Notes sur le chaos-Trumpiste

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Notes sur le chaos-Trumpiste

3 avril 2018 – Il s’agit de la dernière nouvelle de ce que nous nommons volontiers, pour ces Notes d’analyse, le “chaos-Trumpiste” (majuscule respectueuse), disons comme une sorte de version updated de notre “chaos-nouveau” (“chaos-nouveau.2.0” ?) ... La “nouvelle” est celle de la proposition, encore informelle mais déjà assez précise, de ce qu’on nomme également un “sommet“, comme aux temps bénis de la Guerre Froide historique, première du nom.

« Le président américain Donald Trump a suggéré de rencontrer le dirigeant russe Vladimir Poutine à Washington, DC. Trump a fait cette offre lors d'un appel téléphonique entre les deux dirigeants, a confirmé l'assistant du président russe Youri Ouchakov. “Quand les présidents se sont parlés au téléphone, Trump a suggéré de tenir une réunion à Washington DC”, a déclaré M. Ouchakov aux journalistes lundi. Il a ajouté que c'était le chef des États-Unis qui avait proposé l'idée de la réunion.

» Cependant, aucune préparation pour une éventuelle réunion n'a été discutée depuis l'appel téléphonique du 20 mars, a indiqué l'assistant de Poutine. Les Etats-Unis et la Russie sont également en désaccord sur l'empoisonnement de l'ex-agent double Sergei Skripal au Royaume-Uni, qui a déclenché des expulsions de diplomates... »

On verra plus tard, ces jours prochains, ce qu’en dit la ménagerie des faucons de “D.C.-la-folle”, déjà abasourdie par les plus récents propos de Trump sur la Syrie (voir plus loin, un long développement) et qui ne s’est pas encore significativement épanchée à propos de cette perspective, ou de ce simulacre de perspective qui sait, du “sommet” Trump-Poutine. Ce remarquable président des USA, qu’on décrira plutôt qu’en un classement qualitatif comme “un président vraiment à nul autre pareil”, semble avoir défini sa présidence (déjà quatorze mois) comme une suite ininterrompus de “coups” d’une communication du type cavalerie légère (les “tweets”), les contrepieds, les interprétations diamétralement changeante, l’absence complète de stratégie, la dilution du mensonge dans une dialectique ébouriffante du “yin et yang” version-TrumpTower...

Le désordre et le chaos sont la substance même de cette présidence, la relativité extrême et la contradiction élevées au rang des beaux-arts, le soubresaut permanent et l’instabilité sans cesse renouvelée, l’inexpérience et le dédain complet pour l’expertise et ainsi de suite ; et cela marche si bien dans le sens de la déconstruction (vertueuse pour notre compte puisque déconstruction du Système-déconstructeur) qu’il n’y a aucune raison que Trump ne poursuive pas en accélérant encore jusqu’en 2020, d’ailleurs avec une popularité dépassant aujourd’hui celle de saint-Obama à la même époque de sa présidence ; et qu’on ne s’y trompe pas enfin, popularité à notre sens non pour un homme mais pour un rythme et pour un fracas, – le chaos-Trumpiste, enfin !

Quelques évènements, – il n’en manque pas dans cette époque animée d’un tempo décidément ultra-rapide, comme hors du temps courant, – vont nous permettre d’à la fois exposer et décrire ce chaos-Trumpiste, et nous faire mieux comprendre comment nous n’y comprenons rien selon les données habituelles de la raison.

Bolton, détonateur de l’apocalypse ?

Attardons-nous d’abord à la nomination de John Bolton. L’intertitre ci-dessus doit apparaître volontairement ambiguë, comme on le comprendra plus loin, et c’est évidemment volontaire. L’on parle ici de John Bolton, qui vient d’être nommé National Security Advisor (NSA) du POTUS Trump, et directeur du National Security Council (NSC) qui est le mini-gouvernement de sécurité nationale personnel du président, coordonnant ses consignes de grande politique vers les ministères et les agences et veillant à leur application. Nous avons parlé à deux reprises de Bolton depuis sa nomination (les 23 mars et 26 mars), et avons pu constater depuis que cette nomination avait entraîné énormément de commentaires touchant cette fois, — une fois n’est pas coutume avec Trump, – la question de la politique de sécurité nationale et nullement la politique politicienne.

« La nouvelle de la nomination de Bolton comme Conseiller pour la Sécurité Nationale a fait l’effet de l’explosion d’une bombe à neutrons dans le petit monde des experts et des commentateurs de politique étrangère. Si je me retourne sur les vingt dernières années, – hé, je dirais même les soixante dernières années, – j’ai la plus grande difficulté à me remémorer quelque nomination d’un officiel de la sécurité nationale que ce soit qui ait causé une angoisse si pressante avant même que cet officiel ait commencé à exercer ses fonctions. » (Derek Chollet, Defense One23 mars 2018.)

On observera aussitôt que cette réaction d’angoisse n’était nullement de notre fait dans nos deux textes cités, bien au contraire ; pourtant nous la considérons, non pas comme infondée et farfelue mais bien au contraire comme un fait majeur, disons un autre fait majeur à côté de la nomination de Bolton. (Bel exemple de la “méthodologie schizophrénique” dont nous parlions le 27 mars.) Dans un certain sens, nous dirions qu’il y a bien deux évènements distincts, – la nomination de Bolton, et les réactions à la nomination de Bolton, – et que le second, non seulement n’est pas le moins important, mais peut-être le plus important des deux parce que le plus clairement exprimé.

L’ancien avocat-conseil pour les affaires étiques à la Maison-Blanche du temps de l’administration GW Bush, Richard Painter, avait décrit furieusement les conséquences du remplacement du général H.S. McMaster par John Bolton... « John Bolton fut de loin l’homme le plus dangereux que nous ayons eu durant les huit ans de l’administration GW Bush, avait-il tweeté avant la nomination de Bolton. Le nommer conseiller du président pour les affaires de sécurité nationale est une invitation à la guerre, peut-être même à la guerre nucléaire. [...] Cela doit être empêché à tout prix. »

Ainsi Trump, à travers la nomination de John Bolton, est-il indirectement mais puissamment dénoncé comme un fauteur de guerre, un envahisseur, un de cette sorte que même la plupart des anciens de l’équipe de GW Bush dénonçerait pour sa folie belliciste. C’est peut-être l’hôpital se fichant de la charité mais c’est tout de même un fait bien révélateur du comportement du président Trump, dénoncé comme belliciste furieux au travers de la nomination de Bolton par une certaine unanimité rarement atteinte sur ce sujet et dans ce sens, ces derniers temps à “D.C.-la-folle”.

Vent arrière hors de Syrie

Et puis, changement complet de registre, – la Syrie maintenant !... Au début, qui n’aurait pensé comme les gens du renseignement, de la CIA à la DIA, vous disant qu’il s’agit de l’équivalent d’“un tweet d’humeur”, nouvelle catégorie mise au point par le président Trump, cette fois glissé au détour d’un discours. Il s’agit de la très courte exclamation qui a fait sensation la semaine dernière lors de son discours de Richfield, dans l’Ohio, à propos des forces US qui devraient quitter la Syrie, “probablement très bientôt”. Depuis, d’autres sources que la seule auguste bouche souvent gaffeuse du président sont venus confirmer que, derrière cette humeur, il y avait une pensée arrêtée : c’est bien l’idée du président Trump que les forces US doivent quitter la Syrie. Est-ce l’effet des premiers conseils de John Bolton, l’homme qui prône un interventionnisme dans tous les sens et notamment la chute du régime Assad ? 

Le 2 avril 2018, Patrick Marin, du site WSWS.org, traitait de ce problème sous un titre qui, en se composant de deux éléments, annonçait les deux parties du texte, – les évènements de Syrie d’une part, l’annonce de la décision de Trump et les réactions à D.C.-la-folle” d’autre part : « La débacle syrienne aggrave la crise au sein de l’administration Trump. »

« La dernière enclave significative détenue par des groupes soutenus par les Etats-Unis près de la capitale syrienne Damas s'est effondrée dimanche [1eravril] avec l'accord de deux groupes d'évacuer et d'un autre de se soumettre à la police militaire russe agissant au nom du président Bachar al-Assad. La chute de la Ghouta orientale, avec une population estimée à 400 000 personnes, est la plus grande débâcle subie par les groupes islamistes soutenus par les Etats-Unis depuis que le régime d'Assad a repris la plus grande ville du pays, Alep, en décembre 2016.

» Le plus grand groupe rebelle de la Ghouta orientale, Jaish al-Islam, qui contrôlait Douma, le plus grand centre de population de la région, a conclu un accord dimanche sur l'évacuation de l'enclave, selon le gouvernement syrien. D'autres rapports ont indiqué que Jaish al-Islam demandait toujours que la police militaire russe soit présente comme une force-tampon entre ses propres combattants et les troupes de l'armée syrienne.

» Jaish al-Islam a accepté samedi d'évacuer ses blessés à Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, la dernière province du pays sous le contrôle des forces islamistes opposées à Assad. Le groupe était en négociations avec le gouvernement Assad à travers des médiateurs russes. Deux groupes rebelles plus petits ont conclu un accord d'évacuation complet avec les intermédiaires russes, demandant l'évacuation de 19 000 personnes à Idlib, y compris des combattants des groupes Faylaq al-Rahman et Ahrar al-Sham, de leurs familles et des résidents souhaitant les rejoindre.

» Douma et la région environnante de la Ghouta orientale, comprenant la banlieue est de Damas et une zone rurale adjacente servant de source de nourriture, avaient été sous le contrôle des forces rebelles depuis 2013, mais largement coupées des autres groupes combattant le régime d'Assad. L'armée syrienne a renforcé son siège de l'enclave en février, accompagnée de bombardements intensifs par les avions de guerre russes ; puis en mars, des incursions ont systématiquement franchi les lignes rebelles et séparé les insurgés dans des poches isolées qui ont été submergées ou affamées.

» La plus grande percée a eu lieu vendredi et samedi, après que la résistance rebelle, excepté à Douma elle-même, se fût effondrée. Les parties sud et ouest de la région de la Ghouta ont été évacuées par les forces rebelles samedi après-midi. Cette défaite totale des rebelles soutenus par les États-Unis et la consolidation du contrôle du régime d'Assad sur la dernière zone à partir de laquelle des attaques pourraient être montées sur la capitale illustrent la débâcle évidente de la politique américaine en Syrie... »

Trahison de Trump 

On pourrait penser que Trump emploie une tactique de communication typique des USA datant du temps où ils étaient réalistes, lorsqu’il annonce à Richfield, dans l’Ohio, “les forces US devraient quitter la Syrie, ‘probablement très bientôt’”. Il dit cela dans la partie de son discours consacrée à la description de la victoire de ces mêmes forces (US) puisque les terroristes (Daesh & Cie) sont vaincus ; mais, comme chacun s’obstine à ne pas montrer qu’il le sait fort bien, puisque les troupes US sont en fait du côté de Daesh & Cie elles ont donc perdu ; par conséquent, oui, Trump emploie bien la vieille tactique de communication US éprouvée lors des expéditions lointaines et devenues trop aventureuses : “Déclarer la victoire à l’issue de la défaite et rentrer chez soi”.

Nous ne sommes nullement assurés que Trump réfléchisse à ce point. Simplement, il doit lui venir à l’esprit, à certains moments, des questions telles que : “Mais qu’est-ce que nous foutons là-bas, à nous embourber chez ces barbares ?”, ou bien prend-il simplement bon conseil chez son ami Vladimir en se rappelant ses promesses de la campagne électorales de liquider tous ces conflits si coûteux et si peu glorieux... Quoi qu’il en soit, la réaction a été d’une fureur extrême : autant Trump est complètement fou d’embrigader un faucon maboul comme Boltonqui va nous engager dans l’un conflit ou l’autre, autant Trump est complètement fou de vouloir faire sortir du guêpier syrienles 2 000 valeureux G.I.’s spéciaux (des forces spéciale) qui s’y trouvent en tout incognito... Il y en a même eu un du WaPo pour nous expliquer, – cela doit faire la centième ou la dix-millième fois que l’argument est consommé, – que les troupes US sont là-bas pour le pétrole.

En attendant, les USA qui prétendaient il y a six mois ne jamais mettre un seul “boot on the ground” en Syrie et se contenter d’y larguer des bombes à partir de 5 000 mètres d’altitude, débattent aujourd’hui en toutes fureurs ouvertes à propos, et plutôt unanimement contre l’intention du président d’évacuer de Syrie les quatre mille “boots on the ground” qui s’y trouvent effectivement, – un peu moins éventuellement s’il y a l’une ou l’autre unité spéciales d’unijambistes. Marin, de WSWS.org poursuit donc :

«... Jeudi [29 mars], le président Trump a déclaré lors d’un rassemblement de style campagne électorale à Richfield, Ohio, que les forces américaines “devraient quitter la Syrie, probablement très bientôt. Laissons désormais les autres s’occuper de cette affaire”. Bien que la remarque se place dans le contexte d’un discours où Trump vante les succès des forces militaires américaines contre Daesh dans l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak, sa suggestion que les 2 000 soldats américains actuellement en Syrie pourraient bientôt être retirés contredit la politique officielle de sa propre administration.

» Par le biais d’un discours prononcé par le secrétaire d'Etat Rex Tillerson il y a à peine deux mois, l’administration Trump semblait avoir affirmé publiquement son intention de rester en Syrie plus ou moins indéfiniment, non seulement pour assurer la destruction définitive de Daesh mais aussi pour atteindre l’objectif impérialiste de longue date de la destruction du régime Assad, qui est allié à l’Iran et la Russie, et son remplacement par une marionnette américaine. La déclaration de Tillerson suivait de près la publication d'un nouveau document de stratégie militaire américaine qui déclarait que le Pentagone faisait désormais sa priorité absolue, non de la lutte contre les soi-disant groupes terroristes, mais de la possibilité de conflits au plus haut niveau pouvant déboucher sur le nucléaire avec d’autres grandes puissances concurrentes [dites “révisionnistes”], essentiellement la Russie et la Chine.

» Trump a limogé Tillerson le 13 mars et le conseiller à la sécurité nationale HR McMaster le 22 mars, mais il les a remplacés par des personnalités encore plus belliqueuses, respectivement Mike Pompeo, le directeur de la CIA, et à la place de McMaster John Bolton, cet ancien ambassadeur à l'ONU de l’administration Bush et l’un des principaux architectes de la guerre en Irak.

» Assez logiquement dans de telles conditions, l’annonce soudaine de Trump que les forces américaines se retireraient de Syrie “sans doute très bientôt. Laissons désormais les autres s’en occuper”, a provoqué la consternation au Pentagone, au Département d'État, au Conseil national de sécurité et dans pages éditoriales des habituels faucons de la presseSystème, notamment le Washington Post.

» Alors que la réponse initiale des agences de renseignement militaire était de minimiser le commentaire de Trump comme s'il s'agissait d'un “tweet d’humeur”, la remarque a été suivie par des rapports révélant que la Maison Blanche avait bloqué le crédit de $200 millions pour le financement de “projets de stabilisation” en Syrie. Tillerson avait annoncé les nouvelles dépenses pour la réparation des routes, de l'eau et des égouts dans les zones de l'est de la Syrie reprises à Daesh lors d'une visite dans la région en février. De plus, Associated Press a rapporté vendredi [30 mars] que le commentaire de Trump sur la sortie de Syrie “n'était pas accidentel”, mais reflétait les sentiments qu’il avait exprimés lors de réunions internes avec les principaux assistants pendant plus d'un mois.

» Les médias de la presseSystème ont réagi par un tir de barrage de commentaires dénonçant la déclaration de Trump comme une capitulation devant Assad et le président russe Vladimir Poutine, le principal soutien international d’Assad, et devant Téhéran.

» Le Washington Post en particulier a publié plusieurs articles et éditoriaux pressants pour exiger un engagement américain à long terme et une intervention militaire en Syrie. Un éditorial du dimanche de Pâques cherchait à ridiculiser le commentaire de Trump comme étant “la marque de la différence entre les politiques menées par l'administration du président Trump et ce que le président dit quand il n’a pas à sa portée un téléprompteur...”

» Soulignant le conflit qui éclate en plein jour entre la remarque de Trump et les déclarations du secrétaire à la Défense James Mattis et d'autres hauts responsables, l’éditorial avertit que “les paroles du président encourageront sûrement les espoirs russes et iraniens de chasser les Etats-Unis du pays, afin qu'ils puissent renforcer leurs bases militaires et leur influence politique. Cela constituerait une menace majeure pour Israël et nuirait gravement à la réputation des États-Unis dans tout le Moyen-Orient.”

» Encore plus furieux, un article d’opinion de Josh Rogin, membre du comité de rédaction du journal, a paru sous le titre remarquable de “En Syrie, nous avons pris le pétrole. Maintenant, Trump veut le donner à l'Iran.” Rogin citait le propre commentaire de Trump sur le vrai motif de la guerre américaine en Irak, tout en mettant en évidence le contrôle américain des provinces orientales riches en pétrole de la Syrie comme un point clé de levier contre Assad, Poutine et l'Iran. Tout en critiquant le commentaire de Trump lors du rassemblement en Ohio, Rogin a soutenu que cela contredit l’engagement du même Trump de détruire l'accord nucléaire avec l’Iran et d’affronter l’Iran dans toute la région, – parce qu’une telle politique “doit commencer en Syrie”.

» Au Congrès, les défenseurs d’un conflit total avec l’Iran ont rapidement critiqué l’intention de retrait. Le sénateur Lindsey Graham, de la Caroline du Sud, fameux faucon de guerre républicain, a déclaré dans une interview accordée à Fox News dimanche que “ce serait la pire décision que le président pourrait prendre”. “Si nous retirons nos troupes aussi vite, Daesh reviendra, la guerre entre ... la Turquie et les Kurdes deviendra incontrôlable, et nous offrirons Damas aux Iraniens”. »

... Ainsi en est-il de la situation syrienne, désormais confrontée à une lutte interne dans l'administration Trump, avec un président qui paraît-il en tient désormais pour un retrait total. Ce qu'on comprend au moins, sinon la politique elle-même, c'est la façon dont le chaos-Trumpiste agit, inlassablement, sans signeapparent de fatigue.

Poutine dans la Baltique : « Écoutez-nous, maintenant ! »

Comme l’on sait, ce même chaos-Trumpiste n’a pas de limite ni de frontières. Objectivement, l’on est obligé d’admettre que s’il n’y avait pas eu de Trump, il n’y aurait pas eu de Russiagate avec tous les montages qui l’accompagnent, et la phénoménale hystérie antirussiste qui ne désarme pas depuis trois ans n’aurait pas pris l’allure extrême qu’on lui voit lorsqu’on fait un tour dans le zoo psychiatrique qu’est devenue la caste dirigeante des pays du bloc-BAO. Par conséquent, les Russes n’auraient peut-être pas été poussés à ce degré d’exaspération où on les voit aujourd’hui,et Poutine n’aurait peut-être pas été conduit à prendre la mesure notablement audacieuse que sa prudence lui a finalement concédé, en lançant ces manœuvres navales particulièrement démonstratives au large des côtes suédoises et lettones...

Les commentateurs des pays du bloc-BAO et les diverses autorités en restent bouche bée, alors que le croiseur lance-missile russe Maréchal Oustinov, affecté à la 43e division des missiles de la flotte russe du Nord, est en cours de déploiement en Baltique pour un exercice de tir de missiles dans les eaux internationales près de la Suède et de la Lettonie du 6 au 8 avril. Le ci-devant Tyler Durden, de ZeroHedge.com, commente sarcastiquement : « Les élites et les médias occidentaux qui ont conditionné le peuple américain avec leur propagande anti-russe 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pourraient bien finir par voir réalisé leur souhait d’une Guerre Froide 2.0, alors que Moscou se juge obligé de renforcer une dissuasion de plus en plus puissante qui pousserait la région vers un point de non-retour. »

En effet, ces quelques échos montrent que personne, absolument personne n’en revient de voir les Russes prendre la mouche et lancer des manœuvres qui prennent d’une façon affirmée l’allure d’une pression, sinon d’une provocation sur les côtes des pays concernés ; lesquels, somme toute, voient ainsi leurs vœux exaucés tels qu’on les entend dans les cénacles de l’UE et de l’OTAN, – la Russie pourrait bien finir par être la puissance qui les menace, qu’ils dénoncent sans désemparer depuis quelques années.

Ce que les Russes ont prévu en fait de festivités navales est en effet impressionnant du point de vue de la communication, ne serait-ce que par contraste avec la prudence à laquelle ils nous ont habitués. On extrait quelques détails du texte que Durden conclut par le commentaire qu’on vient de lire, qui montrent qu’une fois de plus la vigilance sophistiquée de l’hyperpuissance du bloc américaniste-occidentaliste est prise de court, sans avoir rien vu venir... (Heureusement, les Polonais auront bientôt des Patriot.)

« Plutôt que de faire preuve de prudence après l'attaque du gaz neurotoxique au Royaume-Uni et la vague d'expulsions de diplomates russes de Washington, de la zone euro et d'autres pays, Moscou montre sa puissance militaire dans une initiative qui a pris totalement par surprise la zone euro et l’Occident en général. Outre les expulsions de diplomates américains et occidentaux en représailles des expulsions de diplomates russes, Poutine a choisi de montrer la puissance militaire russe prochaine avec un exercice inhabituel impliquant des tirs de missiles navals dans les eaux internationales, mais assez proche de la Suède et de la Lettonie pour obliger à fermer l'espace aérien commercial. [...]

» Selon le quotidien de Stockholm Aftonbladet, l'Administration suédoise de l'aviation civile a reçu mardi [2 avril] un télégramme russe alertant les officiels que“des essais de missles dans la partie sud de la mer Baltique” auront lieu à proximité de Karlskrona, en Suède. La zone d'essai est connue sous le nom de “Russie 1”, du 4 avril à 6h00 au 6 avril à 18h00. [...]

» Un rédacteur politique du Bild Zeitung a soulevé un point intéressant :“Deux jours après que l’Allemagne ait délivré le permis définitif pour réaliser NordStream2, les militaires russes montre leur force exactement au-dessus du tracé prévu du pipeline. Les essais de missiles auront lieu du 4 avril au 6 avril. Un signe clair pour le Danemark et #Sweden.#PutinAtWar.” [...]

» La radio du service public suédois a déclaré : “Les missiles russes seront testés dans des eaux internationales inhabituellement proches de la Suède la semaine prochaine. Le trafic aérien près d'Öland et de Bornholm devra être redirigé.” “Je n'ai jamais rien vu de semblable”, a déclaré le chef de la circulation aérienne Jörgen Andersson à @ MatsEriksson7. »

On est conduit à penser assez logiquement, sans trop solliciter les faits, que ces manœuvres, cette sorte de manœuvre sont une sorte de continuation d’une nouvelle tactique de communication, de plus en plus “opérationnelle”, inaugurée par Poutine dans son discours du 1ermars. Et l’on sait bien que cette nouvelle tactique n'a été rendue possible qu’à cause de la folie engendrée par la déstabilisation née de l’arrivée de Trump, dans le processus politique, dans la fonction suprême, dans le fonctionnement du Système... 

Dans son discours du 1ermars de Poutine, on a remarqué le passage suivant, commentant la présentation des nouveaux systèmes d’arme stratégiques de la Russie, – et bien entendu, il vaut pour les manœuvres qui vont commencer en Mer Baltique, dont on comprend qu’elles doivent tout, indirectement, aux chocs de déstabilisation du chaos-Trumpiste :

« Pourquoi avons-nous fait tout cela ? Pourquoi en parlons-nous ? Comme vous pouvez le voir, nous ne cachons pas nos plans et nous avons parlé ouvertement d’eux, principalement pour encourager nos partenaires à en discuter. Je le répète, c’était en 2004. Il est étonnant qu’en dépit de tous les problèmes de l’économie, des finances et de l'industrie de la défense, la Russie soit restée une grande puissance nucléaire. Non, personne ne voulait vraiment nous parler de ces problèmes et personne ne voulait nous écouter. Alors, écoutez-nous maintenant... »

Ainsi écouterons-nous, c’est promis, les tirs d’essais de missiles de la Flotte du Nord en manœuvre très près, si près des côtes de la Suède et de la Lettonie...

Le grand oeuvre du chaos-Trumpiste

Il y a encore bien d’autres domaines qui portent les traces des effets du chaos-Trumpiste, comme par exemple les perspectives d’effondrement du dollar face au pétroyuan, mais aussi face à des dissidences potentielle internes comme celle de l’État du Wyoming qui vote une loi déniant à la Federal Reserve le monopole de l’acte fondamental de “battre monnaie” sur le territoire des États-Unis d’Amérique. Ce n’est pas dire pour autant que Trump est le magicien que nous attendons tous pour nous ouvrir les portes sur un nouvel avenir, ce qui constituerait évidemment un jugement naïf, trompeur et absurde.

Trump est le contraire de notre avenir puisqu’il est le destructeur du présent, attaché à cette seule dimension du tempsqu’il prétend réformer, et qu’il ne cesse de secouer, de déstructurer, servi étonnamment par son absence de vision stratégique, par son désintérêt pour toute notion d’ordre général (et notamment d’“ordre global”), c’est-à-dire ignorant complètement ce que le Système devrait nécessairement séduire en lui si l’on se réfère à ce qu’il est et ce qu’il a fait. C’est évidemment cette incompatibilité entre Trump et le Système alors que tout devrait les rassembler qui constitue une énigme dans l’actuelle situation politique.

L’autre énigme est clairement “opérationnelle” : comment le chaos-Trumpiste, qui devrait être nécessairement rapide, auto-déconstructeur, autoréducteur et informe comme le chaos le devient par définition dès qu’il s’instaure chaos, comment parvient-il à tenir ? En d’autres mots, comme Trump parvient-il à tenir en tant que Trump, acharné destructeur du présent ? Tous les beaux esprits, et éventuellement nous-mêmes à l’occasion, se moquent de ses mensonges, de ses contradictions, de ses approximations, de ses voltefaces, et concluent qu’il ne pourra tenir bien longtemps, qu’il va être réduit en poussières, privé de son pouvoir, destitué, éliminé, etc. ; tous les beaux esprits de trompent et Trump continue sa besogne. Le travail qu’a fait Trump pour saper la politique syrienne des USA est remarquable : à la fois freinant ou contrecarrant les grandes manœuvres d’engagement sur le terrain, à la fois trop brouillon et instable pour forcer à un désengagement complet qui rétablirait la politique extérieure des USA dans une trajectoire plus stable. Trump est au fond l’inventeur de ce miracle qu’est la durabilité du chaos, maintenant une constante pression sur la politique US, sur la position et les exigences du DeepState (son supposé archi-ennemi, qui perd de plus en plus sa stabilité dans son impuissance à l’éliminer) ; cette durabilité du chaos explique sa propre durabilité : Trump est insaisissable, glissant, impossible à bloquer dans une situation ou l’autre, inarrêtable, incompréhensible, – exactement comme le chaos lui-même.

Trump est l’homme de son temps : comme on dit, il a “rendez-vous avec l’histoire”, mais pour s’en moquer, pour la tourner en dérision. Il est vrai que l’histoire ne vaut plus tripette depuis que la métahistoire (l’Histoire) intervient directement dans nos affaires. Peut-être, sans doute, est-ce la raison de son paradoxal succès : réussite par l’échec, par le déséquilibre, par le chaos. Comme on dit, “chapeau l’artiste !”, à condition que sa perruque tienne le coup...