The Donald se fout de la “loi de la gravité-Système”

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The Donald se fout de la “loi de la gravité-Système”

Ils nomment cela la “loi de la gravité” (et nous la nommerons plus loin “loi de la gravité-Système”)... En temps normal, la “loi de la gravité” aurait fait disparaître Donald Trump, qui domine toujours de la tête et des épaules la course à la désignation du parti républicain. (La même chose peut être dit de Bernie Sanders du côté démocrate, en moins spectaculaire, mais suffisamment pour qu’on puisse effectivement parler de la campagne électorale comme d’un événement structurel où la principale loi en vigueur ne fonctionne plus.) Ce n’est pas tant un candidat qu’on met en cause, ou une idéologie, ou une tendance de l’opinion, qu’un mécanisme qui est finalement le fondement de l’implantation du Système au cœur du pouvoir américaniste.

C’est la situation que décrit Byron York, dans le Washington Examiner du 6 octobre, d’ailleurs en se faisant l’écho de nombre de commentateurs sinon d’une attitude qu’il a parfois lui-même ; lui et les autres parlent effectivement de la violation de cette “loi de gravité”  comme caractère essentiel d’une saison électorale, avant les primaires du printemps 2016, qui n’a pas de précédent. Dans ces quelques remarques, il y a une grande sincérité dans le chef de tous ces commentateurs-Système, presque une naïveté touchante impliquant que le degré de machiavélisme est bas sinon inexistant, qu’ils y croient (au Système-qui-marche selon ses nombreuses vertus), que leur confusion est donc considérable de voir que la “loi de gravité-Système” (élimination des éléments non-conformes par le Système) semble ne plus faire sentir son empire.

« It's odd; Trump is right about that. But the reporters aren't just troublemakers. The questions come because they don't understand what is happening. Many observers predicted Trump would be long gone by now. They can't comprehend why he is still around. The when-will-you-quit questions are an attempt to create a reality that makes sense.

» Just Google Trump's name and the phrase “law of gravity.’ “You seem to think the laws of gravity are applying this year,” the Times' David Brooks said to another panelist on ‘Meet the Press’ a few weeks ago, “but so far they haven't.” “Trump defies the laws of gravity,” echoed CNN's Jonathan Mann. “Some candidates [are] rising, some falling and one candidate still seems to be defying gravity,” noted NPR's Melissa Block.

» There are lots of other examples. The reason the commentators cite the law of gravity is that they all embrace certain ideas about how campaigns work. Trump's campaign is not conforming to those ideas, and it is simply blowing their minds. (Mine, too, on more than one occasion.) »

Il n’est vraiment pas question ici, ni de programme, ni des idées, ni des personnalités (Trump, Sanders), etc. Il est question d’une mécanique, d’un processus, d’un développement de situation dans des circonstances précises et pour un but qui ne l’est pas moins, bref d’une loi (“loi de gravité-Système”) qui règle la marche du monde (le monde américaniste, bastion du Système). Le cas Sanders, chez les démocrates, n’est vraiment pas différent de celui de Trump, même s’il est moins spectaculaire parce que moins marqué et concernant un homme moins excentrique et moins “a-Système” que Trump. (En effet, nous qualifierions ces candidats étranges et qui persistent à mener la course des “candidats ‘a-Système’”, – plutôt que “hors-Système” car ils sont dans le Système, – en ce sens qu’ils défient la mécanique du Système plutôt par désintérêt qu’hostilité, au contraire, par exemple, d’un Ron Paul qui était un antiSystème affiché et qui prétendait battre le Système de l’intérieur, sans bousculer les lois fondamentales mais en mettant en cause toute la politique qu’il jugeait détournée par la corruption et l’illégitimité.) York remarque à propos de Sanders :

« The same is true for the Sanders campaign. Over the weekend, the Democratic candidate held a rally in Boston that attracted 24,000 people. That was more than double the number drawn by candidate Barack Obama in 2007, when the political world was dazzled by Obama's ability to draw huge crowds. When pictures of Sanders’ Boston rally began to circulate on Twitter Sunday, showing Sanders above a vast sea of people, political types took notice. “Wowzers,” said MSNBC's Chris Hayes, in a typical reaction.

» Sanders has been steadily rising in the national polls since April. He has raised an enormous amount of money, virtually all of it in small donations. He inspires an Obama-like level of intensity in his followers. And there are those crowds. And yet, Google some version of the phrase “Bernie Sanders is not going to be the Democratic nominee,” and many examples will appear from many well-informed voices on left and right. It just does not compute for them that a 74 year-old socialist from a tiny, nearly all-white state could capture the Democratic presidential nomination. Maybe they're right, but so far Sanders is straining their ability to interpret events. »

La campagne prend donc un tour étrange (le mot a été dit plus haut par York). Les principales questions qu’on pose à The Donald (revenons à lui) concernent simplement le moment où il va quitter la course présidentielle. “Il est probablement juste de dire, écrit York, que tous les stratèges, – pas la plupart, mais tous, – tous les stratèges du parti républicain à Washington croient que Trump va ‘se dissiper’ [comme disparaît une illusion], ou peut-être exploser, bref qu’il ne sera de toutes les façons jamais le candidat du GOP. Toute leur expérience leur dit qu’il ne peut pas durer. Cela a conduit à une situation extraordinaire où le favori des sondages s’entend continuellement demander dans quelles circonstances il décidera d’abandonner la course à la nomination”, comme si cet abandon était nécessaire et inéluctable.

Stuart Stevens, le principal stratège de la campagne Romney en 2012, a observé récemment que « [s]i Trump gagne, tout ce que nous savons et faisons dans le champ de la politique se révèlera faux » ; ce qui, bien entendu, ne peut être vrai pour le personnel-Système, – d’où les seules questions posées d’une façon répétitives à Trump, largement en tête dans les sondages depuis maintenant 4 à 5 mois, comme s’il y avait un lien de cause à effet, et ces questions se ramenant à ceci qu’au plus Trump est en tête au plus il est évident qu’il quittera la course : “Puisque vous êtes si largement en tête, quand donc allez-vous quitter la course ?” (Ou, plus précisément mais de façon moins spectaculaire pour l’effet de paralogisme : “Puisque vous êtes si largement en tête et que vous ne pouvez pas gagner selon les lois du Système, et notamment la ‘loi de la gravité-Système’, quand donc allez-vous quitter la course ?”)

« “If you face the prospect of losing primaries, and you're not winning anymore, would you decide to step away at that point?” CNBC's John Harwood asked Trump recently. Trump pointed out that he is leading in the polls, but added, “I'm not a masochist. … If that changed, if I was like some of these people at one percent and two percent, there's no reason to continue forward.” A few days later, NBC's Chuck Todd picked up Harwood’s line of questioning. What did Trump mean by “I'm not a masochist”? Will he drop out? Trump gave essentially the same answer he gave Harwood. Still later, The New York Times noted that Trump “offered a vainglorious pre-obituary of sorts for his candidacy.”

» How many frontrunners are pressed to offer a pre-obituary, vainglorious or not, for their candidacies? When Barack Obama pulled ahead in the Democratic race in 2008, did reporters ask when he would drop out? When Mitt Romney took the lead in 2012, did they ask when he planned to quit? »

Encore une fois, ayons à l’esprit que le cas de Sanders est similaire à celui de Trump pour l’angle qui est choisi dans le jugement de cette campagne, mais que l’on s’attache à Trump parce que son cas est plus spectaculaire à tous égards, y compris du point de vue de la situation politique (à cause de l’absence totale de concurrents d’envergure ou de grande notoriété chez les républicains, ce qui est moins le cas de Sanders qui a en face de lui le poids lourd Hillary Clinton). La situation si peu ordinaire décrite par York doit alors être définie dans des termes différents. Ce ne sont pas des commentateurs, des politologues, des stratèges électoraux qui s’interrogent sur cette situation extraordinaire où The Donald n’a pas disparu en fumée, et qui interrogent Trump pour savoir quand il disparaîtra en fumée ; ces gens ne sont pas des idiots, ni des provocateurs, ni des tourmenteurs, ni rien de cette sorte, – en l’occurrence, ils ne sont rien du tout, presque complètement innocents par inconscience de ce qu’ils font. C’est le Système lui-même qui s’exprime, par les milliers de voix qu’il a choisies pour s’exprimer, ses porteurs d’eau, ses porte-plumes, pour interroger, non plutôt pour apostropher Trump : “Alors, tu es toujours là ? Que se passe-t-il, il faut te faire un dessin ?”

Mais Trump n’a cure de tout cela parce que, plus qu’aucun autre, et notamment à la différence complète de Ron Paul dans les années 2008-2012 encore une fois, il n’est pas antiSystème mais a-Système. C’est-à-dire que nous sommes tombés sur cet exemplaire extraordinaire qui ignore par simple désintérêt (The Donald n’est intéressé que par lui-même) que le Système existe et qu’il a ses lois, dont la fameuse “loi de la gravité-Système“ qui veut que tout ce qui n’est pas conforme au Système dans telle et telle circonstance précisément identifiée chute inéluctablement, comme guidé par l’attraction d’une gravité, un champ de forces rejetant du “circuit” ceux qui sont inconformes aux lois du Système ; et Trump est inconforme à cause de son caractère outrancier et extrêmement égocentrique, sa faconde, son univers personnel qu’il s’est construit avec ses divers $milliards, ses épouses, ses immeubles baptisés de son propre nom ; Trump est a-Système par conformité à lui-même dirions-nous paradoxalement et certainement pas par choix non-conformiste, et encore moins politique. De même pourra-t-on dire que Trump résiste à tous les étiquetages qui se brisent sur sa personnalité : trop égocentrique pour être démagogue, trop apolitique pour être populiste, il représente le sentiment courant, primaire mais qui rencontre un bon sens certain des situations, notamment dans ses positions pseudo-politiques qui se ramènent à une sorte de chacun-pour-soi qui pourrait passer pour de l’isolationnisme et implique son désintérêt pour l’hégémonie US. Enfin, puisqu’il est a-Système, apolitique et égocentrique, il continue à paraître complètement “amateur”, comme s’il considérait la course à la présidence comme une amusante compétition, et exsude ainsi sans le chercher nécessairement une position anti-establishment qui rencontre complètement le sentiment populaire.  (Sanders est un type d’oiseau différent, sans nul doute, moins spectaculaire, on l’a dit, mais qui présente la même caractéristique de s’imposer à cause d’une position qui semble a-Système bien plus que d’un choix antiSystème.)

Finalement, l’on comprend que ce ne sont pas les cas personnels qui sont intéressants mais le phénomène extraordinaire du Système qui ne parvient plus à imposer sa loi. Cela se fait, aux USA même où trône la toute-puissance du système, à cause de l’état de décomposition avancée du personnel du Système, – la classe politicienne washingtonienne, – et l’extraordinaire médiocrité intellectuelle et surtout du caractère, à laquelle l’exercice servile et inconscient de l’acquiescement empressé et automatique aux consignes du Système conduit ceux qui lui sont acquis.

Cet état des personnes, incapables de monter une contre-attaque politique qui ferait s’évanouir en fumée The Donald vient évidemment du fait des psychologies totalement réduites en lambeaux par les impératifs du Système. La puissance (la surpuissance) du Système réduit ses serviteurs à l’état d’esclaves irresponsables et le prive ainsi lui-même de ses courroies de transmission qui lui permettaient de transmuter cette surpuissance en pouvoir politique pseudo-légitime (une fois de plus le fait paradoxal de la surpuissance engendrant l’autodestruction). On a alors le spectacle inédit et surréaliste d’une campagne présidentielle US où les serviteurs du Système sont incapables de saisir et de démolir les artefacts a-Système introduits dans le circuit par simple inadvertance, sinon indifférence du Système (qui aurait misé un cent il y a un an sur un Trump, politiquement complètement inexistant). Que faut-il faire ? Faire assassiner Trump, vieille recette du système ? Il nous semble qu’il commence à être un peu tard, tant un tel acte produirait d’effets incontrôlables et insaisissables qui mettrait le Système lui-même en cause. Le plus improbable est donc en train de se produire : cette campagne 2016 que tout le monde (nous-mêmes y compris) jugeait comme la plus verrouillée et la plus assurée-Système de l’après-Guerre froide, se transforme en une loterie surréaliste où un clown dévastateur pourrait être élu président. Si le diable en rit déjà, on jugera qu’il a le rire un peu jaune...

 

Mis en ligne le 7 octobre à 10H40

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