La Roumanie et ses SM-3, l’étrange idée que voilà…

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Les divers canaux d’information russes se déchaînent avec une certaine délectation moqueuse contre l’annonce par la Roumanie de son acceptation de déployer des missiles anti-missiles US type SM-3 à partir de 2015. Nous ne citerons pas l’avalanche de textes divers, analyses, commentaires, etc., qui s’en donnent à cœur joie. Pour l’instant contentons-nous de citer quelques sources intéressantes.

• D’une part, la Russie officielle, avec un Lavrov faisant une leçon de diplomatie sans grand mérite mais sans doute avec une délectation secrète, face à la stupidité absolument confondante qu’exprime l’annonce de la nouvelle par les Roumains. C’est sur Novosti, ce 5 février 2010. (On observera tout de même que cette déclaration est faite après un entretien à Berlin avec le ministre allemand des affaires étrangères, et l’on ne peut se départir de l’impression que les remarques de Lavrov ne seraient pas démenties par l’Allemand.)

«Moscou attend de Washington des explications concernant le futur déploiement d'antimissiles américains sur le territoire roumain, a déclaré vendredi le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov au terme d'un entretien avec son homologue allemand Guido Westerwelle. “Nous attendons que les Etats-Unis nous fournissent des explications, d'autant plus que le régime de la mer Noire est réglementé par la Convention de Montreux”, a annoncé M.Lavrov.

»Selon le ministre, “les deux présidents, russe et américain, ont convenu d'examiner conjointement les menaces communes avec la participation des pays de l'Union européenne, notamment de l'Allemagne”. “Lorsque nous comprendrons que nous avons une conception commune des éventuelles menaces, nous pourrons parler des mesures visant à les contrer”, a conclu M.Lavrov.»

• Du côté des deux grandes organisations occidentales, dont l’une a la charge de notre sécurité à tous, et l’autre celle de figurer comme modèle de “gouvernance mondiale” – de leur côté, euh, c’est-à-dire que… – eh bien, on n’est pas au courant, ce n’est pas notre affaire… Cela s’appelle “botter en touche” en termes rugbystiques, et “s’en laver les mains” en termes hygiéniques ou bibliques c’est selon.

• L’OTAN par conséquent, le 5 février 2010, toujours sur Novosti. «L'OTAN ne participe pas aux négociations entre les Etats-Unis et la Roumanie sur la mise en place du système global antimissile US, a annoncé à RIA Novosti vendredi un fonctionnaire de l'OTAN ayant requis l'anonymat. “Les négociations engagent deux parties, l'OTAN n'y intervient pas”…»

• La Commission européen, pour suivre, le 5 février 2010, toujours et encore sur Novosti. «Bruxelles s'abstient de tout commentaire sur la décision de la Roumanie de déployer sur son territoire des éléments du bouclier antimissile américain (ABM), qui “concerne uniquement Bucarest et Washington”, a indiqué vendredi à RIA Novosti le porte-parole de la Commission européenne Lutz Güllner. “Nous nous abstenons de tout commentaire. C'est une question d'ordre bilatéral qui ne concerne que la Roumanie et les Etats-Unis”, a-t-il indiqué.»

• Mentionnons, pour l’anecdote, la réaction US, type-“tout se déroule selon le plan prévu” circa-Brejnev des années 1970. C’est le grand journal Washington Post du 5 février 2010 qui nous en avise dans une brillante absence de commentaire de son chef: «“Romania has agreed to host a Standard Missile 3 interceptor as part of the administration's new missile defense plan ... to protect U.S. forward-deployed troops and our NATO allies against current and emerging ballistic missile threats from Iran,” State Department spokesman P.J. Crowley told reporters in Washington. Crowley also tried to assuage Russian fears, saying “as we have made clear over and over again, this is not a capability that is directed at Russia.”»

Notre commentaire

@PAYANT On reste sans voix, c’est vrai, sans plume et sans encre, devant le timing de la chose. Les Russes et les Américains sont en train, à l’insistance effrénée des Américains et de leur président Obama, de tenter de boucler START-II. On vient d’annoncer, côté russe sans démenti US (Novosti, le 3 février 2010), que les exigences russes sur les ABM, ou défenses anti-missiles balistiques, seront prises en compte dans ce traité – ce qui implique, lorsqu’on connaît la position russe, tout ce qui est anti-missiles dans le voisinage, par conséquent cette affaire de Roumanie. Les Russes tiennent évidemment à cet aspect de l’accord et ils devraient de toutes les façons en faire plus que jamais une condition sine qua non. Et voilà cette annonce, en plus d’une dérision extraordinaire du point de vue des avantages (?) stratégiques US, puisque portant sur les années 2015-2016, de la part d’un gouvernement dont il faut mesurer la parole à l’aune de ses mœurs de républiques bananières post-Ceaucescu, dont le même président qui annonce la nouvelle vient sans succès de tenter d’imposer sa maîtresse comme Commissaire européen selon la seule qualification professionnelle, après tout honorable, qu’elle lui est effectivement une personne chère. Ce n’est même plus une diplomatie de bazar ou de bordel byzantin, c’est une mécanique tournant à vide, avec les irresponsables, les lunatiques et les crétins exécutant des ordres ineptes à contre temps. C’est la civilisation en cours, que nous donnons en exemple au reste.

Au fait, BHO est-il au courant? On verra. Les experts des complots peuvent nous expliquer tout ce qu’ils veulent – et ils n’auraient pas tort, par exemple, s’ils nous disaient que l’un ou l’autre réseau neocon a insisté auprès du président roumain en lui faisant croire que Washington attendait une réponse de lui, à cet instant même, illico presto, à cette proposition de “Hey Joe” Biden, faite en octobre 2009. (Sans doute Biden l’avait-il oubliée, lui, cette proposition.) Bref, une peau de banane de la part d’une petite république bananière à sa grande sœur, modèle du genre, c’est après tout une histoire pleine de morale. (Il est d'ailleurs à noter que la décision roumaine a été prise avec l'approbation d'un quelconque haut-fonctionnaire du département d'Etat qui a récemment fait visite à Bucarest, prêtant ainsi l'aide aveugle de la bureaucratie du gouvernement à cette belle manoeuvre.) Il n’est certes pas impossible que certains, à Washington, avec leurs relais habituels dans notre belle Europe, se réjouissent de l’excellent tour ainsi joué au président des USA, l’Africain-Américain, démocrate et “socialiste” Obama, si acharné à obtenir un accord SALT-II. Mais quoi, BHO, il faut savoir tenir sa basse-cour en ordre et en laisse.

Bref, il est difficile de trouver meilleur moment pour tenter de torpiller l’accord START-II en cours de finalisation, encalminer les relations russo-américanistes dont Obama ne cesse d’annoncer qu’il faut les relancer, rendre un peu plus furieux encore les Européens – avec confirmation à la clef de cette remarque d’un haut-fonctionnaire européen que nous citions le 30 décembre 2009: «The U.S. Foreign Policy is going down to hell…» Les Russes, qui ne supportent plus les Américains et ont pris la résolution de les mener au knout, ont belle occasion de nous la jouer dans le genre outragé, d’appuyer aussitôt, avec les experts qu’il faut, sur le mode de l’analyse extrêmement stratégique et alarmiste. Soyons juste, ce ne sont pas les SM-3 hypothétiques de 2015-2016 en Roumanie, quand le président (roumain) actuel aura été enlevé par sa maîtresse et que le Pentagone travaillera sur la septième restructuration du programme JSF dans Washington D.C. devenu indépendant du reste des Etats-Désunis, qui vont anéantir la puissance nucléaire russe. Mais quoi, la bêtise quotidienne mérite tout de même d’être châtiée, et il est d’excellente guerre pour les Russes de crier “au loup” comme ils font, et pour Lavrov de donner calmement une leçon de bonne mœurs et de bonne intelligence diplomatique aux fronts bas, divers et étoilés, du Pentagone et de ses dépendances. Cela donne quelques munitions supplémentaires aux Russes pour ce qu’il reste de négociations START-II et la suite, et ils auraient tort de n’en pas user.

Quant à l’explication “sérieuse” de cette étrange affaire, nous ne pouvons l’avoir, outre les habituels complots latéraux, que dans les habituelles analyses concernant un système compartimenté, cloisonné, où chaque bureaucratie suit sa ligne de conduite et de travail, et pousse ses avantages, sans se préoccuper de la situation générale. La diplomatie US est en lambeaux, on en est à supputer si Obama n’attaquerait pas l’Iran pour “sauver sa présidence”; aussi n’y a-t-il aucune raison pour que la bureaucratie des anti-missiles ne poursuive pas tranquillement son chemin sur la voie tracée par le président (des USA) lui-même (on annule le BMDE polono-tchèque, on prépare un nouveau réseau avec des unités navales type-AEGIS renforcés plus tard par des installations terrestres – notamment en Roumanie – eh bien, signons un accord avec la Roumanie)…

Il sera tout de même intéressant de suivre les dernières péripéties des négociations START-II, dont on nous annonce la signature pour mars ou avril. Comme on dit, – on verra, – cela aux ides de mars, le mois des fous…


Mis en ligne le 6 février 2010 à 11H32

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