dedefensa.org, constat d’échec

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dedefensa.org, constat d’échec

23 août 2010 — Il y a longtemps que nous ne vous avions entretenu de notre situation. Il est temps d’y revenir, alors que nous approchons de l’échéance importante de la première année de la formule du site en accès payant, le 10 septembre 2010. Considéré globalement et sèchement, le bilan se résume comme ceci : constat d’échec.

Nous allons nous en expliquer. Nous allons offrir quelques remarques à nos lecteurs. Nous allons enfin présenter quelques mesures et changements à venir possibles, et nos projets probables. Nous allons fixer quelques échéances. (Tout cela sera ensuite précisé, d’ici le 10 septembre prochain, quand nous atteindrons effectivement notre première année de fonctionnement dans ce mode “payant”.) En d’autres mots, nous allons vous faire profiter de notre expérience, – un peu commerciale (un tout petit peu), éventuellement polémique (atténuée, sans rancœur), certainement intellectuelle… Nous oserions même avancer que cette “expérience” modeste mais pas moins significative que les vastes entreprises statistiques et faussées du système, nourrit notre jugement sur l’époque, sur la crise, sur le comportement des gens, sur la “crise de la raison humaine”.

Constat d’échec, disons-nous…

D’abord, certes, subsiste une circonstance confirmée, qui peut paraître mystérieuse ou inexpliquée… La montée des abonnements allait bon train jusqu’à l’épisode Ogone, qui dura de courant janvier jusqu’à la fin mars. Cette rupture introduisit une confusion considérable dans le rythme ordonné établi durant les quatre premiers mois de l’expérience. Depuis, nous n’avons plus retrouvé ce rythme malgré la multiplication des systèmes d’abonnement ; nous attendions beaucoup d’avantages de cette diversification qui, pourtant, compliquait horriblement notre tâche ; la complication s’est confirmée mais les avantages ne se sont pas concrétisés.

On tirera les enseignements qu’on peut et qu’on veut de ces divers épisodes. Pour nous, nous n’avons pas d’explication ponctuelle acceptable. La seule décision que nous avons prise est de ne plus utiliser Ogone à partir du 31 août, d’ailleurs d’une façon assez logique puisque ce service ne fournit plus qu’une très faible part des abonnements qui ne sont pas nombreux (un quart à un cinquième), alors que subsistent des frais fixes en plus des commissions. Ogone fonctionne parfaitement, comme Ogone l’assure à qui veut l’entendre, et pourquoi en douter ? On sait que la bonne foi est le fleuron de notre système économique… Mais force est de constater, pour nous, qu’il (Ogone) a été présent au centre de tous les problèmes que nous avons connus. Nous n’allons pas en faire une thèse ni une philosophie, et encore moins une mise en cause ou une accusation, mais pour notre compte cela suffit.

Donc, depuis janvier, le rythme a été brisé. Nous ne cherchons aucune explication économique ou technique, qui ne nous intéresse guère. Quant à une explication éventuellement psychologique liée à cette question économique, s’il y en a, elle ne peut être également que d’un intérêt assez moyen, ou bien extrêmement décevante et sans perspectives ; là aussi, il est inutile de s’y attacher puisque ce que nous recherchons est plus l’accord des esprits que la fortune de la finance. Nous nous en tenons donc au constat de la chose. Le fléchissement des abonnements depuis la période janvier-mars est assez significatif pour que nous parlions d’échec. Sur le rythme actuel, nous terminerons l’année commencée le 10 septembre 2009 avec moins d’argent de soutien que lors de l’année (2008) où nous expérimentâmes la méthode des donations.

Le seul enseignement que nous tirons de cet échec est intuitif. Ceux qui nous avertissaient qu’Internet n’est pas fait pour une rétribution régulière et structurée avaient raison, – sauf, bien entendu, pour les grandes entreprises et les groupes de presse du corporate power, triomphes de notre système, qui savent y faire dans ce domaine et qui trouvent toujours leur clientèle. Tant pis pour nous et pour les ambitions vertueuses d’Internet ; mais, pour ce cas, nous préférons avoir tort du point de vue de la comptabilité car nous estimons plus que jamais avoir raison sur le principe, et, de toutes les façons, nous ne sacrifierons pas à l’esprit qu’implique cette approche comptable. L’abonnement nous paraît la moindre des choses que puisse faire un lecteur conscient et responsable pour aider ceux qui fournissent le travail qui leur est ainsi offert. Qu’il n’y sacrifie pas parce qu’il a conservé précieusement le réflexe de gratuité d’Internet, habillé de gâteries type “information démocratisée”, n’est pas à son honneur. Cela marque combien Internet est encore, pour une bonne part, un passe-temps, un réflexe de divertissement assorti de l’impression fugitive mais enivrante de croire qu’on dispose de la source de la connaissance des événements du monde. Cela nous rappelle cette remarque d’un lecteur, le 5 novembre 2009, nous informant des illusions qu’on se fait trop sur le rapport entre le passage d’un lecteur sur un site et sa lecture : «A propos du comptage du nombre de visiteurs/lecteurs d'un site, je vous recommande la lecture de cet article : “67% des visiteurs de ce blog ne sont (peut-être) pas des lecteurs” (http://novovision.fr/?80-des-visiteurs-de-ce-blog-ne)». Cette statistique ne semblait pas déplaire à ce lecteur, par ailleurs certainement sérieux et adepte de l’“information démocratisée” (et gratuite), parce qu’elle renforçait son argument contre le principe de l’abonnement, contre lequel il avait ferraillé dur, et plutôt contre nous par conséquent, dans plusieurs messages sur notre Forum. Quant à nous, la chose nous a désolés d'une façon générale, sans autre commentaire.

Non, l’essentiel est ailleurs. Nos lecteurs/non-lecteurs, les adversaires du principe de l’abonnement, continuent à ne pas comprendre que, dans notre démarche du “domaine payant”, il y a d’abord un appel à la solidarité qui ne fait qu’une bouchée des chicaneries économiques et démocratiques que nous avons parfois entendues… (Et l’argument de la faiblesse économique de certains lecteurs ne tient guère avec nous. Comme nous le répétons plus loin, nous avons été bien assez arrangeants avec ceux pour qui le domaine payant posait un grave problème économique, avec bien des motifs, pour nous, d’être déçus par les réactions à cet égard. Cette démarche, aussi, renforce la solidarité entre le site et ses lecteurs. Les comptables apprécieront.)

Pour la définition de l’esprit de la chose, nous n’avons pas à plaider puisque quelqu’un l’a fait pour nous, monsieur Alain Vité, dans sa magnifique lettre (adressée personnellement à Philippe Grasset) que nous avions publiée le 15 avril 2010. Il y écrivait notamment ceci, après avoir exposé ses réticences pour le système des donations :

«Avec l’abonnement au contraire, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui vous paie, c’est moi-même, alors que je n’en ai guère plus les moyens qu’avant. C’est entre vous, moi, et mes nécessités. Nous devenons concernés et je me sens responsable. Je ne paie pas tant pour que vous puissiez continuer, que pour que je puisse vous lire ; vous n’êtes plus un gadget. Quand je vous paie, ce que vous dites devient plus réel. Si ça se trouve, l’abonnement a changé votre propre implication dans votre activité…»

La dernière remarque de monsieur Alain Vité est si vraie, confirmée par notre sentiment, selon lequel l’abonnement est d’abord un lien de solidarité, un geste de soutien qui nous renforce, qui, pour notre cas, arrive à donner une haute valeur à un acte stupidement économique. Ce dernier point doit justifier notre observation, sur notre propre sentiment à la lumière de ce que nous jugeons être un échec. Nulle rancœur, nulle amertume, disons, un peu de tristesse et, peut-être, un peu plus de désenchantement. Pour le reste, – et vogue la galère, comme elle pourra…

Salut aux happy few

Les amateurs de statistiques vont être enchantés, puisque cela doit rencontrer leurs réflexions-calculettes. Le pourcentage des abonnés à dedefensa.org par rapport aux visites et passages quotidiens sur le site selon les normes habituelles doit être autour de 3%-5%, selon les références choisies qui varient fortement. (Et une mesure statistiquement plus juste, – pour ceux qui ont foi dans les statistiques, – serait un rapport de 1%-1,5% de tous les lecteurs et pseudo-“lecteurs” du site. Par ailleurs et plutôt au contraire, toutes ces statistiques très approximatives sont encore bien plus aléatoires quant à la diffusion réelle des articles payants de la part des abonnés vers d'autres destinations. Nous n'exerçons aucun contrôle sur cet aspect des choses et nous avons souvent dit notre position de principe extrêmement libérale à cet égard. Nous avons des indications précises, par l'un ou l'autre recoupement, concernant la mesure de cette diffusion réelle.)

Ces abonnés, ce sont nos happy few, selon l’emploi de l’expression par Stendhal. Au contraire de ce qui précède, nous ressentons chez ces abonnés une ferveur, un engagement, une compréhension de l'esprit de notre démarche qui leur font honneur. Ils sont la preuve intellectuelle, voire spirituelle, que l’abonnement, dans notre cas sans aucun doute, n’est justement pas une pratique mercantile, qu’elle est tout le contraire. Cela est d’autant plus honorable que cet engagement n’est en aucun cas, selon notre point de vue le plus ferme possible, un engagement de parti, de conception, de religion, d’embrigadement, etc.

En d’autres termes, il y a une complicité entre ces happy few et nous-mêmes qui ne dépend d’aucune consigne de système ni de parti, qui est notre fierté et à laquelle nous tenons. Il va de soi que c’est à eux que nous devons de continuer à nous battre, malgré les conditions extrêmement difficiles que nous connaissons pour poursuivre notre travail. Cet entêtement nous conduira jusqu’où il peut nous conduire, jusqu’où nous pourrons aller dans les conditions que nous connaissons. Que ces lecteurs qui nous soutiennent interprètent ces affirmations qui sont autant celle d’une volonté fiévreuse que celle d’un engagement loyal comme un appel à poursuivre leur soutien, voire à le renforcer, n’amènera certainement pas un démenti de notre part. Sans aucun doute, nous avons besoin d’eux plus que jamais, et nous regrettons seulement, ou plutôt éprouvons une certaine gêne à nous tourner toujours vers les mêmes pour cette sorte d’appel à notre soutien.

Quelques observations pratiques

Il n’empêche que ces conditions générales, établies sur une année de fonctionnement, et qui ne répondent pas à notre attente de ce même point de vue général, appellent quelques modifications et remises en place. Voici leur esquisse, à confirmer ou pas, sur lesquelles nous fixerons définitivement nos lecteurs le mois prochain. En effet, à l’occasion de cette première année du “domaine payant”, nous modifierons certaines dispositions et formules d’abonnement.

• Nous confirmons donc que le service Ogone est terminé à partir du 31 août. Le service Paypal, automatisé, reprendra l’essentiel des fonctions Ogone. Les autres modes de paiement restent en place, naturellement.

• Le paiement mensuel nous pose un problème sérieux. Sa fonction adaptée après les débuts du régime payant, et notamment sa réduction de €14 à €12,50, avaient un but bien précis : offrir l’opportunité d’un paiement mensualisé. Nous vous rappelons ce que nous écrivions le 21 octobre 2009, annonçant la nouvelle de la réduction de l’abonnement mensuel après les premières semaines de fonctionnement : «Nous avions pris la proportion très importante d’abonnements mensuels (€14) pour des démarches d’“abonnements d’essai” (voir ce que valait la formule, puis la poursuivre en passant à l’abonnement annuel – nous parlons toujours de l’abonnement “articles seulement“: €150). Finalement, il s’avère que c’est une démarche d’“auto-mensualisation” pour certains, pour nombre d’entre vous. C’est ainsi, essentiellement, que nous considérerons donc désormais l’abonnement mensuel. Pour bien marquer combien cette proposition doit être prise pour ce qu’elle est, nous décidons […] de réduire le prix de l’abonnement mensuel (articles seulement) pour le faire correspondre exactement au montant qui serait prélevé automatiquement si nous avions un procédé de mensualisation – soit €12,50 au lieu de €14…»

• … Il s’est avéré que la “mensualisation” n’était qu’une appréciation bien partielle de l’abonnement mensuel. Nombre de lecteurs s’abonnent épisodiquement en “mensuel”, par exemple tous les mois et demi, tous les deux mois, etc., tout en bénéficiant de l’accès à tous les articles puisqu’une fois abonné on peut revenir sur la quinzaine, ou le mois précédent, ou plus, pendant lequel on n’était plus abonné. Nous ne faisons aucun reproche à personne mais jugeons cette situation particulièrement injuste par rapport à ceux qui sont nos meilleurs soutiens, qui paient directement €150 par an, puisque cette méthode peut donner accès à tous les articles pendant un an pour, par exemple, €100, voire pour €75. Par conséquent, nous allons certainement modifier le prix de l’abonnement mensuel, et l’augmenter substantiellement.

• Pour autant, une formule de “mensualisation” (€12,50 par mois) restera possible sur sollicitation directe, avec engagement de paiement chaque mois, regroupé sur la période du début du mois pour “rationaliser” le processus et alléger notre travail. Nous donnerons plus de détails sur la formule en temps voulu.

• Restent nos deux extrêmes… Nous maintenons plus que jamais notre offre de chercher un arrangement avec des lecteurs connaissant des difficultés économiques, malgré les déceptions que nous avons connues de ce point de vue. Quelques lecteurs peuvent témoigner que de tels arrangements ont été réalisés, un certain nombre d’autres (plus nombreux) ne témoigneront sans doute pas puisqu’ils ne répondirent pas à nos offres de chercher un arrangement après sollicitations de leur part. Cette expérience nous laisse, jusqu’ici, un sentiment mélangé, et beaucoup moins d’indulgence qu’au début face aux critiques de certains pour les coûts paraît-il trop élevés de nos abonnements.

Plus que jamais, nous demandons à ceux qui le peuvent et qui ne pratiquent pas encore la formule d’en venir à l’abonnement annuel directement. Dans le même esprit, mais pour oser aller plus loin et solliciter nos lecteurs les plus fidèles et qui en ont la possibilité, nous mettrons formellement en place, le mois prochain, quand commencera le cycle des réabonnements annuels, des formules d’abonnements de soutien qui nous seraient d’une très grande aide.

• Enfin, nous sommes obligés de prendre dans notre fonctionnement certaines mesures de “rationalisation” (toujours ce mot charmant) pour nous conformer à nos conditions économiques de plus en plus serrées. Par le jeu du temps disponible pour les uns et les autres à la suite des réductions des prestations, ici à dedefensa.org, cela nous conduit à envisager d’espacer la publication de dde.crisis, – de bimensuel à mensuel. Ce qui sera perdu en quantité sera, nous le voulons fermement, compensé par l’aspect qualitatif. Nous croyons que le premier numéro de la rentrée (le 10 septembre 2010) confirmera cette volonté et nous parlerons de la chose en détail lors de sa mise en ligne.

Quelques mots pour terminer…

Bien entendu, dedefensa.org nous tient tant à cœur, et nous ferons tout pour poursuivre le plus loin qu’il sera possible. (Surveiller aussi l’âge du capitaine, qui n’est plus de première jeunesse, et qui, malheureusement, a la corde sensible et se met vite à broyer du noir.) Mais il est vrai que cette année de “domaine payant”, la première du genre, fut une leçon in vivo, qui nous réserva quelques moments d’amertume. De ce point de vue, Internet est aussi une machine à déresponsabiliser, presque un système autonome (notre marotte) qui distille bien des narratives démagogiques, où l’on se tresse facilement à soi-même, sans efforts excessifs, des couronnes de résistants antisystèmes.

Nous jugeons le système Internet, à côté de ses vertus souvent proclamées et qui sont sans aucun doute réelles et d’une force considérable, encore bien plus pernicieux dans ses travers qu’on ne croit. Nous pensons que nombre de ceux qui croient s’opposer au système général en utilisant Internet selon des normes excessives qui n’ont pour effet que de satisfaire leurs caprices individualistes sans aucune attention pour une solidarité sérieuse et bien construite, en sont en fait ses prisonniers. Leur maniement abrupt des références théoriques qui font partie des sphères idéologiques habituelles et éculées, et du confort de la bonne conscience, en est un signe ; c’est le cas de leur considération pour l’argent, par exemple, car c’est avoir pour lui une considération bien suspecte que de le dénoncer comme s’il s’agissait du diable qui pervertit absolument, autant qu’en a celui qui l’encense comme la vertu suprême.

Bref, il s’agit d’un système bien incertain, qui n’a pas changé le sapiens ni les conditions du monde. Certainement, nous estimons que le plus grave problème qu’il pose est celui de la responsabilité de l’exigence individuelle dans une entreprise qui doit être, par essence, perçue comme collective même si elle n’embrigade formellement personne. Ils sont rares, ceux qui parviennent à équilibrer l’une avec l’autre, à ne pas sacrifier l’une (entreprise collective) en prêtant trop d’attention aux autres (les exigences individuelle). Bien entendu, il faut savoir ce que l’on veut, et pourquoi on le veut, même si cela n’est la garantie de rien sinon de l’ardeur dans la poursuite d’un combat que nous impose cette époque de rupture eschatologique. Nous, à dedefensa.org, savons ce que nous voulons et pourquoi nous le voulons, et il semble bien que cela ne garantisse en rien le succès de notre entreprise. Eh bien, il faut tout de même continuer à se battre.