Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.
Je vais vous parler de deux personnages de cet épisode de nos “Folies-Bouffes”. Vous les connaissez, ils se nomment Benjamin Netanyahou et Jimmy Carter. Cette époque est celle des “Folies” apparemment incompréhensibles, se succédant à un rythme endiablé, comme on en eut un exemple dans les deux-trois jours qui viennent de s’écouler et qui font le sujet de cette page du Journal dde.crisis. Il importe de noter bien que j’emploie le mot “Folie” dans le sens de la dérision (pas “Folies-Bergère”, mais quoi, tout de même de ce domaine quasiment de l’entertainment), et “Folies-Bouffes” pour appuyer sur ce sens. Pourtant, j’insiste là-dessus, ce terme qui paraîtrait moqueur et léger par les références qu’il suggère, ne l’est pas du tout sous ma plume ; je l’emploie plutôt sur un ton attristé, résigné, comme on fait le constat d’une situation plus consternante et décourageante que ridicule et dérisoire, ou plus précisément “plus consternante et décourageante” parce que ridicule et dérisoire.
Précisément et dans un autre sens, je voudrais, avec ce mot de “Folies” dans le sens où je l’emploi, proposer le sens de l’étrangeté, de la futilité de la pensée égarée, de l’absence de rationalité, de l’inversion des tendances essentielles de la vie publique, mais aussi la suggestion des aspects tragiques avec des nuances de tragi-comédies ou de tragédie-bouffes, mais également enfin avec la force de ce tragique bien réel dans la mesure des conditions et des conséquences que suggèrent les deux évènements. Notre époque est à la fois extraordinairement ridicule et terriblement tragique, et ce contraste ne cesse de prendre notre jugement à contrepied. On ne peut donc pas se contenter d’en ricaner avec mépris et dérision ou de s’en effrayer avec terreur et horreur, mais les deux à la fois, et presque dans un même élan du sentiment. Ce n’est pas chose aisée.
• De Netanyahou, on sait tout sur sa affirmation d’il y a deux jours, aussitôt jugée en général monstrueuse. Ce n’est pas vraiment tout à fait du négationnisme mais pas loin et si proche, malgré ses dénégations dites après son discours-que-chacun-sait (« Je ne dis pas qu’Hitler doit être lavé de toute responsabilité, mais simplement que le père de la nation palestinienne [le grand mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini] voulait détruire les Juifs »). Curieusement, “Bibi” avait dit un peu la même chose en 2012 (Husseini comme « l’un des principaux architectes de la solution finale ») et nul n’avait relevé le propos, ce qui doit conduire à s’interroger sur nombre de choses ; cette fois, par contre, quel tintamarre... Les Allemands sont furieux parce que pour eux, il ne peut y avoir qu’un seul et unique coupable, et il est leur, il est Allemand, et c’est bien lui et pas un autre. (Vue d’un point de vue un peu libre, la réaction allemande a quelque chose d’obscène et de surréaliste.) Certains jugent que “Bibi” a perdu la tête, d’autres le méprisent ouvertement. On aura une mesure de la tempête soulevée par “Bibi” en lisant ces quelques lignes d’Elie Barnavi, historien et essayiste, Professeur émérite d'histoire moderne à l'Université de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d'Israël en France.
« Comment rendre compte d’une telle prostitution de la Shoah ? Quel est le cheminement d’une pensée capable d’y aboutir ? C’est simple, hélas ! Dans la camisole de force politique où il se débat, “Bibi” fait feu de tout bois. Hier, pour prévenir l’accord nucléaire avec Téhéran, les Iraniens étaient accusés d’être les nouveaux nazis. Aujourd’hui, dans les affres des attaques au couteau qui mettent à mal le mythe de l’unité de Jérusalem, c’est le tour des Palestiniens d’endosser l’uniforme S.S., celui de Mahmoud Abbas de prendre la place du Grand Mufti.
» Cependant, cette fois, Netanyahou atteint des bas-fonds où même ses pires adversaires n’imaginaient pas qu’il pût plonger. Cette fois, il foule aux pieds le Saint des Saints de la mémoire douloureuse de ce peuple. Cette fois, en faisant d’un collaborateur minable, représentant d’une province marginale de l’empire britannique, le principal promoteur de la Solution finale, il offre un cadeau inespéré aux négationnistes de tout poil : si lui le dit, c’est que c’est vrai, Hitler n’est pas si coupable que cela. Cette fois, il dédouane du même coup tout ce que l’Europe compte d’extrême-droites plus ou moins nostalgiques du fascisme, voire du nazisme. »
• On a eu moins de choses en écho, moins de réactions, concernant le second personnage et son acte. Il s’agit de l’ancien président Carter, qui en tant qu’ancien président reçoit une synthèse quotidienne des services de renseignement US qui, – à mon avis assez humble mais point exempt d’intuition, – ne doit pas contenir d’immenses secrets mais plutôt des analyses plus ou moins accessibles par ailleurs, et souvent extrêmement fausses comme le renseignement US s’en est fait spécialité et habitude. Une fois, comprend-on, a été adjointe pour l’édification des anciens présidents une carte montrant les positions de Daesh en Syrie, un document dont on a précisé qu'il n’est pas classifié. Carter, qui a d’excellentes relations avec Poutine, lui a proposé, par courriel, ce document pour l'aider à ajuster mieux ses frappes en Syrie, sans la crainte de commettre une vilenie assimilable à la trahison puisqu'officiellement Daesh est honni par everybody dans la civilisation courante et dominante ; finalement l’ambassade de Russie à Washington a répondu avec gratitude et reçu la carte en retour même si, probablement, la chose n'apprend pas grand’chose aux Russes. The Free Bacon a développé la nouvelle à partir d’une vidéo de la NBC et Russia Insider en donne une courte synthèse en faisant quelques remarque acerbes sur la façon dont Carter a été jugé en l’occurrence. Certes, il n’y a pas à proprement trahison, mais le soupçon pèse lourdement, – soupçon de trahison infâme car dans les salons de Washington on a le jugement leste, assorti du soupçon de gâtisme. Voici quelques mots de The Free Bacon, publication notoirement neocon ; le propos n’a rien à voir avec la vigueur de celui qui accompagne les commentaires anti-Netanyahou mais il met implicitement l’ancien président dans le même sac des sacrilèges, cette fois par trahison de la stratégie des États-Unis, dont on connaît le caractère limpide et sans barguigner :
« “I sent [Putin] a message Thursday and asked him if he wanted a copy of our map so he could bomb accurately in Syria, and then on Friday, the Russian embassy in Atlanta—I mean in Washington, called down and told me they would like very much to have the map,” Carter said at his Sunday school class in Georgia, according to a video of his remarks first aired by NBC News. “So in the future, if Russia doesn’t bomb the right places, you’ll know it’s not Putin’s fault but it’s my fault,” he added as the audience laughed.
Obama administration officials have publicly said the United States will not collaborate with Russia as long as it targets U.S.-backed rebels in an effort to prop up Syrian President Bashar al-Assad, a longtime ally of Moscow. The administration has said Assad must eventually step down as part of efforts to seek a political resolution to the Syrian war. “We are not prepared to cooperate on strategy which, as we explained, is flawed, tragically flawed, on the Russians’ part,” said Ash Carter, U.S. defense secretary, earlier this month.
Je vais dire aussitôt que je tiens pas une seule seconde à débattre de ces cas précisément, de ce qu’ont fait ces deux hommes, de ce que cela représente, des torts de l’un ou de l’autre, de la calomnie ou de la justesse des accusations et jugements contre eux, etc. Je ne tiens aucun compte, dans la mesure du possible de l’humaine nature, des sentiments et jugements que je porte sur l’un et l’autre. Je suis là-dessus, volontairement, complètement neutre, en réfrénant complètement tel ou tel réflexe pour plaider ou commenter dans un sens ou dans l’autre parce que ce rejet absolu de cette procédure est la méthodologie que j’ai choisi.
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Notre ami ambassadeur-chroniqueur M.K. Bhadrakumar est présentement à Sotchi, à la réunion annuelle du Club-Valdaï, où il doit intervenir aujourd’hui. Il est arrivé lundi dans la ville fameuse pour notre époque par la grâce des JO qui précédèrent immédiatement le “coup de Kiev” des étranges “stratèges” occidentaux, – successivement l’UE et les USA en l’occurrence ; fameuse également pour ses superbes paysages qui mêlent d’une façon si radicale la station balnéaire de la Mer Noire toute proche et les paysages de haute montagne des premiers contreforts du Caucase se précipitant directement de 2.000 à 3.000 mètres jusqu’au plages et dans les flots.
Le même jour, le 19 octobre, Bhadrakumar s’est mis à la table de sa chambre d’un hôtel luxueux où s’installent les invités de marque pour rédiger une rapide réflexion sur le comportement et l’âme du pays de ses hôtes et de son président. Ainsi avons-nous un portrait très vite brossé mais sans aucun doute remarquable du président de la Fédération de Russie et de sa diplomatie, et par-delà, de la Russie dans l’ouragan qui l’enveloppe aujourd’hui dans sa fureur, comme il enveloppe le monde et son époque diluvienne. J’en extrais quatre paragraphes qui me paraissent offrir l’essentiel du sujet.
« Putin’s practice of diplomacy has been exceptional. Diplomacy at its best aims to prevent wars. At second best, it slows down wars and when successful, it could even bring wars to a grinding halt. At its third best, diplomacy takes over to talk the terms of peace when soldiers have run through and would like to retire, and the war has exhausted itself. But to my mind, Putin has pioneered a fourth variant – an innovative form of ‘coercive diplomacy’.
» It is not Putin’s first preference, but became a matter of choice forced upon him by compulsions when in the world of today armed conflicts are being deliberately triggered to provide the raison d’etre of external intervention, and they incrementally begin slouching toward full-scale wars, while the protagonists obdurately refuse to pay heed to the voice of reason and sit on the parapet dangling their feet in the air until the low hanging fruit is ready for plucking. In Ukraine, Putin tested this startlingly innovative variant of diplomacy, and it could be already paying off. And in Syria, he is even more audaciously practicing it.
» My second consideration was that Russia has undergone the whiplash of the new cold war and it is important to get a first hand feel of how it managed to weather — and is, finally, turning the tide — of the US’ containment strategies. Of course, it must have been apparent to the Barack Obama administration all through that the project to ‘isolate’ a great power like Russia was doomed to fail. But then, Obama has been blessed with the gift of the gab and almost made a credulous world believe he was serious about what he was embarking upon. Indeed, in the process, something has changed in the Russian mindset. Iron entered its soul, and that is bound to get reflected in the Russian conduct on the world stage.
» We have heard so much American lamentation about an ‘assertive’ China. But you ain’t heard anything yet about what is ‘assertiveness’ about until you get to see Russia’s ‘return’ to the world stage. Is it a good thing to happen? I would think so. Because, Russia’s ‘assertiveness’ is a guarantee of peace. The global strategic balance is hugely important for maintaining peace and only Russia can provide the underpinnings for it. Again, the ground rules of international conduct need to be based on international law and the UN Charter. The international system cannot any longer be dominated by one superpower. Russia’s insistence on such ground rules introduces a much-needed corrective mechanism in the international system today. »
On l’a vu, j’ai souligné le passage qui me paraît le plus important dans ce court extrait, qui concerne la Russie encore plus que Poutine, mais la Russie conduite par Poutine et la Russie parfaitement représentée par Poutine, comme si l’homme-Poutine était gratifié d’une âme qu’on pourrait qualifier de “collective”, reflétant absolument le sentiment de la nation dont il est alors l’émanation bien plus qu’il ne la conduit. Je traduis ce passage à ma façon, qui est plutôt une adaptation bousculant également la syntaxe pour faire mieux ressortir la justesse du propos : « [Q]uelque chose a changé dans l’état de l’esprit de la Russie, du fer est entré dans son âme... »
Mais Poutine d’abord ... Bhadrakumar juge qu’il a une “pratique exceptionnelle” de la diplomatie, observant qu’il a innové la diplomatie traditionnelle en inventant une nouvelle forme de diplomatie... (Ou bien sont-ce les évènements qui ont forcé à cette innovation ? Poser la question, de mon point de vue... Mais quoi, même si les évènements sont maîtres, ce dont il ne faut pas douter, encore faut-il être capable de répondre à leur diktat.) Deux mots sont proposés par notre ambassadeur-chroniqueur, dans son ordre : “coercition” et “assertivité”, – et l’on notera que, dans les références citées ci-après, je mélange Poutine et la Russie, que cela ne gêne en rien, que cela renforce au contraire mon propos : « Poutine a créé une quatrième variante [ de la diplomatie],– une forme nouvelle de “diplomatie coercitive” » ; « On a beaucoup entendu les geignements américains à propos de l’“assertivité” de la Chine. Mais l'on n’a encore rien vu en fait d’“assertivité” tant qu’on n’aura pas senti et mesuré la puissance et l’effet du “retour” de la Russie sur la scène mondiale. »
Rapidement dit, for the record comme ils disent, et qu’on se comprenne bien (tout cela venu de Wikipédia, pour simplifier et s’en tenant aux définitions) : la “coercition” a une origine nettement traditionnelle, puisque venue du latin coercitio, lui-même venu du verbe coerceo (“contenir, écarter”), qui désigne en Droit le « pouvoir officiel de contraindre quelqu'un (à faire quelque chose, ou à le faire d'une certaine façon, ou à ne pas le faire du tout) ». (On peut étendre la définition au général, avec « Action exercée contre quelqu’un pour le forcer à agir d'une certaine façon », mais il n’est pas inintéressant de tenir compte surtout de la définition relevant du domaine du Droit.) L’“assertivité” est un concept beaucoup plus récent, presque contemporain puisqu’inventé par un psychologue new-yorkais (Andrew Salter) dans la première moitié du XXe siècle ; il désigne « la capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres ». Le prolongement qu’en donne un autre psychologue, Joseph Wolpe, n’est pas inintéressant : l’assertivité comme « expression libre de toutes émotions vis-à-vis d’un tiers, à l’exception de l’anxiété ».
On observe combien les deux concepts se complètent et même s’emboitent dirais-je, comme s’ils étaient faits l’un pour l’autre. Je serais incliné à les considérer dans le sens inverse qu’ils sont proposés, pour mieux assurer la perception de la séquence : l’assertivité concerne non pas l’action mais celui qui agit, qui veut affirmer ses droits sans léser ceux des autres, et surtout sans émotion particulière “vis-à-vis d’un tiers” sinon l’anxiété. (Je compléterais pour mon compte : l’anxiété, qui implique une marque de bonne foi, de savoir si les tiers accepteront ce marché qui est pourtant juste et acceptable puisque les droits de chacun sont équitables et qu’il s’agit donc d’un retour à la raison ; donc l’anxiété de savoir si l’autre, le tiers, réagira également selon la raison et l’esprit d’équité.) La coercition concerne la forme de l’action, et il faut ici considérer cette démarche en référence au Droit (au droit international, en fait) : contraindre un tiers à agir selon le droit, comme l’on fait soi-même, chacun défendant ses droits dans ce cadre et n’empiétant nullement sur ceux des autres.
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Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 05 octobre au 12 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaine. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • La phase actuelle de la crise syrienne n’a rien à voir avec la phase précédente (2011-2013) : elle s’est parfaitement inscrite dans le cycle de la Crise Générale du Système. • Tout en nous concentrant sur la crise syrienne, nous tentons de montrer le 5 octobre 2015 son caractère effectivement universel dans la façon dont elle s’est démesurément élargie, tout comme elle marque la fin de l’hégémonie US (le 11 octobre 2015). • Pour autant, des aspects spécifiques à cette crise subsistent, qu’ils soient opérationnels (le 5 octobre 2015), plus politiques (voir le 9 octobre 2015) ou bien inattendus dans ses effets indirects (le 8 octobre 2015). • D’un point de vue opérationnel, l’aspect rationnel et justifié de l’opération russe (le 8 octobre 2015) autant que sa réussite sur le terrain (le 10 octobre 2015) sont évidents. • Un autre grand domaine que nous abordons, nécessairement lié au précédent, c’est celui de la crise du pouvoir US, caractérisée d’abord, pour notre compte, par l’énigme que constituent toujours le président Obama (le 8 octobre 2015) et son caractère (le 9 octobre 2015). • Plus largement, sur la scène intérieur, la pétulance du candidat Donald Trump (le 7 octobre 2015) répond à l’extraordinaire paralysie des processus du pouvoir washingtonien (le 9 octobre 2015). • On ajoutera un autre domaine de la crise générale, qui est celui de la position délicate des “traités infâmes” (le 8 octobre 2015). »
Pour prendre le philosophe-métaphysicien à revers, ou à contrepied c’est selon, je pêche dans son texte sa proposition sémantique actant l’avancement de son concept et je mélange les deux étapes en un “vérité-de-situation”. (Voir le passage : « Et, à partir d’ici, nous proposons, pour confirmer l’emploi du concept mais continuer à le distinguer en tant que tel, d’utiliser une autre forme, – les tirets de vérité-de-situation remplaçant les guillemets de “vérité de situation”, – qui sera de plus en plus privilégiée par nous. ») Cette façon de commencer ne fait que présenter sous la forme d’une pirouette le commentaire informel et officieux de ce Journal dde.crisis accompagnant le texte du Glossaire.dde sur vérité-de-situation & Vérité.
C’est un problème bien grave mais fort simple qui est abordé dans le texte du Glossaire.dde, auquel je suis confronté tous les jours, comme chacun d’entre vous, de la façon la plus simple qui est de comprendre que, pour chaque ligne lue, il faut craindre d’être la victime de l’un ou l’autre mensonge, la dupe d’une communication truquée. Pour l’aborder, il faut reconnaître que le philosophe-métaphysicien, ou pseudo-métaphysicien comme je vais dire affectueusement, ne semble pas prendre la voie de la simplicité. Ainsi en est-il souvent lorsqu’un pas de plus est fait dans l'avancement du Glossaire.dde ; il y a une plume qui écrit, emportée par la rigueur du raisonnement et toute entière concentrée sur les obstacles de la description du cheminement de la chose ; il y a une autre main, qui tient une plume plus légère, qui virevolte, de-ci de-là, plutôt comme un chevau-léger autour de la cavalerie lourde des cuirassiers ; ici, les mots volent et virent parce qu’ils sont laissés à leur liberté et n’ont pas l’intention de s’aventurer dans des expéditions lointaines et mystérieuses, là ils sont regroupés et harnachés en phrases parcourues et maintenues de structures qui les protègent comme ferait une cuirasse qui pourrait aisément paraître contraignante.
On devine ce qui vient sous ma plume, moi qui me targue d’être chevau-léger (*) dans cette circonstance et dans ce cadre bien défini pour le ton et la manière du Journal dde.crisis. “Harnachés” ? Phrases “parcourues et maintenues de structures” ? “Cuirasse” ? Tout cela me paraît bien lourd, comme la cavalerie du même qualificatif. Je sais parfaitement, parce que je connais le bonhomme comme s’il était un autre moi-même, ce que va ma répondre notre pseudo-métaphysicien. Comme tout bon cuirassier, il va répondre par une contre-attaque qui est une charge … Il a Voltaire en bandouillère, ce prince ricanant du “style moderne”, court et incisif, qu’il va retourner contre ses critiques. Un jour, le pseudo-métaphysicien, qui lisait Sainte-Beuve lisant Jean-Jacques et abreuvant sa critique, bien entendu, à ce même Voltaire, le pseudo-métaphysicien donc tomba sur cette citation. C’est une lettre de Voltaire à un nommé Pitot, datant du 20 juin 1737, et Sainte-Beuve en retire cette phrase : « Vous trouvez que je m’explique assez clairement : je suis comme les petits ruisseaux, ils sont transparents parce qu’ils sont peu profonds. » Puis le commentaire de Sainte-Beuve, qui s’y entendait pour décocher des flèches à fleuret moucheté, sans en avoir l’air et en ayant l’air de célébrer le talent et le brio de sa cible : « Il [Voltaire] disait cela en riant ; on se dit ainsi à soi même bien des demi-vérités. » (Pourquoi “demi”, me suis-je souvent demandé ? Parce que Sainte-Beuve était un critique audacieux et subtil à la fois, qui savait dire son fait tout en retenant les coups, – avec ses flèches à demi-fleuret moucheté...)
Ce que notre pseudo-métaphysicien veut dire, – je me fais ici, ou je crois me faire l’avocat du diable, – c’est que la recherche appuyée sinon ostentatoire de la clarté, du naturel, de la “nervosité de la langue”, du dépouillement, du naturel réduit à l’essentiel sinon à la spontanéité élevée en vertu, cache parfois, et peut-être souvent qui sait, une paresse de la plume lorsqu’il s’agit de décrire ce que l’esprit et surtout d’autres forces cachées découvrent pour elle et lui enjoignent de dire. Dans ce cas, la plume sacrifie à la pose, et les “petits ruisseaux ... transparents parce que peu profonds” ressemblent à l’écume des jours qui satisfait à l’effet ; et l’on sait que, dans notre époque d’inversion où l’on a appris en toutes choses le péremptoire, le comble de l’effet c’est de dire qu’on n’en cherche aucun. Certes, en écrivant cette phrase que cite Sainte-Beuve, dit le pseudo-métaphysicien, “j’entends Voltaire ricaner car lui il sait, naturellement” ; Voltaire est tout sauf stupide, et il porte jusqu’au pinacle son génie de la simulation et de manipulation ; il sait que sa langue, dont on lui fait grande vertu parce qu’elle dédaigne l’effet des phrases mesurée trop longues et ignore qu’elle doit être la traduction des choses les plus complexes du monde autant que la description des élans les plus sacrés, a obtenu effectivement l’effet qui assure sa célébrité dans les salons. Cette affaire autour de Voltaire, dit encore notre pseudo-métaphysicien, n’est pas indifférente parce qu’elle se passe au XVIIIe siècle qui est le siècle de la libération du grand langage classique renvoyé au magasin des vieilleries accessoire et qu’elle est aussi l’époque du triomphe du “persiflage” qui va constituer une arme terrible pour épuiser la psychologie et la préparer à la capitulation devant la modernité. (...Pas un hasard non plus si la première fois que l’emploi du mot “persiflage” est signalé, l’est sous la plume du même Voltaire. Il apparaît exactement en 1734 dans un écrit de Voltaire, dans une de ses correspondances sous la forme d’une lettre à Maupertuis, et nul ne sait d’où vient ce mot : « Savez-vous que j’ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse honnêtement s’expliquer de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n’ai rien dit et l’on crie. Mais laissez-moi faire. Quand je serai une fois à Bâle je ne serai pas si prudent. »)
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Pour ce qui concerne la Syrie, le Moyen-Orient, l’intervention russe, je vais vous avouer une chose : je suis un peu... Comment dire ? Oui, c’est ça, déstabilisé, et enfin pas qu’un peu... Je ne parviens pas à prendre cette affaire si tragique complètement au tragique, et certes je m’en veux... Des gens souffrent et meurent là-bas, des destructions terribles ont lieu, des pays sont pillés, transformés en désordres et chaos sanglants, et nul ne doute de l’énormité quasiment eschatologique des enjeux comme de la véracité déchirante des souffrances et des injustices. A côté de cela, il y a un air de “tragédie-bouffe”, selon une expression qu’on a déjà utilisée (sur ce site), d’ailleurs pour une situation dans la région et pour un de ses acteurs les plus déroutants et les plus exotiques.
Je ne suis pas le seul, pour ce qui concerne la “tragédie-bouffe” ... Quand, parlant de ses contacts avec ses “partenaires” américanistes à propos de ces intenses et terribles agitations en Syrie et des positions respectives, un Poutine dit qu’il semble que “certains de nos partenaires” ont “de la bouillie [de maïs ?] en guise de cerveau” ou quelque chose d’approchant (« “It seems to me that some of our partners have mush for brains,” commented Putin »), tout cela sur un ton amical et un peu ironique me semble-t-il ; quand on lit cela, on est conduit à conclure qu’il y a effectivement le signe que, par certains côtés, cette crise si terrible et si profonde n’est pas considérée de façon très sérieuse par tous les acteurs, surtout ceux qui se prennent tant au sérieux. Non, je ne suis pas du tout le seul : le colonel Patrick Lang écrit le 11 octobre sur son site Sic Semper Tyrannis que le gouvernement US, dans cette affaire, ressemble à un “gamin capricieux”, « The US Government continues to resemble a petulant child who, having dominated the schoolyard, is faced with another child who takes control of a game. The petulant one then announces that the new kid is cheating and walks away from the scrum. » (Pour bien comprendre le jugement, notez que le mot petulant est une sorte de “faux-ami” comme les langues des pays-frères savent se ménager entre elles, comme on fait un croche-pied. En français, la connotation est très positive, – vif, plein d’ardeur, etc., – en anglais elle est nettement négative : irritable, irascible, de mauvaise humeur, – et j’ajouterais bien pour mon compte, comme on l’a lu, “capricieux” et “boudeur”.)
Sur Antiwar.com, Jazon Ditz fait une petite synthèse sur la confusion régnant au Pentagone pour ce qui concerne les “groupes arabes” que cette estimable institution pourvoie en armes en Syrie, précisant justement, devant les questions qui fusent, que les armes sont précisément destinées à “des groupes arabes”. Pour la Syrie, on ne peut pas dire que cela soit faux mais on ne peut pas dire non plus que cela éclaire d’une lumière extrême la visibilité très réduite, du type-tempête de sable, qui caractérise la situation syrienne de ce point de vue, notamment des actions américanistes et de la “ligne” suivie, ou plutôt de la sinusoïde recherchée avec une multitude de tangentes et de crocs-en-jambe. On pourrait dire : “c’est une ruse”, mais on aurait tort car, dans cette affaire, la puissance se manifeste par une communication claire et vigoureuse des engagements promis ; la ruse à ce point ressemble à un nœud gordien qu’on ferait dans son mouchoir pour se rappeler du mot de pousse qui permet d’accéder à tous les mystères qu’on croit manipuler.
Ditz termine par une phrase qui semblerait vouloir dire que le Pentagone garde bien précieusement pour lui, comme un mystère extrême à protéger absolument, l’identité des groupes qu’il aide, mais qu’il assure que, quelles que soient leurs identités, ces groupes sont bien ceux qui doivent être aidés, et d’ailleurs, qu’“à un certain point” ils se serviront effectivement de leurs armes, ce qui est lumineux. (« In the meantime, however, the US airdrops remain shrouded in mystery, with assurances that whoever the US intended to arm was armed, and expectations that those factions, whoever they are, are going to do something at some point. ») Leur passé (au Pentagone), en fait de choix judicieux de leurs alliés et de réussite de leurs plans, plaide pour eux : ils ignorent parfaitement ce qu’ils ne font pas tout en croyant bien faire. Cet énorme Moby Dick qu’est le Pentagone est, à sa façon, un “monstre-bouffe”.
Le lecteur, ami fidèle, me pardonnera certainement lorsqu’il réalisera, si ce n’est déjà fait, qu’il semblerait que j’ai une cible bien précise, et que les librettistes et compositeurs de la “tragédie-bouffe”, qui voudraient en plus en être les acteurs et les spectateurs applaudissant les acteurs, se trouvent pour le plus grand nombre, confortablement installés à Washington, D.C.. Eh bien, il me pardonnera parce que c’est le cas... Du coup, il faut bien se comprendre et l’on pourrait être conduit à dire que la crise syrienne & le reste, cela pourrait se réduire à la crise washingtonienne qui fait l’affaire ; parce que, finalement, Washington D.C & le reste, cela pourrait être en vérité “Washington D.C. c’est aussi le reste”. Tout cela pourrait paraître compliqué mais je ne crois pas que cela soit vraiment le cas, et cette complication n’est que de circonstance et pour obtenir un effet. Il est absolument juste d’observer qu’il y a un désordre à la fois tragique et grotesque, d’où l’emploi de l’expression “tragédie-bouffe”, mais ce qui est le plus frappant c’est la façon dont cet événement énorme et considérable qui reste effectivement quelque chose qui a des allures de bouleversement et des poses avantageuses, en vérité ne produit rien.
On se trompe beaucoup nous-mêmes, et moi-même je le reconnais sans hésiter. En mars 2014, nous étions au bord de la guerre nucléaire en Ukraine, et tout cela s’est transformé en une sorte de désordre comme l’on dirait disorder as usual en s’inspirant de la fameuse formule. La crise ukrainienne avec ses postures de possible crise nucléaire et la tension qui devrait aller avec ne s’est pas dénouée, et tout se passe enfin comme si elle ne s’était jamais nouée malgré le “coup de Kiev”, le tragique affrontement du Donbass et le reste, – et au bout de cela, l'imaginerez-vous, la crise qui se poursuit tout de même, – eppur si muove, comme dit notre grand aîné confronté aux exigences de communication du dogme. Il y a quatre mois, en juillet dernier, était signé l’accord nucléaire avec l’Iran, salué comme un coup de maître du magicien de la Maison-Blanche, – je me demande bien pourquoi (je parle du “coup de maître”) ; tout devait être changé dans la grande scène de l’arrangement des relations internationales et finalement pour l’essentiel rien n’a changé. Bien sûr on pourrait parler du commerce, des relations économiques à propos de l’Iran, et même, – et surtout, – dans l’autre sens des relations stratégiques de l’Iran avec Moscou et avec d’autres (la Chine) dans le même courant. Tout cela s’est plus ou moins passé et pourtant tout se passe comme rien ne s’était vraiment passé. La “tragédie-bouffe” poursuit sa tournée, de Kiev à Téhéran, à Damas aujourd’hui, mais c’est toujours la même ; l’immobilisme infécond de ce mouvement est un phénomène très remarquable.
(Suite)
En France, je crois savoir qu’on parle beaucoup du livre Une élection ordinaire, de Geoffroy Lejeune. Après le président musulman de Soumission, de Houellebecq, nous avons le président-anathème, soit Michel Zemmour ; mais ce pourrait être Eric Onfray, ou vice-versa, ou bien encore Alain, dit-Eric-Michel Finkielkraut sans autre camouflage puisqu’il s’agit du troisième larron de la “liste noire” sympa de Libération. (Ont-ils remarqué, ces gardiens vigilants de la pensée-tunique, que parmi ces trois têtes de liste qu'ils ont choisies pour les désigner à la vindicte publique, il y a deux juifs ? Fâcheux... Enfin, passons.) Ce journal, le flic-en-chef de la zone, avec dans sa rédaction les petites balances du Système, les donneuses en tee-shirt tendance ou à col blanc grand-ouvert à la BHL, tout cela comme un signe indubitable d’une époque des Grands Troubles, ou Smutnoye Vremya comme disent les Russes. (La délation est une pratique courante des temps de trouble, en France certes mais ailleurs pas moins, de McCarthy au NKVD. Les balances-donneuses de Libé, – le langage du “milieu” leur sied beaucoup mieux, – me font penser à la superbe interprétation de Jugnot en collabo-gestapiste dans Papy fait de la résistance, – le film vaut bien mieux que son titre, – absolument éructant, sardonique par hasard et par nécessité, et surtout absolument hystérique comme l’on est lorsqu’on commet l’acte qu’on devine fatal de la délation, et qui vous procure tant de ce plaisir qu’on n’ose trop afficher et dont on a grande honte secrète. Je précise pour l’épisode que l’acte de la délation est de tous les vents et de bien des sentiments dont ceux de l’envie et de la jalousie, “humain, trop humain” ; que ma considération vaut aussi bien pour l’Occupation, lorsqu’on dénonçait son voisin supposé-résistant par envie pour la belle fortune de sa réussite matérielle, que pour la Libération, lorsqu’on dénonçait son voisin supposé-collabo par jalousie pour sa bonne fortune d’une épouse désirable.)
Avec le bouquin de Lejeune et tous ces bruissements effrayants, on expédie déjà Marine Le Pen au musée des espérances perdues, quasiment comme quasi-candidate-Système qui serait allée trop loin ; comme les choses vont vite dans les esprits et par ces temps des psychologies effrénées... (Lejeune : « Marine Le Pen a fait un constat: le positionnement anti-système de son père n'a pas permis d'accéder au pouvoir. Or, on le sait, elle ambitionne de devenir présidente de la République et a entrepris, dès son arrivée à la tête du Front national en 2011, une habile stratégie qu'on a nommée «dédiabolisation» ou «normalisation». Mais, et c'est une des critiques de fond que lui a adressé son père au moment de leur rupture, à trop se normaliser, elle a pris le risque de se banaliser. Pour l'instant, elle n'en paye pas encore le prix. Pour l'instant... »)
Une voix s’élèvera pour dira : Zemmour-Président, c’est absurde. (Pour ne pas dire, autre version du même thème : “c’est ignoble”.) Une autre voix, peut-être avec l’accent britannique, répliquera à l’unisson : Corbyn, en Angleterre ? Une autre voix encore, un peu nasillarde : The Donald, aux USA ? Personne parmi ces voix n’a tort dans ce genre d’échange et pourtant on a peine à croire que quelqu’un, quelque voix, ait quelque chance d’avoir raison. (Dans le temps, Jeanne ne se posait pas tant de questions, elle entendait ses voix et elle y allait. Ces temps étaient plus simples.) Par ce ni-tort ni-raison, je veux dire cette évidence qu’autant le Système est complètement sclérosé, pourri par tous les bouts, bouffi, paralysé, vautré dans sa suffisance et son incroyable surpuissance qu’il lance dans tous les coins jusqu’à en faire son autodestruction, autant il est difficile à percer, à pénétrer, à saccager, à manœuvrer de l’intérieur par un extraterrestre venu de l’extérieur de lui pour le prendre d’assaut. Bref, on reste sans voix ni certitude, ni décision ni rien du tout. Une autre phrase du jeune-Lejeune me paraît à la fois bienvenue sinon évidente et pourtant dite mille fois, usée, rabâchée, sans-espoir, parce que “le sens de l’histoire” le vieux de Gaulle en parlait déjà et pas nécessairement au meilleur des propos, et d’autres avant lui, et que chaque fois la chose parut évidente à tous et jamais elle ne mena à rien parce que l’histoire n’a pas de sens comme nous le dit Shakespeare, ou bien plutôt, et je le croirais plus volontiers, n’est-ce pas le sens qu’on croit : « Aujourd'hui, le sens de l'histoire indique qu'un trublion hors système pourrait venir perturber la campagne des candidats de droite et imposer ses thèmes dans le débat. Et cela pourrait faire des dégâts... »
Je ne peux pas imaginer, c’est plus fort que moi, qu’on puisse imaginer qu’une élection en 2017 en France puisse nous sortir autre chose qu’un piètre dinosaure un peu rance type-Hollande ou type-Juppé (et, tout de même, je ne mettrais pas la Marine parmi les dinosaures, pas du tout) ; même chose pour les USA, où je scrute épisodiquement, avec amusement et étonnement, le parcours de The Donald mais me pince régulièrement pour y croire et continuer d’écrire là-dessus ; idem pour Corbyn et ainsi de suite ... Voilà l’état de l’esprit du bonhomme à l’instant, de votre serviteur je veux dire, ce qui ne préjuge de rien, ne signifie pas grand’chose et ne promet pas un débat des plus réjouissants pour ceux qui affectionnent les échanges marqué de la raison pure.
On appréciera tout de même avec la plus grande attention que je n’ai pas dit un mot, pas un seul mot, et n’en dirai pas un seul, de l’orientation politique de l’une ou de l’autre, de leurs “programmes”, des choix politiques, de l’idéologie, de la mise à l’index, etc. Je suis cette voie dans mon propos parce qu’il est inutile de dire un seul mot à cet égard, parce que ce n’est vraiment pas ce qui importe. De cela, je ne démords pas et ma certitude est complète là-dessus, – concernant ces hommes et femmes, et d’autres naîtront très vite, apparaîtront ici et là, c’est une question de mois sinon de semaines, – ma certitude est que ces hommes et ces femmes sont des bombes-vivantes : et le fait de la seule accession à la fonction suprême, pour le premier qui passera entre les mailles du filet, suscitera nécessairement l’objet de leur mission suprême : exploser au cœur du Système. Le seul fait de l’élection de l’un de ces antiSystème qui, par les circonstances et l’importance de la puissance au cœur de laquelle il opère, glace de terreur et emporte d’hystérie tous les dénonciateurs-Système, ce seul fait suffira à faire lever la tempête.
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Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 28 septembre au 04 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • C’est donc la session annuelle des Nations-Unies qui a dominé cette semaine, non pour cause de l’événement lui-même, généralement de peu d’intérêt, mais parce qu’il a été cette fois le miroir terrifié de la Grande Crise de l’effondrement du Système qui dévore notre civilisation. • De cette crise, qui est centrée aujourd’hui en Syrie mais qui est prête à rejaillir en d’autres lieux (Ukraine) ou en d’autres domaines (le secteur financier, illustré par le malaise de la présidente de la Fed, Janet Yellen), nous avons dit quelques mots ce 28 septembre 2015 en parlant d’une “diagonale des fous” inspirée par un jeu d’échecs pratiqué par des déments. • A l’ONU, c’est le Russe Poutine qui eut la vedette, parce qu’aujourd’hui c’est la Russie qui distingue le mieux l’essence de notre terrible crise. • Il y eut donc “la prière de Poutine” (le 29 septembre 2015) et la “question inquiète de Poutine” (ce même 29 septembre 2015), adressée au bloc BAO : « Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ?», à laquelle ils ne répondront certainement pas (voir le 2 octobre 2015). • En Syrie, les Russes n’ont pas chômé pour lancer leur campagne, dans une position légale beaucoup plus avantageuse que celles des pays du bloc BAO (voir le 1er octobre 2015 et le 1er octobre 2015). • Entretemps (voir le 30 septembre 2015), il nous a été donné de voir une autre facette de notre grande crise, pour apprendre l’état d’incertitude des trois grands traités (TPP, TTIP, TiSA) de l’imposture mortifère du Système. »
Cette nuit, je me suis réveillé plus tôt que prévu, comme on l’est parfois par la fin d’un rêve dont il s’avère, tous comptes faits et à mesure que vous vous le remémorez, qu’il prend des allures de cauchemar. Il s’agissait d’un évènement comme un départ à la retraite (la mienne, moi qui suis déjà à la retraite depuis quelques années et ne cesserai pas de travailler ?) ; un événement salué par une petite cérémonie qui s’avérait finalement, être plutôt la fermeture d’un établissement ou sa transformation... Du bâtiment qui abritait cet établissement je ne me rappelle rien de précis sinon le jardin qui devait le jouxter et où il semble que je me trouvais ; l’ensemble devait rappeler la maison où je vis, et le jardin était le mien mais, à mesure que le souvenir croit devenir plus précis, prenant des dimensions déformées et de plus en plus gigantesques. Le rêve devient précis et devient cauchemar, là où je crois avoir été éveillé, lorsqu’on annonce qu’on a abattu les arbres de ce jardin ; ce que je constate effectivement au moment où l’on m’annonce la chose, comme si je n’avais rien remarqué alors que je comprends que je me trouve dans le jardin, effectivement devant un arbre abattu, mais pas comme si on l’avait scié à sa base mais plutôt par l’intervention d’une main géante qui l’aurait déraciné (car aucun mouvement du ciel, du vent, des intempéries, ne justifie un tel sort naturellement) ; et voilà que je suis devant la base de cet arbre abattu-déraciné, que la base de l’arbre est ce cercle caractéristique du tronc à sa base, hérissé d’énormes racines arrachées comme autant de tentacules monstrueuses s’agitant comme si elles étaient des serpents, de la Gorgone nommée Méduse qui me domine et m’effraie bien qu’elle soit la seule des trois Gorgones à être mortelle elle-même ; car entretemps, l’arbre est devenu gigantesque et le cercle de sa base, devant lequel je me trouve est d’un diamètre très largement supérieur à ma taille. Là-dessus, le plus simplement du monde et parce que je m’inquiète de la chose, on m’annonce qu’on a abattu les arbres pour développer le projet de les remplacer par des papillon, des nuées de papillons, des millions de papillons blancs et éclatants, et l’on ajoute assez étrangement que c’est pour célébrer le président Pompidou. (Pourquoi donc Pompidou ? Rationnellement, j’avançai l’interprétation que c’est parce qu’il eut une mort si terrible en plein exercice de ses fonctions.) J’accepte l’explication comme allant de soi mais je trouve l’idée des papillons particulièrement critiquable et futile, comme si l’on essayait de transformer une catastrophe qu’on a soi-même causée mais qui a finalement rencontré les vœux de la nature en une sorte de spectacle léger, comme si l’on s’acharnait à installer des illusions pour vous faire croire et pour se faire croire. Comment peut-on espérer faire oublier la puissance sublime de l’arbre géant abattu on ne sait comment et qui montre toute sa puissance souterraine en même temps que la force aérienne qui fait sa vie lui est ôtée, par le vol d’innombrables papillons qui sont si complètement légèreté, lumière, apaisement du mouvement gracieux, comme l’on dirait d’un autre univers ?
C’est sur ce souvenir que je crois me réveiller, et je me réveille effectivement, plus tôt que prévu, horriblement fatigué et accablé par une incompréhension angoissée. (Pour une fois, mon angoisse du lever ainsi justifiée, mais paradoxalement par ce sentiment d’incompréhension : que signifie ce rêve devenu cauchemar, qui est symbolisé finalement par ce cercle de la base de cet arbre gigantesque, dont la dimension circulaire me domine de près d’un mètre et par la perspective incompréhensible qu’il soit remplacé par des millions de papillons ?) Je me lève pour quelques petites ablutions et nécessités diverses en espérant qu’il sera assez tôt pour me décider à me recoucher, constate que ce n’est pas le cas et que je suis presque à l’heure de mon lever (03H12, je m’en souviens précisément) et sens ma fatigue disparaître complètement... Je décide de rester debout tandis que l’angoisse se transforme, je ne sais pourquoi sauf qu’ainsi disparaît une certaine paralysie, en ce sentiment plus apaisée de la nostalgie, plutôt dans le registre de la tristesse que dans celui de l’exaltation car la nostalgie a pour moi dans son infinie richesse de ces couleurs si différentes... Je m’installe quelques minutes à ma machine avant de descendre saluer les animaux (ma chienne Klara et ma chatte Lili), boire deux ou trois verres d’eau, un petit café, préparer ma tisane, faire mon exercice du petit-matin (du vélo d’appartement). Je consulte rapidement l’un ou l’autre site, m’arrête sur cet article de Sputnik-français reprenant une synthèse de cet autre article du Wall Street Journal, – dont il doit être fait usage par ailleurs sur le site. Les deux titres portent sur ce phénomène de la Fin, – « Les USA cèdent leur domination à la Russie au Proche Orient » et « America’s Fading Footprint in the Middle East ». Je décide alors d’en faire un article.
Le plus étrange, – ou bien est-ce la logique du cauchemar devenu prémonition, – est alors à la fois le sentiment et la réalisation que l’angoisse de l’incompréhension transformée en une nostalgie colorée essentiellement de tristesse a trouvé son objet. L’image de la “fin de l’hégémonie”, ou de la “Fin de l’Empire” que suggèrent ces deux textes a rencontré complètement cette nostalgie si complètement marquée de tristesse, et j’ai éprouvé, pendant quelques instants, ce sentiment du temps qui passe et des choses irréversibles que le passé enfouit, que vous inspire certains évènements historiques. Ainsi, moi, qui poursuis l’“Empire” de ma critique la plus véhémente, qui considère la chose comme le serviteur le plus avisé et le plus soumis du Système, je ressentis cette nostalgie sans fin si fortement colorée d’une tristesse à mesure, comme si je supportais avec tant de difficultés le sort terrible fait à l’Empire. Quittant ma machine comme je l’ai dit plus haut pour les diverses occupations de mon lever avant de me mettre au travail, et ayant déjà mon sujet en tête, je me souvins que ce jour qui débutait était le 11 de quelque chose et je fus persuadé pendant un temps assez long, jusqu’au bout de ces lignes en fait (jusqu’à inscrire cette mauvaise date en tête de cette intervention du Journal.dde, que je modifie à cet instant), que l’on était le 11-septembre...
C’est alors que je me suis trouvé dans l’état de l’esprit d’être absolument persuadé qu’il s’agissait effectivement de “la Fin” et que nous entrions sur une terra incognita. (Comme dit, à un autre propos, le Représentant républicain de l’Illinois, portant également par une sorte de prémonition-mnémotechnique le nom de Kinzinger [Adam, pas Henry] : « Nous sommes en terra incognita ... Nous sommes quotidiennement en train de faire l’histoire, et pas de la meilleure façon... » )
J’avoue que, dès le premier jour où je lui prêtai attention en tant qu’“événement politique” d’importance (si l’on peut dire pour un sapiens), Obama m’apparut comme une énigme à la fois fascinante, irritante, et pour tout dire d’une façon redondante si l’on veut, – une “énigme énigmatique”, de la sorte qu’on sent bien qu’elle serait faite comme telle par le Ciel, destinée à n’être jamais déchiffrée. Depuis, cette impression ne m’a plus quitté, et la “formidable ‘cooltitude’” d’Obama, comme disait le présentateur-clown (Antoine de Caunes) du Grand Journal-qui-n’est-plus, ce calme étonnant de maîtrise de soi, m’a très vite semblé, à mesure de ma déception pour sa politique, une formidable défense pour ne pas trop se découvrir plutôt qu’un exceptionnel outil offensif. Sans aucun autre argument que l’intuition, fausse ou vraie, je n’ai jamais douté de la grande intelligence, de la finesse incontestable de jugement d’Obama, malheureusement desservies par une certaine arrogance nonchalante, et presque comme de l’indifférence quant à la véritable signification de sa fonction ; comme s’il était un formidable acteur de la fonction mais qu’il se désintéressait de la véritable signification de cette fonction, – “Président en passant”, si vous voulez.
C’est pour ces raisons, je veux dire l’intérêt que j’ai porté au personnage, que j’ai été très intéressé par le très récent article de Robert Parry à son propos (voir hier sur le site), et c’est bien sûr la raison que cet article fut traité notamment de ce point de vue du caractère d’Obama. L’interprétation qu’on en fait ici, sur ce site, est que, dans le comportement d’Obama par rapport au monde politique qui l’entoure et aux décisions qu’il a à prendre, il souffre de deux faiblesses qui se correspondent : une faiblesse psychologique qui alimente une carence du caractère. Par “carence du caractère”, il faut comprendre une incomplétude du caractère qui rend vulnérable ce caractère et, du coup, met l’homme en état général de faiblesse, avec toutes ses qualités mobilisées d’abord pour tenter de compenser ces faiblesses et pour chercher à les dissimuler ... Le caractère, je me rappelle l’avoir dit en citant ce personnage pour lequel j’éprouve tant d’estime et de fascination comme s’il était proche de moi, comme un frère ainé dans la façon d’être par le canal de l’Histoire, par la forme de l’esprit, ou plutôt, justement, proche par la forme et la conformation du caractère. Bien sûr, c’est de Talleyrand dont je parle, dont je parlai dans les Chroniques du 19 courant... d’août 2014, où il était écrit ceci,– et on me pardonnera de me citer en partie, puisque c’est la bonne cause qui est celle de citer Talleyrand.
« On reviendra là-dessus, donc, sur cette “question de caractère”, lequel, seul, permet de porter tout ensemble l’horreur et la fascination. Le mot (le “caractère”), la puissance de la chose telle qu’elle m’est apparue dans toute son évidence, m’ont été résumés par une citation du Diable boiteux, ce diable de Talleyrand qui disait ceci en 1813... (Décembre 1813 précisément, scène rapportée par Charlotte de Laborie, fille d’Antoine-Athanase Roux de Laborie, ami de Talleyrand.) :
» “…Il dit alors une de ces choses qui ne sortent jamais de la mémoire quand on les a entendues ; ‘Je suis bien aise de vous communiquer une pensée qui est venue dans beaucoup de têtes mais que je n’ai vu bien nettement développée nulle part. Il y a trois choses nécessaires pour former un grand homme, d’abord la position sociale, une haute position ; ensuite la capacité et les qualités ; mais surtout et avant tout le caractère. C’est le caractère qui fait l’homme.‘ Et il citait, poursuit-elle, à l’appui de son dire, tous les demi-dieux de l’histoire : Alexandre, César, Frédéric, et ajoutait : ‘Si un des pieds de ce trépied qui doit se maintenir par l’équilibre doit être plus faible que les deux autres, que ce ne soit pas le caractère… que ce ne soit pas le caractère !’”»
... Ainsi Obama serait-il, par une faiblesse de sa psychologie, doté d’une carence de caractère qui le conduit à l’intimidation de lui-même, c’est-à-dire sa propre attitude de céder à la pression de la représentation extérieure, contre la force de son caractère qu’il devrait opposer à cette représentation comme une cuirasse lui permettant de mieux partir à la bataille qu’il devait livrer. Le résultat est que la maîtrise exceptionnelle de soi d’Obama, cette façon de se contrôler, n’aboutit nullement à protéger son caractère pour l’aider à résorber la carence de cette fonction vitale, pour pouvoir se tenir libre de cette représentation que lui imposent son entourage et le monde washingtonien avec ses narrative, pour pouvoir lancer la contre-offensive une fois l’outil du caractère assuré de sa belle qualité ; elle lui sert plutôt, fonction purement défensive, à dissimuler cette carence pour pouvoir mieux figurer, je veux dire à son avantage, dans la représentation qui l’emprisonne et dans le rôle qui lui est attribué.
Là-dessus sa situation de premier président Africain-Américain l’a écrasé, parce qu’il l’a vécue également comme une spécificité qui l’enfermait dans un rôle dont le script était nécessairement artificiel, puisqu’imposé par le Système. Il l’a bien joué, ce rôle, qui était d’être Africain-Américain tout en paraissant ne pas l’être du tout, et il a obtenu le résultat inévitable : approfondir la frustration des Noirs, qui croyait venu le temps de la fin du racisme structurel du système de l’américanisme, créer une rancœur nouvelle chez les Blancs (les WASP & consorts) qui ont découvert ce qu’ils estiment être un “racisme anti-blanc”. Je me rappelle, lors de son inauguration de janvier 2009, les derniers feux de l’ivresse qui avait soulevé les esprits et surtout les cœurs lors de l’élection de novembre 2008. (Même un Tom Engelhardt, pourtant si mesuré, avouait y avoir succombé.) Je me rappelle la gentille et jolie Rama Yade, alors encore sous-ministre de circonstances machinées par le si-habile Sarko, conviée comme commentatrice type-multiculturel par TF1, qui s’exclamait, joyeuse, quelque chose comme ceci : “Vous verrez, dans 3 ou 4 générations, on ne s’apercevra même plus qu’un président est blanc, noir ou jaune ...” Brave petiote, touchante dans ses contes de fée postmoderniste sur le bonheur métissé du monde ; ah, si les choses étaient si simples et s belles. En fait, le premier président Africain-Américain a été une catastrophe sans précédent pour le multiculturalisme, l’antiracisme, la cause sociétale de l’égalité des races, c’est-à-dire de la disparition du facteur racial ... Là aussi, sa “carence de caractère” tint un grand rôle, à vouloir trop ostensiblement être un modèle : il avait tellement peur, le si-cool Obama, qu’on l’accusât d’être le “angry Black man” dont parle Parry qu’il en oublia d’être président.
« It is, after all, how he rose through the ranks as first an extremely bright academic and later a talented orator and politician. Without family connections or personal wealth, he needed the approval of various influential individuals. If he offended them in some way, he risked being pigeonholed as “an angry black man.” »
(suite)
La plus grande difficulté pour cette époque quasiment infernale, si l’on a fait profession de tenter de la décrire et de la comprendre, c’est le rythme des choses qui impose à votre souffle et à votre esprit des cadences de rupture, et la nature même de ces choses. Pour mon cas, parce que je constate jusqu’à le croire absolument que l’Histoire est devenue un défilement tourbillonnant de crises, jusqu’à n’être plus elle-même qu’une crise, je parle du rythme des crises qui éclatent, s’apaisent, resurgissent, qui se déploient et se contractent aussi rapidement, qui se surmontent, s’encastrent, s’entraînent. Plus encore, l’Histoire est devenue une crise et ne cesse d’accélérer, le Temps est devenu son rythme et ne cesse de se contracter.
Et puis mon registre change, et je regarde le paysage à ma fenêtre, écartant un instant l’infernale machine, et rien ne semble plus bouger ; les feuilles jaunissent et brunissent et rougissent presque timidement, et tombent en voletant comme sur le rythme d’une danse aimable la poussant vers le sol, et la pluie nostalgique traînant presque avec douceur et humectant l’herbe toujours verte. Tout semble arrêté, le Temps qui se contractait est devenu temps suspendu et la crise tourbillonnante laisse la place à l’apaisement des formes, à cette tranquillité presque moqueuse et toujours infiniment énigmatique. Mon agitation monstrueuse me paraît alors absolument inconvenante, déplacée, hors de propos. Le silence de l’instant rend un son d’éternité.
Où tout cela se passe-t-il ? A l’intérieur de nous-mêmes et rien que cela ? Dans notre seule perception, pour le seul instrument de notre psychologie ? Devant la marée folle des agitations du monde, j’ai moi aussi de longs moments de vide, d’attente, d’interrogation : que faire ? Pour quoi faire ? Écrire, certes, mais sur quoi, à quel propos, dans quel but ? Les sujets de la recherche et de la compréhension, les motifs de l’écriture, les élans du commentaire s’additionnent, que dis-je s’empilent jusqu’à s’annuler les uns les autres, – et je m’interroge... La folie du monde comme jamais et la tranquillité du monde comme toujours semblent s’allier pour nous plonger dans cette incertitude dont on sait qu’elle ne peut déboucher que sur l’angoisse.
Tout le monde, aujourd’hui, a cette citation de Bossuet en tête (« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »), et je pense qu’elle s’applique superbement à tous ceux qui se font complices des évènements catastrophiques auxquels nous assistons ; mais je m’aperçois qu’elle pourrait aussi s’appliquer à ceux qui vont dans le sens contraire, qui est celui de la résistance ; qu’elle pourrait s’appliquer aussi bien à moi-même qui, par instant comme en cet instant, “déplore les effets”, c’est-à-dire les crises et toutes ces terribles agitations, “dont je chéris les causes” puisque je continue cette bataille contre le Système en souhaitant toujours plus de crises jusqu’à celle qui l’emportera. Bossuet a dit là une vérité universelle, qui valait peut-être même pour lui-même, lui qui ne cessait de se plaindre furieusement qu’on n’observât pas assez les principes d’une religion qu’il chérissait tant puisqu’elle fondait sa conception du monde.
La question suprême est alors de savoir si cette phrase ne s’adresse pas à l’homme en général, car il y a lieu de se plaindre très fortement de ce qu’il est devenu à partir d’une ambition si haute qui habitait sa création et son développement, et que l’on pouvait chérir sans aucun doute. La seule chose qu’il nous reste est d’espérer quelque aménagement sur la forme du rire ; espérons que Dieu a le rire plutôt compatissant et indulgent, vous savez, quelque chose qui se négocie dans le sens de l’adoucissement... Là-dessus, pour couper court, je décidai que ce texte était terminé, me demandant un instant s’il avait sa place dans le Journal dde.crisis, l’admettant finalement après un vif débat avec moi-même, – et pourquoi pas, s’il vous plaît ? – et retournant à mon infernale machine à débiter les crises.
“Et c’est ainsi que l’on progresse”, me dis-je, aussi inspiré qu’une boule de billard projetée d’une bande à l’autre.
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 21 au 28 septembre présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
• Durant cette semaine du 21 septembre 2015, nous avons rencontré à nouveau la crise syrienne, en pleine activité, certes, mais d’une façon qui fait qu’on ne peut certainement en rester à cette dénomination. • Toutes les crises s’interpénètrent, et le paroxysme temporaire et nullement décisif de l’une secoue toutes les autres. • Selon cette logique, si l’on parle de la crise syrienne elle-même et selon une optique très élargie (le 22 septembre 2015 et le 23 septembre 2015), on parle aussi d’hypothèses extérieures peu ordinaires (le 25 septembre 2015) et des soubresauts considérables, au gré d’une politique américaniste plongée dans la plus extrême confusion, du grand commandement américaniste, CENTCOM, qui joue un rôle étrange et parfois grotesque dans cette crise syrienne, (déjà le 19 septembre 2015, le 23 septembre 2015 et le 26 septembre 2015). • On comprend que ces remous du CENTCOM renvoient directement à un autre sujet, c'est-à-dire une autre crise abordée cette semaine : la crise du pouvoir de l’américanisme. • D’autres signes que CENTCOM face à la Syrie marquent cette crise du pouvoir américaniste : que ce soit la présence de Trump dans la course à la désignation républicaine (le 20 septembre 2015), que ce soit l’attitude de la Federal Reserve lors de sa décision sur les taux d’intérêt (voir le 21 septembre 2015). • Il y a de plus en plus de signes de l’extrême profondeur de la crise du pouvoir américaniste, et certains de ses acteurs en prennent conscience (voir le 22 septembre 2015).
Il se trouve que j’avais oublié de vous le dire, les Russes, – non, pardon, les Français ont donc décidé d’entamer une “campagne” de frappe contre Daesh, frappant exactement là où il faut au “millimètre rouge” près (transaction cartésienne de “ligne rouge”, too much vague pour leur esprit précis) pour ne porter strictement aucune aide à l’effroyable Assad. (Lequel soit dit en passant assez vite pour ne pas déflorer l’impeccable réputation d’indépendance proverbiale de la justice française, s’est trouvé placé par la susdite indépendante justice dans le cadre rigoureux d’une enquête pour “crimes contre l’humanité” le jour même de l’intervention tonitruante à l’ONU de Poutine, – non, pardon, de Hollande. Cette investigation est dans la grande tradition légaliste de la politique gaullienne du pouvoir en place dans la capitale intellectuelle du Monde Libre.) On ne peut dire que cette décision tonitruante de la France indépendante ait absolument bouleversé le monde ; mais quoi, au contraire d’autres qui ne conçoivent les choses qu’en termes de communication, les Français, avec l’audacieux François-Laurent Hollbus en tête, travaillent avec sérieux dans la discrétion traditionnelle des grandes diplomaties marquées du sceau de la belle morale ; car la bombe française, elle, a la maîtrise et le prestige d’être à la fois diplomatique et morale. Et tant pis, à la fin, pour ceux qui n’y entendent rien !... Car l’“on ne peut pas vraiment dire que cette décision tonitruante de la France indépendante” ait rallié les suffrages de nombre de commentateurs, piètres pour l’occasion, du grand concert plein d’harmonie des relations internationales régies par la “seconde civilisation occidentale” (connue également comme la “contre-civilisation”).
Parmi ces réactions extrêmement défavorables, on notera celle de notre ami MK Bhadrakumar. Ce commentateur très indien n’a pas l’habitude de s’intéresser vraiment à la France, surtout celle de Sarkollande, mais il fait une exception ce 28 septembre sur son blog. Le seul sujet en est justement la France et sa politique. Il y montre une extrême dureté, dont témoigne ces quelques phrases d’introduction qui n’ont nul besoin de traduction :
« There is not the slightest sign of unease in Washington or in any western capital that on Sunday France launched its first air strikes in Syria. It is a poignant moment. Do not forget that France, along with Great Britain, was the ‘creator’ of modern Syria. To use violence against a progeny is not unusual for France – it keeps doing that in Africa – but nonetheless it reeks of insensitivity in this case, given the shame that still surrounds the Sykes-Picot pact. (The centenary of that shameful chapter in Europe’s colonial history falls in May next year.)
» What France has done is reprehensible for yet another reason. It is a permanent veto-holding member of the UN Security Council and it has violated the territorial integrity of a UN member country without even so much as bothering to seek its concurrence. The French interventions abroad are devoid of principles or morality. Libya is the last instance where it marched in, destroyed a country and its established government, left an anarchic trail and then simply washed its hands off the ensuing chaos. »
En général pour ce texte, on partagera sans la moindre hésitation et avec fermeté l’indignation de MK, quoique je trouve “sans la moindre hésitation et avec fermeté” les quelques allusions faites au passé colonial de la France excessives et injustes. Mais, dira-t-on, c’est un autre débat ; et c’est bien comme cela que je l’entends. (Et moi, je reviendrai un jour sur cet “autre débat”, sans le moindre doute.) Pourtant, il y a un point de cet “autre débat” qui est intéressant et qui va fournir l’essentiel de mon propos. A la façon dont MK Bhadrakumar développe son commentaire absolument justifié, on comprend que le commentateur interprète l’action de la France comme une survivance, ou plutôt une renaissance de la façon d’agir détestable pour lui de la France du “temps impies des colonies”. Toujours en laissant de côté le “fond du débat”, je trouve que cette interprétation est erronée ; que, paradoxalement, elle fait la part belle à la France du président-poire en excipant de son indépendance politique et de sa psychologie spécifique et historique. Mon avis est qu’il n’y a rien de tout cela, – ni véritable indépendance politique française, ni psychologie française spécifique et historique.
Je ne crois pas une seconde, bien sûr, que la France ait été manipulée par une pression étrangère pour qu’elle intervienne. (Ne suivez pas mon regard pour y trouver un éventuel suspect, il est pour l’instant vissé au clavier de la machine postmoderne.) Je pense au contraire que la France agit de façon complètement indépendante, que le gouvernement agit d’une façon autonome, en concertation indépendante et selon une ligne de pensée à l’intérieur du gouvernement français qui relève, selon l’expression employée récemment par Robert Parry et qui remonte dans son usage US à plusieurs années, d’un groupthinking complètement “à-la-française”, comme façon de parler. (La différence est que certaines victimes US du groupthinking, comme John Hamre en 2003, savent bien qu’ils le sont, victimes, tandis que les Français de Hollande et de ses satellites prennent cela pour de l’indépendance d’esprit.) Enfin, tout cela pour en venir à la question de savoir quelle sorte de démarche intellectuelle, quelle sorte de psychologie poussent les Français à agir comme ils le font, avec leurs frappes en Syrie, discrètes pour l’opérationnalité mais tonitruantes dans l’annonce du lancement de cette campagne. Il est strictement vrai, comme le note MK avec une grande fureur, que les Français agissent en contravention avec toutes les lois et règles internationales, au contraire des Russes. Tout cela n’est pas habituel chez les Français de tradition, et cela semblerait devoir surprendre avec le régime actuel qui ne cesse d’invoquer les “valeurs”, la morale, l’humanisme, les droits divers pourvu qu’ils soient “sociétaux” (de l’homme, de la femme, du mélange des deux, etc.) et nullement définis par une identité fondée sur des principes. (On retrouve l’opposition, qui est incompatibilité, qui est rejet l’un de l’autre, entre “valeurs” et “principes”.) Puisque je rejette le soupçon du néo-colonialisme, qui vraiment ne ressemble pas à cette vertu française actuellement si foisonnante, et que je repousse l’idée d'une manipulation extérieure, quelle est donc l’explication ? L’enquête, qui est aussi une sorte d’exploration d’un territoire inconnu, est intéressante pour comprendre et apprécier les agissements de ces dirigeants. On doit avoir en effet remarqué combien ils prétendent, avec quel empressement ils ne cessent eux-mêmes de s’en expliquer continuellement, appuyés à la fois sur la rationalité et sur la morale, d’une façon qui a l’imperturbabilité des consciences tranquilles parce que toutes-faites, pratiquement du sur-mesure quand la mesure n’est pas la vôtre mais celle dans laquelle vous devez vous conformer.
(suite)
Si je comprends bien, Poutine a pris les choses à l’envers, non ? ... D’ailleurs, peut-on dire “Poutine” ? Au départ, il n’y est pour rien, dans tous les cas il peut le dire et il ne se prive pas de le laisser entendre. L’annonce (à partir du 23 août-1er septembre) de l’arrivée de forces russes en Syrie, voire, après quelques jours de cette communication, d’une participation russe à des combats, vint de fuites très diverses, comme on les a déjà recensées, suivies d’un tintamarre grossissant devant lequel les Russes ont réagi, on dira, avec souplesse, “en slalomant” sans dire vraiment tout ce qu’ils pouvaient dire sur la vérité de leur situation, tout en en disant un peu sur des tons variés, comme s’ils slalomaient à la façon dont on a employé l’image dans un texte du 28 septembre :
« Donc, c’est dit et redit : en trois semaines, la Russie a envahi la Syrie, dans des conditions encore plus abracadabrantesques que les quarante et quelques invasions de l’Ukraine de 2014 par cette même Russie. Mais dans ce cas, les Russes l’ont jouée finement, on l’a déjà dit à plusieurs reprises, alors qu’avec l’Ukraine ils se trouvaient dans l’inconfortable position qu’est le déni complet et sans nuance au nom d’une vérité de situation qui ne ménage aucune nuance. En Syrie, par contre, ils ont pu jouer à l’aise, slalomer entre le “peut-être” et le “sans doute pas”, virant autour de l’“après tout” avant d’aborder en douceur le ““non, on ne peut pas dire vraiment que...”... »
Depuis hier, c’est officiel, les Russes déploient leurs forces, annoncent le début des opérations, lancent des attaques, prennent bien soin d’afficher toutes les garanties institutionnelles, – autorisation des corps constituées russes d’intervenir, demande officielle de la Syrie d’intervenir, rappel du cadre international légal des résolutions de lutte contre le terrorisme, jusqu’à la bénédiction du gouvernement irakien à propos du centre de coordination et de renseignement quadripartite (Irak-Iran-Russie-Syrie) installé à Bagdad, qui supervisera les opérations. On ne slalome plus, on descend schuss une pente impeccablement bornée par un légalisme de type principiel et selon une façon de faire qu’on pourrait même qualifier de “gaullienne”... Désormais va commencer la partie tactique de l’aventure, alors que des bruits divers commencent à se faire entendre, comme des roulements de mécaniques plutôt que le cliquetis des chenilles de chars qui ne sont pas encore là (“Israël prépare une invasion terrestre de la Syrie”, “L’Arabie se prépare à intervenir”, etc.)... Eh bien, disent les évènements, très bien, nous verrons bien, nous attendons de voir si et comment ces belles envolées sémantiques se transformeront en offensives diverses.
Bien, je redeviens sérieux sans pourtant jamais avoir cessé de l’être tout à fait, car je trouve à “l’aventure” en question un sel tout à fait particulier qui exige qu’on fasse un effort d’interprétation, voire d’imagination créatrice. Nous ne sommes pas sur le terrain des faits avérés, sauf ici et là, et peut-être depuis vingt-quatre heures, mais dans une époque où une vérité de situation se dégage d’une multitude de phénomènes divers, dont une petite minorité de “faits avérés” après tout. Voici ce qui m’habite l’esprit : d’habitude, dans une opération diplomatique ou militaire, dans une guerre, dans une grande offensive, vous commencez par le commencement, – c’est-à-dire l’aspect tactique... Vous construisez les conditions qui doivent vous mener à votre objectif, lequel est beaucoup plus vaste que toutes ces “conditions” et, le plus souvent, dépasse la somme de toutes ces “conditions”. (C’est d’ailleurs le caractère de la thèse même du globalisme, qui est la conception qu’on dirait philosophique qui conceptualiserait la notion de stratégie : le tout est supérieur à la simple addition des parties qui le composent.) Bref, et pour employer d’autres termes qui nous permettent d’atteindre au cœur du sujet, on construit une stratégie avec les divers éléments de la tactique qui sont employés dans ce sens. On peut, on doit déterminer la stratégie avant de se lancer dans sa réalisation par la tactique, mais il est assez rare, sinon rarissime, sinon absurde, de prétendre atteindre un but stratégique avant d’avoir déployé les moyens tactiques pour y parvenir, – absurde enfin parce que, dans ce cas, à quoi sert l’activité tactique qui conduit au but stratégique et construit la situation stratégique puisque le but stratégique et la situation stratégique sont atteints et établis ? C’est pourtant ce qui s’est à peu près passé avec Poutine, la Russie et le Moyen-Orient, mais d’une manière si inhabituelle que cela ne peut être que le fait de notre époque à la fois grotesque et baroque.
(suite)
En guise d’avertissement, ceci : je profite de ce Journal dde crisis pour, une fois de plus sans doute mais chaque fois avec quelque chose de plus je crois, tenter d’expliquer ce qui fait le caractère particulier de ce site.... Voici donc l’entame de la chose, par le bais d’une circonstance plutôt anodine : régulièrement, on retrouve dans le Forum de dedefensa.org des messages portant sur deux thèmes que je qualifierais, dans le meilleur esprit du monde qui caractérise les débats loyaux, des observations-critiques (à la fois une observation, à la fois une critique, c’est-à-dire l’observation pouvant être juste et la critique infondée ou non-recevable) ; je les résume brièvement en prenant le style direct d’un lecteur s’adressant à ce site, et singulièrement à son principal acteur ...
• “Vous ne cessez de répéter que le Système s’affaiblit, qu’il va s’effondrer, alors qu’il est évident que sa puissance est partout, que les USA, qui sont le fer de lance du Système, n’ont jamais autant dominé le monde, qu’ils ne l’ont jamais autant influencé et manipulé, qu’ils n’ont jamais autant agi aussi impunément avec toute leur violence...”
• “Vous ne cessez d’affirmer que l’objectif principal, sinon l’objectif exclusif, est la destruction du Système, mais vous ne dites nulle part comment et par quoi le remplacer...”
Je schématise mais je ne crois pas caricaturer outre mesure, bref je pense restituer la substance de ces deux observations en forme de critiques qui me sont régulièrement adressées. (Pour faire plus simple, je personnalise cette affaire.) Je précise à ce point que les réponses à ces deux observations-critiques se trouvent partout in fine, ou même directement, dans les textes courants de dedefensa.org, et surtout dans le Glossaire.dde. Mais bon, puisque les observations-critiques se poursuivent dans le même sens, je vais tout de même y répondre en ramassant les sujets en un seul jet, en un seul souffle, ce qui n’est certainement pas trahir l’esprit de la chose, et en y ajoutant un complément d'importance en présentant ce qui fonde, pour mon compte, ces réponses.
(Suite)
Je ne me souviens pas d’une occurrence semblable, dans la majestueuse et pompeuse Assemblée Générale des Nations-Unies réunie pour sa session annuelle, avec un chef d’État de la puissance de la Russie, s’adressant à l’assistance de ses pairs, de ses “partenaires” comme il dit, et l’on sait lesquels certes, et les apostrophant directement avec cette phrase pathétique, une question mais aussi une prière :
« Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? »
C’était à la fois familier, tragique, désespéré, et presque comme un prière adressée à un Autre, – “Mon Dieu, ils ne savent pas ce qu’ils ont fait ni ce qu'ils font mais faites qu’ils finissent par le comprendre”. Une telle phrase n’a jamais résonné, dans de telles circonstances, dans l’immense salle de l’ONU, une telle phrase aussi courte résumant à la fois la catastrophe du monde, la folie de ceux qu’emportent l’ignorance, l’inculture et l’inconscience, les terribles perspectives qui se dessinent si rien de tout cela ne cesse.
J’ignore si quelqu’un, parmi les pairs et “partenaires” en question, a compris la force de la question, s’il y en a même qui ont écouté, et plus encore entendu le sens de la chose, s’il y a l’un ou l’autre qui ait consenti à sortir de son autisme. Je ne cacherai pas une seconde qu’il me semble qu’il y a bien peu de circonstances ou de constats qui invitent à l’optimisme à cet égard. Il n’empêche qu’avec cette question, le Russe a fixé un instant d’une vérité pleine d’angoisse, et éclairé d’une lumière impitoyable la catastrophe qu’est notre époque. Ce n’est pas du génie politique ni du grand art oratoire, c’est simplement une prière ; et c’est effectivement à cela, – une prière dont on ne sait ce que le destin en fera, – que le sort du monde se trouve aujourd’hui à la fois réduit et confronté.
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 14 au 20 septembre présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
• La semaine du 14 septembre 2015 a été marquée par la confirmation du retour au premier plan de la crise syrienne. • Auparavant, dans notre F&C du 13 septembre 2015, nous avions voulu montrer combien toutes les crises subsistent et combien les symboles (ceux des 10 et 11 septembre 2015) ont une très grande puissance de suggestion pour mesurer la pression de notre grande Crise de l’Effondrement du Système. • Le retour de la crise syrienne se fait dans des conditions si différentes qu’on doit parler d’une “nouvelle” crise syrienne, avec une situation à haut risque où la Russie a un rôle de premier plan. • Abordée dans la plus complète incertitude, la question du déploiement de forces russes en Syrie, avec une communication gérée avec maestria par la Russie (voir le 17 septembre 2015), est la marque principale de cette “nouvelle” crise syrienne. • La probabilité de ce déploiement a un aspect qui est pour l’instant peu envisagé, qui est celui de l’évolution stratégique d’Israël (voir le 14 septembre 2015), parce qu’Israël pense que cette nouvelle présence russe pourrait donner la première place militaire et stratégique à la Russie dans cette région. • Un autre développement dans cette semaine, également crisique comme il se doit, est la suite de l’élection triomphale de Jeremy Corbyn à la tête des travaillistes britanniques. • Cet évènement a une dimension européenne évidente : l’élection de Corbyn est-elle un événement idéologique “de gauche” ou un événement antiSystème ? (Voir le 17 septembre 2015.)
On parle beaucoup de CENTCOM par les temps qui courent, et l’on en trouvera de nombreuses références sur ce site. CENTCOM (Central Command) est devenu une de ces énormes entités qui dominent la puissance militaire colossale des États-Unis du point de vue des structures, de la bureaucratie, de la communication, bien plus que de la capacité des missions opérationnelles qui lui sont assignées. (Au reste, je cherche quelque structure que ce soit de l’armée américaniste qui montre quelque capacité que ce soit dans les “missions opérationnelles qui lui sont assignées”.) Dans l’armée américaniste, c’est un de ces commandements dits joint, c’est-à-dire ne dépendant d'aucune arme et n’ayant aucune force et unité organique qui lui structurellement affectées, mais pouvant tout prendre sous son commandement si les circonstances le commandent, avec particulièrement dans le cas de CENTCOM les forces spéciales (JSOC, pour Joint Special Operations Command, lui-même un commandement à la réputation très particulière). (Dieu sait si cette diversité de moyens différents et nombreux sont requis, avec le bouillonnement du Moyen-Orient, qui est la zone de prédilection couverte par CENTCOM.) Le commandement passe entre plusieurs armes (l’US Army et le Corps des Marines, mais aussi une fois l’US Navy avec l’amiral Fallon ; l’USAF, qui n’a jamais eu le commandement, dispose d’une place à part, avec un commandement spécifique des forces aériennes au sein de CENTCOM) ; la rotation des chefs est rapide (3 ans sans aucun renouvellement jusqu’ici comme c’est la coutume dans les grands commandements) ; ces dernières années les changements de commandement ont connu quelques soubresauts significatifs... De 1983 à 2007, les chefs ont fait leurs trois années complètes (un peu plus de 1.000 jours, avec l’exception de Schwarzkopf (1988-1991, 989 jours). Depuis 2007, il y a eu successivement Fallon (378 jours), Dempsey (217 jours), Petraeus (607 jours), Allen (42 jours), Mattis (954 jours), Austin, toujours en service (909 jours) mais dont devrait se débarrasser assez vite en raison des faiblesses de ses prestations de communication. Ce rythme accéléré des rotations correspond aux remous de plus en plus nombreux de la politique extérieure américaniste, notamment et surtout dans la région stratégique que couvre CENTCOM (sous-continent indien, grand Moyen-Orient, etc.), et aussi à une spécificitéde CENTCOM sur laquelle je reviendrai plus loin, et qui caractérise ce commendement selon une tournure très postmoderne.
Dernièrement, CENTCOM, a été secouée par une affaire de type-“lanceur d’alerte”, notamment de deux analystes de la DIA travaillant pour CENTCOM, soutenus par une cinquantaine de leurs confrères (là aussi et sur ce sujet de cette relation incestueuse CENTCOM-DIA, on en a parlé). Le nom du “lanceur d’alerte” vient d’être rendu public ; il s’agit d’un officier de la DIA, Gregory Hooker, qui jugeait déjà, en 2003, l’invasion de l’Irak “irréaliste et complètement désordonnée”. Hooker dit que ses supérieurs, les chefs du renseignement pour CENTCOM, le général Grove et un civil, Gregory Rickman, interviennent pour caviarder le travail des analystes dans le sens d’une présentation grotesquement optimiste de la situation (notamment la guerre contre Daesh), cela à l’intention de Washington D.C. (la Maison-Blanche et le Pentagone).
A l’occasion de ces dernières révélations, l’on apprend que CENTCOM emploie 1.500 analystes de renseignement venant de divers services officiels, d’agences extérieures, notamment civiles et privées, etc. (« CENTCOM employs some 1,500 intelligence analysts composed of civilian employees, members of the military, and contractors at the MacDill Air Force Base in Tampa, Florida »). Le chiffre est énorme pour un commandement qui n’est en théorie qu’une partie du dispositif militaire du Pentagone, en théorie toujours un parmi la bien plus qu’une vingtaine de commandements de zones, de forces, de missions spécifiques, d'agences, etc., dépendant du Pentagone. Cela tend à corroborer certaines estimations de l’importance gargantuesques de la bureaucratie qu’emploie CENTCOM, autour de son quartier-général de Floride et ses divers appendices. L’évaluation d’autour ou de plus de 100.000 personnes (militaires et civils du Pentagone, contractants privés, etc.) pour sa bureaucratie est parfois citée pour cet univers particulièrement opaque qu’est CENTCOM ; à certains moments selon l’attribution variables des forces à CENTCOM, l’effectif de la bureaucratie de ce commandement opérationnel est supérieur à l’effectif des forces opérationnelles dont il dispose pour les opérations en cours. Qui plus est, comme on l’a vu avec les analystes de renseignement, dont le nombre dépasse sans aucun doute le nombre d’agents de la plupart des services de renseignement nationaux du monde, il y a dans cette bureaucratie (et aussi à certains niveaux opérationnels) une multitude de contractants et sous-traitants civils plus ou moins douteux, tout cela accentuant à la fois une perte de contrôle du “centre” (le Pentagone et Washington D.C.) sur CENTCOM, du commandement de CENTCOM sur ses propres activités, et une prolifération de la corruption, notamment sur les théâtres couverts par CENTCOM... Avec son “un pied en-dedans-un pied en-dehors” par rapport à sa matrice originelle (QG aux USA, zone d’action avec QG annexes hors des USA), CENTCOM représente, au niveau militaire opérationnel, le type même du modèle capitalistique ultralibéral et postmoderne, organisé d’une façon totalitaire pour la corruption et le dissimulation systématique de toute vérité de situation désagréable (elles le sont toutes) comme le montre l’affaire de la DIA.
Bref, c’est un monstre, et, dirais-je aussitôt et avec empressement, un monstre quasiment autonome... C’est cela qui m’intéresse particulièrement dans le statut, la structure, l’existence et l’activité de CENTCOM aujourd’hui, et cela expliquant qu’on doive être à la fois alerté et pas vraiment étonné par les divers scandales, faiblesses d’action, interférences dans la politique, déformations systématiques des choses qui caractérisent son fonctionnement. Aujourd’hui, CENTCOM domine complètement l’appareil des forces armées US, et même il le manipule à son avantage, et ce sont bien ces caractères quasiment ontologiques de son statut et de son comportement qui m’arrêtent particulièrement. Le sujet de cette réflexion est qu’une analogie m’est finalement venue à l’esprit, qui est celle du SAC, ou de SAC comme ils disent, – pour Strategic Air Command, – institué en 1947 comme commandement autonome des forces aériennes stratégiques (donc responsables des armements stratégiques nucléaires) et qui fut dissous dans les années 1990 dans un nouveau Strategic Command intégrant toutes les forces stratégiques nucléaires des USA (dont la composante navale extrêmement importante). De 1947-1948 au début des années 1960, le SAC exerça une véritable dictature sur l’orientation profonde, – on dirait, selon un terme en vogue aujourd’hui, la “politique profonde”, – des forces armées US, travaillant en fait presque en position d’autonomie, sans trop se soucier de sa hiérarchie nominale... C’est bien cela qui rapproche SAC et CENTCOM : leur influence par la “politique profonde” qu'ils créent naturellement et inconsciemment, sur l’orientation et la politique des forces armées, – mais je parle ici d'une “politique profonde” qui ne concerne que les seules forces armées. Ma perception à cet égard est que l’influence de SAC sur la politique des forces armées, et, indirectement, sur la politique de sécurité nationale des USA, fut considérable et constante, et cela est un peu à l’image de CENTCOM, mais d’une manière un peu différente que j’évoquerais plus loin parce qu’elle constitue finalement le plus important du propos.
(suite)
’apprécie beaucoup la définition que donne Roger Garaudy de l’eschatologie, terme souvent rencontré sur ce site. Elle permet de se dégager des rets des religions qui usent de ce terme pour nombre de leurs grands récits, tout en ne se fermant aucune porte du côté du spirituel. Récemment, cette définition a été rappelée, sur ce site, dans lu texte dont le titre cite lui-même le mot (« Notes sur une “dialectique eschatologique” ») dans le sens où le conçoit Garaudy, débarrassé du religieux sans pour autant fermer aucune porte ; et un sens qui convient parfaitement à notre “époque eschatologique” où si peu de gens sinon personne dans les directions-Système ne contrôlent et ne dirigent encore les choses et les évènements qui les concernent et qui sont celles du monde, voire même ne connaissent pratiquement aucune situation de vérité à propos de ces choses et de ces évènements ... Voici la citation du passage, pour éviter de la rechercher dans le texte, et nous la reprenons jusqu’à la fin du passage (et du texte lui-même), qui n’implique pas vraiment une grande estime pour ceux dont on concluait qu’il font de l’“eschatologie” comme l’excellent monsieur Jourdain faisait de la prose :
« ...Et, dans ce cas, nous nous référons à la définition que donnait Roger Garaudy de l’eschatologie, que nous rappelions le 14 mai 2008 : “[...N]ous voulons dire, si nous nous référons à cette définition pratique et concrète, et excellente en tous points, que donne Roger Garaudy de l’eschatologie (à côté de la définition théorique: ‘Étude des fin dernières de l’homme et du monde’): ‘L’eschatologie ne consiste pas à dire: voilà où l’on va aboutir, mais à dire: demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui.’ »
» C’est parfaitement ce que nous voulons dire : nous nous trouvons dans un territoire et dans des évènements parfaitement inconnus dans leurs effets (et par conséquent dans leur signification), et précisément inconnus au sapiens qui prétend les contrôler, les maîtriser, les orienter, les occuper, etc. La ‘dialectique eschatologique’ est certes un ‘simulacre de ‘politique”’, puisqu’effectivement il n’y a plus de politique, mais ce n’est pas pour cela qu’elle est faussaire en elle-même, et détestable par conséquent. Au contraire, la dialectique eschatologique (cette fois sans guillemets) est la seule qui puisse rendre compte de cette situation qui est, pour ses acteurs-fantômes, pour ses figurants-zombies, une de ces ‘histoires pleines de bruits et de fureurs, écrites par un idiot et qui ne signifient rien’ ... C’est-à-dire que, pour les idiots qui l’écrivent (ils se sont mis à plusieurs ‘communicants’), effectivement elle ne signifie rien puisque, comme disait l’Autre, – “Seigneur, pardonnez-leur, ils ne savent pas, mais alors vraiment pas ce qu’ils font...” »
Cela écrit en guise d’introduction, j’en viens à mon héros du jour, le député du Parlement belge Louis Michel, Belge, ancien ministre des affaires étrangères de Belgique, ancien Commissaire européen, ancien président du parti libéral francophone (PRL à cette époque) et père de l’actuel Premier ministre du même pays. Qu’a donc fait Monsieur Louis Michel ? En tant que député européen, il a parlé au Parlement européen et s’est emporté avec une saine vigueur contre le Premier ministre hongrois Viktor Orban à propos, ou plutôt à l’occasion de la crise des migrants-réfugiés, pour développer une très vive critique. Il a même été plus loin que la critique, pour proposer une mesure que certains, à la réflexion, qualifieraient de draconienne, qui est la proposition de l’application de l’Article 7 qui permet de priver un État-membre de son droit de vote au Conseil Européen, bref de la réduire à la non-existence dans le cercle supranational du niveau européen de l’UE, alors que son entrée dans ce niveau européen de l’UE l’a privé de son existence nationale pleine et entière, – de sa souveraineté nationale. (Ce monsieur, Pierre Verluise, dans cet article savant du 8 avril 2012 de La revue géopolitique, explique et décortique l’Article 7 qui représente, d’une façon complexe, civilisé, pleine de détours divers et d’appréciations juridiques nuancées, une attaque mortelle et furieuse contre la souveraineté ; en douceur, vous dirais-je, et l’on ne s’y est guère attaché depuis que le traité est en vigueur, et moi-même bien plus que d’autres, que les détails juridiques assomment. Mais l’esprit de la chose, cette attaque contre le principe, laisse pantois, enfin me laisse pantois parce que je le suis aisément, pantois, par les temps qui courent si vite, par ce que nous réservent ces gens qui prétendent contrôler, diriger et connaître en notre nom les choses et les évènements du monde.)
Parlant à l’occasion de la crise des réfugiés-migrants que vous savez, où la Hongrie a pris la position que vous savez, Louis Michel a proposé l’application de l’Article 7 contre la Hongrie ; il a assorti sa proposition de ce commentaire : « Jusqu'où laisserons-nous Orban plonger son pays dans ce populisme sordide et tourner l'Union en ridicule ? Quand la Commission va-t-elle mettre un terme aux extravagances anti-démocratiques et contraires aux valeurs et aux traités de Viktor Orban ? »
On me corrigera sans crainte de la polémique car je suis bien loin de prétendre avoir une bonne connaissance des débats européens mais il me semble que c’est une sorte de “première”, comme l’on dit ; je veux dire, une “première fois” qu’un parlementaire européen, par ailleurs personne d’un certain poids puisqu’ancien Commissaire et quoique Louis Michel ait considérablement maigri depuis ses temps d’excellence, propose une mesure pareille dans une crise si aigüe et promise à durer que, dans certains cas de tension extrême qui pourraient survenir, quelqu’un pourrait la reprendre de façon plus officielle et bureaucratiquement de façon plus efficace ; je veux dire que dans ce sentiment d’affectivisme et cette situation d’impuissance politique où se trouvent ces gens, on pourrait bien, à un moment ou l’autre, sortir l’Article 7 contre Orban et la Hongrie... C’est cela que je nomme “l’eschatologie de Louis Michel” parce que ce député a introduit une idée qui pourrait produire des choses inconnues, qui implique la possibilité de ce que Garaudy observe à propos de l’eschatologie si son idée était reprise (« ...demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui »).
(Suite)
Dans le flot gigantesque de la communication avec ses innombrables interférences d’interprétations, de tromperies, désinformation et mésinformation, ignorances assurées et certitudes trompeuses, etc., nous devons mesurer la difficulté que nous avons à accueillir et à identifier des informations que nous pouvons tenir comme représentant une vérité de situation. Ces informations peuvent très bien n’être même pas comprises dans toutes leur importance par ceux qui les communiquent, tant notre univers est devenu complètement, absolument relatif, subjectif, encombré d’orientations et de desseins divers, comme dans une immense circulation sur des autoroutes à six, sept bandes, avec des sorties constantes, et les uns et les autres sans aucun rangement, soudain passant d’une file à l’autre sans aucun avertissement préalable après avoir réalisé qu’il était nécessaire d’en sortir. Combien de fois ce sujet a-t-il été abordé sur ce site, au moins depuis le texte « Je doute donc je suis », mis en ligne le 13 mars 2003 mais datant du 10 janvier 2002. Pour mon compte, il s’agissait d’affirmer, presque symboliquement et dans tous les cas comme un principe de mon travail, qu’on ne pouvait plus désormais considérer quelque source que ce soit, notamment et surtout officielle, comme une référence de confiance. Cela revenait à affirmer que notre univers dépendant dans une mesure considérable de la communication était devenu complètement subjectif à cet égard, et cela impliquait certains constats qui devaient être transformés en principes de travail.
Désormais, le monde est devenu absolument subjectif et la conscience qu’on veut et qu’on doit en avoir doit absolument tenir compte de ce fait. L’on peut avancer que cette chose qu’on nomme “réalité” n’existe plus objectivement, et c’est pourquoi chacun doit trouver sa formule d’adaptation à cette nouvelle et complètement paradoxale “réalité” de l’absence de “réalité” objective ; pour mon compte toujours, j’ai déterminé qu’il faut s’orienter vers un concept que je nomme “vérité de situation” , à propos duquel divers précisions ont été données dans différents textes et sur lequel il faudrait revenir d’une façon générale, de toute urgence, pour donner une définition précise. (Ce n’est pas la première fois que je fais une promesse destinée la rubrique Glossaire.dde, et il serait temps de la tenir.
L’expérience, l’intuition, le sens du détail révélateur, ce qu’on sait et ce qu’on devine de la logique interne des forces envisagées, le bon sens jouent chacun leur rôle dans cette démarche. Personne ne peut trancher à propos de la véracité de la conclusion mais la conviction sert de guide et constitue en la matière, si elle est formée d’une manière ferme et loyale, un juge qui a fait ses preuves... Toutes ces précautions méthodologiques que je prends concernent effectivement et précisément une conviction que je ressens de plus en plus fortement à propos de l’évolution psychologique je dirais collective, de l’américanisme, sinon du Système. Cette conviction, qui s’est forgée à partir d’une expérience sans cesse renforcée par l’attention portée aux évènements, se nourrit cette fois et plus précisément du rassemblement de trois situations faites de déclarations ou de posture venues de créatures du Système, à, la fois complices et victimes du Système, que je relie par une sorte de fil rouge que suggère ma conviction ; la chronologie es suffisamment resserrée (une année) pour justifier ce rassemblement...
• Il y a la déclaration d’août 2014 du général Flynn, directeur de la DIA, dont on a déjà beaucoup parlé et qu'on a rappelée à plus d’une occasion, pour son importance extraordinaire par rapport à la position de cette personne, au poids qu’il représentait dans l’appareil de sécurité nationale US lorsqu’il l’a faite. (« Ce que je vois, c’est la géographie stratégique et les frontières sur la carte du monde qui changent littéralement sous nos yeux. Ce changement est sans cesse en train d’accélérer à cause de l’explosion des médias sociaux. Et nous, dans la communauté du renseignement [US], nous essayons d’y comprendre quelque chose... »)
• Les déclarations du général de l’USAF Hesterman sur la présence russe en Syrie, signalée dans une Brève de crise, le 19 septembre. Plus j’y songe, plus je trouve dans cette déclaration, faite d’une façon mesurée, sans pression excessive des évènements ou des circonstances, l’absence complète de cette affirmation de puissance qui a toujours marqué l’attitude des manifestations de puissance, de l’hybris américanistes depuis des décennies, et plus précisément depuis 9/11. Le commentaire de dedefensa.org qui accompagne cette déclaration doit être répété, très fortement appuyé, renforcé, comme constituant une mesure significative d’un état d’esprit extraordinaire de la part d’un officier général US : « Sur ce dernier point, on peut comprendre qu’il y a là la crainte que la présence russe constitue une très sérieuse mise en cause de la prépondérance US qui régnait jusqu’alors dans la région, ce qui est notamment l’analyse israélienne. Mais Hesterman ne semble pas estimer que quoi que ce soit puisse, ni même doive être fait contre cela. C’est un des premiers signes que la direction militaire US est prête à reconnaître un sérieux déclin de son statut hégémonique dans la zone vitale contrôlée par CENTCOM, au profit de la Russie. »
• La même appréciation, je veux dire dans le même sens (avec rappel de la déclaration-Flynn) est faite hier, dans le texte sur la récente décision de la Fed : « La référence de la Federal Reserve à la situation internationale qui tient désormais une place essentielle dans ses analyses jusqu’à les influencer d’une façon décisive... [conduisant à...] une conclusion politique intéressante, sur la réduction accélérée de l’hégémonie US dans le système financier et le système économique mondial... [...] Le résultat, cette décision de la Fed, qui est vraiment une façon de décider de ne rien décider parce qu’on ne comprend rien à ce qui se passe, ressemble à s’y méprendre, selon notre point de vue de non-spécialiste de la chose, à l’aveu que faisait le directeur de la DIA, que nous avons déjà repris à deux reprises... »
On comprend qu’il n’y a rien d’assuré, de formel, de structuré selon les normes et les références du système de la communication lorsqu’il est manipulé par le Système, – normes et références nécessairement faussaires dans ce cas puisque manipulés par le Système. D’une certaine façon, cette absence me conforte, en fonction de ma conviction et de mon expérience énoncées plus haut concernant ces normes et ces références : puisqu’il n’y a rien d’assuré, de formel et de structuré dans ces déclarations et situations selon le normes et références du Système, c’est que nous sommes sur la bonne voie. Ce qu’il m’importe alors d’avancer, c’est la conviction intuitive que j’ai par rapport à ces trois situations/déclarations de responsables opérationnels de l’américanisme, qui sont alors comme un reflet inconscient d’une psychologie en pleine débâcle. Hors des faits dont on connaît aujourd’hui l’extrême relativité, hors des analyses des experts nécessairement orientées, des déclarations politiques encore plus, je parle d’une façon très différente d’une imprégnation sous-jacente des psychologies individuelles par un courant psychologique collectif qui prend acte d’une situation générale de l’américanisme/du Système, dont ces acteurs sont les témoins, sans doute en grande partie inconscients et par conséquent d’autant débarrassés de l’habituelle autocensure, cela rendant d’autant plus forte et véridique l’impression qu’il suscite.
Bien entendu, cette impression, ce rendu presque “impressionniste” à la manière des peintres de cette école, de la perception de l’effondrement accéléré de la puissance dans la psychologie profonde de ceux qui sont censées la manifester, s’accompagnent de la perception aussi forte du désordre général. Les deux phénomènes coïncident, aussi proches que des frères siamois, avec la même parenté dans le Système, et cela me renforce dans cette autre conviction que l’effondrement des USA et l’effondrement du Système sont liés jusqu’à être le même phénomène, et que l’événement unique auquel on parvient est producteur d’un désordre à mesure que nous devons et devrons tous affronter.
Un des caractères les plus remarquables de ce qui tient lieu de “la politique” dans notre époque, c’est le caractère de la dissolution. Cela n’a rien pour étonner, ou disons plus précisément pour n’impliquer personne “pour m’étonner”, puisque ce caractère se trouve dans cette formule théorique dd&e qui tient un rôle très-fondamental dans le corpus intellectuel général sur lequel repose le site dedefensa.org : “dd&e” pour “déstructuration, dissolution & entropisation”. Le trait remarquable de ces facteurs théoriques, c’est qu’ils doivent avoir, et qu’ils ont effectivement, une application opérationnelle immédiate. Je dirais plus encore, en inversant la chronologie : ils doivent avoir effectivement cette application opérationnelle parce qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une “application opérationnelle”, mais d’une “expérience opérationnelle” qui précède la théorie et d’où la théorie doit être tirée. Quoi qu’il en soit, l’aspect théorique établie, l’expérience opérationnelle qui le précédait et l’a enfanté se poursuit ; cela signifie que le phénomène de “dissolution” continue à se développer partout, à côté de la théorie qu’on continue à explorer, à expliquer etc.
Un des aspects également particuliers de cette “expérience opérationnelle” des caractères dd&e, et du caractère de la dissolution dans ce cas, c’est que le phénomène prend très souvent la voie de la communication, qu’il acquiert toute sa puissance par elle, qu’il s’exprime par elle. Non seulement la chose qui est l’objet de la dissolution se dissout elle-même, mais bien plus encore et bien plus important, c’est la perception que nous en avons qui se dissout encore plus vite si bien qu’on se demande si la perception n’est pas de la source du reste. (poser la question, hein...) Ce processus m’a paru étonnamment clair et puissant dans le cas de la “crise des migrants“, ou “crise des réfugiés”, – ou “crise des migrants-réfugiés”, et tout le monde sera content !
Après une montée en puissance durant quelques semaines, cette crise a atteint sa phase aiguë de paroxysme, dans le domaine de l’hystérie de l’humanitarisme (hystérico-humanitariste), disons autour du tout-début septembre, exactement au moment où la crise syrienne dans sa nouvelle phase commençait. (J’appelle “nouvelle phase” le moment, exactement autour du 1er septembre et d’un article paru ce jour-là dans Ynet.News, où commença la spéculation sur la présence militaire russe en Syrie.) Cette phase paroxystique de la “crise des migrants-réfugiés” doit être appréciée et résumée sous la forme de ce qui a été perçu comme un déluge humain vers l’Europe (l’afflux des réfugiés-migrants) auquel répondit instantanément un déluge du conformisme de l’esprit, je dirais sous la forme de cette sorte de réflexe pavlovien qui transforme les esprits en cette sorte de poulets qu’on regroupe par milliers dans des hangars où chaque pauvre animal occupe un espace de 10 à 15 cm2, où on les bourre de grains type-OGM à une hyper-vitesse pour pouvoir les vendre plus vite encore et faire les bénéfices hyper-rapides qui importent, – donc, un déluge humain provoquant en retour un déluge pavlovien d’affectivisme de la part de l’Europe. On avait ainsi parfaitement résumé l’équation de l’activisme apolitique de cette époque misérable autant que maudite, de cette activité où excelle l’Europe : aux causes interventionnistes et massacreuses et à ses conséquences directes et indirectes dont nous sommes incontestablement responsables répondaient les réactions humanitaristes et caritativistes d’une puissance considérable.
(En aparté : vous me permettrez ce néologisme de “caritativisme” avec tous ses dérivés car ce réflexe caritatif est devenu une sorte de doctrine opérationnelle interne qui fait le complément de la doctrine externe de l’humanitarisme interventionniste ; le caritativisme est le volet intérieur de cette conception postmoderne dont l’humanitarisme interventionniste est le volet extérieur, et qui a comme dénomination, ou comme “feuille de route” inspirée de la formule fameuse qui est, je crois, de notre ministre des affaires étrangères ou d’un de ses ministres lorsque lui était “le plus jeune Premier ministre de France” : “Responsables mais pas coupables”, – élégant résumé de l’esprit de la chose, lorsque l’esprit prend sa source claire et incontestable dans la lâcheté du caractère, dans la couardise de sa posture morale.)
Donc, ces tout premiers jours de paroxysme où s’exprima, comme on dit, un “immense élan de générosité”. Il n’était question de rien d’autre que d’accueillir bras et frontières ouverts, tous ces gens parmi lesquels, j’en suis sûr, l’on trouve tant de malheureux, tant de déracinés, d’êtres irrémédiablement blessés par une vie transformée en un enfer sur terre, cet enfer devenu leur Fin des Temps à eux ; effectivement nous avons réussi, nous et personne d’autre, à créer cela, nous autres qui les accueillions pendant ces quelques jours bras et frontières ouverts... Alastair Crooke, dans son Weekly Comment sur Conflicts Forum a écrit ceci le 18 septembre :
« It is not so surprising: As states fracture, as society tears apart, as violence, lawlessness and extortion explode, to whom can these civilians turn? Of course, there are interests at play in facilitating this exodus: ISIS is cleansing its territories of those who it sees will never assimilate into the IS. Turkey and its protégés have long believed that only by creating a heart-rending, humanitarian crisis, will the West finally be spurred into taking (military) action in Syria to remove President Assad. But somehow this present ‘exodus’ transcends these particular triggers. More fundamentally, people see no end to crisis, no end to a widening cycle of violence, against which they feel unprotected, no end to worsening economic circumstances – except, as many believe, in a major regional war. There is ‘an end of time’ sentiment, widely felt. »
Pourtant, cet unanimisme de réactions caritativistes n’empêcha pas quelques écarts annonciateurs de la suite, également dès les premiers jours. Le premier d’entre eux, avec l’attitude de la Hongrie qui était le premier pays de “Notre-Europe” à être atteint par le déluge, fut confortable puisqu’on sait l’estime où l’“esprit public” pavlovien et européen tient le gouvernement de monsieur Orban. Pourtant, cette attitude (celle de Orban et de la Hongrie) avait la logique pour elle : non seulement la Hongrie ne se juge pas coupable d’être du parti de la Cause Première du déluge, comme l’enseigne le slogan de notre doctrine, mais elle se juge également n’être en rien “responsable”, ce qui est tout à fait juste ; elle n’a ni son BHL, ni ses Rafale, ni la moindre influence à l’OTAN et s’est en général tenue autant qu’elle est tenue hors des aventures humanitaristes-interventionnistes. (D’où la logique des accusations lancées contre eux : “Salopards de fascistes hongrois, hein ! Ils ne sont pas responsables, donc ils sont coupables !”) En même temps naissaient les premières rumeurs “complotistes” avec la présence de cohorte-Daesh disséminées dans le déluge migrant, et après tout et pour briser là, – la coïncidence parfaite entre la “crise des migrants-réfugiés” et la nouvelle “crise syrienne” (dite “invasion russe de la Syrie”) avait de quoi faire réfléchir. Je ne m’attarde pas là-dessus, car si même tout cela est vrai, tout cela ne pèse pas d’un très grand poids... De toutes les façons, on sait très-bien qu’il suffit d’accuser les américanistes d’être à la tête d’un complot pour être dans le vrai comme un poisson dans l’eau : si on parle sans savoir et ignore de quoi l’on parle en parlant d’un complot des américanistes, eux, les américanistes, savent parfaitement de quoi l’on parle. (C’est un peu comme cet adage peu goûté de nos temps sociétaux, “Frappe ta femme, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait.”)
A partir de ces premières manifestations, – quoi, 3-4 jours après le début quasiment hystérique (dans notre chef) du paroxysme de cette crise-là, – tout commence à se défaire. Les hypothèses politiques et complotistes deviennent des sujets de réflexion quasiment admis, on emprisonne des possibles terroristes ici et là, la querelle des quotas commence à ressembler à la fameuse Querelle des Investitures du temps du Moyen-Âge et de l’Église triomphante, les Allemands conquérants annoncent qu’ils laisseront passer tout le monde puis ils annoncent qu’ils ne laisseront passer plus personne, les incidents se multiplient à diverses frontières, entre États-membres de l’UE et États extérieurs, et entre États-membre entre eux. Les trains qui vont dans tous les sens, bourrés à craquer, ressemblent à des caravanes d’un Tour de France qui se grimerait en Croisade des Pauvres Gens. Paris acclame Schengen au moment où le modèle-Merkel balance Schengen par-dessus l’épaule en fermant ses frontières, ce qui oblige Paris à dire que Schengen a ses limites. Les débats et talk-shows sur les télévisions se transforment en d’interminables parlottes où triomphent les précieuses ridicules meneuses de débat qui conduisent les grandes enquêtes sociétales et géopolitiques qui s’imposent (France 24 s’en est fait une spécialité, avec sa horde de clones de Christine Ockrent) ; Assad “qui ne mérite pas d’exister” est extrait de son enfer parce qu’il peut encore servir puisqu’il existe bel et bien ; certains jugent même qu’on pourrait parler avec Poutine, et même qu’on doit parler avec lui ; ce dernier cas est celui du docteur Kouchner, le mari de l’Ockrent, qui juge qu’on ne peut plus rien faire sans les Russes. La bureaucratie de l’UE est plongée dans les délices d’une comptabilité qui a le mérite de démontrer ses vertus opérationnelles, – des quotas, encore des quotas, toujours des quotas...
(Suite)