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68719 mai 2025 (15H15) – La situation actuelle, – bien entendu surnommé “crise ukrainienne”, – ressemble à une cavalcade effrénée de divers personnages, en général de piètre envergure mais qui prétendent pourtant poursuivre des ambitions considérables, – et la cavalcade tournant en rond, c’est plus facile... On trouve bien entendu les dirigeants européens les plus en vue, sorte de clowns hystériques extrêmement insignifiants qui jurent qu’ils sont capables de déplacer des montagnes grâce à des ruses ressemblant parfois à des manœuvres enfantines construites sur des rêves d’enfants débiles. Parmi eux se glisse parfois un Trump à la fois tonitruant, méprisant, pérorant, indécis et incertain, qui suit un instant leur groupe avant de s’en détacher pour pouvoir mieux en dire tout le mal qu’il en pense.
Ce groupe fou et vain à la fois semble avoir pris comme point de référence, pour le dompter et en faire sa chose autant que comme référence pour tourner autour, ce qu’on pourrait désigner comme l’ensemble imperturbable et impossible à affaiblir que sont les Russes ; avec, au milieu d’eux, évidemment, un Poutine à la fois habile comme un renard et aussi solide et inébranlable qu’un bloc de granit. On espère le faire bouger, c’est-à-dire capituler, sans réaliser à quel personnage ils se frottent. Constantin von Hoffmeister décrit ainsi l’un de ses acteurs métaphysiques favoris, Friedrich Nietzsche, et cela pourrait aussi bien faire l’affaire pour notre bloc de granit, sa façon de voir et d’être, son demi-sourire à moitié ironique, son allure compassée et énigmatique :
« Dans les terres désolées du présent, entre gestes épuisés et applaudissements stériles, il cherche des vestiges de feu, des ancêtres qui ont jadis déferlé sur la réalité telles des apparitions divines. Il ne les trouve pas chez ses pairs, qui tremblent devant la bureaucratie et miment l'action sans appétit. Au lieu de cela, il tourne son regard vers le passé, cherchant à travers la brume des figures nées à l'extrême de la forme : César, Dante, Beethoven. Leur existence est une incantation. D'eux, l'acteur apprend que ce qui a été créé peut renaître. Goethe déclarait déjà que le monde environnant était devenu indigne du désir du poète. »
Je ne veux pas faire de Poutine une sorte plus récente de Nietzsche mais indiquer la similitude des situations où les Russes espèrent malgré tout que de ce saccage désertique qui ressemble au Désert des Tartares renaîtra quelque chose de la grandeur de notre passé commun.
Les “négociations” d’Istamboul ont été de la même sorte. Beaucoup s’en sont réjouis, y compris le secrétaire d’État Rubio dans un coup de téléphone à son pair russe, Lavrov. Les Russes ne disent pas non à propos de ce jugement sommaire et un peu leste, voulant conserver une possibilité d’entente nouvelle avec une équipe Trump dont ils continuent à tenter d’attendre qu’elle apportera quelque chose de ce qui a été perdu depuis longtemps. Certes, ils reconnaissent qu’il y eut une discussion plus civilisée qu’on ne pouvait craindre. Mais ils retiennent surtout que, devant le plan aux 22 points pondu par l’équipe Kellogg-Graham et filé à Zelenski pour exécution, et suggérant sous une forme aimable une capitulation russe complète, les Russes ont répondu aimablement :
« Complètement inutile. Il n’est pas question une seconde de s’attarder à cette chose. Remettez ça dans vos dossiers et oubliez. Nous passons à autre chose et rendez-vous pour la prochaine fois. »
Mercouris suggère que la meilleure solution pour l’Occident-compulsif, justement pour une poursuite des négociations avec un nouveau rendez-vous qui sera naturellement à Istamboul où la fin de l’automne est charmante, serait d’attendre octobre-novembre. D’ici là, les Russes auront lancé leur offensive finale. Si elle échoue, comme dans les rêves euro-ukrainiens poivrés à la cocaïne de leurs contre-offensives, les Russes pourront envisager de picorer l’une ou l’autre “concession” auxquelles on leur demande d’acquiescer. Si elle réussit, comme c’est inévitable, on pourra commencer le travail sérieux avec ce qu’il restera de l’équipe Zelenski, s’il en est encore question, et l’on dessinera la nouvelle Ukraine réduite à sa plus simple expression, celle où les Russes ne réclame pas quatre régions à incorporer dans leur Fédération, comme c’est déjà fait, – mais bien huit, comme un des négociateurs russes a suggéré avec ironie aux négociateurs ukrainiens.
Alors quoi, si Poutine n’est pas un nouveau Nietzsche, c’est au moins un “homme de fer” ? Attention, c’était à peu près la signification du mot “Staline” (homme d’acier, en fait). Poutine n’est pas un nouveau Staline, pas plus qu’un nouveau Nietzsche. Il a sa façon à lui d’être aussi résistant que le granit qui caractérise d’ailleurs les deux autres (le granit n’a pas d’opinion bien arrêtée). On décompte beaucoup d’arguments pour affirmer cette matière constitutive qu’est le granit qui résiste.
Parmi ces arguments, le plus original (?) parce que quasiment démocratique nous vient, – surprise, surprise, – d’un New York ‘Times’ qui semble avoir retrouvé quelques-unes des habitudes du vrai journalisme. C’est dire : il a envoyé une équipe interviewer, avec accord de Moscou, des soldats russes sur le front pour sonder leur état d’esprit. C’est Mercouris qui nous signale la chose, à nous qui n’avons jamais côtoyé le NYT.
D’une façon générale, nous dit-il, les soldats sont fatigués, ils aimeraient que la guerre se termine le plus vite possible. Pas vraiment original sauf que, pour eux, toujours d’une façon générale, “terminer la guerre” ne signifie qu’une chose : que la Russie remporte la victoire le plus vite possible. Aucune autre issue n’est sérieusement envisagée. Cette idée est poussée à l’extrême de sa logique lorsqu’un soldat explique aux gens du NYT, faisant une allusion directe aux négociations “en cours” (ma citation n’est pas verbatim mais nous nous comprenons je crois) :
« Avec un million d’hommes en armes sur le front, aucune trahison [des hommes politiques dirigeant la Fédération de Russie] ne sera acceptée. C’est dire que le président aurait bien des soucis et des problèmes si les soldats percevaient un résultat des négociations comme une trahison. »
Voilà pourquoi commence à régner le constat que Poutine, décidément “homme de gravit” et malgré sa réputation de renard arrangeant dans sa diplomatie, est perçu, ou doit être perçu dans tous les cas, comme de plus en plus intransigeant ; voilà pourquoi la délégation russe à Istamboul, dirigée par le chef du GRU (renseignement militaire) était de très haut niveau et comprenait un nombre inattendu d’officiers de l’armée de haut grade.
C’est finalement une curieuse histoire, non ? Comme une sorte de fable implacable et fatale. Pendant trois ans, on ne se parlait plus, la Russie avait été “cancellée”, – disparue, perdue dans le trou noir et sans fond d’une mémoire dans la malédiction des forces “du mal” selon un formidable simulacre fabriqué de toutes pièces. Aujourd’hui et bien forcés de commencer à défaire ce simulacre, on la retrouve (la Russie), pour s’apercevoir que, si la question du “mal” avait été un peu trop vite réglée, – certains des joueurs, surtout européens et sur le conseil de Poutine, se sont vus dans leurs miroir comme des “idiots” dont on sait qu’ils sont prompts à se mettre au service du “mal”, – par contre celle de la force, de la puissance, est bien conforme à ce qu’affirmait une partie de ses détracteurs.