• La série des “Carnets” abrite, dans dedefensa.org, les écrits de commentaires personnels d’invités du site. • Sur ce qu'on nomme “les réseaux” ou “la toile”, il s'agit de ce qu'on désignerait en général comme un blog. • Les “Carnets”, ce sont donc les blogs des invités de dedefensa.org dont nous jugeons, en plein accord avec eux et à l'avantage et à la satisfaction de chacune des parties, qu'ils peuvent devenir des collaborateurs réguliers du site. • Il n'y a pas de limites aux sujets abordés et pas de sujets précisément assignés à ces collaborateurs : les seules exigences concernent la forme et la décence du propos, la responsabilité dans le développement du propos. • Sur le point très important du fond des textes, nous disons que dedefensa.org donne comme règle de ces “Carnets” une orientation générale des domaines abordés trouvant ses aises dans celle dont le site fait à la fois l'usage et la promotion. • Pour autant, il y a une règle impérative qui domine toutes les autres. • Il n’est pas assuré que tous les propos des invités soient dans le sens de ce qu’écrit et pense dedefensa.org, et il ne peut en aucun cas y avoir assimilation, de ce qu’écrivent nos invités avec la signature du site : l’invité est seul responsable intellectuellement de ses propos. • Il s'ensuit, cela va de soi et selon la formule consacrée, que les propos dont nous parlons n’engagent en rien et en aucune façon dedefensa.org, essentiellement bien sûr dans ce domaine intellectuel et de l'opinion. • Ces éventuelles différences et divergences ne seraient pas nécessairement signalées mais elles le seraient en cas de publicité dans ce sens ou de toute autre nécessité, avec conséquences ou pas c'est selon. • Le site décide, espérons-le en bon accord avec ses invités, des conditions diverses et de l’application des règles énoncées ci-dessus de publication de leurs écrits. (Précision technique enfin valant pour toutes nos collaborations extérieures, qui est un classique de la collaboration extérieure à un média : titres et intertitres sont de la seule responsabilité de la rédaction. Les auteurs proposent titres et inter-titres et la rédaction se réserve de les modifier dans leur formulation, bien entendu sans en déformer le sens.)
• Peiman Salehi est un analyste politique et un auteur résidant à Teheran, en Iran. Ses centres d'intérêt sont la philosophie politique, les relations internationales, la résistance civilisationnelle, la géopolitique de l'Asie occidentale, l'anti-impérialisme, la multipolarité, et les analyses du Sud global. Il définit lui-même les orientatioins de son travail de cette façon: « Je suis un analyste politique et écrivain iranien, travaillant à l'intersection de la philosophie politique et des affaires internationales. Je m'intéresse à la résistance civilisationnelle, à la multipolarité et aux approches critiques du libéralisme et des récits occidentalo-centrés... »
Depuis plusieurs années, l’Iran investit massivement dans le développement de son système de défense aérienne, le considérant non seulement comme un pilier de sa sécurité nationale, mais aussi comme une affirmation de souveraineté face à un environnement stratégique hostile. Dans un Moyen-Orient traversé par les sanctions occidentales, les tensions régionales et la lente transition vers un ordre mondial multipolaire, l’essor de la défense aérienne iranienne dépasse la dimension strictement technique : il incarne une résistance civilisationnelle et une volonté de démontrer qu’aucune nation du Sud global ne doit rester condamnée à la dépendance militaire.
Ce projet s’inscrit dans une longue mémoire historique. La guerre Iran–Irak (1980-1988) a laissé des blessures profondes : les bombardements de villes, l’usage d’armes chimiques par Bagdad et l’incapacité de Téhéran à protéger son ciel ont forgé une conviction durable. Plus jamais l’Iran ne devait dépendre exclusivement de l’étranger pour garantir son espace aérien. La lente modernisation, amorcée par l’acquisition de systèmes russes S-200 puis S-300, s’est accélérée avec la mise au point du système Bavar-373, souvent comparé à ses équivalents russes. Ce programme traduit à la fois une volonté d’autonomie et la conscience que, face aux sanctions, seule une combinaison d’ingénierie locale et de coopération avec des partenaires comme Moscou peut combler les lacunes.
Toutefois, l’histoire récente a rappelé les limites de cette trajectoire. L’attaque israélienne qui a déclenché la « guerre des douze jours » a été un test grandeur nature. Plusieurs cibles stratégiques ont été touchées, nourrissant l’impression que la défense aérienne iranienne demeurait insuffisante. Certains observateurs ont vu dans cet épisode la preuve que le système reste en phase de développement et ne couvre pas encore l’ensemble du territoire. D’autres ont insisté sur le caractère traître de l’opération : menée par surprise, en plein contexte de négociations, elle visait autant à frapper militairement qu’à démoraliser psychologiquement. Quoi qu’il en soit, cet épisode a ouvert un débat intérieur. Fallait-il y voir un échec ou un avertissement salutaire rappelant que la montée en puissance technologique est un processus, non un acquis définitif ? L’opinion publique iranienne a oscillé entre critique et résilience : d’un côté, la frustration de constater des failles ; de l’autre, la conviction que les revers accélèrent l’apprentissage et renforcent la détermination.
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Il est tentant d’analyser la politique étrangère de l’Iran en des termes binaires : résistance ou neutralité, engagement ou prudence. Mais le paysage géopolitique actuel défie de telles simplifications. Alors que la perspective d’une confrontation militaire directe entre la Russie et l’OTAN s’intensifie notamment dans la région baltique, une question centrale se pose : l’Iran prendra-t-il partie dans une guerre mondiale potentielle ou poursuivra-t-il sa stratégie d’ambiguïté calculée ?
Pour y répondre, il faut comprendre que nous vivons une transition chaotique. Le moment unipolaire qui a suivi la guerre froide touche à sa fin. Un monde multipolaire est en train d’émerger, mais son architecture reste instable. Dans ce contexte volatil, les décisions de l’Iran ne seront pas uniquement dictées par des engagements idéologiques ou des alliances traditionnelles, mais par des évolutions structurelles notamment l’effondrement des normes diplomatiques occidentales, incarné par la possible réactivation du mécanisme de snapback prévu par la résolution 2231 du Conseil de sécurité.
Ce mécanisme, intégré à l’accord nucléaire (JCPOA), permet à tout signataire de rétablir unilatéralement les sanctions des Nations Unies d’avant 2015 contre l’Iran. Si ce mécanisme est réactivé, – ce qui semble de plus en plus probable d’ici octobre 2025, – cela marquera la fin définitive du consensus diplomatique libéral qui gouvernait jusqu’alors les affaires internationales. Pour l’Iran, ce ne serait pas simplement une nouvelle trahison. Ce serait l’effondrement officiel de toute illusion restante d’une réintégration dans l’ordre mondial dirigé par l’Occident.
Les conséquences seraient majeures. Un tel événement contraindrait l’Iran et sans doute une bonne partie du Sud global à abandonner définitivement l’illusion d’un système international juste et fondé sur des règles. L’attrait des alliances multipolaires comme les BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai ou les alternatives au système SWIFT ne serait plus théorique, mais vital.
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En juin 2025, alors que les négociations indirectes entre l’Iran et les États-Unis étaient toujours en cours, Israël suivi rapidement par les États-Unis a lancé une attaque militaire contre le territoire iranien. Cette agression, à laquelle Téhéran a répondu par douze jours d’opérations coordonnées et dissuasives, a non seulement ravivé les tensions régionales, mais aussi mis à nu une faille profonde dans l’ordre international et dans la crédibilité du système occidental.
Ce qui frappe le plus, ce n’est pas tant la dimension militaire de l’attaque, mais son timing : elle a eu lieu alors que le dialogue diplomatique était toujours vivant. Les canaux de communication restaient ouverts, des discussions sur un éventuel allègement des sanctions étaient en cours. Dans ce contexte, cette agression ne constitue pas seulement une violation de la souveraineté iranienne, mais un acte qui réduit à néant l’idée même qu’un dialogue sincère avec l’Occident est encore possible. C’est la preuve que ni la loi, ni l’éthique, ni la diplomatie ne limitent les impératifs de la puissance dans l’imaginaire géopolitique occidental.
Dans cette optique, la perspective d’une réactivation du fameux « mécanisme de déclenchement automatique » (snapback), prévue pour octobre 2025, prend une tournure cynique. Ce mécanisme, conçu dans le cadre du JCPOA pour restaurer les sanctions de l’ONU en cas de non-respect par l’Iran, se voulait à l’origine un outil de dernier recours. Mais à présent, après une attaque militaire préventive, avant même toute violation formelle, quelle légitimité conserve-t-il ?
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Depuis plus de quatre décennies, l’Iran tient tête à l’ordre mondial dominé par l’Occident. Malgré les sanctions économiques, l’isolement diplomatique et les campagnes médiatiques, le pays a non seulement survécu, mais est parvenu à projeter une influence militaire, idéologique et géopolitique significative dans la région. Cette trajectoire de résistance fait de l’Iran un acteur central dans la recomposition actuelle du système international – une recomposition dans laquelle la Chine et la Russie jouent également un rôle majeur.
Cependant, ces deux puissances – bien qu’elles se positionnent comme les piliers d’un monde multipolaire – n’ont pas encore clarifié leur position stratégique vis-à-vis de l’Iran. Sont-elles prêtes à assumer un partenariat profond et assumé, ou se contentent-elles d’une coopération pragmatique et circonstancielle ? Cette ambiguïté stratégique soulève de nombreuses questions.
Le cas de l'attaque israélienne contre les infrastructures iraniennes au printemps 2025 est révélateur. En réponse à l'assassinat de hauts responsables iraniens, Téhéran a lancé une attaque directe contre Israël – une première historique. Or, ni la Russie ni la Chine n'ont manifesté un soutien clair ou opérationnel. Ce silence a été interprété par certains analystes à Téhéran comme une prise de distance calculée.
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