volumineux alternant avec des espaces vides de belle ampleur ; elle a par contre une imposante frondaison du dessus, comme une voute végétale. Cet arrangement parut, ce matin, comme voulu par le Ciel, pour en faire une œuvre magnifique. Au-dessus de ma compagne fidèle beaucreronne et de moi, c’était une voute dorée, resplendissante, comme si les feuilles prêtes à tomber étaient des feuilles d’or frémissantes ; et la lumière rebondissait sur les taillis épars, et ainsi formant comme l’on dirait de l’arche d’une cathédrale car tous ces ors et toute cette lumière ne ternissait rien du clair-obscur de la forêt qui lui laisse des projections de son ombre profonde au milieu de la lumière. Je gardais encore un peu de mon humeur sombre mais laissais la beauté du monde amadouer peu à peu mon âme. “Courage, semblait me dire Klara qui connaît bien des secrets du monde, dans peu de temps cela ira bien mieux encore.”

Ainsi se poursuivit la promenade jusqu’à son point extrême, puis le retour entamé. J’arrivai à ce même passage sur le retour, un peu plus protégé par la topographie des bruits de la civilisation, voiture ou train dans le lointain, parfois un aéronef pour dire comme dans le temps ; il faut dire que ce matin, la civilisation était particulièrement discrète... C’est alors que, marchant dans le silence et dans la lumière marquée d’ombres propices, sans guère de vent sinon pas du tout, avec le ciel éclatant dans les échancrures de la voute, je sentis qu’il se passait quelque chose. Cela ne me parut pas un élément nouveau, mais plutôt quelque chose qui avait existé au long de ma promenade mais que je n’avais pas deviné, peut-être un reste d’inattention humaine, les restes de l’humeur sombre voire mes limites naturelles, et que soudain je commençais à percevoir. Je tendis l’oreille, littéralement, pour percevoir d’abord que le silence était complet (la civilisation définitivement muette et les oiseaux semblant décidés à respecter ce moment) ; puis que ce silence complet l’était en fait pour que je puisse entendre quelque chose d’au-delà du silence. C’est une de ces occurrences où vous devez, non pas affûter vos sens, mais les adapter pour les projeter dans une dimension nouvelle.

Ainsi le silence laissa-t-il place à un léger chuintement que j’avais, dans l’instant précédent, deviné plus qu’entendu, et qui, bientôt, se transforma en une sorte de basse continue mais non pas uniforme et à peine suggérée, dont je ne pouvais identifier ni la forme ni la matière. C’était ce chuintement en basse continue qui, peu à peu, prenait la forme d’une harmonie étrange, plutôt suggérée qu’interprétée ; j’avais alors atteint, me dit-elle en connaisseuse, presque la même oreille que Klara pour distinguer les sons. Puis la vue, transportée par l’audition, se mit elle aussi au diapason et, bientôt, je vis ce que je ne voyais pas. L’espace vide enserré mais non contraint dans cette floraison chamarrée, éclatante et presque éblouissante dans le clair-obscur, était parcouru de feuilles mortes qui tombaient à leur rythme, en dansant comme fait une feuille que n’entrave aucun souffle d’air ; et ce mouvement infiniment multiplié, cette danse aérienne et gracieuse, finissait par produire par le seul frottemet de l'air une harmonie de tous ces sons presque inaudibles pour chacun, mais additionnés et eux aussi multipliés, pour produire enfin, au-delà, quelque chose qui ressemblait à une structure sonore, fondamentalement formée selon les lois éternelles de l’harmonie. C’est alors que mon oreille embrassa le monde et que je dis, déjà à l’arrêt et désormais comme interdit mais dans le sens d’être presque emporté dans mon immobilité devant ce spectacle invisible et inaudible, et pourtant plus sublime qu’aucun autre en cet instant : “Et c’est ainsi que la forêt chante”...

L’instant dura ce qu’il dura, qu’importe la mesure. Je repris ma marche, la tête pleine de cette harmonie subtile et sans égale que je n’entendais déjà plus. Bientôt, nous atteignons la clairière, les premières maisons, et nous sortons de la forêt. “La forêt chantait”, dis-je à Klara qui, occupée à sentir quelque trésor caché dans les herbes, me répondit distraitement : “Évidemment...”

Mon humeur ne m’a pas quitté pour autant mais peut-être, quelque part en moi, s’est glissé un fragment de pierre précieuse qui ressemble à un morceau d’éternité. Je regrettai un instant que l’humaine nature soit dotée de tant de capacités dont elle ne cesse de se féliciter, qu’elle ne puisse se satisfaire de la splendeur et de l’harmonie du monde. Cette pensée est assez vaine parce que nous sommes ce que nous sommes, mais il faut l’avoir eue pour comprendre que “se satisfaire de la splendeur et de l’harmonie du monde”, même pour un instant, c’est entrevoir l’éternité.

Archives : Rétrospective du 12/10/2015 au 18/10/2015

  lundi 26 octobre 2015

Archives : Rétrospective du 12/10/2015 au 18/10/2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 12 octobre au 18 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • Nous éloignant pour un instant du temps courant de la crise syrienne, ou “épisode syrien de la Grande Crise Générale”, on peut constater que le phénomène crisique se développe ailleurs d’une façon satisfaisante, en France au niveau des troubles civils (le 13 octobre 2015), en Europe en général à la lumière de la crise des “réfugiés-migrants” (le 13 octobre 2015), en Ukraine avec la poursuite des avatars de “Kiev-la-folle” (le 14 octobre 2015). • Dans notre F&C du 15 octobre 2015 et à la lumière de l’une et l’autre nouvelles de dimensions globales qui mettent directement en cause le système, nous abordions le problème de notre Grande Crise Générale du point de vue de la nécessité d’ouvrir la réflexion sur les dimensions sacrée et métaphysique qui lui sont fermées par les normes du Système. • Notre Glossaire.dde du 18 octobre 2015 concerne la même sorte de problème. • L’autre sujet de cette semaine est bien sûr la crise syrienne qui n’en finit pas de développer une dynamique exceptionnelle (voir le 12 octobre 2015 et le 15 octobre 2015) et de marquer le rythme de l’effondrement de l’influence de la puissance US, tant dans les faits que dans la perception (voir le 16 octobre 2015, le 17 octobre 2015 et le 18 octobre 2015). »

Un destin russe

  dimanche 25 octobre 2015

Je vais vous parler dans ce Journal dde.crisis de la Russie, une fois de plus par rapport au courant général de la communication, cette fois dans des termes peut-être moins courants qu’à l’habitude, à la suite d’une une drôle de circonstance (éditoriale). Cela est du certainement au travail intensif que nécessite le site, qui fait qu’on tient très approximativement dans l’esprit le catalogue des différents textes publiés ; mais aussi et surtout, cela tient à l’inspiration des évènements en cours, qui vont si vite dans la perception que j’en ai, qui me poussent à mentionner régulièrement à la fois la contraction du temps et l’accélération de notre histoire devenue Histoire, c’est-à-dire l’histoire sous l’influence directe de la métahistoire. Enfin, voici toute l’affaire...

On sait qu’il a été introduit dans la rubrique Glossaire.dde une sorte de “sous-rubrique” introduisant la reprise de texte complets publiés dans la Lettre d’Analyse (papier) dde.crisis (on est en terrain connu) avant que celle-ci ne jette l’éponge. Les modalités de l’opération sont exposées dans un texte du 28 novembre 2014, et le premier texte de la formule a été publié le 29 novembre 2014 (le Glossaire.dde devient dans ce cas Glossaire.dde-crisis). Rédigeant le texte d’hier (“Que cherche la Russie en Syrie ?”) et réalisant les perspectives qu’ouvraient le développement du commentaire (l’écriture elle-même et la logique qu’elle suggère entraînent la pensée et lui donnent l'impulsion qui importe), je me suis fait la remarque qu’un numéro de dde.crisis du 10 avril 2012 serait le bienvenu dans la rubrique/“sous-rubrique” Glossaire.dde-crisis. Aussitôt dit, aussitôt fait : je me mets au travail pour aménager le texte du 10 avril 2012, essentiellement du point de vue technique pour l’adapter à la “mise en page” de la rubrique, à partir de la mise en page initiale de la Lettre d’Analyse. Je m’apprêtais donc à préparer la mise en ligne d’un nouveau Glossaire.dde-crisis lorsque je m’aperçus avec la stupéfaction qu’on imagine, en parcourant rapidement les archives, qu’il s’y trouvait déjà, au 10 mars 2015. La découverte n’a  pas été évidente parce que j’avais choisi pour la nouvelle mouture un titre général différent (“Un destin russe”) que celui qui avait été choisi pour le texte du 10 mars (“Opérationnalisation de la spiritualité”) ; ainsi suis-je passé à côté d’un étrange “doublon” !

“Étrange doublon”, certes, mais qui n’est pas sans signification. Au contraire, il dit, bien plus que tout raisonnement, qu’il existe dans mon esprit le constat d’une situation complètement nouvelle entre le 10 mars et cette fin de mois d’octobre, à peu près bien sûr depuis le début de l’intervention russe en Syrie qui a l’importance qu’on sait. (L’Histoire va vraiment très vite, ou bien je suis victime de mes propres hallucinations...) Le texte déjà référencé, du 24 octobre, est la marque de cette situation nouvelle. Effectivement, je le répète, mais plus précisément encore : c’est lui (ce texte) qui m’a conduit à considérer qu’un long commentaire sur la question de l’“opérationnalisation de la spiritualité”, spécifiquement lié au “destin russe” dans le cadre de l’intervention russe en Syrie, avait toute sa place sinon sa nécessité. Ainsi mon avis est-il qu’il est intéressant de lire ou relire le texte du 10 avril 2012 republié le 10 mars 2015 à la lumière de ces évènements courants.

C’est ce que j’ai fait, naturellement et minutieusement, puisqu’il s’agissait de le préparer pour une publication alors que j’avais oublié que l’opération était déjà faite. Comme on s’en doute ou comme on le sait, selon qu’on s’en est tenu au titre ou qu’on a lu le texte, il est question de la dimension spirituelle introduit dans la politique, et de cette dimension spirituelle précisément dans le chef de la politique russe. Ce qui m’a frappé dans l’analyse et la thèse qu’on peut en déduire, justement, c’est la façon subreptice, indépendante des acteurs de la campagne électorale, par laquelle la dimension spirituelle s’est introduite non seulement dans le débat, mais dans la politique russe elle-même durant cette période entre les élections législatives (décembre 2011) et l’élection présidentielle (élection de Poutine, 3 mars 2012). C’est en effet durant ces trois mois que la politique russe s’est redressée, c'est-à-dire hissée vers le haut ; proclamée comme un “renouveau” depuis l’arrivée de Poutine en 2000, cette politique était restée ambiguë et même s’était subvertie, notamment avec le pic du vote russe à l’ONU (début 2010) laissant faire l’opération du bloc BAO contre la Libye de Kadhafi ; cette subversion suivait d’ailleurs une logique constante puisque le “renouveau” russe  n’était conçue que comme toute proche sinon intégrée au moins dans l’ensemble ouest-européen sinon euroatlantique du bloc BAO ; et puis, brusquement, le redressement du début 2012... C’est essentiellement l’agression type-“agression douce”, pseudo-regime change, qui est la cause opérationnelle de ce changement, mais le changement lui-même avec le mystère de sa cause ontologique est d’une ampleur formidable et encore mal mesurée dans ses conséquences, à cause de l’introduction de la dimension spirituelle. Je cite ici quelques extraits du texte Glossaire.dde décrivant ce phénomène de l’intrusion subreptice, sans volonté spécifique des acteurs concernés, de la spiritualité dans la période électoraliste décembre 2011-mars 2012.

« ...En commentaire de ces élections de décembre 2011, au climat bien plus menaçant que les résultats eux-mêmes, nous écrivions, le 8 décembre 2011 sur dedefensa.org : “L’issue temporaire la plus prometteuse autre que cette simple lutte contre le désordre qui monte resterait pour Poutine, plus que jamais à notre sens, un appel du Premier ministre devenu candidat à la présidence à la mobilisation, à la dénonciation des dangers extérieurs qui sont moins géopolitiques que systémiques, – la vision de cet enchaînement irrésistible de la crise d’effondrement du Système... [...] [C]ela se nomme, en appeler à l’‘âme russe’ et, pour Poutine, cela lui donnerait la vertu de paraître comme le premier dirigeant à décrire publiquement l’ampleur de la crise qui conduit à l’effondrement de notre contre-civilisation”.

(Suite)

Négationniste ? Traître ? Leurs “Folies-Bouffes”...

  vendredi 23 octobre 2015

Je vais vous parler de deux personnages de cet épisode de nos “Folies-Bouffes”. Vous les connaissez, ils se nomment Benjamin Netanyahou et Jimmy Carter. Cette époque est celle des “Folies” apparemment incompréhensibles, se succédant à un rythme endiablé, comme on en eut un exemple dans les deux-trois jours qui viennent de s’écouler et qui font le sujet de cette page du Journal dde.crisis. Il importe de noter bien que  j’emploie le mot “Folie” dans le sens de la dérision (pas “Folies-Bergère”, mais quoi, tout de même de ce domaine quasiment de l’entertainment), et “Folies-Bouffes” pour appuyer sur ce sens. Pourtant, j’insiste là-dessus, ce terme qui paraîtrait moqueur et léger par les références qu’il suggère, ne l’est pas du tout sous ma plume ; je l’emploie plutôt sur un ton attristé, résigné, comme on fait le constat d’une situation plus consternante et décourageante que ridicule et dérisoire, ou plus précisément “plus consternante et décourageante” parce que ridicule et dérisoire.

Précisément et dans un autre sens, je voudrais, avec ce mot de “Folies” dans le sens où je l’emploi, proposer le sens de l’étrangeté, de la futilité de la pensée égarée, de l’absence de rationalité, de l’inversion des tendances essentielles de la vie publique, mais aussi la suggestion des aspects tragiques avec des nuances de tragi-comédies ou de tragédie-bouffes, mais également enfin avec la force de ce tragique bien réel dans la mesure des conditions et des conséquences que suggèrent les deux évènements. Notre époque est à la fois extraordinairement ridicule et terriblement tragique, et ce contraste ne cesse de prendre notre jugement à contrepied. On ne peut donc pas se contenter d’en ricaner avec mépris et dérision ou de s’en effrayer avec terreur et horreur, mais les deux à la fois, et presque dans un même élan du sentiment. Ce n’est pas chose aisée.

• De Netanyahou, on sait tout sur sa affirmation d’il y a deux jours, aussitôt jugée en général monstrueuse. Ce n’est pas vraiment tout à fait du négationnisme mais pas loin et si proche, malgré ses dénégations dites après son discours-que-chacun-sait (« Je ne dis pas qu’Hitler doit être lavé de toute responsabilité, mais simplement que le père de la nation palestinienne [le grand mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini] voulait détruire les Juifs »). Curieusement, “Bibi” avait dit un peu la même chose en 2012 (Husseini comme « l’un des principaux architectes de la solution finale ») et nul n’avait relevé le propos, ce qui doit conduire à s’interroger sur nombre de choses ; cette fois, par contre, quel tintamarre... Les Allemands sont furieux parce que pour eux, il ne peut y avoir qu’un seul et unique coupable, et il est leur, il est Allemand, et c’est bien lui et pas un autre. (Vue d’un point de vue un peu libre, la réaction allemande a quelque chose d’obscène et de surréaliste.) Certains jugent que “Bibi” a perdu la tête, d’autres le méprisent ouvertement. On aura une mesure de la tempête soulevée par “Bibi” en lisant ces quelques lignes d’Elie Barnavi, historien et essayiste, Professeur émérite d'histoire moderne à l'Université de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d'Israël en France.

« Comment rendre compte d’une telle prostitution de la Shoah ? Quel est le cheminement d’une pensée capable d’y aboutir ? C’est simple, hélas ! Dans la camisole de force politique où il se débat, “Bibi” fait feu de tout bois. Hier, pour prévenir l’accord nucléaire avec Téhéran, les Iraniens étaient accusés d’être les nouveaux nazis. Aujourd’hui, dans les affres des attaques au couteau qui mettent à mal le mythe de l’unité de Jérusalem, c’est le tour des Palestiniens d’endosser l’uniforme S.S., celui de Mahmoud Abbas de prendre la place du Grand Mufti.

» Cependant, cette fois, Netanyahou atteint des bas-fonds où même ses pires adversaires n’imaginaient pas qu’il pût plonger. Cette fois, il foule aux pieds le Saint des Saints de la mémoire douloureuse de ce peuple. Cette fois, en faisant d’un collaborateur minable, représentant d’une province marginale de l’empire britannique, le principal promoteur de la Solution finale, il offre un cadeau inespéré aux négationnistes de tout poil : si lui le dit, c’est que c’est vrai, Hitler n’est pas si coupable que cela. Cette fois, il dédouane du même coup tout ce que l’Europe compte d’extrême-droites plus ou moins nostalgiques du fascisme, voire du nazisme. »

• On a eu moins de choses en écho, moins de réactions, concernant le second personnage et son acte. Il s’agit de l’ancien président Carter, qui en tant qu’ancien président reçoit une synthèse quotidienne des services de renseignement US qui, – à mon avis assez humble mais point exempt d’intuition, – ne doit pas contenir d’immenses secrets mais plutôt des analyses plus ou moins accessibles par ailleurs, et souvent extrêmement fausses comme le renseignement US s’en est fait spécialité et habitude. Une fois, comprend-on, a été adjointe pour l’édification des anciens présidents une carte montrant les positions de Daesh en Syrie, un document dont on a précisé qu'il n’est pas classifié. Carter, qui a d’excellentes relations avec Poutine, lui a proposé, par courriel, ce document pour l'aider à ajuster mieux ses frappes en Syrie, sans la crainte de commettre une vilenie assimilable à la trahison puisqu'officiellement Daesh est honni par everybody dans la civilisation courante et dominante ; finalement l’ambassade de Russie à Washington a répondu avec gratitude et reçu la carte en retour même si, probablement, la chose n'apprend pas grand’chose aux Russes. The Free Bacon a développé la nouvelle à partir d’une vidéo de la NBC et Russia Insider en donne une courte synthèse en faisant quelques remarque acerbes sur la façon dont Carter a été jugé en l’occurrence. Certes, il n’y a pas à proprement trahison, mais le soupçon pèse lourdement, – soupçon de trahison infâme car dans les salons de Washington on a le jugement leste, assorti du soupçon de gâtisme. Voici quelques mots de The Free Bacon, publication notoirement neocon ; le propos n’a rien à voir avec la vigueur de celui qui accompagne les commentaires anti-Netanyahou mais il met implicitement l’ancien président dans le même sac des sacrilèges, cette fois par trahison de la stratégie des États-Unis, dont on connaît le caractère limpide et sans barguigner :  

« “I sent [Putin] a message Thursday and asked him if he wanted a copy of our map so he could bomb accurately in Syria, and then on Friday, the Russian embassy in Atlanta—I mean in Washington, called down and told me they would like very much to have the map,” Carter said at his Sunday school class in Georgia, according to a video of his remarks first aired by NBC News. “So in the future, if Russia doesn’t bomb the right places, you’ll know it’s not Putin’s fault but it’s my fault,” he added as the audience laughed.

Obama administration officials have publicly said the United States will not collaborate with Russia as long as it targets U.S.-backed rebels in an effort to prop up Syrian President Bashar al-Assad, a longtime ally of Moscow. The administration has said Assad must eventually step down as part of efforts to seek a political resolution to the Syrian war. “We are not prepared to cooperate on strategy which, as we explained, is flawed, tragically flawed, on the Russians’ part,” said Ash Carter, U.S. defense secretary, earlier this month.

Je vais dire aussitôt que je tiens pas une seule seconde à débattre de ces cas précisément, de ce qu’ont fait ces deux hommes, de ce que cela représente, des torts de l’un ou de l’autre, de la calomnie ou de la justesse des accusations et jugements contre eux, etc. Je ne tiens aucun compte, dans la mesure du possible de l’humaine nature, des sentiments et jugements que je porte sur l’un et l’autre. Je suis là-dessus, volontairement, complètement neutre, en réfrénant complètement tel ou tel réflexe pour plaider ou commenter dans un sens ou dans l’autre parce que ce rejet absolu de cette procédure est la méthodologie que j’ai choisi.

(Suite)

Caractère de Poutine et l’âme de fer de la Russie

  mercredi 21 octobre 2015

Notre ami ambassadeur-chroniqueur M.K. Bhadrakumar est présentement à Sotchi, à la réunion annuelle du Club-Valdaï, où il doit intervenir aujourd’hui. Il est arrivé lundi dans la ville fameuse pour notre époque par la grâce des JO qui précédèrent immédiatement le “coup de Kiev” des étranges “stratèges” occidentaux, – successivement l’UE et les USA en l’occurrence ; fameuse également pour ses superbes paysages qui mêlent d’une façon si radicale la station balnéaire de la Mer Noire toute proche et les paysages de haute montagne des premiers contreforts du Caucase se précipitant directement de 2.000 à 3.000 mètres jusqu’au plages et dans les flots.

Le même jour, le 19 octobre, Bhadrakumar s’est mis à la table de sa chambre d’un hôtel luxueux où s’installent les invités de marque pour rédiger une rapide réflexion sur le comportement et l’âme du pays de ses hôtes et de son président. Ainsi avons-nous un portrait très vite brossé mais sans aucun doute remarquable du président de la Fédération de Russie et de sa diplomatie, et par-delà, de la Russie dans l’ouragan qui l’enveloppe aujourd’hui dans sa fureur, comme il enveloppe le monde et son époque diluvienne. J’en extrais quatre paragraphes qui me paraissent offrir l’essentiel du sujet.

« Putin’s practice of diplomacy has been exceptional. Diplomacy at its best aims to prevent wars. At second best, it slows down wars and when successful, it could even bring wars to a grinding halt. At its third best, diplomacy takes over to talk the terms of peace when soldiers have run through and would like to retire, and the war has exhausted itself. But to my mind, Putin has pioneered a fourth variant – an innovative form of ‘coercive diplomacy’.

» It is not Putin’s first preference, but became a matter of choice forced upon him by compulsions when in the world of today armed conflicts are being deliberately triggered to provide the raison d’etre of external intervention, and they incrementally begin slouching toward full-scale wars, while the protagonists obdurately refuse to pay heed to the voice of reason and sit on the parapet dangling their feet in the air until the low hanging fruit is ready for plucking. In Ukraine, Putin tested this startlingly innovative variant of diplomacy, and it could be already paying off. And in Syria, he is even more audaciously practicing it.

» My second consideration was that Russia has undergone the whiplash of the new cold war and it is important to get a first hand feel of how it managed to weather — and is, finally, turning the tide — of the US’ containment strategies. Of course, it must have been apparent to the Barack Obama administration all through that the project to ‘isolate’ a great power like Russia was doomed to fail. But then, Obama has been blessed with the gift of the gab and almost made a credulous world believe he was serious about what he was embarking upon. Indeed, in the process, something has changed in the Russian mindset. Iron entered its soul, and that is bound to get reflected in the Russian conduct on the world stage.

» We have heard so much American lamentation about an ‘assertive’ China. But you ain’t heard anything yet about what is ‘assertiveness’ about until you get to see Russia’s ‘return’ to the world stage. Is it a good thing to happen? I would think so. Because, Russia’s ‘assertiveness’ is a guarantee of peace. The global strategic balance is hugely important for maintaining peace and only Russia can provide the underpinnings for it. Again, the ground rules of international conduct need to be based on international law and the UN Charter. The international system cannot any longer be dominated by one superpower. Russia’s insistence on such ground rules introduces a much-needed corrective mechanism in the international system today. »

On l’a vu, j’ai souligné le passage qui me paraît le plus important dans ce court extrait, qui concerne la Russie encore plus que Poutine, mais la Russie conduite par Poutine et la Russie parfaitement représentée par Poutine, comme si l’homme-Poutine était gratifié d’une âme qu’on pourrait qualifier de “collective”, reflétant absolument le sentiment de la nation dont il est alors l’émanation bien plus qu’il ne la conduit. Je traduis ce passage à ma façon, qui est plutôt une adaptation bousculant également la syntaxe pour faire mieux ressortir la justesse du propos : « [Q]uelque chose a changé dans l’état de l’esprit de la Russie, du fer est entré dans son âme... »

Mais Poutine d’abord ... Bhadrakumar juge qu’il a une “pratique exceptionnelle” de la diplomatie, observant qu’il a innové la diplomatie traditionnelle en inventant une nouvelle forme de diplomatie... (Ou bien sont-ce les évènements qui ont forcé à cette innovation ? Poser la question, de mon point de vue... Mais quoi, même si les évènements sont maîtres, ce dont il ne faut pas douter, encore faut-il être capable de répondre à leur diktat.) Deux mots sont proposés par notre ambassadeur-chroniqueur, dans son ordre : “coercition” et “assertivité”, – et l’on notera que, dans les références citées ci-après, je mélange Poutine et la Russie, que cela ne gêne en rien, que cela renforce au contraire mon propos : « Poutine a créé une quatrième variante [ de la diplomatie],– une forme nouvelle de “diplomatie coercitive” » ; « On a beaucoup entendu les geignements américains à propos de l’“assertivité” de la Chine. Mais l'on n’a encore rien vu en fait d’“assertivité” tant qu’on n’aura pas senti et mesuré la puissance et l’effet du “retour” de la Russie sur la scène mondiale. »

Rapidement dit, for the record comme ils disent, et qu’on se comprenne bien (tout cela venu de Wikipédia, pour simplifier et s’en tenant aux définitions) : la “coercition” a une origine nettement traditionnelle, puisque venue du latin coercitio, lui-même venu du verbe coerceo (“contenir, écarter”), qui désigne en Droit le « pouvoir officiel de contraindre quelqu'un (à faire quelque chose, ou à le faire d'une certaine façon, ou à ne pas le faire du tout) ». (On peut étendre la définition au général, avec « Action exercée contre quelqu’un pour le forcer à agir d'une certaine façon », mais il n’est pas inintéressant de tenir compte surtout de la définition relevant du domaine du Droit.) L’“assertivité” est un concept beaucoup plus récent, presque contemporain puisqu’inventé par un psychologue new-yorkais (Andrew Salter) dans la première moitié du XXe siècle ; il désigne « la capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres ». Le prolongement qu’en donne un autre psychologue, Joseph Wolpe, n’est pas inintéressant : l’assertivité comme « expression libre de toutes émotions vis-à-vis d’un tiers, à l’exception de l’anxiété ».

On observe combien les deux concepts se complètent et même s’emboitent dirais-je, comme s’ils étaient faits l’un pour l’autre. Je serais incliné à les considérer dans le sens inverse qu’ils sont proposés, pour mieux assurer la perception de la séquence : l’assertivité concerne non pas l’action mais celui qui agit, qui veut affirmer ses droits sans léser ceux des autres, et surtout sans émotion particulière “vis-à-vis d’un tiers” sinon l’anxiété. (Je compléterais pour mon compte : l’anxiété, qui implique une marque de bonne foi, de savoir si les tiers accepteront ce marché qui est pourtant juste et acceptable puisque les droits de chacun sont équitables et qu’il s’agit donc d’un retour à la raison ; donc l’anxiété de savoir si l’autre, le tiers, réagira également selon la raison et l’esprit d’équité.) La coercition concerne la forme de l’action, et il faut ici considérer cette démarche en référence au Droit (au droit international, en fait) : contraindre un tiers à agir selon le droit, comme l’on fait soi-même, chacun défendant ses droits dans ce cadre et n’empiétant nullement sur ceux des autres.

(Suite)

Archives : Rétrospective du 05/10/2015 au 12/10/2015

  lundi 19 octobre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 05 octobre au 12 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaine. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • La phase actuelle de la crise syrienne n’a rien à voir avec la phase précédente (2011-2013) : elle s’est parfaitement inscrite dans le cycle de la Crise Générale du Système. • Tout en nous concentrant sur la crise syrienne, nous tentons de montrer le 5 octobre 2015 son caractère effectivement universel dans la façon dont elle s’est démesurément élargie, tout comme elle marque la fin de l’hégémonie US (le 11 octobre 2015). •  Pour autant, des aspects spécifiques à cette crise subsistent, qu’ils soient opérationnels (le 5 octobre 2015), plus politiques (voir le 9 octobre 2015) ou bien inattendus dans ses effets indirects (le 8 octobre 2015). • D’un point de vue opérationnel, l’aspect rationnel et justifié de l’opération russe (le 8 octobre 2015) autant que sa réussite sur le terrain (le 10 octobre 2015) sont évidents. • Un autre grand domaine que nous abordons, nécessairement lié au précédent, c’est celui de la crise du pouvoir US, caractérisée d’abord, pour notre compte, par l’énigme que constituent toujours le président Obama (le 8 octobre 2015) et son caractère (le 9 octobre 2015). • Plus largement, sur la scène intérieur, la pétulance du candidat Donald Trump (le 7 octobre 2015) répond à l’extraordinaire paralysie des processus du pouvoir washingtonien (le 9 octobre 2015). • On ajoutera un autre domaine de la crise générale, qui est celui de la position délicate des “traités infâmes” (le 8 octobre 2015). »

Ma “vérité-de-situation”

  dimanche 18 octobre 2015

Pour prendre le philosophe-métaphysicien à revers, ou à contrepied c’est selon, je pêche dans son texte sa proposition sémantique actant l’avancement de son concept et je mélange les deux étapes en un “vérité-de-situation”. (Voir le passage : « Et, à partir d’ici, nous proposons, pour confirmer l’emploi du concept mais continuer à le distinguer en tant que tel, d’utiliser une autre forme, – les tirets de vérité-de-situation remplaçant les guillemets de “vérité de situation”, – qui sera de plus en plus privilégiée par nous. ») Cette façon de commencer ne fait que présenter sous la forme d’une pirouette le commentaire informel et officieux de ce Journal dde.crisis accompagnant le texte du Glossaire.dde sur vérité-de-situation & Vérité.

C’est un problème bien grave mais fort simple qui est abordé dans le texte du Glossaire.dde, auquel je suis confronté tous les jours, comme chacun d’entre vous, de la façon la plus simple qui est de comprendre que, pour chaque ligne lue, il faut craindre d’être la victime de l’un ou l’autre mensonge, la dupe d’une communication truquée. Pour l’aborder, il faut reconnaître que le philosophe-métaphysicien, ou pseudo-métaphysicien comme je vais dire affectueusement, ne semble pas prendre la voie de la simplicité. Ainsi en est-il souvent lorsqu’un pas de plus est fait dans l'avancement du Glossaire.dde ; il y a une plume qui écrit, emportée par la rigueur du raisonnement et toute entière concentrée sur les obstacles de la description du cheminement de la chose ; il y a une autre main, qui tient une plume plus légère, qui virevolte, de-ci de-là, plutôt comme un chevau-léger autour de la cavalerie lourde des cuirassiers ; ici, les mots volent et virent parce qu’ils sont laissés à leur liberté et n’ont pas l’intention de s’aventurer dans des expéditions lointaines et mystérieuses, là ils sont regroupés et harnachés en phrases parcourues et maintenues de structures qui les protègent comme ferait une cuirasse qui pourrait aisément paraître contraignante.

On devine ce qui vient sous ma plume, moi qui me targue d’être chevau-léger (*) dans cette circonstance et dans ce cadre bien défini pour le ton et la manière du Journal dde.crisis.  “Harnachés” ? Phrases “parcourues et maintenues de structures” ? “Cuirasse” ? Tout cela me paraît bien lourd, comme la cavalerie du même qualificatif. Je sais parfaitement, parce que je connais le bonhomme comme s’il était un autre moi-même, ce que va ma répondre notre pseudo-métaphysicien. Comme tout bon cuirassier, il va répondre par une contre-attaque qui est une charge … Il a Voltaire en bandouillère, ce prince ricanant du “style moderne”, court et incisif, qu’il va retourner contre ses critiques. Un jour, le pseudo-métaphysicien, qui lisait Sainte-Beuve lisant Jean-Jacques et abreuvant sa critique, bien entendu, à ce même Voltaire, le pseudo-métaphysicien donc tomba sur cette citation. C’est une lettre de Voltaire à un nommé Pitot, datant du 20 juin 1737, et Sainte-Beuve en retire cette phrase : « Vous trouvez que je m’explique assez clairement : je suis comme les petits ruisseaux, ils sont transparents parce qu’ils sont peu profonds. » Puis le commentaire de Sainte-Beuve, qui s’y entendait pour décocher des flèches à fleuret moucheté, sans en avoir l’air et en ayant l’air de célébrer le talent et le brio de sa cible : « Il [Voltaire] disait cela en riant ; on se dit ainsi à soi même bien des demi-vérités. » (Pourquoi “demi”, me suis-je souvent demandé ? Parce que Sainte-Beuve était un critique audacieux et subtil à la fois, qui savait dire son fait tout en retenant les coups, – avec ses flèches à demi-fleuret moucheté...)

Ce que notre pseudo-métaphysicien veut dire, – je me fais ici, ou je crois me faire l’avocat du diable, – c’est que la recherche appuyée sinon ostentatoire de la clarté, du naturel, de la “nervosité de la langue”, du dépouillement, du naturel réduit à l’essentiel sinon à la spontanéité élevée en vertu, cache parfois, et peut-être souvent qui sait, une paresse de la plume lorsqu’il s’agit de décrire ce que l’esprit et surtout d’autres forces cachées découvrent pour elle et lui enjoignent de dire. Dans ce cas, la plume sacrifie à la pose, et les “petits ruisseaux ... transparents parce que peu profonds” ressemblent à l’écume des jours qui satisfait à l’effet ; et l’on sait que, dans notre époque d’inversion où l’on a appris en toutes choses le péremptoire, le comble de l’effet c’est de dire qu’on n’en cherche aucun. Certes, en écrivant cette phrase que cite Sainte-Beuve, dit le pseudo-métaphysicien, “j’entends Voltaire ricaner car lui il sait, naturellement” ; Voltaire est tout sauf stupide, et il porte jusqu’au pinacle son génie de la simulation et de manipulation ; il sait que sa langue, dont on lui fait grande vertu parce qu’elle dédaigne l’effet des phrases mesurée trop longues et ignore qu’elle doit être la traduction des choses les plus complexes du monde autant que la description des élans les plus sacrés, a obtenu effectivement l’effet qui assure sa célébrité dans les salons. Cette affaire autour de Voltaire, dit encore notre pseudo-métaphysicien, n’est pas indifférente parce qu’elle se passe au XVIIIe siècle qui est le siècle de la libération du grand langage classique renvoyé au magasin des vieilleries accessoire et qu’elle est aussi l’époque du triomphe du “persiflage” qui va constituer une arme terrible pour épuiser la psychologie et la préparer à la capitulation devant la modernité. (...Pas un hasard non plus si la première fois que l’emploi du mot “persiflage” est signalé, l’est sous la plume du même Voltaire. Il apparaît exactement en 1734 dans un écrit de Voltaire, dans une de ses correspondances sous la forme d’une lettre à Maupertuis, et nul ne sait d’où vient ce mot : « Savez-vous que j’ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse honnêtement s’expliquer de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n’ai rien dit et l’on crie. Mais laissez-moi faire. Quand je serai une fois à Bâle je ne serai pas si prudent. »)

(suite)

Les “comptes-bouffes” des 1001 nuits

  jeudi 15 octobre 2015

Pour ce qui concerne la Syrie, le Moyen-Orient, l’intervention russe, je vais vous avouer une chose : je suis un peu...  Comment dire ? Oui, c’est ça, déstabilisé, et enfin pas qu’un peu... Je ne parviens pas à prendre cette affaire si tragique complètement au tragique, et certes je m’en veux... Des gens souffrent et meurent là-bas, des destructions terribles ont lieu, des pays sont pillés, transformés en désordres et chaos sanglants, et nul ne doute de l’énormité quasiment eschatologique des enjeux comme de la véracité déchirante des souffrances et des injustices. A côté de cela, il y a un air de “tragédie-bouffe”, selon une expression qu’on a déjà utilisée (sur ce site), d’ailleurs pour une situation dans la région et pour un de ses acteurs les plus déroutants et les plus exotiques.

Je ne suis pas le seul, pour ce qui concerne la “tragédie-bouffe” ... Quand, parlant de ses contacts avec ses “partenaires” américanistes à propos de ces intenses et terribles agitations en Syrie et des positions respectives, un Poutine dit qu’il semble que “certains de nos partenaires” ont “de la bouillie [de maïs ?] en guise de cerveau” ou quelque chose d’approchant (« “It seems to me that some of our partners have mush for brains,” commented Putin »), tout cela sur un ton amical et un peu ironique me semble-t-il ; quand on lit cela, on est conduit à conclure qu’il y a effectivement le signe que, par certains côtés, cette crise si terrible et si profonde n’est pas considérée de façon très sérieuse par tous les acteurs, surtout ceux qui se prennent tant au sérieux. Non, je ne suis pas du tout le seul : le colonel Patrick Lang écrit le 11 octobre sur son site Sic Semper Tyrannis que le gouvernement US, dans cette affaire, ressemble à un “gamin capricieux”, « The US Government continues to resemble a petulant child who, having dominated the schoolyard, is faced with another child who takes control of a game.  The petulant one then announces that the new kid is cheating and walks away from the scrum. » (Pour bien comprendre le jugement, notez que le mot petulant est une sorte de “faux-ami” comme les langues des pays-frères savent se ménager entre elles, comme on fait un croche-pied. En français, la connotation est très positive, – vif, plein d’ardeur, etc., – en anglais elle est nettement négative : irritable, irascible, de mauvaise humeur, – et j’ajouterais bien pour mon compte, comme on l’a lu, “capricieux” et “boudeur”.)

Sur Antiwar.com, Jazon Ditz fait une petite synthèse sur la confusion régnant au Pentagone pour ce qui concerne les “groupes arabes” que cette estimable institution pourvoie en armes en Syrie, précisant justement, devant les questions qui fusent, que les armes sont précisément destinées à “des groupes arabes”. Pour la Syrie, on ne peut pas dire que cela soit faux mais on ne peut pas dire non plus que cela éclaire d’une lumière extrême la visibilité très réduite, du type-tempête de sable, qui caractérise la situation syrienne de ce point de vue, notamment des actions américanistes et de la “ligne” suivie, ou plutôt de la sinusoïde recherchée avec une multitude de tangentes et de crocs-en-jambe. On pourrait dire : “c’est une ruse”, mais on aurait tort car, dans cette affaire, la puissance se manifeste par une communication claire et vigoureuse des engagements promis ; la ruse à ce point ressemble à un nœud gordien qu’on ferait dans son mouchoir pour se rappeler du mot de pousse qui permet d’accéder à tous les mystères qu’on croit manipuler.

Ditz termine par une phrase qui semblerait vouloir dire que le Pentagone garde bien précieusement pour lui, comme un mystère extrême à protéger absolument, l’identité des groupes qu’il aide, mais qu’il assure que, quelles que soient leurs identités, ces groupes sont bien ceux qui doivent être aidés, et d’ailleurs, qu’“à un certain point” ils se serviront effectivement de leurs armes, ce qui est lumineux. (« In the meantime, however, the US airdrops remain shrouded in mystery, with assurances that whoever the US intended to arm was armed, and expectations that those factions, whoever they are, are going to do something at some point. ») Leur passé (au Pentagone), en fait de choix judicieux de leurs alliés et de réussite de leurs plans, plaide pour eux : ils ignorent parfaitement ce qu’ils ne font pas tout en croyant bien faire. Cet énorme Moby Dick qu’est le Pentagone est, à sa façon, un “monstre-bouffe”.

Le lecteur, ami fidèle, me pardonnera certainement lorsqu’il réalisera, si ce n’est déjà fait, qu’il semblerait que j’ai une cible bien précise, et que les librettistes et compositeurs de la “tragédie-bouffe”, qui voudraient en plus en être les acteurs et les spectateurs applaudissant les acteurs, se trouvent pour le plus grand nombre, confortablement installés à Washington, D.C.. Eh bien, il me pardonnera parce que c’est le cas... Du coup, il faut bien se comprendre et l’on pourrait être conduit à dire que la crise syrienne & le reste, cela pourrait se réduire à la crise washingtonienne qui fait l’affaire ; parce que, finalement, Washington D.C & le reste, cela pourrait être en vérité “Washington D.C. c’est aussi le reste”. Tout cela pourrait paraître compliqué mais je ne crois pas que cela soit vraiment le cas, et cette complication n’est que de circonstance et pour obtenir un effet. Il est absolument juste d’observer qu’il y a un désordre à la fois tragique et grotesque, d’où l’emploi de l’expression “tragédie-bouffe”, mais ce qui est le plus frappant c’est la façon dont cet événement énorme et considérable qui reste effectivement quelque chose qui a des allures de bouleversement et des poses avantageuses, en vérité ne produit rien.

On se trompe beaucoup nous-mêmes, et moi-même je le reconnais sans hésiter. En mars 2014, nous étions au bord de la guerre nucléaire en Ukraine, et tout cela s’est transformé en une sorte de désordre comme l’on dirait disorder as usual en s’inspirant de la fameuse formule. La crise ukrainienne avec ses postures de possible crise nucléaire et la tension qui devrait aller avec ne s’est pas dénouée, et tout se passe enfin comme si elle ne s’était jamais nouée malgré le “coup de Kiev”, le tragique affrontement du Donbass et le reste, – et au bout de cela, l'imaginerez-vous, la crise qui se poursuit tout de même, –  eppur si muove, comme dit notre grand aîné confronté aux exigences de communication du dogme. Il y a quatre mois, en juillet dernier, était signé l’accord nucléaire avec l’Iran, salué comme un coup de maître du magicien de la Maison-Blanche, – je me demande bien pourquoi (je parle du “coup de maître”) ; tout devait être changé dans la grande scène de l’arrangement des relations internationales et finalement pour l’essentiel rien n’a changé. Bien sûr on pourrait parler du commerce, des relations économiques à propos de l’Iran, et même, – et surtout, – dans l’autre sens des relations stratégiques de l’Iran avec Moscou et avec d’autres (la Chine) dans le même courant. Tout cela s’est plus ou moins passé et pourtant tout se passe comme rien ne s’était vraiment passé. La “tragédie-bouffe” poursuit sa tournée, de Kiev à Téhéran, à Damas aujourd’hui, mais c’est toujours la même ; l’immobilisme infécond de ce mouvement est un phénomène très remarquable.

(Suite)

Eric Onfray & Michel Zemmour

  mardi 13 octobre 2015

En France, je crois savoir qu’on parle beaucoup du livre Une élection ordinaire, de Geoffroy Lejeune. Après le président musulman de Soumission, de Houellebecq, nous avons le président-anathème, soit Michel Zemmour ; mais ce pourrait être Eric Onfray, ou vice-versa, ou bien encore Alain, dit-Eric-Michel Finkielkraut sans autre camouflage puisqu’il s’agit du troisième larron de la “liste noire” sympa de Libération. (Ont-ils remarqué, ces gardiens vigilants de la pensée-tunique, que parmi ces trois têtes de liste qu'ils ont choisies pour les désigner à la vindicte publique, il y a deux juifs ? Fâcheux... Enfin, passons.) Ce journal, le flic-en-chef de la zone, avec dans sa rédaction les petites balances du Système, les donneuses en tee-shirt tendance ou à col blanc grand-ouvert à la BHL, tout cela comme un signe indubitable d’une époque des Grands Troubles, ou Smutnoye Vremya comme disent les Russes. (La délation est une pratique courante des temps de trouble, en France certes mais ailleurs pas moins, de McCarthy au NKVD. Les balances-donneuses de Libé, – le langage du “milieu” leur sied beaucoup mieux, – me font penser à la superbe interprétation de Jugnot en collabo-gestapiste dans Papy fait de la résistance, – le film vaut bien mieux que son titre, – absolument éructant, sardonique par hasard et par nécessité, et surtout absolument hystérique comme l’on est lorsqu’on commet l’acte qu’on devine fatal de la délation, et qui vous procure tant de ce plaisir qu’on n’ose trop afficher et dont on a grande honte secrète. Je précise pour l’épisode que l’acte de la délation est de tous les vents et de bien des sentiments dont ceux de l’envie et de la jalousie, “humain, trop humain” ; que ma considération vaut aussi bien pour l’Occupation, lorsqu’on dénonçait son voisin supposé-résistant par envie pour la belle fortune de sa réussite matérielle, que pour la Libération, lorsqu’on dénonçait son voisin supposé-collabo par jalousie pour sa bonne fortune d’une épouse désirable.)

Avec le bouquin de Lejeune et tous ces bruissements effrayants, on expédie déjà Marine Le Pen au musée des espérances perdues, quasiment comme quasi-candidate-Système qui serait allée trop loin ; comme les choses vont vite dans les esprits et par ces temps des psychologies effrénées... (Lejeune : « Marine Le Pen a fait un constat: le positionnement anti-système de son père n'a pas permis d'accéder au pouvoir. Or, on le sait, elle ambitionne de devenir présidente de la République et a entrepris, dès son arrivée à la tête du Front national en 2011, une habile stratégie qu'on a nommée «dédiabolisation» ou «normalisation». Mais, et c'est une des critiques de fond que lui a adressé son père au moment de leur rupture, à trop se normaliser, elle a pris le risque de se banaliser. Pour l'instant, elle n'en paye pas encore le prix. Pour l'instant... »)

Une voix s’élèvera pour dira : Zemmour-Président, c’est absurde. (Pour ne pas dire, autre version du même thème : “c’est ignoble”.) Une autre voix, peut-être avec l’accent britannique, répliquera à l’unisson : Corbyn, en Angleterre ? Une autre voix encore, un peu nasillarde : The Donald, aux USA ? Personne parmi ces voix n’a tort dans ce genre d’échange et pourtant on a peine à croire que quelqu’un, quelque voix, ait quelque chance d’avoir raison. (Dans le temps, Jeanne ne se posait pas tant de questions, elle entendait ses voix et elle y allait. Ces temps étaient plus simples.) Par ce ni-tort ni-raison, je veux dire cette évidence qu’autant le Système est complètement sclérosé, pourri par tous les bouts, bouffi, paralysé, vautré dans sa suffisance et son incroyable surpuissance qu’il lance dans tous les coins jusqu’à en faire son autodestruction, autant il est difficile à percer, à pénétrer, à saccager, à manœuvrer de l’intérieur par un extraterrestre venu de l’extérieur de lui pour le prendre d’assaut. Bref, on reste sans voix ni certitude, ni décision ni rien du tout. Une autre phrase du jeune-Lejeune me paraît à la fois bienvenue sinon évidente et pourtant dite mille fois, usée, rabâchée, sans-espoir, parce que “le sens de l’histoire” le vieux de Gaulle en parlait déjà et pas nécessairement au meilleur des propos, et d’autres avant lui, et que chaque fois la chose parut évidente à tous et jamais elle ne mena à rien parce que l’histoire n’a pas de sens comme nous le dit Shakespeare, ou bien plutôt, et je le croirais plus volontiers, n’est-ce pas le sens qu’on croit : « Aujourd'hui, le sens de l'histoire indique qu'un trublion hors système pourrait venir perturber la campagne des candidats de droite et imposer ses thèmes dans le débat. Et cela pourrait faire des dégâts... »

Je ne peux pas imaginer, c’est plus fort que moi, qu’on puisse imaginer qu’une élection en 2017 en France puisse nous sortir autre chose qu’un piètre dinosaure un peu rance type-Hollande ou type-Juppé (et, tout de même, je ne mettrais pas la Marine parmi les dinosaures, pas du tout) ; même chose pour les USA, où je scrute épisodiquement, avec amusement et étonnement, le parcours de The Donald mais me pince régulièrement pour y croire et continuer d’écrire là-dessus ; idem pour Corbyn et ainsi de suite ... Voilà l’état de l’esprit du bonhomme à l’instant, de votre serviteur je veux dire, ce qui ne préjuge de rien, ne signifie pas grand’chose et ne promet pas un débat des plus réjouissants pour ceux qui affectionnent les échanges marqué de la raison pure.

On appréciera tout de même avec la plus grande attention que je n’ai pas dit un mot, pas un seul mot, et n’en dirai pas un seul, de l’orientation politique de l’une ou de l’autre, de leurs “programmes”,  des choix politiques, de l’idéologie, de la mise à l’index, etc. Je suis cette voie dans mon propos parce qu’il est inutile de dire un seul mot à cet égard, parce que ce n’est vraiment pas ce qui importe. De cela, je ne démords pas et ma certitude est complète là-dessus, – concernant ces hommes et femmes, et d’autres naîtront très vite, apparaîtront ici et là, c’est une question de mois sinon de semaines, – ma certitude est que ces hommes et ces femmes sont des bombes-vivantes : et le fait de la seule accession à la fonction suprême, pour le premier qui passera entre les mailles du filet, suscitera nécessairement l’objet de leur mission suprême : exploser au cœur du Système. Le seul fait de l’élection de l’un de ces antiSystème qui, par les circonstances et l’importance de la puissance au cœur de laquelle il opère, glace de terreur et emporte d’hystérie tous les dénonciateurs-Système, ce seul fait suffira à faire lever la tempête.

(Suite)

Archives : Rétrospective du 28/09/2015 au 04/10/2015

  lundi 12 octobre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 28 septembre au 04 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • C’est donc la session annuelle des Nations-Unies qui a dominé cette semaine, non pour cause de l’événement lui-même, généralement de peu d’intérêt, mais parce qu’il a été cette fois le miroir terrifié de la Grande Crise de l’effondrement du Système qui dévore notre civilisation. • De cette crise, qui est centrée aujourd’hui en Syrie mais qui est prête à rejaillir en d’autres lieux (Ukraine) ou en d’autres domaines (le secteur financier, illustré par le malaise de la présidente de la Fed, Janet Yellen), nous avons dit quelques mots ce 28 septembre 2015 en parlant d’une “diagonale des fous” inspirée par un jeu d’échecs pratiqué par des déments. • A l’ONU, c’est le Russe Poutine qui eut la vedette, parce qu’aujourd’hui c’est la Russie qui distingue le mieux l’essence de notre terrible crise. • Il y eut donc “la prière de Poutine” (le 29 septembre 2015) et la “question inquiète de Poutine” (ce même 29 septembre 2015), adressée au bloc BAO : « Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ?», à laquelle ils ne répondront certainement pas (voir le 2 octobre 2015). • En Syrie, les Russes n’ont pas chômé pour lancer leur campagne, dans une position légale beaucoup plus avantageuse que celles des pays du bloc BAO (voir le 1er octobre 2015 et le 1er octobre 2015). • Entretemps (voir le 30 septembre 2015), il nous a été donné de voir une autre facette de notre grande crise, pour apprendre l’état d’incertitude des trois grands traités (TPP, TTIP, TiSA) de l’imposture mortifère du Système. »

Cauchemar & nostalgie d’Empire

  dimanche 11 octobre 2015

Cette nuit, je me suis réveillé plus tôt que prévu, comme on l’est parfois par la fin d’un rêve dont il s’avère, tous comptes faits et à mesure que vous vous le remémorez, qu’il prend des allures de cauchemar. Il s’agissait d’un évènement comme un départ à la retraite (la mienne, moi qui suis déjà à la retraite depuis quelques années et ne cesserai pas de travailler ?) ; un événement salué par une petite cérémonie qui s’avérait finalement, être plutôt la fermeture d’un établissement ou sa transformation... Du bâtiment qui abritait cet établissement je ne me rappelle rien de précis sinon le jardin qui devait le jouxter et où il semble que je me trouvais ; l’ensemble devait rappeler la maison où je vis, et le jardin était le mien mais, à mesure que le souvenir croit devenir plus précis, prenant des dimensions déformées et de plus en plus gigantesques. Le rêve devient précis et devient cauchemar, là où je crois avoir été éveillé, lorsqu’on annonce qu’on a abattu les arbres de ce jardin ; ce que je constate effectivement au moment où l’on m’annonce la chose, comme si je n’avais rien remarqué alors que je comprends que je me trouve dans le jardin, effectivement devant un arbre abattu, mais pas comme si on l’avait scié à sa base mais plutôt par l’intervention d’une main géante qui l’aurait déraciné (car aucun mouvement du ciel, du vent, des intempéries, ne justifie un tel sort naturellement) ; et voilà que je suis devant la base de cet arbre abattu-déraciné, que la base de l’arbre est ce cercle caractéristique du tronc à sa base, hérissé d’énormes racines arrachées comme autant de tentacules monstrueuses s’agitant comme si elles étaient des serpents, de la Gorgone nommée Méduse qui me domine et m’effraie bien qu’elle soit la seule des trois Gorgones à être mortelle elle-même ; car entretemps, l’arbre est devenu gigantesque et le cercle de sa base, devant lequel je me trouve est d’un diamètre très largement supérieur à ma taille. Là-dessus, le plus simplement du monde et parce que je m’inquiète de la chose, on m’annonce qu’on a abattu les arbres pour développer le projet de les remplacer par des papillon, des nuées de papillons, des millions de papillons blancs et éclatants, et l’on ajoute assez étrangement que c’est pour célébrer le président Pompidou. (Pourquoi donc Pompidou ? Rationnellement, j’avançai l’interprétation que c’est parce qu’il eut une mort si terrible en plein exercice de ses fonctions.) J’accepte l’explication comme allant de soi mais je trouve l’idée des papillons particulièrement critiquable et futile, comme si l’on essayait de transformer une catastrophe qu’on a soi-même causée mais qui a finalement rencontré les vœux de la nature en une sorte de spectacle léger, comme si l’on s’acharnait à installer des illusions pour vous faire croire et pour se faire croire. Comment peut-on espérer faire oublier la puissance sublime de l’arbre géant abattu on ne sait comment et qui montre toute sa puissance souterraine en même temps que la force aérienne qui fait sa vie lui est ôtée, par le vol d’innombrables papillons qui sont si complètement légèreté, lumière, apaisement du mouvement gracieux, comme l’on dirait d’un autre univers ?

C’est sur ce souvenir que je crois me réveiller, et je me réveille effectivement, plus tôt que prévu, horriblement fatigué et accablé par une incompréhension angoissée. (Pour une fois, mon angoisse du lever ainsi justifiée, mais paradoxalement par ce sentiment d’incompréhension : que signifie ce rêve devenu cauchemar, qui est symbolisé finalement par ce cercle de la base de cet arbre gigantesque, dont la dimension circulaire me domine de près d’un mètre et par la perspective incompréhensible qu’il soit remplacé par des millions de papillons ?) Je me lève pour quelques petites ablutions et nécessités diverses en espérant qu’il sera assez tôt pour me décider à me recoucher, constate que ce n’est pas le cas et que je suis presque à l’heure de mon lever (03H12, je m’en souviens précisément) et sens ma fatigue disparaître complètement... Je décide de rester debout tandis que l’angoisse se transforme, je ne sais pourquoi sauf qu’ainsi disparaît une certaine paralysie, en ce sentiment plus apaisée de la nostalgie, plutôt dans le registre de la tristesse que dans celui de l’exaltation car la nostalgie a pour moi dans son infinie richesse de ces couleurs si différentes... Je m’installe quelques minutes à ma machine avant de descendre saluer les animaux (ma chienne Klara et ma chatte Lili), boire deux ou trois verres d’eau, un petit café, préparer ma tisane, faire mon exercice du petit-matin (du vélo d’appartement). Je consulte rapidement l’un ou l’autre site, m’arrête sur cet article de Sputnik-français reprenant une synthèse de cet autre article du Wall Street Journal, – dont il doit être fait usage par ailleurs sur le site. Les deux titres portent sur ce phénomène de la Fin, – « Les USA cèdent leur domination à la Russie au Proche Orient » et « America’s Fading Footprint in the Middle East ». Je décide alors d’en faire un article.

Le plus étrange, – ou bien est-ce la logique du cauchemar devenu prémonition, – est alors à la fois le sentiment et la réalisation que l’angoisse de l’incompréhension transformée en une nostalgie colorée essentiellement de tristesse a trouvé son objet. L’image de la “fin de l’hégémonie”, ou de la “Fin de l’Empire” que suggèrent ces deux textes a rencontré complètement cette nostalgie si complètement marquée de tristesse, et j’ai éprouvé, pendant quelques instants, ce sentiment du temps qui passe et des choses irréversibles que le passé enfouit, que vous inspire certains évènements historiques. Ainsi, moi, qui poursuis l’“Empire” de ma critique la plus véhémente, qui considère la chose comme le serviteur le plus avisé et le plus soumis du Système, je ressentis cette nostalgie sans fin si fortement colorée d’une tristesse à mesure, comme si je supportais avec tant de difficultés le sort terrible fait à l’Empire. Quittant ma machine comme je l’ai dit plus haut pour les diverses occupations de mon lever avant de me mettre au travail, et ayant déjà mon sujet en tête, je me souvins que ce jour qui débutait était le 11 de quelque chose et je fus persuadé pendant un temps assez long, jusqu’au bout de ces lignes en fait (jusqu’à inscrire cette mauvaise date en tête de cette intervention du Journal.dde, que je modifie à cet instant), que l’on était le 11-septembre...

C’est alors que je me suis trouvé dans l’état de l’esprit d’être absolument persuadé qu’il s’agissait effectivement de “la Fin” et que nous entrions sur une terra incognita. (Comme dit, à un autre propos, le Représentant républicain de l’Illinois, portant également par une sorte de prémonition-mnémotechnique le nom de Kinzinger [Adam, pas Henry] : « Nous sommes en terra incognita ... Nous sommes quotidiennement en train de faire l’histoire, et pas de la meilleure façon... » )

Ah Ah ! Said the Clown” ...

  vendredi 09 octobre 2015

J’avoue que, dès le premier jour où je lui prêtai attention en tant qu’“événement politique” d’importance (si l’on peut dire pour un sapiens), Obama m’apparut comme une énigme à la fois fascinante, irritante, et pour tout dire d’une façon redondante si l’on veut, – une “énigme énigmatique”, de la sorte qu’on sent bien qu’elle serait faite comme telle par le Ciel, destinée à n’être jamais déchiffrée. Depuis, cette impression ne m’a plus quitté, et la “formidable ‘cooltitude’” d’Obama, comme disait le présentateur-clown (Antoine de Caunes) du Grand Journal-qui-n’est-plus, ce calme étonnant de maîtrise de soi, m’a très vite semblé, à mesure de ma déception pour sa politique, une formidable défense pour ne pas trop se découvrir plutôt qu’un exceptionnel outil offensif. Sans aucun autre argument que l’intuition, fausse ou vraie, je n’ai jamais douté de la grande intelligence, de la finesse incontestable de jugement d’Obama, malheureusement desservies par une certaine arrogance nonchalante, et presque comme de l’indifférence quant à la véritable signification de sa fonction ; comme s’il était un formidable acteur de la fonction mais qu’il se désintéressait de la véritable signification de cette fonction, – “Président en passant”, si vous voulez.

C’est pour ces raisons, je veux dire l’intérêt que j’ai porté au personnage, que j’ai été très intéressé par le très récent article de Robert Parry à son propos (voir hier sur le site), et c’est bien sûr la raison que cet article fut traité notamment de ce point de vue du caractère d’Obama. L’interprétation qu’on en fait ici, sur ce site, est que, dans le comportement d’Obama par rapport au monde politique qui l’entoure et aux décisions qu’il a à prendre, il souffre de deux faiblesses qui se correspondent : une faiblesse psychologique qui alimente une carence du caractère. Par “carence du caractère”, il faut comprendre une incomplétude du caractère qui rend vulnérable ce caractère et, du coup, met l’homme en état général de faiblesse, avec toutes ses qualités mobilisées d’abord pour tenter de compenser ces faiblesses et pour chercher à les dissimuler ... Le caractère, je me rappelle l’avoir dit en citant ce personnage pour lequel j’éprouve tant d’estime et de fascination comme s’il était proche de moi, comme un frère ainé dans la façon d’être par le canal de l’Histoire, par la forme de l’esprit, ou plutôt, justement, proche par la forme et la conformation du caractère. Bien sûr, c’est de Talleyrand dont je parle, dont je parlai dans les Chroniques du 19 courant... d’août 2014, où il était écrit ceci,–  et on me pardonnera de me citer en partie, puisque c’est la bonne cause qui est celle de citer Talleyrand.

« On reviendra là-dessus, donc, sur cette “question de caractère”, lequel, seul, permet de porter tout ensemble l’horreur et la fascination. Le mot (le “caractère”), la puissance de la chose telle qu’elle m’est apparue dans toute son évidence, m’ont été résumés par une citation du Diable boiteux, ce diable de Talleyrand qui disait ceci en 1813... (Décembre 1813 précisément, scène rapportée par Charlotte de Laborie, fille d’Antoine-Athanase Roux de Laborie, ami de Talleyrand.)  :

» “…Il dit alors une de ces choses qui ne sortent jamais de la mémoire quand on les a entendues ; ‘Je suis bien aise de vous communiquer une pensée qui est venue dans beaucoup de têtes mais que je n’ai vu bien nettement développée nulle part. Il y a trois choses nécessaires pour former un grand homme, d’abord la position sociale, une haute position ; ensuite la capacité et les qualités ; mais surtout et avant tout le caractère. C’est le caractère qui fait l’homme.‘ Et il citait, poursuit-elle, à l’appui de son dire, tous les demi-dieux de l’histoire : Alexandre, César, Frédéric, et ajoutait : ‘Si un des pieds de ce trépied qui doit se maintenir par l’équilibre doit être plus faible que les deux autres, que ce ne soit pas le caractère… que ce ne soit pas le caractère !’”»

... Ainsi Obama serait-il, par une faiblesse de sa psychologie, doté d’une carence de caractère qui le conduit à l’intimidation de lui-même, c’est-à-dire sa propre attitude de céder à la pression de la représentation extérieure, contre la force de son caractère qu’il devrait opposer à cette représentation comme une cuirasse lui permettant de mieux partir à la bataille qu’il devait livrer. Le résultat est que la maîtrise exceptionnelle de soi d’Obama, cette façon de se contrôler, n’aboutit nullement à protéger son caractère pour l’aider à résorber la carence de cette fonction vitale, pour pouvoir se tenir libre de cette représentation que lui imposent son entourage et le monde washingtonien avec ses narrative, pour pouvoir lancer la contre-offensive une fois l’outil du caractère assuré de sa belle qualité ; elle lui sert plutôt, fonction purement défensive, à dissimuler cette carence pour pouvoir mieux figurer, je veux dire à son avantage, dans la représentation qui l’emprisonne et dans le rôle qui lui est attribué.

Là-dessus sa situation de premier président Africain-Américain l’a écrasé, parce qu’il l’a vécue également comme une spécificité qui l’enfermait dans un rôle dont le script était nécessairement artificiel, puisqu’imposé par le Système. Il l’a bien joué, ce rôle, qui était d’être Africain-Américain tout en paraissant ne pas l’être du tout, et il a obtenu le résultat inévitable : approfondir la frustration des Noirs, qui croyait venu le temps de la fin du racisme structurel du système de l’américanisme, créer une rancœur nouvelle chez les Blancs (les WASP & consorts) qui ont découvert ce qu’ils estiment être un “racisme anti-blanc”. Je me rappelle, lors de son inauguration de janvier 2009, les derniers feux de l’ivresse qui avait soulevé les esprits et surtout les cœurs lors de l’élection de novembre 2008. (Même un Tom Engelhardt, pourtant si mesuré, avouait y avoir succombé.) Je me rappelle la gentille et jolie Rama Yade, alors encore sous-ministre de circonstances machinées par le si-habile Sarko, conviée comme commentatrice type-multiculturel par TF1, qui s’exclamait, joyeuse, quelque chose comme ceci : “Vous verrez, dans 3 ou 4 générations, on ne s’apercevra même plus qu’un président est blanc, noir ou jaune ...” Brave petiote, touchante dans ses contes de fée postmoderniste sur le bonheur métissé du monde ; ah, si les choses étaient si simples et s belles. En fait, le premier président Africain-Américain a été une catastrophe sans précédent pour le multiculturalisme, l’antiracisme, la cause sociétale de l’égalité des races, c’est-à-dire de la disparition du facteur racial ... Là aussi, sa “carence de caractère” tint un grand rôle, à vouloir trop ostensiblement être un modèle : il avait tellement peur, le si-cool Obama, qu’on l’accusât d’être le “angry Black man” dont parle Parry qu’il en oublia d’être président.

« It is, after all, how he rose through the ranks as first an extremely bright academic and later a talented orator and politician. Without family connections or personal wealth, he needed the approval of various influential individuals. If he offended them in some way, he risked being pigeonholed as “an angry black man.” »

(suite)

Rythme et sagesse du fou-standard

  mardi 06 octobre 2015

La plus grande difficulté pour cette époque quasiment infernale, si l’on a fait profession de tenter de la décrire et de la comprendre, c’est le rythme des choses qui impose à votre souffle et à votre esprit des cadences de rupture, et la nature même de ces choses. Pour mon cas, parce que je constate jusqu’à le croire absolument que l’Histoire est devenue un défilement tourbillonnant de crises, jusqu’à n’être plus elle-même qu’une crise, je parle du rythme des crises qui éclatent, s’apaisent, resurgissent, qui se déploient et se contractent aussi rapidement, qui se surmontent, s’encastrent, s’entraînent. Plus encore, l’Histoire est devenue une crise et ne cesse d’accélérer, le Temps est devenu son rythme et ne cesse de se contracter.

Et puis mon registre change, et je regarde le paysage à ma fenêtre, écartant un instant l’infernale machine, et rien ne semble plus bouger ; les feuilles jaunissent et brunissent et rougissent presque timidement, et tombent en voletant comme sur le rythme d’une danse aimable la poussant vers le sol, et la pluie nostalgique traînant presque avec douceur et humectant l’herbe toujours verte. Tout semble arrêté, le Temps qui se contractait est devenu temps suspendu et la crise tourbillonnante laisse la place à l’apaisement des formes, à cette tranquillité presque moqueuse et toujours infiniment énigmatique. Mon agitation monstrueuse me paraît alors absolument inconvenante, déplacée, hors de propos. Le silence de l’instant rend un son d’éternité.

Où tout cela se passe-t-il ? A l’intérieur de nous-mêmes et rien que cela ? Dans notre seule perception, pour le seul instrument de notre psychologie ? Devant la marée folle des agitations du monde, j’ai moi aussi de longs moments de vide, d’attente, d’interrogation : que faire ? Pour quoi faire ? Écrire, certes, mais sur quoi, à quel propos, dans quel but ? Les sujets de la recherche et de la compréhension, les motifs de l’écriture, les élans du commentaire s’additionnent, que dis-je s’empilent jusqu’à s’annuler les uns les autres, – et je m’interroge... La folie du monde comme jamais et la tranquillité du monde comme toujours semblent s’allier pour nous plonger dans cette incertitude dont on sait qu’elle ne peut déboucher que sur l’angoisse.

Tout le monde, aujourd’hui, a cette citation de Bossuet en tête (« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »), et je pense qu’elle s’applique superbement à tous ceux qui se font complices des évènements catastrophiques auxquels nous assistons ; mais je m’aperçois qu’elle pourrait aussi s’appliquer à ceux qui vont dans le sens contraire, qui est celui de la résistance ; qu’elle pourrait s’appliquer aussi bien à moi-même qui, par instant comme en cet instant, “déplore les effets”, c’est-à-dire les crises et toutes ces terribles agitations, “dont je chéris les causes” puisque je continue cette bataille contre le Système en souhaitant toujours plus de crises jusqu’à celle qui l’emportera. Bossuet a dit là une vérité universelle, qui valait peut-être même pour lui-même, lui qui ne cessait de se plaindre furieusement qu’on n’observât pas assez les principes d’une religion qu’il chérissait tant puisqu’elle fondait sa conception du monde.

La question suprême est alors de savoir si cette phrase ne s’adresse pas à l’homme en général, car il y a lieu de se plaindre très fortement de ce qu’il est devenu à partir d’une ambition si haute qui habitait sa création et son développement, et que l’on pouvait chérir sans aucun doute. La seule chose qu’il nous reste est d’espérer quelque aménagement sur la forme du rire ; espérons que Dieu a le rire plutôt compatissant et indulgent, vous savez, quelque chose qui se négocie dans le sens de l’adoucissement... Là-dessus, pour couper court, je décidai que ce texte était terminé, me demandant un instant s’il avait sa place dans le Journal dde.crisis, l’admettant finalement après un vif débat avec moi-même, – et pourquoi pas, s’il vous plaît ? –  et retournant à mon infernale machine à débiter les crises.

“Et c’est ainsi que l’on progresse”, me dis-je, aussi inspiré qu’une boule de billard projetée d’une bande à l’autre. 

Archives : Rétrospective du 21/09/2015 au 28/09/2015

  dimanche 04 octobre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 21 au 28 septembre présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

• Durant cette semaine du 21 septembre 2015, nous avons rencontré à nouveau la crise syrienne, en pleine activité, certes, mais d’une façon qui fait qu’on ne peut certainement en rester à cette dénomination. • Toutes les crises s’interpénètrent, et le paroxysme temporaire et nullement décisif de l’une secoue toutes les autres. • Selon cette logique, si l’on parle de la crise syrienne elle-même et selon une optique très élargie (le 22 septembre 2015 et le 23 septembre 2015), on parle aussi d’hypothèses extérieures peu ordinaires (le 25 septembre 2015) et des soubresauts considérables, au gré d’une politique américaniste plongée dans la plus extrême confusion, du grand commandement américaniste, CENTCOM, qui joue un rôle étrange et parfois grotesque dans cette crise syrienne, (déjà le 19 septembre 2015, le 23 septembre 2015 et le 26 septembre 2015). • On comprend que ces remous du CENTCOM renvoient directement à un autre sujet, c'est-à-dire une autre crise abordée cette semaine : la crise du pouvoir de l’américanisme. • D’autres signes que CENTCOM face à la Syrie marquent cette crise du pouvoir américaniste : que ce soit la présence de Trump dans la course à la désignation républicaine (le 20 septembre 2015), que ce soit l’attitude de la Federal Reserve lors de sa décision sur les taux d’intérêt (voir le 21 septembre 2015). • Il y a de plus en plus de signes de l’extrême profondeur de la crise du pouvoir américaniste, et certains de ses acteurs en prennent conscience (voir le 22 septembre 2015).

Un président-poire s’en va-t-en-guerre

  samedi 03 octobre 2015

Il se trouve que j’avais oublié de vous le dire, les Russes, – non, pardon, les Français ont donc décidé d’entamer une “campagne” de frappe contre Daesh, frappant exactement là où il faut au “millimètre rouge” près (transaction cartésienne de “ligne rouge”, too much vague pour leur esprit précis) pour ne porter strictement aucune aide à l’effroyable Assad. (Lequel soit dit en passant assez vite pour ne pas déflorer l’impeccable réputation d’indépendance proverbiale de la justice française, s’est trouvé placé par la susdite indépendante justice dans le cadre rigoureux d’une enquête pour “crimes contre l’humanité” le jour même de l’intervention tonitruante à l’ONU de Poutine, – non, pardon, de Hollande. Cette investigation est dans la grande tradition légaliste de la politique gaullienne du pouvoir en place dans la capitale intellectuelle du Monde Libre.) On ne peut dire que cette décision tonitruante de la France indépendante ait absolument bouleversé le monde ; mais quoi, au contraire d’autres qui ne conçoivent les choses qu’en termes de communication, les Français, avec l’audacieux François-Laurent Hollbus en tête, travaillent avec sérieux dans la discrétion traditionnelle des grandes diplomaties marquées du sceau de la belle morale ; car la bombe française, elle, a la maîtrise et le prestige d’être à la fois diplomatique et morale. Et tant pis, à la fin, pour ceux qui n’y entendent rien !... Car l’“on ne peut pas vraiment dire que cette décision tonitruante de la France indépendante” ait rallié les suffrages de nombre de commentateurs, piètres pour l’occasion, du grand concert plein d’harmonie des relations internationales régies par la “seconde civilisation occidentale” (connue également comme la “contre-civilisation”).

Parmi ces réactions extrêmement défavorables, on notera celle de notre ami MK Bhadrakumar. Ce commentateur très indien n’a pas l’habitude de s’intéresser vraiment à la France, surtout celle de Sarkollande, mais il fait une exception ce 28 septembre sur son blog. Le seul sujet en est justement la France et sa politique. Il y montre une extrême dureté, dont témoigne ces quelques phrases d’introduction qui n’ont nul besoin de traduction :

« There is not the slightest sign of unease in Washington or in any western capital that on Sunday France launched its first air strikes in Syria. It is a poignant moment. Do not forget that France, along with Great Britain, was the ‘creator’ of modern Syria. To use violence against a progeny is not unusual for France – it keeps doing that in Africa – but nonetheless it reeks of insensitivity in this case, given the shame that still surrounds the Sykes-Picot pact. (The centenary of that shameful chapter in Europe’s colonial history falls in May next year.)

» What France has done is reprehensible for yet another reason. It is a permanent veto-holding member of the UN Security Council and it has violated the territorial integrity of a UN member country without even so much as bothering to seek its concurrence. The French interventions abroad are devoid of principles or morality. Libya is the last instance where it marched in, destroyed a country and its established government, left an anarchic trail and then simply washed its hands off the ensuing chaos. »

En général pour ce texte, on partagera sans la moindre hésitation et avec fermeté l’indignation de MK, quoique je trouve “sans la moindre hésitation et avec fermeté” les quelques allusions faites au passé colonial de la France excessives et injustes. Mais, dira-t-on, c’est un autre débat ; et c’est bien comme cela que je l’entends. (Et moi, je reviendrai un jour sur cet “autre débat”, sans le moindre doute.) Pourtant, il y a un point de cet “autre débat” qui est intéressant et qui va fournir l’essentiel de mon propos. A la façon dont MK Bhadrakumar développe son commentaire absolument justifié, on comprend que le commentateur interprète l’action de la France comme une survivance, ou plutôt une renaissance de la façon d’agir détestable pour lui de la France du “temps impies des colonies”. Toujours en laissant de côté le “fond du débat”, je trouve que cette interprétation est erronée ; que, paradoxalement, elle fait la part belle à la France du président-poire en excipant de son indépendance politique et de sa psychologie spécifique et historique. Mon avis est qu’il n’y a rien de tout cela, – ni véritable indépendance politique française, ni psychologie française spécifique et historique.

Je ne crois pas une seconde, bien sûr, que la France ait été manipulée par une pression étrangère pour qu’elle intervienne. (Ne suivez pas mon regard pour y trouver un éventuel suspect, il est pour l’instant vissé au clavier de la machine postmoderne.) Je pense au contraire que la France agit de façon complètement indépendante, que le gouvernement agit d’une façon autonome, en concertation indépendante et selon une ligne de pensée à l’intérieur du gouvernement français qui relève, selon l’expression employée récemment par Robert Parry et qui remonte dans son usage US à plusieurs années, d’un groupthinking complètement “à-la-française”, comme façon de parler. (La différence est que certaines victimes US du groupthinking, comme John Hamre en 2003, savent bien qu’ils le sont, victimes, tandis que les Français de Hollande et de ses satellites prennent cela pour de l’indépendance d’esprit.) Enfin, tout cela pour en venir à la question de savoir quelle sorte de démarche intellectuelle, quelle sorte de psychologie poussent les Français à agir comme ils le font, avec leurs frappes en Syrie, discrètes pour l’opérationnalité mais tonitruantes dans l’annonce du lancement de cette campagne. Il est strictement vrai, comme le note MK avec une grande fureur, que les Français agissent en contravention avec toutes les lois et règles internationales, au contraire des Russes. Tout cela n’est pas habituel chez les Français de tradition, et cela semblerait devoir surprendre avec le régime actuel qui ne cesse d’invoquer les “valeurs”, la morale, l’humanisme, les droits divers pourvu qu’ils soient “sociétaux” (de l’homme, de la femme, du mélange des deux, etc.) et nullement définis par une identité fondée sur des principes.  (On retrouve l’opposition, qui est incompatibilité, qui est rejet l’un de l’autre, entre “valeurs” et “principes”.) Puisque je rejette le soupçon du néo-colonialisme, qui vraiment ne ressemble pas à cette vertu française actuellement si foisonnante, et que je repousse l’idée d'une manipulation extérieure, quelle est donc l’explication ? L’enquête, qui est aussi une sorte d’exploration d’un territoire inconnu, est intéressante pour comprendre et apprécier les agissements de ces dirigeants. On doit avoir en effet remarqué combien ils prétendent, avec quel empressement ils ne cessent eux-mêmes de s’en expliquer continuellement, appuyés à la fois sur la rationalité et sur la morale, d’une façon qui a l’imperturbabilité des consciences tranquilles parce que toutes-faites, pratiquement du sur-mesure quand la mesure n’est pas la vôtre mais celle dans laquelle vous devez vous conformer.

(suite)

“Abracadabra”, schuss...

  jeudi 01 octobre 2015

Si je comprends bien, Poutine a pris les choses à l’envers, non ? ... D’ailleurs, peut-on dire “Poutine” ? Au départ, il n’y est pour rien, dans tous les cas il peut le dire et il ne se prive pas de le laisser entendre. L’annonce (à partir du 23 août-1er septembre) de l’arrivée de forces russes en Syrie, voire, après quelques jours de cette communication, d’une participation russe à des combats, vint de fuites très diverses, comme on les a déjà recensées, suivies d’un tintamarre grossissant devant lequel les Russes ont réagi, on dira, avec souplesse, “en slalomant” sans dire vraiment tout ce qu’ils pouvaient dire sur la vérité de leur situation, tout en en disant un peu sur des tons variés, comme s’ils slalomaient à la façon dont on a employé l’image dans un texte du 28 septembre :

« Donc, c’est dit et redit : en trois semaines, la Russie a envahi la Syrie, dans des conditions encore plus abracadabrantesques que les quarante et quelques invasions de l’Ukraine de 2014 par cette même Russie. Mais dans ce cas, les Russes l’ont jouée finement, on l’a déjà dit à plusieurs reprises, alors qu’avec l’Ukraine ils se trouvaient dans l’inconfortable position qu’est le déni complet et sans nuance au nom d’une vérité de situation qui ne ménage aucune nuance. En Syrie, par contre, ils ont pu jouer à l’aise, slalomer entre le “peut-être” et le “sans doute pas”, virant autour de l’“après tout” avant d’aborder en douceur le ““non, on ne peut pas dire vraiment que...”... »

Depuis hier, c’est officiel, les Russes déploient leurs forces, annoncent le début des opérations, lancent des attaques, prennent bien soin d’afficher toutes les garanties institutionnelles, – autorisation des corps constituées russes d’intervenir, demande officielle de la Syrie d’intervenir, rappel du cadre international légal des résolutions de lutte contre le terrorisme, jusqu’à la bénédiction du gouvernement irakien à propos du centre de coordination et de renseignement quadripartite (Irak-Iran-Russie-Syrie) installé à Bagdad, qui supervisera les opérations. On ne slalome plus, on descend schuss une pente impeccablement bornée par un légalisme de type principiel et selon une façon de faire qu’on pourrait même qualifier  de “gaullienne”... Désormais va commencer la partie tactique de l’aventure, alors que des bruits divers commencent à se faire entendre, comme des roulements de mécaniques plutôt que le cliquetis des chenilles de chars qui ne sont pas encore là (“Israël prépare une invasion terrestre de la Syrie”, “L’Arabie se prépare à intervenir”, etc.)... Eh bien, disent les évènements, très bien, nous verrons bien, nous attendons de voir si et comment ces belles envolées sémantiques se transformeront en offensives diverses.

Bien, je redeviens sérieux sans pourtant jamais avoir cessé de l’être tout à fait, car je trouve à “l’aventure” en question un sel tout à fait particulier qui exige qu’on fasse un effort d’interprétation, voire d’imagination créatrice. Nous ne sommes pas sur le terrain des faits avérés, sauf ici et là, et peut-être depuis vingt-quatre heures, mais dans une époque où une vérité de situation se dégage d’une multitude de phénomènes divers, dont une petite minorité de “faits avérés” après tout. Voici ce qui m’habite l’esprit : d’habitude, dans une opération diplomatique ou militaire, dans une guerre, dans une grande offensive, vous commencez par le commencement, – c’est-à-dire l’aspect tactique... Vous construisez les conditions qui doivent vous mener à votre objectif, lequel est beaucoup plus vaste que toutes ces “conditions” et, le plus souvent, dépasse la somme de toutes ces “conditions”. (C’est d’ailleurs le caractère de la thèse même du globalisme, qui est la conception qu’on dirait philosophique qui conceptualiserait la notion de stratégie : le tout est supérieur à la simple addition des parties qui le composent.) Bref, et pour employer d’autres termes qui nous permettent d’atteindre au cœur du sujet, on construit une stratégie avec les divers éléments de la tactique qui sont employés dans ce sens. On peut, on doit déterminer la stratégie avant de se lancer dans sa réalisation par la tactique, mais il est assez rare, sinon rarissime, sinon absurde, de prétendre atteindre un but stratégique avant d’avoir déployé les moyens tactiques pour y parvenir, – absurde enfin parce que, dans ce cas, à quoi sert l’activité tactique qui conduit au but stratégique et construit la situation stratégique puisque le but stratégique et la situation stratégique sont atteints et établis ? C’est pourtant ce qui s’est à peu près passé avec Poutine, la Russie et le Moyen-Orient, mais d’une manière si inhabituelle que cela ne peut être que le fait de notre époque à la fois grotesque et baroque.

(suite)