De Fantasy-RAND à une « certaine admiration »

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De Fantasy-RAND à une « certaine admiration »

31 mai 2025 (18H40) – Il faut croire que l’on ne peut se passer des jeux les plus passionnants accrochés à des idées extrêmement fixes, aussi fixes qu’une ancre d’un grand porte-avions d’attaque de l’US Navy (bien entendu). Cette ancre formidable qui fixe notre pensée dans les limites autorisées, ce sont la barbarie, l’incompétence, l’ahurissement idiotique des hordes barbares d’au-delà du Dniepr. Par conséquent, le débat autour de leur capacité à dépasser la technologie de l’arc et des flèches, peut-être pour montrer quelque indulgence de l’arbalète et de ses traits, – ce débat-là n’en finit pas. A côté, il y a bien entendu nos splendides opérations et nos éblouissantes prévisions, comme la façon dont nous avons si bien vu le formidable impact de l’offensive dite “Mur de drones” devenu gruyère plein de trous des Ukrainiens (voir ce qu’en disent les amis Christoforou-Mercouris : « L’Ouest furieux de l’échec de l’attaque des drones »).

On publie deux textes très intéressants puisqu’ils viennent tous les deux du même côté de la barricade, alors qu’ils se contredisent complètement derrière les habituelles rhétoriques mielleuses des experts de notre belle civilisation. Les deux textes se suivent, le premier étant ce texte sur un rapport de la RAND Corporation, – que nous avons décidé, d’un commun accord avec les planificateurs des BRICS, de rebaptiser Fantasy-RAND Corporation pour donner à cette organisation toute sa dignité.

Note de PhG-Bis : « La RAND Corporation a été créée en 1945 par le général Henry ‘Hap’ Arnold, chef de l’état-major de l’USAAF (USAF à partir de 1947), en coopération avec la Douglas Aircreft Corporation, qui apportait les petites enveloppes chargées des fonds de départ. Ce projet s’appuyait sur un rapport énorme commandité par Arnold détaillant les prévisions des développements technologiques militaires dans les vingt-cinq années à venir. Tous ces éléments constituent les fondations de l’installation des forces armées dans le complexe militaro-industriel (CMI) en formation dès les années 1935-1936. La RAND a donc été un instrument fidèle au service de l’USAF et du Pentagone, puis de l’État de Sécurité Nationale (National Security State) formant la matrice fondamentale du CMI, lequel est la courroie de transmission du Système et du “déchaînement de la Matière“. Récemment, cette organisation de la RAND a mérité, selon PhG que je suis aveuglément, d’être rebaptisée “Fantasy-RAND Corporation”, pour l’impeccable justesse de ses prévisions par rapport aux exigences a-po-ca-ly-pti-ques (selon Dali) des scénarios de Hollywood sur les films de baston-technologique à très grand format. Que tout cela repose en paix. »

Voici donc le  texte sur le nouveau rapport de la Fantasy-RAND tel que rapporté par la sournoiserie journalistique russe, forcé dans ce cas à un peu de décence par rapport au simulacre, puisque rapportant des éléments publiés par le journal ‘Stars & Stripes’, qui reste la revue-étendard des forces armées américanistes. Bien entendu, le rapport nous indique :

1). Que de toutes les façons l’OTAN est beaucoup plus forte et infiniment plus malignes que les barbares venus de l’Est, – donc la victoire est certaine.

2). On indique avec précision les domaines où il faudra booster un peu les choses pour se mettre à niveau d’ici 15-20 ans, en demandant aux Russe, en attendant, (a) justement, d’attendre ce laps de temps sans rien faire d’irresponsable et sans profiter lâchement des accidents de terrain ; (b) de ne pas faire de progrès entretemps pour ne pas gêner nos plans pour les rattraper, les dépasser et les réduire en cendres grotesques ; (c) d’attendre (suite) qu’on leur donne le signal de la retraite transformable automatiquement en déroute.

3). A part ça, mais qu’est-ce qu’on est bons !

Vérifions tout cela dans le texte

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 « Chapeau, Fantasy-RAND

« L’OTAN prépare des scénarios de guerre avec la Russie et entend « dominer l'espace aérien et le champ de bataille ». Le journal américain Stars and Stripes, spécialisé dans l'actualité militaire, écrit que les États-Unis et leurs alliés européens de l'OTAN ont sérieusement l'intention de « dominer l'espace aérien et de disposer d'un avantage décisif sur le champ de bataille » lors d'un éventuel conflit avec la Russie.

La publication fait référence à un rapport du centre d'analyse Rand Corp., commandé par l'US Air Force.

« Premièrement, et peut-être le plus important, la domination aérienne de l'OTAN perturberait probablement la stagnation qui caractérise les opérations terrestres actuelles dans le conflit russo-ukrainien », indique le rapport.

Il est à noter qu'au cours des trois dernières années, les troupes américaines ont tiré de nombreux enseignements de la surveillance du déroulement des hostilités en Ukraine. Parmi les principales préoccupations figure le retard des membres de l'OTAN dans l'utilisation des petits drones et des techniques de guerre électronique qui caractérisent la guerre en Ukraine. D'autres vulnérabilités sont liées à l'incapacité de la base militaro-industrielle occidentale à rivaliser avec la capacité de la Russie à produire de grandes quantités de munitions. Cependant, selon les analystes, l'OTAN dispose d'un avantage considérable sur la Russie en termes de puissance de combat, indique l'article.

En attaquant les forces terrestres russes, l'OTAN est susceptible de remporter des succès initiaux avant de pouvoir lancer une contre-attaque au sol, mais au final, l'alliance « domine le ciel de l'Europe de l'Est », indique le rapport.

Selon ces plans, la neutralisation des défenses aériennes russes permettra également aux avions de reconnaissance de l'OTAN d'identifier les faiblesses et les mouvements de troupes russes, « tandis que les avions d'attaque bombarderont en permanence les postes de commandement, les plateformes logistiques et les formations de manœuvre ».

Le scénario Rand prévoit une attaque de la Russie contre un pays de l'OTAN et revendique une partie de son territoire. Selon lui, les combats s'intensifient rapidement et les troupes américaines et européennes lancent une offensive pour reprendre ce territoire.

« Un conflit réel d'une telle intensité pourrait bien dégénérer en guerre nucléaire, surtout si les troupes russes subissent des pertes inacceptables ou si les actions de l'OTAN menacent l'intégrité de l'État russe », indique le document.

Il a également envisagé le scénario nucléaire et prédit le déroulement des opérations militaires conventionnelles.

Cette situation a incité les membres de l'OTAN à augmenter leurs dépenses de défense et à tenter de revitaliser leur base industrielle pour rivaliser avec la Russie, qui, selon des responsables de l'OTAN, peut produire chaque année trois à quatre fois plus de munitions que tous les pays de l'Alliance réunis.

Ces inquiétudes de l'OTAN sont fondées, selon Rand, qui a recommandé au Pentagone d'identifier les systèmes de munitions prioritaires à produire rapidement en cas de conflit prolongé avec la Fédération de Russie.

L'accélération des investissements dans les drones et les technologies anti-drones est également cruciale, indique le rapport. Cependant, le contrôle aérien et la puissance de feu aérienne

« sont essentiels pour libérer les possibilités de manœuvre terrestre sur un champ de bataille moderne et transparent ».

« Le potentiel de l'OTAN pour des opérations offensives réussies dans la guerre avec la Russie semble être bien plus grand que celui de la Russie ou de l'Ukraine dans le conflit actuel », assurent les auteurs du rapport. »

Nous voilà rassurés

Certes, rassurons-nous ! Malgré les réserves émises, produit de l’extrême objectivité de Fantasy-RAND, sur les points essentiels l’OTAN n’a rien à craindre. L’assurance finale qui est donnée par les auteurs du rapport (« Le potentiel de l'OTAN [...] semble être bien plus grand que celui de la Russie ou de l'Ukraine dans le conflit actuel ») clôt le débat à la satisfaction générale.

Là-dessus, nous glissons un second texte que RT.com publie sur une conférence réunissant des officiers généraux de l’OTAN et nombre d’experts. Là encore, la fourberie russe a peu de champ pour s’exprimer puisque le texte fait rapport de cette réunion à partir d’un compte-rendu de l’agence américaniste Bloomberg, source au-dessus de tout soupçon, écrit par l’un de ses journalistes (Mark Champion) qui a assisté à la réunion patronnée par le fameux RUSI londonien. Et là, voilà qu’une expression se glisse, qui fait le titre de l’article, sous la forme d’une remarque de ce Champion-là :

« Semaine après semaine, j’entends une forme d’admiration pour la vitesse avec laquelle les troupes russes apprennent et s’adaptent »

« Une forme d’admiration », dites-vous ? Mon Dieu, mais alors que reste-t-il des assurances si assurées du rapport de Fantasy-RAND ? La question est posée, et elle terminera donc l’ensemble de cette longue page du ‘Journal-dde.crisis’ sur une incertitude bien déplaisante pour nos certitudes coutumières. Dieu nous abandonnerait-il pour favoriser les barbares ?

Voici donc le texte...

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« “Une forme d’admiration” en Occident

« Lors d’une conférence stratégique réunissant des officiers et généraux issus de vingt pays de l’OTAN à Londres, plusieurs experts militaires occidentaux ont reconnu, selon Bloomberg, la capacité remarquable des forces armées russes à apprendre rapidement, à s’adapter au terrain et à dominer technologiquement en Ukraine.

L'armée russe a su, en trois ans de conflit en Ukraine, transformer ses méthodes militaires, moderniser ses équipements et dépasser certaines technologies occidentales. C’est ce que révèle une analyse du journaliste Mark Champion publiée le 30 mai par l’agence Bloomberg, à l’issue d’une conférence organisée par le Royal United Services Institute à Londres.

Les officiers présents, représentant une vingtaine de pays de l’OTAN, ne cachent plus leur inquiétude. Selon Bloomberg, plusieurs généraux occidentaux ont souligné que la Russie dispose aujourd’hui d’un effectif au combat deux fois plus important qu’en 2022. Ce renforcement s’accompagne d’un bond considérable dans la production d’armes et de munitions, permettant aux forces russes de poursuivre efficacement l'opération militaire spéciale.

Surtout, cette progression ne se limite pas aux chiffres. Comme l’écrit Mark Champion: « Semaine après semaine, j’entends une forme d’admiration pour la vitesse à laquelle les troupes russes apprennent et s’adaptent ». En effet, l’armée russe a su acquérir de l’expérience face aux systèmes occidentaux comme les HIMARS américains. Cette capacité d’adaptation rapide a permis de neutraliser plusieurs technologies initialement perçues comme des atouts majeurs fournis par l'Occident à l’Ukraine.

Bloomberg souligne également l’évolution qualitative des missiles russes, notamment les systèmes « Iskander », désormais réputés précis et extrêmement difficiles à intercepter, même pour des technologies comme les batteries américaines Patriot. Ces missiles sont désormais utilisés pour viser des objectifs cruciaux, allant des lanceurs HIMARS aux centres de commandement ukrainiens.

La supériorité russe dans les domaines des drones et de la guerre électronique a été largement commentée lors de la conférence. Selon Bloomberg, les experts estiment que Moscou dépasse désormais l’OTAN dans ces deux domaines. L’accent est mis sur l’efficacité des drones russes produits en grande quantité, capables de s’imposer par leur volume et leur adaptabilité, contrairement aux drones occidentaux plus rares.

Face à cette montée en puissance, les armées occidentales peinent à suivre. Bloomberg précise que les nouveaux corps d’armée, que les pays de l’OTAN cherchent à reconstituer, sont encore loin d’être prêts. Par exemple, le 18e corps aéroporté américain est le seul capable d’un déploiement rapide, mais reste en phase d’expérimentation. De leur côté, les forces européennes font face à de sérieuses limites logistiques, ce qui compromet leur réactivité sur le flanc est de l’alliance.

Ainsi, la Russie, tout en poursuivant ses objectifs de défense et de souveraineté dans le cadre de l’opération militaire spéciale, confirme sa capacité à moderniser son armée dans un contexte de conflit réel, alors que les armées occidentales doivent encore s’adapter aux nouvelles réalités tactiques et technologiques. »