• Parmi les signatures régulières que nous affectionnons et auxquelles nous prêtons grande attention sur le net, il y a celle du russe Dimitri Orlov. • Il est le créateur d’une forme de pensée que l’on pourrait désigner comme une “science de circonstance”, une “science” suscitée par les circonstances même que nous traversons et que nous décrivons et désignons nous-mêmes comme la Grande Crise de l’Effondrement du Système (GCES) : la “collapsologie”, ou “science de l’effondrement”. • Nous pensons que suivre régulièrement ses écrits est d’un intérêt qui rencontre complètement l’orientation de dedefensa.org : cela peut être fait grâce à nos excellents rapports avec Le Sakerfrancophone, qui reprend systématiquement les textes d’Orlov (en général deux par semaine) et les traduit en français. • Avec l’accord du Sakerfrancophone, que nous remercions bien chaleureusement, nous allons donc reprendre les textes d’Orlov dans cette rubrique propre intitulée “Le monde d’Orlov”. • Son fonctionnement est régi par les mêmes règles que celui d’Ouverture Libre mais cette rubrique a désormais une place structurelle dans dedefensa.org. • Le premier texte, une interview d’Orlov par Le Sakerfrancophone du 15 juin 2016, à l’occasion de la sortie en français du livre d’Orlov (Les cinq stades de l’effondrement aux éditions Le retour aux Sources) sert parfaitement de présentation de cet auteur.

La IIIème Guerre Mondiale enfin terminée !

  mercredi 25 juillet 2018

À l’insu de tous, la troisième guerre mondiale fait rage depuis près de trois décennies, depuis l’effondrement du mur de Berlin. Elle a été précédé par la Guerre froide, qui a pris fin lorsque Mikhaïl Gorbatchev a capitulé face à l’Ouest, provoquant dans la confusion la dissolution du Pacte de Varsovie. En dépit de cette capitulation, l’Occident n’a jamais abandonné son plan de détruire le Pacte de Varsovie avec certaines parties de l’ex-URSS, puis de conquérir et démembrer la Russie elle-même. En l’absence de toute menace militaire à l’Est, l’OTAN, avec son jumeau parasite, l’Union Européenne, s’est implacablement étendue vers l’Est, engloutissant pays après pays. Elle a maintenant conquis l’ensemble du Pacte de Varsovie, plus la Moldavie et les trois minuscules États baltes, et elle se lance maintenant vers d’autres espaces de l’ex-URSS : l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie. La raison pour laquelle presque personne en Occident ne se rend compte que la troisième guerre mondiale a eu lieu est que l’Occident a subi un effondrement mental aussi profond que l’effondrement physique de l’URSS. La Russie s’est remise de son effondrement ; l’Occident ne se remettra probablement jamais du sien.

La prétention de l’Occident de lutter contre la Russie est un pur fantasme. La posture défensive de la Russie est telle qu’aucune stratégie militaire contre elle n’est planifiable. La doctrine militaire russe stipule qu’il n’y aura plus de guerres sur le sol russe : si elle est envahie, elle portera immédiatement la bataille chez l’ennemi en utilisant des armes de précision à longue portée, y compris à portée intercontinentale. Elle stipule également que la Russie répondra à toute menace existentielle par l’utilisation d’armes nucléaires s’il le faut. De ce fait, le Pentagone, avec l’OTAN en remorque, ne peut même plus rêver d’attaquer la Russie. Ce rêve était vivant à un moment donné, quand les États-Unis ont cru possible d’éliminer la capacité de dissuasion nucléaire de la Russie en utilisant une première frappe nucléaire ; mais dans l’entretemps la Russie s’est réarmée avec des armes plus avancées que les États-Unis. Désormais, le rêve est mort.

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L’individualisme comme facteur de risque

  vendredi 20 juillet 2018

Les États-Unis attirent beaucoup de monde. En 2017, un million et demi de personnes ont immigré aux États-Unis, la plupart en provenance d’Inde, de Chine, du Mexique, de Cuba et des Philippines, dans cet ordre. Malgré une infrastructure désuète, un système éducatif défaillant qui se classe au 17e rang mondial, un système médical coûteux et inefficace, un système juridique qui est un labyrinthe impénétrable et de nombreux autres problèmes et insuffisances, les États-Unis sont toujours perçus comme attrayants, pas de manière générale mais pour un but précis : avoir une chance de gagner de l’argent. Dans une large mesure, à ce jour, le reste des pays du monde ont largement entamé leur part de richesse, laissant peu de gras à saisir facilement. Mais aux États-Unis, ces échecs mêmes offrent des occasions aux opportunistes nés à l’étranger.

Il y a actuellement près de 44 millions d’immigrants de première génération aux États-Unis, mais en tenant compte de toute l’immigration depuis le début de la colonisation européenne, 98% de la population est composée d’immigrants et de leurs descendants, et, sauf exceptions spécifiques (les Irlandais fuyant la famine, les juifs fuyant l’Holocauste), ils étaient tous des opportunistes qui sont venus pour tenter de saisir leur chance.

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Refuge de la folie

  mercredi 18 juillet 2018

La réalité peut être dure. « Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas », dit Robert Burns. Plus les plans sont ambitieux, plus les dieux se moquent de nous tant ces plans sont vains. A mesure que notre lutte pour atteindre nos objectifs se durcit notre conviction s’affirme que notre cause est juste, se pétrifiant dans une foi aveugle qui est imperméable aux faits contradictoires. Au lieu de réévaluer nos objectifs et de réexaminer notre stratégie, nous poussons simplement de plus en plus fort dans la même direction, en partant du principe que tant que cette force brute ne donne pas de résultat c’est qu’elle n’est pas assez puissante

Mais cette posture apparemment impénétrable et à l’épreuve des faits est une façade qui cache derrière elle un organisme délicat et vulnérable. Toute parole contraire qui parvient à la transpercer provoque une blessure ; chaque parcelle de vérité devient insupportable. A mesure que le rire des dieux se fait plus fort, nous fermons les yeux, nous nous bouchons les oreilles, et nous hurlons nos slogans sacrés à travers des amplificateurs réglés sur 11, le super-maxi. (*) Mais un moment arrive où la réalité de notre échec ne peut plus être ignorée, et alors il est temps pour une rupture, une rupture psychotique.

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Plongée dans la Russie réelle

  mercredi 11 juillet 2018

Je reste généralement loin des sujets aussi insignifiants que le sport. Divers jeux physiques sont utiles pour élever des enfants en bonne santé, mais le sport professionnel fait partie d’un système de distraction-divertissement organisé. 

J’aime faire la distinction entre le divertissement et le plaisir : c’est amusant si vous le faites vous-même et cela demande une certaine quantité de travail de votre part ; si vous vous asseyez passivement et que vous l’absorbez, c’est un divertissement. Escalader une montagne est amusant ; regarder quelqu’un escalader le mont Everest, à moins que vous ne vous prépariez à le faire vous-même, c’est du divertissement et donc une perte de temps. Je m’amuse beaucoup à observer l’effondrement, encore incomplet, de la civilisation occidentale, et ce n’est pas une perte de mon temps – ou du vôtre – parce que je me prépare à y survivre, comme vous devriez le faire.

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L’animal qui s’auto-illusionne

  lundi 09 juillet 2018

« Je ne suis pas un animal, je suis un être humain ! »est une phrase célèbre du film de David Lynch, The Elephant Man, encensé par la critique, qui raconte l’histoire de Joseph Merrick, un homme gravement déformé atteint du  syndrome de Protée  au XIXesiècle à Londres. Ce film était basé en partie sur une étude de l’anthropologue  Ashley Montagu, L’homme éléphant : Une étude sur la dignité humaine(1971). Cette fameuse citation a ensuite donné naissance au titre de la comédie noire I Am Not An Animal de Peter Baynham, sortie en 2004, sur des animaux qui se sont échappés d’un laboratoire de vivisection et ont tenté de survivre aux côtés des humains dans le grand monde cruel.

Chaque fois que les humains sont réduits à un état animal, c’est la porte ouverte à la tragédie. Chaque fois que les animaux usurpent l’identité des humains, on est bon pour une comédie. Il y a quelques exceptions. Les chevaux pantomimes  ne sont pas particulièrement tragiques. Voir des perroquets et des singes racontant la bonne aventure dans les rues de Moscou est perçu comme tragique par certains défenseurs des droits des animaux. Mais j’ai l’impression que les possibilités comiques sont présentes quand les humains et les animaux se mélangent. Même le film dépeignant les circonstances tragiques de la vie de Joseph Merrick a été coproduit par Mel Brooks, le réalisateur de Blazing Saddles  et d’autres comédies épiques. Son nom a été rayé du générique de peur de confondre le public en lui laissant penser que le film était une comédie.

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Les barbares envahissent le cimetière européen

  jeudi 05 juillet 2018

Partout dans le monde, très peu de personnes sont capables d’apprécier à sa juste valeur la réaction européenne face à la crise des migrants. Du côté des migrants, il y a des démonstrations avides de barbarie, de fanatisme et d’agression ; du côté des Européens, il y a la peur abjecte d’apparaître… intolérants. Dans une situation complètement hors de contrôle où l’on s’attendrait à voir les gens s’organiser, protester, dresser des barrages routiers et voter massivement pour les partis nationalistes, on observe au contraire le spectacle ridicule d’Européens dociles et efféminés habillés en tenues unisexes, saupoudrant leurs marches pour la paix de “Non au terrorisme !”. Beaucoup de gens dans le monde y voient une formidable démonstration de nullité anthropologique. “L’Europe est-elle morte ?”, se demandent-ils à haute voix.

Si vous pensez que cette impression est politiquement incorrecte ou non diplomatique ou marginale plutôt que dominante, ayez tout de même à l’esprit que le ministre russe Serguei Lavrov, un homme d’État russe et un diplomate responsable et chevronné, a déclaré que l’Union européenne se “suicidait” en se laissant envahir par les hordes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

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Trois aveugles et la plus-Grande Dépression

  lundi 02 juillet 2018

Il ne manque pas de pronostiqueurs qui ne se lassent jamais d’annoncer qu’une calamité financière est juste au coin de la rue. Je ne suis pas l’un d’eux. Ce que j’essaie de faire, ce n’est pas de pronostiquer mais d’expliquer. Je prends l’effondrement pour quelque chose de réel – quelque chose que mes lecteurs peuvent observer par eux-mêmes, s’ils veulent regarder – et ce qui m’intéresse, c’est son fonctionnement interne.

Cela dit, lorsque trois personnalités célèbres annoncent simultanément que l’effondrement financier est imminent, je suppose que nous devrions commencer à y prêter attention. Pour moi, cela n’a même pas d’importance de savoir si leurs opinions sont bonnes ou fausses, si elles ont des informations claires ou si ce sont de bonnes ou de mauvaises personnes. C’est tout à fait hors de propos. Ce qui est pertinent est que si suffisamment de personnes à haute visibilité disent que l’effondrement financier est proche, alors, étant donné la portée et la force de leurs paroles, ce ne sont plus de simples opinions mais des actes qui ont effectivement un effet dans le processus de transformation du monde, – des différents mécanismes de la finance internationale, dans ce cas, qui ronronnaient tranquillement et qui soudain songent à se mettre en position d’affronter des événements importants.

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Les marqueurs de l’effondrement de l’empire

  jeudi 28 juin 2018

En réfléchissant à l’effondrement de l’empire américain qui se déroule (jusqu’à présent) graduellement, l’effondrement de l’URSS, qui s’est produit il y a près de trente ans, continue d’être une utile mine d’exemples et d’analogies. Certains événements survenus pendant l’effondrement soviétique peuvent servir de panneaux de signalisation utiles dans le contexte américain, ce qui nous permet de formuler de meilleures hypothèses quant au calendrier des événements qui peuvent soudainement transformer un effondrement graduel en sa version accélérée.

Quand l’effondrement soviétique s’est produit, la réaction universelle a été “Qui aurait pu le savoir ?”. Eh bien, je le savais. Je me souviens distinctement d’une conversation que j’avais eue avec un chirurgien au cours de l’été 1990, juste au moment où j’allais passer sur le billard pour me faire opérer de l’appendicite, en attendant l’anesthésie. Il m’a demandé ce qu’il adviendrait des républiques soviétiques, de l’Arménie en particulier. Je lui ai dit qu’elles seraient indépendantes en moins d’un an. Il avait l’air positivement choqué. Je ne m’étais trompé que de deux mois. J’espère pouvoir prévoir l’effondrement américain avec le même degré de précision.

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Toutes les valeurs sont relatives

  dimanche 24 juin 2018

l est un peu déconcertant de découvrir, après avoir étudié un sujet pendant plusieurs années et  avoir beaucoup écrit dessus, que vous avez manqué une grande partie de la vision d’ensemble, d’une importance vitale. Le sujet était  « Les Communautés qui durent ». Après avoir étudié l’effondrement sous toutes ses formes et phases, j’ai décidé d’examiner quels types particuliers de communautés sont relativement à l’abri de l’effondrement et sont capables de persister pendant des périodes historiquement significatives (une demi-douzaine de siècles environ) en dépit de l’effondrement des empires, des guerres, de la persécution, de la perte de la patrie et autres vicissitudes de la fortune. Après quelques mois passés dans une bibliothèque, j’ai trouvé une courte liste de ces communautés et de leurs caractéristiques, et j’ai été capable de distiller ces caractéristiques dans un ensemble de préceptes que j’ai appelé avec un certain humour  « Les XIII Commandements ».

Tout ce que j’ai écrit semble toujours parfaitement valide, mais le message avait tendance à rebondir sur le cerveau des gens au lieu de s’y coller à cause de ce que je vois maintenant comme un obstacle majeur : je n’ai pas pris soin du fait que ces communautés ne font presque aucun effort pour s’intégrer dans les systèmes de valeurs de mes lecteurs. En fait, elles ont vécu leur vie comme si mes lecteurs, avec leurs valeurs chéries, qu’ils considèrent souvent comme universelles, ne comptaient pas du tout. Dans la société de consommation mondiale très développée, c’est un affront majeur pour les individus qui, une fois leurs besoins physiques satisfaits, ont pour ambition de s’amuser et de jouir mais veulent aussi se sentir bien informés, bien intentionnés et, en un mot, supérieurs.

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Peu importe le président...

  jeudi 21 juin 2018

Permettez-moi de le répéter : « Peu importe qui est président des États-Unis »Je sais que je l’ai déjà dit (ici, par exemple), mais je pense que cela vaut la peine d’être répété. C’est un message simple, mais je ne pense pas qu’il prenne si bien. Bien que personne ne semble vouloir dire que ce message est faux, beaucoup de gens semblent déterminés à l’ignorer. Certains d’entre eux semblent prendre en compte ce que j’ai à dire mais continuent à parler comme si cela importait de savoir qui est président. Ce n’est pas le cas.

Il est possible de faire remarquer que peu importe qui est président en restant général : comment le système politique est-il câblé pour ignorer tous les intrants qui se situent en dehors d’un éventail étroit d’intérêts d’une élite égoïste ; comment le niveau du discours politique aux États-Unis est beaucoup trop bas pour une discussion constructive sur toute question sérieuse ; comment la division partisane générée artificiellement est spécifiquement conçue pour empêcher les gens de trouver une cause commune tout en cachant habilement le fait que les États-Unis ne sont pas une démocratie du tout (comme expliqué ici). Beaucoup de gens sont allés très loin dans les détails, plus que nécessaire pour expliquer tout cela, et pourtant si vous demandez à “l’homme de la rue” si cela compte de savoir qui est président, il est très probable qu’il répondra par l’affirmative.

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Garder la cadence avec Poutine

  samedi 16 juin 2018

Hier, j’ai passé quatre heures à regarder la télévision. Ce n’est pas quelque chose que je fais normalement parce que je trouve l’ensemble du médium télévisuel fastidieux, ennuyeux. C’est globalement une perte de temps. Pour moi, tous les programmes de télévision sont néfaste, parce que je n’aime pas être programmé. En fait, je ne possède même pas de télévision. Quand j’ai besoin de regarder quelque chose, je le fais sur l’écran de mon ordinateur portable. Mais il s’agissait d’une occasion spéciale.

Ce que j’ai regardé, c’est le marathon type-“Questions-Réponses” de près de quatre heures de Poutine. Des gens de toute la Russie ont soumis des questions – plus de 2,3 millions d’entre eux – en appelant, en écrivant, en envoyant des textos, en enregistrant des vidéos, en donnant des interviews à des équipes de télévision. Une très grande équipe a ensuite organisé les questions en thèmes généraux et préparé les présentations les plus représentatives et les mieux exprimées. Un bon nombre de questions a été posé en direct, à l’écran.

La principale raison pour laquelle j’ai regardé le tout était que j’avais posé une question à Poutine, et je voulais voir s’il allait y répondre. Il l’a fait.

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Mort et résurrection d’un blogueur

  jeudi 14 juin 2018

Normalement, nous sommes heureux quand les choses se passent bien et tristes quand les choses tournent mal. L’effondrement semble changer cela. Dans un scénario d’effondrement, les choses doivent tourner mal et tournent mal. L’idée que quelque chose irait bien est reléguée au royaume des vœux pieux, et l’attention se porte plutôt sur les choses qui tournent mal de manière particulièrement profonde, amusante ou envoûtante. L’effondrement fait que les limites de l’action constructive se réduisent à un cercle minuscule entouré d’une vaste étendue de conséquences imprévues. Les notions de victoire et de défaite sont redéfinies jusqu’à l’inverse : nous nous sentons victorieux lorsque les responsables directs de l’effondrement font quelque chose de spectaculaire qui accélère le processus sans que nous fassions rien ; à l’inverse, nous nous sentons vaincus lorsque le processus d’effondrement ralentit et que le monde s’installe dans un modèle d’échec interminable et durable.

L’État ukrainien contemporain (ou ce qu’il en reste) nous fournit de nombreuses informations sur le processus d’effondrement. C’est un laboratoire in vivo et en temps réel du processus de l’effondrement. Chaque niveau des manifestations nécessaires de l’effondrement y est représenté, offrant un terrain fécond pour une analyse personnelle du phénomène  général de l’effondrement. Cela fonctionne de bas en haut :

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Embrassez vous par millions !

  mercredi 06 juin 2018

Une fois, je suis allé me promener avec un ami et sa compagne, que je n’avais jamais rencontrée auparavant. Elle était très  passionnée et, après un moment, notre conversation entre elle et moi est devenue très vive. Nous parlions en anglais, et mon ami dont l’anglais est sommaire s’est senti exclu. Après quelques efforts infructueux pour entrer dans le cours de la conversation, il lui est venu l’idée, comme ça, au milieu de la rue, de baisser son pantalon et de se lamenter. Cela a provoqué chez sa petite amie et chez moi un embarras immédiat … et elle et moi nous avons continué à marcher. Après quelques instants gênants, mon ami a conclu que cette tactique ne fonctionnait pas, il s’est arrêté de gémir, a remis son pantalon, nous a rattrapé, et tout s’est arrangé.

L’Ode à la Joie de Friedrich Schiller, popularisé par son utilisation dans la Neuvième Symphonie de Ludvig van Beethoven, contient la phrase « Seid umschlungen, Millionen ! ». Classiquement, elle est traduite en français par « Vous millions, je vous embrasse ». Mais je ne suis pas satisfait par cette interprétation ; il n’y a pas de « je »(« ich ») dans la version allemande et la phrase d’origine est sous une forme passive :« être embrassé », pas « j’embrasse ». Être embrassé par qui, alors ? Par Schiller ? Eh bien, théoriquement, oui ; à environ une minute par étreinte et en travaillant une semaine de travail classique de 40 heures, il faudrait une dizaine d’années à Schiller pour franchir le premier million d’embrassades. Mais il semble très douteux que c’est ce que suggérait le vieux Friedrich. Il me semble tout à fait évident que ce qu’il voulait dire était « Embrassez-vous les uns les autres, par millions ! »

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Pourquoi la Russie ne réplique-t-elle pas ?

  samedi 02 juin 2018

Beaucoup de commentateurs ont remarqué un fait curieux : lors du défilé du 9 mai sur la Place Rouge à Moscou, Poutine est apparu en présence du Premier ministre israélien Netanyahou. À cette même époque, l’armée de l’air israélienne tirait des missiles sur des cibles syriennes et iraniennes en Syrie (Une grande partie des défenses aériennes syriennes ont été détruites [avec quelques réserves, NdT]) et les Syriens ont tiré sur des positions israéliennes sur les hauteurs du Golan (territoire syrien occupé, aussi cela n’a donc pas compté comme une attaque contre Israël à proprement dit). Pourquoi la Russie n’a-t-elle pas pris la défense de son allié syrien ? De plus, on parlait de vendre le très puissant système de défense antiaérien S-300 de la Russie à la Syrie, mais cette offre a été retirée par la suite. Est-ce vraiment là le comportement d’un allié ?

Ou prenons un autre exemple : les relations entre la Russie et l’Ukraine sont dans une spirale descendante depuis le putsch de Kiev en 2014 qui a renversé le gouvernement constitutionnel. La région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, est le théâtre d’un affrontement militaire, et elle est en proie à des provocations ukrainiennes contre la Russie et des sanctions économiques et politiques de la part des États-Unis et de l’UE en réponse à l’annexion de la Crimée et au conflit instable dans le Donbass qui a fait près de dix mille morts. Et pourtant, le principal partenaire commercial de l’Ukraine reste… la Russie. Non seulement la Russie continue-t-elle à commercer avec l’Ukraine, mais elle a également absorbé un exode de réfugiés économiques qui se compte en millions de personnes, du fait d’une économie ukrainienne aux abois. La Russie a réinstallé ces réfugiés, leur a permis de trouver du travail et leur permet d’envoyer de l’argent à leurs proches en Ukraine. En outre, la Russie a refusé de reconnaître politiquement les deux républiques séparatistes de l’Est de l’Ukraine. La seule réponse réelle de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine a été le rattachement de la Crimée. Mais cela se justifiait historiquement et politiquement : la Crimée faisait partie de la Russie depuis 1783, et le transfert de la Crimée à la République socialiste soviétique d’Ukraine, sous Nikita Khrouchtchev en 1954, violait la Constitution de l’URSS qui était en vigueur en ce temps.

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L’effondrement culturel est déjà là

  jeudi 31 mai 2018

Il y a douze ans, en 2006, j’ai été invité à prendre la parole lors d’une conférence sur l’énergie à Manhattan, à Cooper Union. C’était la première fois que je parlais de ce sujet. La transcription complète et les diapositives sont toujours disponibles ici. Ma thèse était (et reste à ce jour) que l’URSS était beaucoup mieux préparée pour survivre à un effondrement que les États-Unis ne le sont ou ne le seront jamais.

Si vous n’êtes pas familier avec cette approche, vous devriez peut-être d’abord y jeter un coup d’œil. Ici, je vais la résumer très brièvement. Après avoir exploré toutes les nombreuses symétries entre l’URSS et les États-Unis, j’ai montré comment l’URSS était par inadvertance bien mieux préparée à l’effondrement à cause de la façon dont la vie quotidienne y était structurée. Le logement était fourni par le gouvernement, et le chômage de masse n’a pas entraîné d’itinérance. Le transport était public et bon marché. L’emploi était également lié au secteur public, peu adossé à la recherche du profit et non sujet à la faillite instantanée. Les familles étaient soudées par nécessité et les membres de la famille étaient prêts à s’entraider pendant les moments difficiles. L’argent avait une valeur symbolique et être fauché menaçait rarement votre vie. La nourriture provenait des stocks gouvernementaux et des potagers plutôt que du supermarché. La médecine et l’éducation étaient publiques et libres. L’énergie ne provenait pas des importations.

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Aller vivre en Russie ?

  mercredi 30 mai 2018

Beaucoup de gens, en particulier aux États-Unis, parlent constamment de quitter le pays pour un endroit plus prometteur maintenant que le rêve américain est devenu un véritable cauchemar. Et bien que la Russie ne figure pas en bonne place sur la liste des pays où aller, peut-être le devrait-elle. La Russie est presque unique en ce sens qu’elle n’est pas surpeuplée et possède toutes les ressources naturelles, y compris énergétiques, pour de nombreuses générations à venir. Elle est également politiquement stable, remarquablement bien défendue, et malgré une forte désinformation sur la gravité de l’état de son économie (ce qui s’avère être un vœu pieux de la part de ceux qui veulent que la Russie échoue), elle se développe plutôt bien.

Le problème pour aller vivre en Russie, c’est qu’il y a seulement deux façons de le faire légalement, et elles sont toutes les deux plutôt compliquées et demandent une grande implication, avec beaucoup d’obstacles bureaucratiques à franchir. Je ne suis pas un expert juridique et je fournis cette information telle quelle, sans garantie. N’essayez pas de le faire avant de consulter quelqu’un qui est compétent en la matière.

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La révolution de couleur n'est plus ce qu'elle était

  samedi 24 mars 2018

Notre concept de réussite change avec l’âge. Quand nous sommes jeunes mais pas tout à fait mûrs, nous sommes capables de nous engager dans toutes sortes d’exploits ridicules. Plus tard, quand nous ne sommes plus jeunes du tout, un passage réussi aux toilettes se révèle une cause de célébration. La même chose vaut pour les empires vieillissants. Quand ils sont jeunes, ils détruisent les grands pays importants, mais aident ensuite à les reconstruire. Plus tard, ils se bornent à les détruire. Plus tard encore, ils tentent de détruire des petits pays faibles mais échouent même à faire cela. Finalement, de tels échecs deviennent trop petits pour être même remarqués. Avez-vous remarqué ce qui vient de se passer en Arménie ? Vraiment ?

Au cas où vous ne le sauriez pas, les Arméniens sont l’une des nations les plus anciennes de la Terre. Le pays d’Arménie a commencé comme le royaume d’Urartu autour de 9000 AVANT JÉSUS-CHRIST, et persiste à ce jour, bien que la plupart des Arméniens forment maintenant une nation diasporique, comme les juifs. Jusqu’aux années 1990, l’Arménie faisait partie de l’URSS et a grandement bénéficié de cette inclusion, mais après la dissolution de l’URSS, elle est entrée dans un état de langueur. La quasi-totalité de l’industrie que les Soviétiques avaient construite en Arménie a cessé ses activités et les spécialistes qui y travaillaient se sont dirigés vers des cieux plus cléments et plus pollués. L’Arménie s’est désindustrialisée et elle est devenue en grande partie agraire, avec une économie axée sur des produits tels que les abricots, le vin et l’eau-de-vie, ainsi qu’un peu de tourisme.

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Pourquoi les USA ont quitté le JCPOA : une explication

  vendredi 18 mai 2018

Voici une perspective autour de la décision de Trump de se retirer de l’accord JCPOA, c’est-à-dire l’accord sur le nucléaire iranien, à laquelle on n’a bien trop peu accordé d’attention. Tout n’est qu’une question d’argent. Après la révolution iranienne de 1978-1979, Jimmy Carter avait gelé les actifs de l’Iran aux États-Unis. Depuis lors, les États-Unis conservent entre 100 et 120 milliards de dollars d’actifs iraniens, qui ont généré des loyers et des intérêts. Après la signature de l’accord JCPOA, qui stipulait la levée des sanctions contre l’Iran, Washington a fait de son mieux pour se débarrasser de ces actifs, mais ils auraient dû être rendus aux Iraniens tôt ou tard… à moins que les États-Unis ne se retirent de cet accord, ce qui vient d’être fait.

Il est très important de noter que ces actifs iraniens gelés sont libellés en dollars américains. Et quelle serait la première chose que les Iraniens feraient en reprenant le contrôle du magot ? Mais c’est bien sûr, ils le convertiraient hors de la devise américaine. C’est une exigence inscrite dans la loi iranienne : aucun dollar américain n’est autorisé à être détenu, et personne en Iran n’a le pouvoir de changer cela même s’il le voulait. Selon les Iraniens, les responsables américains ont plaidé auprès d’eux pour qu’ils ne liquident pas leurs avoirs libellés en dollars, mais les Iraniens leur ont dit que personne n’avait l’autorité pour changer cette loi.

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Le monde peut finir le plus stupidement du monde

  vendredi 11 mai 2018

Nous, les humains, aimons croire que les choses arrivent pour une “bonne raison” et nous détestons penser que quelque chose de très important, comme la fin du monde, pourrait arriver sans aucune raison. Et ce que nous devrions le plus détester, c’est l’idée que le monde pourrait prendre fin pour une raison vraiment stupide, tellement stupide qu’on en pleurerait. Pourtant c’est exactement ce qui pourrait se passer. C’est une longue histoire, alors commençons.

Il était une fois une tribu nomade appelée les Hébreux qui était très avancée pour son temps. Ils ont mis au point une première version de l’alphabet, la plupart du temps à partir de l’alphabet phénicien, et ils l’ont utilisé pour écrire toutes sortes de choses qu’ils avaient entendues, racontées par d’autres tribus ou venant de leur propre histoire. Les mythes, les chroniques, la poésie, les déclamations hallucinatoires, des bouts de législation et des diatribes politiques ont tous été rassemblés en un seul recueil trompeusement appelé “Le Livre”. En tant qu’œuvre littéraire, elle est assez inégale et généralement assez ennuyeuse, bien que certaines parties en valent vraiment la peine.

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Une Corée unie et 50 États-Désunis

  jeudi 09 août 2018

Ce qui suit est l’introduction à l’édition coréenne de mon livre, Reinventing Collapse. Alors que les Corées du Nord et du Sud parviennent finalement à entrevoir la paix et qu’il est question de réunification, le moment est bien choisi pour revisiter ma thèse selon laquelle l’effondrement des superpuissances déclenche à la fois des réunifications et des quêtes d’indépendance. Cette idée semble tenir le coup.

Au cours de la guerre froide, les deux superpuissances – les États-Unis et l’URSS – ont dressé un inventaire des conflits non résolus, qu’ils ont, par accord tacite, gelés pendant toute la durée de leur existence commune. Dans certains cas, des entités ethniquement homogènes ont été divisées selon des frontières politiques artificielles, tandis que dans d’autres cas, des groupes ethniques disparates ont été maintenus ensemble par la force au sein d’une seule frontière politique artificielle. Une fois l’URSS effondrée, les entités multiethniques – la Géorgie, la Moldavie et la Tchécoslovaquie – ont fait de leur mieux pour se séparer, tandis que les entités divisées ont fait de leur mieux pour tenter de se réunifier. Alors que certains de ces conflits gelés – notamment l’Allemagne – nécessitaient que les deux superpuissances encore actives dans leurs états initiaux ou en cours de transformation intervinssent pour donner leur accord pour leur dénouement, un cas particulier – la Corée – est resté hors de cette dynamique même après l’effondrement de l’URSS, le Nord installant son propre processus d’autonomie.

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