Cauchemar & nostalgie d’Empire

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Cauchemar & nostalgie d’Empire

11 octobre 2015 – Cette nuit, je me suis réveillé plus tôt que prévu, comme on l’est parfois par la fin d’un rêve dont il s’avère, tous comptes faits et à mesure que vous vous le remémorez, qu’il prend des allures de cauchemar. Il s’agissait d’un évènement comme un départ à la retraite (la mienne, moi qui suis déjà à la retraite depuis quelques années et ne cesserai pas de travailler ?) ; un événement salué par une petite cérémonie qui s’avérait finalement, être plutôt la fermeture d’un établissement ou sa transformation... Du bâtiment qui abritait cet établissement je ne me rappelle rien de précis sinon le jardin qui devait le jouxter et où il semble que je me trouvais ; l’ensemble devait rappeler la maison où je vis, et le jardin était le mien mais, à mesure que le souvenir croit devenir plus précis, prenant des dimensions déformées et de plus en plus gigantesques. Le rêve devient précis et devient cauchemar, là où je crois avoir été éveillé, lorsqu’on annonce qu’on a abattu les arbres de ce jardin ; ce que je constate effectivement au moment où l’on m’annonce la chose, comme si je n’avais rien remarqué alors que je comprends que je me trouve dans le jardin, effectivement devant un arbre abattu, mais pas comme si on l’avait scié à sa base mais plutôt par l’intervention d’une main géante qui l’aurait déraciné (car aucun mouvement du ciel, du vent, des intempéries, ne justifie un tel sort naturellement) ; et voilà que je suis devant la base de cet arbre abattu-déraciné, que la base de l’arbre est ce cercle caractéristique du tronc à sa base, hérissé d’énormes racines arrachées comme autant de tentacules monstrueuses s’agitant comme si elles étaient des serpents, de la Gorgone nommée Méduse qui me domine et m’effraie bien qu’elle soit la seule des trois Gorgones à être mortelle elle-même ; car entretemps, l’arbre est devenu gigantesque et le cercle de sa base, devant lequel je me trouve est d’un diamètre très largement supérieur à ma taille. Là-dessus, le plus simplement du monde et parce que je m’inquiète de la chose, on m’annonce qu’on a abattu les arbres pour développer le projet de les remplacer par des papillon, des nuées de papillons, des millions de papillons blancs et éclatants, et l’on ajoute assez étrangement que c’est pour célébrer le président Pompidou. (Pourquoi donc Pompidou ? Rationnellement, j’avançai l’interprétation que c’est parce qu’il eut une mort si terrible en plein exercice de ses fonctions.) J’accepte l’explication comme allant de soi mais je trouve l’idée des papillons particulièrement critiquable et futile, comme si l’on essayait de transformer une catastrophe qu’on a soi-même causée mais qui a finalement rencontré les vœux de la nature en une sorte de spectacle léger, comme si l’on s’acharnait à installer des illusions pour vous faire croire et pour se faire croire. Comment peut-on espérer faire oublier la puissance sublime de l’arbre géant abattu on ne sait comment et qui montre toute sa puissance souterraine en même temps que la force aérienne qui fait sa vie lui est ôtée, par le vol d’innombrables papillons qui sont si complètement légèreté, lumière, apaisement du mouvement gracieux, comme l’on dirait d’un autre univers ?

C’est sur ce souvenir que je crois me réveiller, et je me réveille effectivement, plus tôt que prévu, horriblement fatigué et accablé par une incompréhension angoissée. (Pour une fois, mon angoisse du lever ainsi justifiée, mais paradoxalement par ce sentiment d’incompréhension : que signifie ce rêve devenu cauchemar, qui est symbolisé finalement par ce cercle de la base de cet arbre gigantesque, dont la dimension circulaire me domine de près d’un mètre et par la perspective incompréhensible qu’il soit remplacé par des millions de papillons ?) Je me lève pour quelques petites ablutions et nécessités diverses en espérant qu’il sera assez tôt pour me décider à me recoucher, constate que ce n’est pas le cas et que je suis presque à l’heure de mon lever (03H12, je m’en souviens précisément) et sens ma fatigue disparaître complètement... Je décide de rester debout tandis que l’angoisse se transforme, je ne sais pourquoi sauf qu’ainsi disparaît une certaine paralysie, en ce sentiment plus apaisée de la nostalgie, plutôt dans le registre de la tristesse que dans celui de l’exaltation car la nostalgie a pour moi dans son infinie richesse de ces couleurs si différentes... Je m’installe quelques minutes à ma machine avant de descendre saluer les animaux (ma chienne Klara et ma chatte Lili), boire deux ou trois verres d’eau, un petit café, préparer ma tisane, faire mon exercice du petit-matin (du vélo d’appartement). Je consulte rapidement l’un ou l’autre site, m’arrête sur cet article de Sputnik-français reprenant une synthèse de cet autre article du Wall Street Journal, – dont il doit être fait usage par ailleurs sur le site. Les deux titres portent sur ce phénomène de la Fin, – « Les USA cèdent leur domination à la Russie au Proche Orient » et « America’s Fading Footprint in the Middle East ». Je décide alors d’en faire un article.

Le plus étrange, – ou bien est-ce la logique du cauchemar devenu prémonition, – est alors à la fois le sentiment et la réalisation que l’angoisse de l’incompréhension transformée en une nostalgie colorée essentiellement de tristesse a trouvé son objet. L’image de la “fin de l’hégémonie”, ou de la “Fin de l’Empire” que suggèrent ces deux textes a rencontré complètement cette nostalgie si complètement marquée de tristesse, et j’ai éprouvé, pendant quelques instants, ce sentiment du temps qui passe et des choses irréversibles que le passé enfouit, que vous inspire certains évènements historiques. Ainsi, moi, qui poursuis l’“Empire” de ma critique la plus véhémente, qui considère la chose comme le serviteur le plus avisé et le plus soumis du Système, je ressentis cette nostalgie sans fin si fortement colorée d’une tristesse à mesure, comme si je supportais avec tant de difficultés le sort terrible fait à l’Empire. Quittant ma machine comme je l’ai dit plus haut pour les diverses occupations de mon lever avant de me mettre au travail, et ayant déjà mon sujet en tête, je me souvins que ce jour qui débutait était le 11 de quelque chose et je fus persuadé pendant un temps assez long, jusqu’au bout de ces lignes en fait (jusqu’à inscrire cette mauvaise date en tête de cette intervention du Journal.dde, que je modifie à cet instant), que l’on était le 11-septembre...

C’est alors que je me suis trouvé dans l’état de l’esprit d’être absolument persuadé qu’il s’agissait effectivement de “la Fin” et que nous entrions sur une terra incognita. (Comme dit, à un autre propos, le Représentant républicain de l’Illinois, portant également par une sorte de prémonition-mnémotechnique le nom de Kinzinger [Adam, pas Henry] : « Nous sommes en terra incognita ... Nous sommes quotidiennement en train de faire l’histoire, et pas de la meilleure façon... » )