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248831 juillet 2016 – Il m’est venu le sentiment, bientôt formé en une idée présentable qu’avec trois événements illustratifs de tendances puissantes événementielles et incontrôlables, – c'est-à-dire complètement hors de notre compréhension et de notre contrôle humains, trop humains, – dont je retrouve la description dans trois articles considérés aussi bien comme symboliques que politiques, et de sources aussi variées qu’indépendantes des narrative courantes, se forme un point de convergence chargé d’une forte potentialité déstabilisante, également aussi bien symbolique que politique, ouvrant ce qui pourrait être cette “saison de tous les dangers terribles et informes...”. Ces trois “tendances puissantes”, trois parmi d’autres mais exemplaires de notre situation générale, concernent, après la nomination de Clinton, la fixation des présidentielles US dans un affrontement frontal et furieux qui engage non plus une élection comme on les voit en général aux USA, mais une bataille suprême aux conséquences que l’on devine considérables, complètement incompréhensible pour ce qu’on sait rationnellement des USA ; après le putsch d’Ankara et désormais avec des conséquences géopolitiques considérables, un courant de bouleversement moins dans la région concernée que dans les grands espaces et l’organisation politique autour de cette région centrale du monde ; après divers événements depuis septembre 2015 et l’intervention en Syrie, l’évolution de la politique russe, notamment les conséquences sur les relations de la Russie avec la Chine, et d’une façon générale les conséquences de déstructuration et de dissolution de ce qu’on avait jugé être le courant stabilisateur et structurant des BRICS.
Pour ce propos, je me réfère à trois articles d’auteurs variés, certains très mal considérés, d’autres présumés plus “sérieux”, etc., mais tous trois effectivement échappant au courant des consignes-Système qui nous donne une pensée totalement anesthésiée et réduite à un “rien” impliquant le “vide” par absence de la moindre substance. Je n’ai aucun esprit d’apriorisme fondamental vis-à-vis d’eux, aucun interdit décisif, même si j’entretiens bien des nuances dans mon jugement. En l’occurrence, je juge qu’ils illustrent bien, et selon une spéculation qui est appuyée sur des vérités-de-situation, les “tendances puissantes” dont je veux parler. Je vais donc procéder avec ordre, résumant le contenu des trois articles, c’est-à-dire la description rapide de ces “tendances puissantes”.
• Le premier est de Kurt Nimmo, mais il engage toute la puissante nébuleuse Infowars.com qu’on connaît bien : souvent extrême, tendance complotiste très marquée, il n’empêche avec un public très nombreux et plusieurs groupes s’appuyant sur eux, et un engagement très appuyé pour Trump. L’article, du 28 juillet, se suffit à lui-même par son titre, qu’on traduira de la sorte, en généralisant le propos : “Nous entrons dans une zone de danger [pour Trump] avec la possibilité désormais très claire d’une tentative d’éliminer physiquement Trump (assassinat)”. Il est vrai que le Système devrait avoir bien de la difficulté à trouver une autre façon d’empêcher la très-possible défaite de sa candidate : Hillary Clinton « est tellement privée de flamme. Nous sommes encore à trois mois des élections et les gens ne peuvent déjà plus la supporter. Il faut en général sept ans de pouvoir aux présidents en exercice pour en arriver à ce résultat », écrit le Washington Examiner le 29 juillet, après la désignation de la candidate.
Mettons à part l’hypothèse tragique, même si elle existe bien sûr, et gardons l’esprit de la chose : l’affrontement est maintenant direct, furieux, sans la moindre possibilité d’arrangement, et il met potentiellement en jeu le sort même des USA selon un schéma que nous connaissons bien, qui se traduit quelles que soient la volonté et la conscience des principaux acteurs par l’équation fondamentale et mortelle Système versus antiSystème. Cela signifie que les USA sont entrés dans une phase de tension intérieure paroxystique avec des potentialités déstructurantes brutales, phase qui influera décisivement sur tous les autres événements (intérieurs et extérieurs), très nombreux, qui impliquent cette puissance... Les USA sont entrés sur une terra incognita.
• Le second est de John Helmer, une voix (US) indépendante venue de Moscou et en général disposant de sources et de relais intéressants. Il date du 26 juillet (nous le reprenons le 29 juillet) et porte sur une “nouvelle alliance byzantine”. Son premier paragraphe suffit à situer l’enjeu qu’il décrit dans son article : « Le 9 août, à Saint-Petersbourg, le président de Russie Vladimir Poutine rencontrera le président de Turquie Recep Tayyip Erdogan. Le moment est révolutionnaire. Il n’y a pas eu de tournant politique d’une telle importance dans les 67 ans depuis la création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ; ni dans le siècle dernier, depuis que l’Empire Ottoman se rangea au côté de l’Allemagne contre la Russie dans la Première Guerre Mondiale ; ni dans les deux siècles derniers, depuis que le Sultan Ottoman Mahmoud II et le tsar Alexandre Ier se rangèrent [successivement] contre Napoléon et les Britanniques... »
Je n’ai aucune conviction fondamentale, encore moins quelque certitude que ce soit à propos de la perspective qu’ouvre Helmer, mais je la choisis justement pour sa vastitude considérable et inédite, et du fait qu’elle ne paraît ni absurde ni incroyable... Helmer décrit une possible révolution politique qui concerne moins la seule région du Moyen-Orient que l’ensemble des marches orientales du bloc-BAO, avec une rupture de l’OTAN par le départ de la Turquie se tournant vers son Nord-Est, l’installation de la Russie comme puissance tutélaire de la zone allant de l’Europe de l’Est au Moyen-Orient avec l’effacement des USA, et l’activation d’une Turquie jouant un rôle hors de ses attaches traditionnelles danns la période Guerre froide/post-Guerre froide. Effectivement, il s’agit d’un vaste mouvement qui semble restituer le schéma de l’Empire Byzantin tandis que l’Empire de Rome semble s’abîmer dans les affres d’une dissolution accélérée. Ce qu’Helmer décrit est une logique qui n’existait plus jusqu’ici dans la politique internationale courante, qui n’envisageait les questions qu’en fonction d’un axe Est-Ouest (la Russie dans ses rapports avec la bloc/BAO, ou avec la Chine) ou en fonction de la problématique du Moyen-Orient refermé sur lui-même, avec les interventions extérieures classiques, – comme une logique qui semble sortir des grands courants d’un lointain passé...
• Le troisième est de l’ancien diplomate indien, devenu chroniqueur, MK Bhadrakumar ; bon connaisseur des affaires russes, chinoises, turques, indiennes bien sûr, du fait de son intérêt personnel autant que de postes d’ambassade qu’il occupa au moins dans deux de ces quatre pays (Turquie et Russie). Son article du 25 juillet analyse ce qu’il perçoit être une mésentente sérieuse entre la Chine et la Russie, à cause de ce que les Chinois désignent comme le “double-langage” des russes, c’est-à-dire certaines prises de position à distance des Chinois, sinon peu arrangeantes, dans des questions internationales, alors qu’ils (les Russes) parlent par ailleurs abondamment de la priorité pour eux de l’alliance chinoise.
Je laisse de côté le ou les sujets évoqués, pour ne retenir que ceci : l’état d’esprit plutôt aigre des Chinois vis-vis des Russes, les soupçons chinois selon lesquels les Russes utiliseraient une certaine proximité de l’Inde, qui connaît certaines pressions avec la Chine, pour faire avancer leurs affaires, voire même leurs relations avec les USA. Le constat me vient aussitôt à l’esprit, avec deux questions renvoyant à une chronologie : que reste-t-il de cet axe Moscou-Pékin qui semblait, en 2014, lors de la crise ukrainienne, une nouvelle alliance stratégique fondamentale qui allait structurer un nouvel axe du monde contre le bloc-BAO ? Que reste-t-il des BRICS (et en y ajoutant la situation brésilienne au cas des concurrences triangulaires Russie-Chine-Inde) qui, il y a trois ou quatre ans, apparaissaient comme une puissante association en formation qui allait concurrencer le bloc-BAO ? D’un autre côté, comment évaluer ces hypothèses stratégiques sous une forme d’avancement ou de recul stratégique pour quiconque alors que le bloc (BAO) qui justifiaient la puissance naissante sinon irrésistible des BRICS est plongé dans une déroute totale ? Le cas est évident ici de parler d'une évolution stratégique informe, qui ne dément nullement les cas précédents...
(Je suis sûr, mais pour plus de sûreté j’insiste, qu’on aura noté que, cela est assuré, il n’y a pas un mot sur l’Europe. J’aurais pu trouver l’un ou l’autre article catastrophique sur l’Europe, puisqu’il n’y a que ça . Mais c’est une catastrophisme sans conséquences extérieures réelles ; l’Europe a d’ores et déjà scellé son sort, elle n’est plus que tourbillon crisique de chaos intérieur, de déstructuration et dissolution, sans plus d’effets sur la marche du monde extérieurs mais simplement effet du chaos du monde extérieur, puisque pour elle la messe est dite, – même pas messe-noire, pas assez de force, tout juste messe grise foncée. Ce continent qui enfanta, inspira et conduisit notre civilisation si glorieuse est aujourd’hui dans les cales du Titanic, déjà complètement sous eau, aux premières loges du naufrage et de l’effondrement du Système, devenue l’avancée de notre contre-civilisation goûtant déjà l’obscurité sinistre des abysses du monde. Elle n’est que négation et inversion de ce qu’on crut avec quelle vanité qu’on en ferait en l’unissant d’une façon si postmoderniste, elle est grosse de guerres civiles multiples montées comme des spectacles de communication et de pleurnicheries humanitaires sur les attentats du reste du monde contre elle qu’elle a tant suscités, elle ne cesse de détruire tout ce qui fut grand chez elle, elle manufacture avec délice le saccage systématique de tout ce qui fut sa haute culture, elle se suicide en chantant sur un rythme syncopé de rap et d’Art Contemporain les tristes “lendemains-qui-chantent”, elle est l’objet de mon plus profond mépris, de ma fureur qui ne prend même plus la peine d’être bruyante... On ne réveille pas un cadavre qui pourrit dans l’ivresse d’un somnambulisme hébété.)
Il me faut dire maintenant arriver au cœur de mon propos qui est de rendre compte du sentiment général que ces trois articles (+ un non-article) pris comme des exemples d’innombrables écrits du genre ont suscité en moi. Je suis complètement conscient qu’il s’agit d’un courant d’analyse qu’on retrouve sur le site, également illustré par nombres d’articles. Mais il m’importe ici de parler d’un sentiment qui m’habite, – il m’habitait avant ces trois articles + un non-article, il a été confirmé par eux, il se poursuit et se renforce certes. Il s’agit de la perception de l’état du monde tel qu’il se dessine et se redessine si rapidement, et là avec une mention particulière pour l’Europe présente dans cette revue de détails par son non-article, par son “rien”, et par conséquent plus représentative encore que le reste en se contractant jusqu’au non-être dans son trou noir.
Tout cela se caractérise par une complète absence de cohérence et de cohésion, plus aucune structure de quelque résistance significative d’une orientation affirmée de quelque puissance féconde en elle-même n’existe, plus aucune hégémonie dont on pourrait croire au caractère structurant, ne s’exerce ; et de tout cela, je parle d’un point de vue bénéfique ou maléfique, l’absence de cohérence et de cohésion, l’instructure, etc., affectent aussi bien les tendances bénéfiques que les tendances maléfiques caractérisant l’affrontement du Système et de l’an,tiSystème. Toutes les forces du chaos sont en marche, de toutes leur puissance possible, et elles touchent absolument tout ; mais ce mot de “chaos” pris dans tous les sens possibles, y compris celui où il peut être évidemment porteur d’espoir, ce qui le démarque décisivement du mot “désordre”. (“Chaos” selon Ovide, que cite Nicolas Bonnal : « Le chaos étant ainsi débrouillé, les éléments occupèrent le rang qui leur fut assigné, et reçurent les lois qui devaient maintenir entre eux une éternelle paix. »)
Encore doit-on bien voir que cette affaire de “chaos” prise comme une définition générale ou comme un jugement abstrait n’est pas ce qui caractérise le plus mon propos dans ce cas. On en parle déjà beaucoup sur le site, lorsqu’on décrit le passage du “désordre-devenu-hyperdésordre” au “chaos-nouveau”, mais ces considérations étaient surtout de l’ordre du théorique général. Le sentiment de la nouveauté, de l’inédit, c’est le caractère désormais opérationnel du chaos, partout à l’œuvre, actif, plein d’ardeur d’alacrité, cette absence complète de ligne logique accordée à la logique des seuls impératifs terrestres et humains, voire de ligne droite, de ce qui caractérise d’habitude les notions de “politique” et de “géopolitique”.
Du point de vue de la raison, même nourrie à l’expérience la plus minutieuse, la situation des USA, qui semblait montrer une solidité d’une extrême résilience dans les tempêtes crisiques qui se succèdent depuis plusieurs années, devient soudain quelque chose de proche d’un “château de cartes”, où même un assassinat politique est envisagé froidement et avec une pointe de dérision et de scepticisme (House of Cards, le feuilleton, n’a jamais envisagé cela) : seront-ils assez organisés pour monter une tentative d’assassinat de Trump, en auront-ils l’audace, les guts, ou bien même cela les dépasse-t-il ? Ce n’est pas la première fois que l’hypothèse d’une attaque physique contre Trump est évoquée, en même temps que différents manœuvres, complots, montages internes pour l’écarter...
Rien n’a été fait, et je me demande même si quelque chose de sérieux, hors des réunions où l’on parle beaucoup, où l’on se réconforte les uns les autres par des invectives contre le monstre-Trump, a pu seulement voir un commencement d’exécution... C’est ce qu’on comprend à entendre un personnage comme Mitt Romney, qui s’est trouvé pendant plusieurs mois à la tête de la fronde furieuse, des anathèmes et des menaces contre Trump, montrant une haine constante contre lui comme parfait porte-parole du Système, reconnaître aujourd’hui qu’après tout la bestiole ferait bien l’affaire (« You have to give Donald Trump credit, he was able to bring a rhetoric and a style that he had perfected over his career to the political sphere and connect with people and become the nominee. Despite the fact that I and a lot of other people thought he would not be an ideal nominee, he is. At this stage, it’s rougher going, but I can’t predict what’s gonna happen... To be honest, it’s very possible in my view that Trump wins »)... Et cet épisode ne fait certainement pas de Trump un soudain facteur d’ordre, un homme capable de rétablir la logique des choses, mais au contraire confirme avec force sa fonction d’“homme de chaos” qui ne cesse d’imposer sa marque chaotique dans le rangement politique US et du Système, alimentant encore le désarroi, l’incertitude et la volatilité des logiques abandonnées à leurs postures dépourvues de sens.
J’aurais le même sentiment pour les autres cas évoqués, et chaque jour confirme cette perception pour mon compte. Comment en conclure autrement si vous suivez mon sentiment lorsque vous observez de quelle façon Erdogan se sert de la base d’Incirlik, qu’il soumet à un traitement étrange avec plusieurs interventions pour y enquêter, pour la paralyser, jusqu’à ce qu’on en vienne à écrire ce matin, après une nouvelle intervention d’encerclement, que cette base stratégique est devenue “un otage” pris pour prévenir une autre tentative de putsch ? On verra demain ce qu’il en est... La politique russe, elle-même si compréhensible et si logique ces dernières années dans son tracé et son orientation, montre désormais des aspects imprévus qui témoignent combien ceux qui la font sont obligés de s’adapter à tant de circonstances chaotiques en variant leurs orientations jusqu’à opérer des variations de position qui, en d’autres temps, nourriraient des analyses sans fin et pleines de stupéfaction. Heureusement, la force et la rapidité des événements ne laissent pas trop de temps aux analystes pour développer leurs bavardages, et loin de moi dans le cas mentionné ici l’idée que je considère que les Russes ont perdu toute maîtrise et toute logique dans leur action, mais simplement le constat qu’ils ne cessent d’adapter cette logique et cette maîtrise à la course des événements.
Je ne dis pas non plus, certainement pas, que les événements sont “devenus fous”, mais que la politique et surtout la géopolitique, surtout elle qui prétend être la représentation opérationnelle de la maîtrise du monde et de sa géographie par la froide et réaliste raison du juge de la force et des puissances humaines, je dis que la géopolitique est devenue folle. Ainsi en est-il pour ces constructions dépassées qui prétendent persister à exister selon des règles d’un autre temps. La communication est l’instrument qui transmet la puissance des événements qui semblent fous à notre raison, et impose à la géopolitique cette confrontation qui le rend folle entre sa fonction rationnelle et l’irrationalité apparente que lui imposent ces mêmes événements. Ce n’est pas pour rien si Trump est d’abord une création puissante de la communication, si Erdogan considéré comme si erratique s’avère être plus un phénomène de communication qu’un invincible conquérant ottoman, si les Russes eux-mêmes, eux qu’on croyait si restreints et prudents en cette matière, deviennent des maîtres de la communication qui parviennent même à jouer de la folie des autres (la façon dont peu à peu, ils retournent à leur avantage cette russophobie des élites-Système qui devient de plus en plus la marque de la folie de ces élites-Système).
Dans son livre de souvenirs faits de sarcasmes attendris et d’observations d’une philosophie dont je pense pour mon compte que l’assurance est en train de s’user diablement et si rapidement devant le chaos qui nous enveloppe, dans son livre Pour l’amour de l’art – une éducation intellectuelle, Régis Debray écrivait en 1998 : « Le guide spirituel à l’orientale doit être doux comme un cessez-le-feu, comparé à nos chamailleries sans cesse rebondissantes où aucune révélation surnaturelle ne peut venir une fois pour toutes départager ceux qui sont dans le vrai et les autres. C’est l’honneur – et le malheur – des rejetons d’Athéna... [...] L’impermanence sans fin ni recours à quoi accule la fin des absolus... [...] Pour nous autres, les anciens du “bac philo”, et je serais presque tenté de dire hélas, Bouddha ne sera jamais l’ultime reposoir, ni le sourire de compassion, la solution de l’énigme enfin trouvée. Le parti pris d’expliquer le monde par des raisons intelligibles ne va pas sans renoncement ni dommages. Chacun les siens. L’option du rien qu’humain oblige à un certain resserrement de compas, à un repliement des antennes dont je mesure ce qu’il peut faire perdre d’ivresses neuronales et mystiques... »
J’ai copiné avec Debray, entre 1996 et 2002 (jusqu’à un jour de fin avril 2002, entre les deux tours de cette présidentielle où le spectre Le Pen semblait mobiliser toutes les énergies et la résistance “démocratique et républicaine” d’une façon que Debray considérait avec un sérieux qui m’avait semblé un peu forcé et certes assez fatigué, – et un brin ironique, lorsqu’il précisait à propos des vastes manifs’ anti-Le Pen : « Qu’est-ce que tu veux, chaque génération a besoin de sa guerre d’Espagne »)... Depuis, nous ne nous sommes plus vus, sans autre raison que le temps qui passe et le fait que Paris est une île détaché du monde où je ne me rends plus (et quand à faire déplacer un intellectuel parisien jusqu’aux marches de l’Ardenne belge, voyez d’ici le sport). Je l’ai revu récemment à la télévision (dans L’Histoire immédiate [chaîne Histoire] du 6 juillet), pendant une heure, durant laquelle ses analyses théoriques et formelles, et ses conceptions principielles, furent éblouissantes, et ses jugements sur la situation actuelle extrêmement schématiques et complètement hors de tout, comme s’il parlait d’un autre monde que celui où nous vivons. Après avoir énoncé avec une tranquille fulgurance et une lucidité rare les principes fondamentaux de la structure politique du monde, les spécificités françaises, les nécessaires arcs-boutants principiels, le voici placé devant la question des circonstances présentes, – et lui d’émettre ceci, qui se résume à dire, – aujourd’hui, à l’heure que nous vivons, dans les événements qu’on connaît et qui nous emportent, qui nous présentent l’Amérique dans l’état d’effondrement accéléré où elle s’engouffre en cascade diluvienne, – que la civilisation française (européenne/mondiale) est en train de passer la main à la civilisation américaine... « Quelqu’un, [un érudit], disait qu’une civilisation dominante c’est 5 siècles... La France, l’Europe a “fait” ses 5 siècles [et elle passe la main] ... Alors on dit déclinisme, mais non il y a des rythmes... On a rempli notre contrat et je crois que nous entrons dans un monde qui n’aura plus d’empreinte française, son empreinte est américaine et la France est devenue un canton, un dominion américain... »
Ce ne sont plus “les ivresses neuronales et mystiques” qui manquent à nombre d’esprits mais la capacité des explorations rationnelles les plus solides, avec le constat absolument évident et lumineux qu’une telle capacité peut et doit impérativement s’exercer aujourd’hui dans le champ libre et fécond qui compte, qui s’impose, qui nous mobilise et nous assigne notre tâche fondamentale, – le champ libre et fécond des “choses neuronales et mystiques” dans une signification grandie par rapport à ce qu’entend Debray (le sacré et toutes ses occurrences, non seulement comme symbole pour les âmes terrestres mais comme facteur opérationnel de l’histoire devenant par le fait métahistoire du monde)... A ce compte, j’écarte l’ivresse et ne m’attache qu’à considérer la cause de cette ivresse sans parti pris mais simplement par curiosité et apaisement intellectuel, et conduit à constater que les “choses neuronales et mystiques” n’en sont pas la cause, qu’elles peuvent être explorées sans ivresse mais plutôt, je le dis bien volontiers, avec la sublimité de l’âme poétique utilisant la raison comme outil extrêmement utile ... Car là, dans ce domaine de la mystique et du spirituel, se trouve la clef du chaos que nous contemplons aujourd’hui, ce chaos qui rend ahuris ceux qui ne sont préparés à rien qui ne soit d’eux-mêmes, et folle leur raison si celle-ci s’en tient aux choses seulement humaines et terrestres.
Ovide ne l’était pas, ahuri (« Le chaos étant ainsi débrouillé, les éléments occupèrent le rang qui leur fut assigné, et reçurent les lois qui devaient maintenir entre eux une éternelle paix. ») Moi-même, et Dieu sait si je ne me prends pas une seconde pour Ovide, j’ai le sentiment de n’avoir jamais été aussi peu ahuri par ce chaos, – angoissé, incertain, parfois emporté sublimement par l’intuition touchant de sa grâce mon âme poétique, souvent accablé par le poids terrible de mon devoir d’enquête, – mais ahuri, nullement.
Ainsi, voilà pourquoi ou comment, selon ce qu’on en attend et ce qu’on en comprend, s’ouvre cette “saison de tous les dangers terribles et informes...
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