“Hey Joe” en Pologne, en vedette américaine de l’opéra-bouffe de l'ex-BMDE

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Hier, Joe Biden était en Pologne, aujourd’hui il est en Roumanie, demain il va en Tchéquie. «Our ears are open», a-t-il dit avant son départ, indiquant par là que ses oreilles sont ouvertes. C’est une bonne disposition stratégique. Bien entendu, Biden est en mission de “damage control”, une de plus des USA en Europe de l’Est après la décision d’abandon du BMDE en Pologne et en Tchéquie.

Avant le départ de la mission, le porte-parole de Biden a tenu à mettre les choses au point (voir SpaceNews.com/AFP du 20 octobre 2009). Personne n’a rien compris, rien n’est abandonné, tout continue comme avant et sans changement puisque l’ancien réseau BMDE était là pour embêter les Russes et que le nouveau sera là avec l’accord et la coopération des Russes. Par conséquent, Polonais et Tchèques sont, plus que jamais, nos amis très chers, et fort efficacement protégés. «“The more allies heard and discussed what we are proposing, the stronger their support,” said Tony Blinken, Biden's top national security adviser. Blinken blamed intense early disappointment in Warsaw and Prague following Obama's announcement on misleading media coverage. “It was unfortunate that some of the initial headlines talked about the US abandoning missile defense in Europe,” Blinken told reporters on a conference call. “It is exactly the opposite; the approach we are taking strengthens missile defense in Europe.”»

A part ces rassurantes observations, il y a les entretiens de Biden en Pologne et tous les à-côtés divers et variés. Nous vous renvoyons, par exemple, à une dépêche Reuters du 21 octobre 2009, d’où il ressort d’une façon assez diverse, divers constats et nouvelles…

• Donald Tusk, le Premier ministre polonais, est très content de son entetien avec Biden. Il trouve parfaite l’idée du nouveau projet anti-missiles, du type “mais comment n’y avions-nous pas pensé avant?!”.

• Le président polonais, l’un des terribles jumeaux Kaczynski, trouve le nouveau projet “pas trop mauvais” après avoir dénoncé l’abandon du premier comme une trahison inqualifiable, mais qu’il le trouvera sans doute encore mieux lorsqu’il y comprendra quelque chose. Biden le lui a expliqué et il est sorti de l’entretien en expliquant qu’on avait surtout parlé de l’Article 5 de l’OTAN (l’article qui engage tout membre de l’Alliance à venir au secours d’un membre qui est agressé).

• De toutes les façons, dit l’un ou l’autre, c’est la chanson qui compte, les paroles on s’en fout. («“We do not care so much about the hardware, but about the perception that the security status of this region is equal to that of western Europe,” Witold Waszczykowski, deputy head of Poland's National Security Bureau, told Reuters.»)

• Concrètement, que va-t-il se passer? On ne sait pas trop. Les Américains ont promis des missiles sol-air Patriot, dont on connaît la légendaire efficacité, pour 2010. Finalement, ce serait moins sûr. Le Pentagone a fait savoir que, pour 2010, ce n’était plus sûr du tout. Les missiles Patriot, dont on connaît la légendaire efficacité (bis), serait en fait des unités US tournantes en Pologne.

• Par contre, on a l’air plus assuré pour des missiles SM-3, extrapolation terrestre pour la Pologne et la Tchéquie, en 2015 ou 2016. Dans les deux cas, il semble bien que les certitudes de la programmation suivent la philosophie du programme JSF: plus c’est éloigné, plus c’est sûr, plus c’est proche moins on en sait.

Enfin, il ne faut jamais oublier ceci, que Joe Biden, représentant des puissants USA, n’a pas manqué de rappeler: «Our commitment to Poland is unwavering.» Rassurés? Commentaires?

@PAYANT Cette affaire des anti-missiles en Europe tourne à l’opéra-bouffe, avec d’étonnants labyrinthes d’implications et de supputations. Il semble que tous les esprits soient conduits, dans cette affaire, par la quincaillerie, ce que Dimitri Rogozine nommait en juillet 2008 le “technologisme” qui guiderait la politique occidentaliste. Tout tourne donc autour des missiles. Les missiles sont là, dans tous les cas ils sont promis, il faut bien en faire quelque chose. Il y a d’abord les Patriot. Ils ont été promis à la Pologne en 2007, pour la convaincre de signer l’accord (sur la base du BMDE abandonné) devant lequel elle rechignait, dont aujourd’hui elle se réclame avec insistance. Ils étaient donc destinés, pour rassurer les Polonais, à protéger cette base qui allait être installée. Mais cette base, comme on le sait, n’aura pas lieu. A quoi serviront donc les Patriot dont on connaît l’efficacité? A abattre des F-16 polonais par erreur? Et les SM-3, destinés à intercepter des missiles de courte et moyenne portée, de ces missiles dont on attend qu’ils viennent d’Iran en principe mais dont on voit mal comment ils pourraient venir d’Iran jusqu’en Pologne avec une telle portée – à quoi vont-ils servir?

A nous défendre contre la Russie! Répond l’esprit commun. Mais cela ne va pas du tout. Toute la philosophie du nouveau programme anti-missiles de l’administration Obama, c’est de faire monter les Russes à bord, d’établir une coopération serrée. Alors quoi ? On va demander aux Russes de coopérer à l’installation de SM-3 US en Pologne, dont le principal objectif serait, par exemple, d’abattre des missiles russes de courte portée Iksander basés à Kalinigrad? L’esprit, conduit par la quincaillerie, selon la thèse du technologisme, tente en vain de réconcilier les différentes obligations et interprétations pour faire accepter tout et son contraire à des pays voisins qu’on dit irréconciliablement opposés et qui ne le sont pas tant que cela. Seuls les Américains continuent à croire qu’il y a un problème grave et que seule la technologie, tantôt amie, tantôt ennemie, le résoudra. De toutes les façons, d’ici 2015-2016, l’Iran sera sans doute partie prenante du réseau international des anti-missiles et le SM-3 version terrestre aura été abandonné – disons, au profit d’une version anti-missiles du JSF annoncée pour 5 ans plus tard… Tout cela n’a strictement rien ni de sérieux, ni de solide, et représente une pathétique mission de relations publiques pour tenter de raccommoder deux visions opposées, qui n’ont d’ailleurs plus aucune réalité. Il faut rassurer les Polonais, qui se disent abandonnés par les USA pour obtenir quelques miettes de compensation, alors qu’ils ont déjà établi des relations suivies avec les Russes; il ne faut pas inquiéter les Russes des futurs projets US, alors que ces projets doivent être, on pousse maintenant à fond pour cela, faits en complète coopération avec la Russie, donc à première vue peu susceptibles d’inquiéter la Russie.

L’opéra-bouffe s’achève par la farce de la garantie de sécurité US. Si un expert des questions de sécurité polonaises croit que le sort d’un escadron de Patriot, d’ailleurs très rapidement déplacé si nécessaire, peut amener une riposte massive des USA en faveur de la Pologne, libre à lui; tout comme l’on est libre de gloser sur l’Article 5, dont on connaît depuis longtemps l’extrême élasticité. Mais tout cela n’a guère d’importance, dira-t-on, puisque les relations avec la Russie sont devenues excellentes et qu’il en est même pour songer à en proposer d’en faire un membre de l’OTAN…

C’est donc une visite bien dans le style de l’époque virtualiste que nous vivons. Chacun parle gravement de choses dépassées et qui n’ont d’ailleurs jamais réellement existé (le BMDE, la menace iranienne, la menace russe contre la Pologne ces dernières années, etc.). Il s’agit de donner un sens à la rupture d’une “politique de l’idéologie et de l’instinct” complètement conduite par les intrigues de groupes de pression et les appétits du complexe militaro-industriel pour vendre sa quincaillerie. C’est-à-dire qu’il s’agit de donner une réalité à une politique qui n’a jamais existé, pour pouvoir mieux la rompre et dire qu’elle n’existe plus. C’est un bel exercice, habile, plein de verve et d’invention de la part des services de communication, dont on se demande vraiment quelle est l’utilité. Les esprits malins répondront: parce que les USA veulent garder leur influence en Pologne? On en reparlera dans deux ou trois ans, quand la Pologne aura fini d’espérer la venue de l’escadron de Patriot promis et aura peut-être, sans doute, choisi d’ici là un escadron de S-300 russes, dont on sait qu’ils fonctionnent, eux, parfaitement.


Mis en ligne le 22 octobre 2009 à 13H02

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