D’un château l’autre

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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D’un château l’autre

10 août 2016 – Obama fait ces derniers jours des déclarations mi-désabusées, mi-ironiques, on ne sait trop. Il confie ses impressions de golfeur et l’on annonce triomphalement qu’il a effectué dimanche son 300ème parcours en tant que président, – bref, c’est pour dire qu’il n’a pas chômé. Il confie publiquement qu’il est “forcé” de quitter la Maison-Blanche et que, s’il ne tenait qu’à lui, il ne la quitterait jamais, – et plutôt, c’est mon impression, parce qu’il s’y trouve bien, comme dans une résidence secondaire de luxe bien plus qu’à cause du pouvoir qu’on y trouve et qu’on y exerce. Il est à l’aise, décontracté, intervient théâtralement dans la campagne par à-coups puis s’en retourne à son golf. On a l’impression, toujours extraordinairement persistante, qu’il n’est jamais vraiment entré dans sa fonction de président des États-Unis et qu’il s’en ira, toujours aussi énigmatique quant à sa véritable utilité, sa pensée profonde, la marque réelle qu’il laisse... “Premier président noir des États-Unis”, cela suffit-il à son bonheur ?

Que s’est-il passé ?

Je vais m’essayer à comprendre et à expliciter cette présidence qui paraît si énigmatique et si cool alors que la crise du monde gronde partout autour de lui, et également chez lui, à Washington, à condition qu’il ait jamais vraiment résidé à Washington. Je vais en passer par une comparaison qui a déjà été faite sur ce site, et qui reste à mon avis complètement valable selon un certain point de vue, celui que j’adopte pour ce travail. Il en a notamment été question le 11 février 2010, avec cette conclusion dont je ne retirerais pas un mot, impliquant combien le destin d’Obama était tracé dès sa première année de présidence, par sa faute même, et combien il a été complètement inutile...

Dans ce texte, il était avancé que Nixon avait inauguré une méthode de gouvernement extraordinairement resserrée pour pouvoir franchir l’obstacle, voire l’hostilité de la bureaucratie, – du Système, si vous voulez, – et qu’il aurait peut-être réussi, s’il n’y avait eu le Watergate qui fut, dans son déclenchement originel, un montage de la direction militaire. (L’amiral Moorer, alors président du Joint Chiefs of Staff, avec son espion Bob Woodward, alors dans l’US Navy avant d’aller se couvrir de gloire au Washington Post, comme le démonte et le démontre le livre Silent Coup, dont diverses références sont données dans les textes du site, du 25 septembre 2009 et du 28 décembre 2009.) La même observation sur l’organisation de son gouvernement concernait la façon dont Obama avait procédé, mais probablement avec un tout autre résultat, selon ce qu’on en pouvait attendre... C’était en effet écrit début 2010 et cela décrit toute la présidence Obama :

« C’est bien dans le cas d’Obama qu’il faut parler d’emprisonnement stérile par une petite équipe; mais ce n’est pas la méthode qu’il faut critiquer mais l’absence totale d’inspiration et de conceptions du chef de cette équipe et, par conséquent, l’effet de la perversion de la méthode. Nixon a perdu, mais avec les honneurs contrairement à la réputation qu’on lui fait, et après avoir accompli des choses non négligeables; Obama n’a même pas perdu puisque, jusqu’ici, il ne s’est même pas battu. C’est d’autant plus regrettable et condamnable que, bien plus encore que Nixon, il a historiquement la tâche de devoir se battre dans ce sens, et il a les capacités humaines pour le faire. C'est tout le problème de l’“American Gorbatchev”, que Nixon faillit être par anticipation, et tenta d'être, et qu'Obama aurait pour tâche historique de devenir, et avec beaucoup plus de capacités pour le devenir, et qu'il ne tente en aucune façon de devenir. »

On connaît la remarque du Général Flynn à propos de l’équipe de la Maison-Blanche d’Obama, lorsqu’il était à la tête de la DIA et qu’il tentait de faire passer des informations pour le président : « une narrative impénétrable », comme l’on dit d’un château, forteresse imprenable où nul ne peut pénétrer. Nixon avait donc, 40 ans plus tôt, choisi lui-même cette méthode d’organisation, regroupant une petite équipe autour de lui, essentiellement pour les matières de sécurité nationale, essentiellement au travers du NSC (National Security Council), qui est une sorte de mini-gouvernement institué en 1947 pour les questions de sécurité nationale, réservé au président et dont la tâche varie selon l’emploi qu’en fait le président. Inexistant sous Eisenhower, du temps de la toute-puissance de Foster Dulles au département d’État, le NSC était tout-puissant sous Nixon, avec la déjà-vieille crapule de Kissinger comme directeur, et donc sorte de Premier ministre personnel. C’en fut au point où William Rogers, le secrétaire d’État jusqu'au début 1973, apprenait les nouvelles importantes, comme le voyage en Chine préparé en secret en 1971 par Kissinger, par voie de presse. Le conseiller aux affaires intérieures Ehrlichman et le chef de cabinet Haldeman complétaient la carapace établie par Nixon autour de lui.

La méthode fut souvent reproché à Nixon par sa bureaucratie et l’establishment en général, et plus encore par la presse, avec d’autant plus d’ardeur et d’autant plus de vertu que ces trois corps détestaient Nixon comme le Système peut détester ce qui se met sur sa route, – ce qu’on nommerait plus tard “antiSystème”. L’historiographie-Système attribue le Watergate et toutes les méthodes condamnables qui y menèrent à cette organisation, en plus de la responsabilité irréfutable et irréfragable de la personnalité évidemment détestable du président, avec sa gueule mal rasée et son nez en pied de marmite. On a vu ce qu’il en est en vérité (Silent Coup) ; il n’empêche que Nixon fut finalement vaincu ; et je dirais, sans la moindre hésitation, “vaincu par le Système”, car lui, sans le moindre doute et malgré ses méthodes de rustre et son langage de charretier, il fit à partir de sa forteresse une vraie grande politique en même temps qu’il tentait vraiment mais vainement de s’attaquer au Système.

(Je ne me lasse pas de citer ce point de détail apparu dans un film, qui pourtant explique à la fois toute la tragédie de Nixon, et le terrible adversaire que constitue le Système, ici sous la forme du complexe militaro-industriel, et comment cela peut être à la fois si bien compris et si bien décrit dans une scène de reconstitution fictionnelle, – ici dans le film d’Oliver Stone :

« Nous rappellerons cette phrase étonnante, que nous citons souvent, du metteur en scène Oliver Stone dans son film ‘Nixon’; la scène montrant Nixon allant rencontrer, impromptu, avec son chef de cabinet Haldeman et deux gardes du corps, des étudiants contestataires au Mémorial Lincoln, lors d’une soirée en 1971, à Washington D.C.; un cercle d’étudiants incrédules se formant autour du président, le pressant, l’interpellant, et soudain une jeune fille de 19 ans (l’âge est précisé) lui demandant pourquoi il ne fait pas tout de suite la paix au Vietnam, lui qui est président, qui a tous les pouvoirs et qui affirme vouloir faire la paix; Nixon répondant par des généralités qui laissent pourtant entendre une expression de sincérité, disant qu’il essaie, que c’est difficile, parlant d’une voix presque oppressée… La jeune fille s’exclame soudain : “Mais on dirait que vous parlez d’une bête que vous n’arrivez pas à dompter!” Nixon repart, s’installe dans la voiture officielle, reste songeur puis, soudain, à l’intention d’Haldeman: “Bob, c’est incroyable, cette gamine de 19 ans, bon Dieu, elle a tout compris!” »)

... Puis Nixon chuta, connut la grande humiliation de l’opprobre publique, alors que, selon l’ambassadeur de l’URSS à Washington Dobrynine, il pouvait espérer atteindre avec Brejnev pas encore gâteux une entente qui aurait été du Gorbatchev quinze ans avant.

Obama reprit cette méthode après son élection, lui aussi pour s’isoler du Système, mais dans un tout autre esprit que Nixon. Je dirais qu’à part le printemps-été 2009, avec son discours du Caire de juin et le sommet de Moscou de juillet, Obama n’a rien tenté ni d’original ni de fécond qui pourrait se rapprocher d’une tentative d’esquisser une grande politique étrangère. Ce qui est apparu assez vite, c’est qu’il n’avait ni les conceptions, ni surtout le caractère pour entamer un tel affrontement (contre le Système, au travers d’une politique de sécurité nationale nouvelle). Très vite découragé parce que sans courage réel, il s’est replié sur son rôle-Système de signer à l’endroit indiqué, sans nécessité de lire le texte, la feuille de route de la politique-Système. (Comme l’écrit l’auteur et commentateur Charles-Hughes Smith, dans quoi il faut comprendre aussi bien “Système” dans l’expression bien connue d’“État Profond” :

« The Deep State requires relatively little of elected officials, even the President. A rubber stamp of existing policies is the primary requirement [see the Obama presidency for an example]. »)

En fait, sans conceptions ni caractère, il s’est construit une forteresse pour s’isoler du Système et rester seul avec son propre vide. Dans sa forteresse, il s’est fabriqué son propre s(S)ystème avec sa “narrative infranchissable” et une absence réelle de goût pour la réalité, quand elle existait, et encore moins pour quelque vérité-de-situation que ce soit. Cet homme de talent, puisqu’il n’en manque pas sauf celui de l’essentiel qui est le caractère, s’est enfermé volontairement : pour s’isoler et prétendument se libérer de l’extérieur, il s’est créé une prison intérieure. Au contraire de Nixon, il s’est déchargé de sa politique sur ses ministres (Clinton puis Kerry au département d’État) ; d’ailleurs, il s’est très vite révélé comme un “homme d’État” de son temps (“homme de non-État” serait plus juste), c’est-à-dire “homme d’État-postmoderne” super-cool, donneur de leçon, avec juste ce qu’il faut d’arrogance élégante, complètement reconstruit selon les normes de la communication, attentif à la seule apparence, au phrasé du texte-Système standard, à la forme épurée de toute substance, à l’indifférence complète pour les leçons du passé sauf les slogans de la bienpensance. Puis il a commencé à jouer au golf.

Différence d’hommes, différence d’époques : l’un termine par le martyre du Watergate, l’autre par la belle perf’ de son 300ème parcours de golf. Obama n’est pas un mauvais bougre tandis que Nixon fut un homme qui s’était chargé de vilenie ; le premier s’est contenté de regarder le spectacle du monde en folie en s’en lavant les mains et en ordonnant les tirs de drone tandis que le second s’est sali les mains en tentant d’en changer le destin au son de ses propres jurons pour les mauvais coups ratés.

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