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29863 mai 2016 – Aujourd’hui, il semble bien que les évènements aient fait entrer dans la perception générale quelque chose qui ressemble à l’inéluctabilité de la désignation, d’une façon ou d’une autre, de Donald Trump comme candidat du parti républicain (GOP). Selon un sondage Rasmussen des 27-28 avril (après les cinq dernières victoires des primaires, le 25 avril) auprès des électeurs du GOP, 90% de ces électeurs estiment que Trump sera désigné, contre 7% en août 2015. (Du côté démocrate, 91% des électeurs démocrates pensent qu’Hillary Clinton sera désignée à la candidature du parti démocrate.) Pour la première fois, hier, un sondage national a donné Trump vainqueur contre Hillary Clinton au cas où ces deux candidats se retrouveraient. Cela implique, non pas un pronostic sur l’issue de l’élection mais l’élimination de l’ultime barrière psychologique prospective, qui fixait Trump dans une impossibilité de victoire.
Le principal événement que nous devons signaler, qui est l’amplification assez forte pour être significative jusqu’à effectivement constituer en soi un événement de la tendance décrite, c’est l’amplification (bis) absolument géomatique des réaction très défavorable, sinon de panique complète du Système dans les quelques jours qui ont suivi le discours de politique extérieure de Trump. La panique a gagné désormais les terres extérieurs du système de l’américanisme pour toucher le bloc BAO dans son entièreté, particulièrement nos élites-Système européennes. C’est donc le Système lui-même, dans toute sa majesté furieuse, qui désigne Trump comme l’ennemi absolu. On trouvera divers textes décrivant cette réaction, que ce soit Russia Insider, Infowars.com ou Reuters.
On cite ici Reuters, impeccablement-Système, nous débitant les banalités résolument révélatrices de l’un ou l’autre (Carl Bildt n’en rate pas une) et qui nous montre cet état extrême de panique. La chose a essaimé soudainement dans le Rest Of the System (ROS va finalement mieux dans ce cas que ROW [Rest Of the World]) après plusieurs mois passés dans la complète ignorance du phénomène, s'en remettant à la toute-puissance supposée de l’establishment US pour éliminer les moustiques encombrants. (La même dépêche montre que les quelques gens satisfaits du discours de Trump n’ont pas mieux compris que les autres de quelle dimension il retourne avec une telle perspective électorale, – les Polonais croyant qu’en cas de victoire de Trump ils seront mieux “protégés” des desseins belliqueux de la Russie par une armée supposée plus puissante ou les Israéliens de Netanyahou croyant qu’Israël serait bien mieux considéré comme “le plus loyal des alliés des USA” qu’avec l’épouvantable et satanique Obama.)
« While most governments were careful not to comment publicly on a speech by a U.S. presidential candidate, Germany's foreign minister veered from that protocol to express concern at Trump's wording. “I can only hope that the election campaign in the USA does not lack the perception of reality,” Frank-Walter Steinmeier said. “The world's security architecture has changed and it is no longer based on two pillars alone. It cannot be conducted unilaterally,” he said of foreign policy in a post-Cold War world. “No American president can get round this change in the international security architecture.... 'America first' is actually no answer to that.”
» Carl Bildt, a former Swedish prime minister and foreign minister who served as UN envoy to the Balkans in the aftermath of the Yugoslav wars of the 1990s, said he heard Trump's speech as “abandoning both democratic allies and democratic values”. “Trump had not a word against Russian aggression in Ukraine, but plenty against past U.S. support for democracy in Egypt,” Bildt said on Twitter, referring to lines from Trump's speech that criticized the Barack Obama administration for withdrawing support for autocrat Hosni Mubarak during a 2011 uprising. [...]
» Nevertheless, Trump's rhetoric raised alarm in allied countries that still rely on the superpower for defense, particularly the phrase "America first", used in the 1930s by isolationists that sought to keep the United States out of World War Two. Former South Korean Vice Foreign Minister Kim Sung-han, who now teaches at the Korea University in Seoul, said Trump would be "the first isolationist to be U.S. presidential candidate, while in the post-war era all the U.S. presidents have been to varying degrees internationalists.” “Saying the U.S. will no longer engage in anything that is a burden in terms of its relationships with allies, it would be almost like abandoning those alliances," he said. “It will inevitably give rise to anti-American sentiment worldwide.”
» Xenia Wickett, head of the U.S. and Americas Programme at Britain's Chatham House think tank, said the speech “suggests Trump would make America’s allies less secure rather than more. “He talked about allies being confident but all of his rhetoric suggested that America should be unpredictable and that America’s allies needed to stand up for themselves.” [...]
» These days, with Trump now seen as likely to win his party's nomination, European officials are more circumspect in public, but sound no less alarmed in private. “Right now, we and the Obama administration generally understand each other. I don’t think we understand Donald Trump. He has no understanding of the delicate, complex nature of foreign policy on Europe’s doorstep.” »
Chacun y va de ses obsessions, avec en tête l’image absolument diabolisée du symbole America First, et le rappel hystérique de la période de l’isolationnisme US, en réalité et pour être complet, – isolationnisme-protectionnisme. La palme de l’interprétation devrait revenir aux trotskistes de la IVème Internationale, sur WSWS.org, qui offrent leur définition du grand mouvement America First des années 1930 dans un sens exotique qui parvient à impliquer le grand capital lui-même dans ce mouvement populiste puisqu’il est entendu que tout ce qui est “populaire” et non dominé et manipulé par le grand capital ne peut être que trotskiste-et-rien-d’autre. Ainsi America First devient-il un mouvement qui, dans les années trente, fomentait au nom de l’US ruling elite l’expansion et probablement la guerre dans le Pacifique, tournant le dos à l’Atlantique et s’opposant par conséquent à toute possibilité de conflit avec l’Allemagne...
« The slogan of “America First,” the axis of Trump’s speech, is associated historically with sections of the US ruling elite oriented more towards dominance of the Pacific than the Atlantic. That might explain Trump’s relatively conciliatory language towards Russia, in contrast with his strident demands that China toe the US line on trade, North Korea and the South China Sea—demands that are central to the Obama administration’s “pivot to Asia.” »
Cette “affaire” de America First est actuellement, également, un grand axe de la bataille de communication contre Trump, avec notamment son utilisation comme moyen d’accusation d’antisémitisme, par amalgame avec les discours de Lindbergh, lesquels étaient déjà qualifiés d’“antisémites” par amalgame circa-1940 ; bref, nous sommes à la troisième strate d’une sorte de doctrine spasmodique qu’on pourrait nommer “amalgamisme” (le terme devrait être conservé) pour arriver à qualifier Trump d’“antisémite”. (Par ailleurs Trump respire et absorbe de l’oxygène, ce qui était aussi le cas d’Hitler-c’est-prouvé : comment réfuter l’accusation d’“antisémite” ?) Toutes ces billevesées sont extrêmement fatigantes sinon attristantes et n’ont d’ailleurs aucun effet réel. En vérité, elles dissimulent les véritables causes de la panique anti-Trump.
... D’un autre point de vue, effectivement, America First est une chose terrible. C’est le slogan de l’isolationnisme, mais c’est surtout, de facto et in vivo, le slogan du protectionnisme. Ce protectionnisme qui caractérisa la politique des USA de leur création jusqu’en 1941-1945, qui fut notamment une des causes de la Guerre de Sécession (les Yankees protectionnistes et voulant disposer d’un vaste marché intérieur contre les Sudistes libre-échangistes et soucieux d’exporter leur coton), était qualifié par l’historien Lucien Romier, dans son livre Qui sera le maître, Europe ou Amérique ? (Hachette, 1927), de « protectionnisme heureux » : « Il y a un protectionnisme conservateur et un protectionnisme jaloux, un protectionnisme de défense et, en dépit de sa logique apparente, un protectionnisme d’attaque, un protectionnisme tranquille et un protectionnisme inquiet ... [...] Ce cas de protectionnisme heureux est pleinement réalisé en Amérique... »
Romier écrivait cela en 1925-1926. Peu inspirée par l’incursion du président Woodrow Wilson hors de l’isolationnisme “conservateur” avec l’engagement dans la Grande Guerre, l’Amérique, tournant le dos au “machin” à-la-Wilson (la SDN), était revenue “à la normale” (Back to Normalcy) avec le président Harding en 1920, avant de plonger dans les Roaring Twenties. Comme on l’a vu, l’Amérique envisageait même à la fin des années 1920 la guerre contre l’Angleterre pour la maîtrise des mers et le commerce. Puis les évènements ont tranché. Le “protectionnisme heureux” s’est bientôt transformé en “protectionnisme inquiet” avec la Grande Dépression, avant que l’Amérique ne conclut, passé le “trou noir” de 1945-1947, que le contrôle politico-moral assurant les marchés du Rest Of the (Free) World lui donnerait des assurances contre un retour de la Dépression. L’événement fut déterminant pour la communication : le mot “protectionnisme” et le slogan America First passèrent à la trappe en termes, absolument diabolisés selon nos “valeurs morales”. (Bien entendu, cela n’empêche nullement les USA d’être et de rester “protectionnistes” par leur nature même, leur fédéralisme, leur bureaucratisation, etc., bref leur exceptionnalisme ; mais cela est un autre domaine, tandis que nous ne parlons ici qu’en termes de communication.)
Ce qu’il faut retenir de tout cela n’est pas tant la situation réelle, protectionniste ou pas, des USA, hier, aujourd’hui, dans l’esprit du The Donald, etc., mais bien la correspondance absolument évidente et terrorisante pour nos élites-Système entre America First, y compris revu à la sauce-Trump, et le protectionnisme. Il s’agit d’un puissant phénomène de communication comme on en connaît aujourd’hui, qui paralyse l’esprit et force le jugement dans une prison inexpugnable. La pensée est complètement anesthésiée par les clichés et les lieux communs et leur psychologie, d’une faiblesse incroyable par ces temps que nous vivons, n’a aucune capacité d’offrir une perception qui conduirait, non seulement à une révision du jugement, mais même à une revue critique des prétendus-“faits” qui lui sont imposés. Le processus est certes connu mais il n’y a sans doute pas une matière (cette facette économico-commerciale de l’internationalisme) où il est le plus puissamment, le plus longuement, le plus totalitairement imposé depuis trois quarts de siècle parce qu’il concerne le fondement absolument irréfragable de l’idéologie, voire de la “métaphysique” dominantes, et justificatrices de la postmodernité.
(Nous parlons d’une “métaphysique-simulacre” que la postmodernité tente désespérément de mettre en place par le biais de tel ou tel événement dans le but de disposer pour elle-même d’une sorte de socle transcendant qui lui donnerait une légitimité. Même si tout cela ne peut être que simulacre, la pression de la narrative et de toutes les formes de communication possible est très grande sur les psychologies. Les plus faibles, et le nombre des “plus faibles” forme aujourd’hui une paradoxale majorité, acceptent absolument, inconsciemment, autoritairement, le classement des diabolisation ainsi imposées. Le protectionnisme est la diabolisation la plus constante et la plus nécessaire pour le Système, dans sa forme intellectuelle comme dans sa forme opérationnelle.)
Cette observation psychologique nous paraît nécessaire pour bien comprendre, d’une part le caractère révolutionnaire de la candidature Trump à cause de ce domaine-là, d’autre part la réaction hystérique, quasi-hallucinée des élites-Système face à cette candidature. Ces attitudes psychologiques ne s’habitueront pas à cette candidature, pour ne pas parler de son élection possible. Elles ne feront que s’exacerber, jusqu’à rechercher une réalisation opérationnelle explosive de s’exprimer : là se trouve l’annonce d’une crise sans précédent au cœur du bloc-BAO.
L’on pourra dire ce que l’on veut de qualité du discours de Trump, – et il y a beaucoup à dire certes, – mais l’on observera pour notre propos que, parmi les plus fervents enthousiastes du candidat, on trouve des arguments qui vont au cœur de l’argument du fait de leurs référence. Voici Ann Coulter, affirmant « que c’est le plus grand discours de politique étrangère aux USA depuis le discours de George Washington ». Passons sur le jugement de valeur pour noter aussitôt que Coulter se réfère au fameux discours de départ du premier président US, en 1797 : Washington exhorta ses successeurs et les dirigeants des USA à conserver cette posture “isolationniste” établie par sa présidence, dont la principale traduction est le protectionnisme économique et le refus de tout engagement politique extérieur formel (traités, alliance, etc.).
Il est manifeste que les quelques phrases qui ont donné une base rationnelle à la réaction hystérique anti-Trump au sein du bloc BOA sont celles qui concernent effectivement cet engagement qu’on qualifierait pour le mettre sémantiquement à jour d’anti-internationaliste. Ce que Trump dit abandonner, c’est cette posture et ce dogme internationalistes qui est la constance de la politique US (républicains et démocrates mêlés) depuis 1941. Cette posture et ce dogme ne sont pas une exclusivité américaniste mais baignent toutes les élites-Système du bloc-BAO depuis plus d’un demi-siècle. On peut dire de cette posture et de ce dogme effectivement qu’ils ont été développés sous l’influence d’une myriades de centres de puissance et d’influence le plus souvent du domaine privé, cette circonstance autorisant à explorer l’hypothèse selon laquelle la conséquence de cette évolution est que la souveraineté, – celle des peules, celle des nations, celle des puissances publiques, etc., – c’est-à-dire la souveraineté comme principe structurant voit ses moyens d’action s’éroder et se dissoudre, et sa légitimité réduite à mesure... Voici les passages en question, qui concluent le discours de Trump et renversent l’ensemble de la perspective de l’internationalisme.
« We will no longer surrender this country, or its people, to the false song of globalism. The nation-state remains the true foundation for happiness and harmony. I am skeptical of international unions that tie us up and bring America down, and will never enter America into any agreement that reduces our ability to control our own affairs.
» NAFTA, as an example, has been a total disaster for the U.S. and has emptied our states of our manufacturing and our jobs. Never again. Only the reverse will happen. We will keep our jobs and bring in new ones. Their will be consequences for companies that leave the U.S. only to exploit it later. »
Quand on lit un texte de Eamonn Fugleton que nous citons plus loin (sur UNZ.com, le 30 avril), très laudateur pour ce que devrait être la politique commerciale et économique de Trump, on s’aperçoit que le point de vue, dans les milieux “protectionnistes” US qui se révèlent beaucoup plus nombreux et agissants qu’on aurait pu croire (aussi bien de droite que de gauche, et chez Sanders aussi bien que chez Trump), est que les USA sont totalement perdants dans les diverses négociations et accords de libre-échange. De ce point de vue, les critiques des accords de libre-échange aux USA sont aussi critiques du TTIP/TAFTA que le deviennent aujourd’hui (avec l’aide de documents fuités) les Européens au niveau des nations tant dans l’opinion publique que chez certains gouvernements, avec les Français en tête. La situation est alors complètement paradoxale sinon absurde : une majorité d’opposition à ce traité, comme à tout ce qu’il représente, est en train de se dégager aux USA et en Europe au niveau public mais aussi d’autorités officielles présentes et à venir, tandis que les USA et l’Europe (l’UE) continuent à négocier à marche forcé, et même à course forcée, ce même traité.
D’une certaine façon, Fugleton donne indirectement l’explication de cette situation extraordinaire en développant l’argument que la plus grande difficultés pour Trump, s’il est élu, sera de trouver une équipe opérationnelle de direction, et une bureaucratie pour l’exécution, capable ou voulant défendre cette position de cet éventuel nouveau président... « A major part of Trump’s problem will be transforming the culture at the Office of the United States Trade Representative (USTR). Hitherto the USTR seems to have been peopled largely by an amoral breed of young lawyer for whom, in typical revolving door fashion, government service is just a stepping stone towards the real deal, a big paying job in the private sector. For such people, and their likely future employers in the Washington foreign trade lobby, a reputation for standing up for the U.S. national interest is not considered an asset. [...]
» “Trump will need to formulate a comprehensive plan to fulfill his promise to bring back jobs to America,” Kearns comments. “It will involve not just USTR and the Commerce Department, but also Treasury, Defense, Energy, Labor and other departments and agencies. He will have his work cut out finding people who share his vision and are willing to man the various federal government positions to carry out his plans. They exist, but they are few and far between. And certainly, there are legions of lobbyists, think-tankers, and academics who would be only too glad to take a job and subvert his program.” »
Une fois de plus, on doit mettre l’accent sur ce que les Européens, lorsqu’ils se découvrent anti-TTIP/TAFTA, ont bien du mal à assimiler : l’opposition à ce traité est aussi forte aux USA qu’en Europe, alors que ce traité est considéré par eux (les Européens) comme un moyen d’investissement de l’Europe par les USA, – ce qui n’est pas tout à fait faux dans l’apparence de la présentation mais qui est à tout à fait faux dans l’esprit. En fait le TTIP/TAFTA est (comme le TPP du côté du Pacifique) un moyen d’investissement à la fois de l’Europe et des USA par une sorte de conglomérat où une partie du Corporate Power, sans nationalité par définition, où la corruption, la narrative-lobbying, la finance et le crime organisé, etc., tiennent la place principale ; le but est le profit internationaliste et la destruction des pouvoirs souverains qui le contrarient, et nullement, par exemple et pour poursuivre l’exemple de l’opposition européenne au traité, moins d’emplois pour l’Europe et plus pour les USA. Au contraire, comme se développe notamment l’argument de Sanders/Trump, les traités de libre-échange, et TTIP/TAFTA comme les autres, détruisent toujours plus d’emplois aux USA, et nullement à l’avantage de l’Europe puisqu’il y en détruit à peu près autant.
Même si les manipulateurs de cet épisode sont connus (une partie du Corporate Power, corruption, narrative-lobbying, finance, crime organisé, etc.), il est manifeste qu’ils n’ont pas besoin de “feuille de route”, de direction occulte, bref de “complot mondialiste” ; la chose se fait sur son élan, selon sa logique, et ces manipulateurs n’en sont que les exécutants parce qu’ils espèrent en être les bénéficiaires, sans se poser d’autres questions, ni sur la stabilité de l’ensemble, ni sur les contre-chocs, les insurrections que cette dynamique va faire naître, ou a déjà fait naître... Cette évolution se place dans un immense courant de déstructuration et de dissolution dépassant largement le cadre du commerce qu’on évoque ici, et touchant tous les domaines de la puissance, voire et plus justement dit de la civilisation elle-même.
A ce point, il faut répéter bien entendu dans la logique de ce qui précède notre conviction que ce courant ne représente nullement un plan général et mûrement réfléchi et contrôlé d’installation d’une “gouvernance mondiale” organisée en tant que telle (New World Order) ; une telle organisation aurait bien d’autres voies plus habiles pour se réaliser et elle éviterait ainsi rien de moins que cette insurrection générale et extraordinaire à laquelle nous assistons aujourd’hui, qui risquerait de provoquer, elle, rien de moins que sa chute, s’il s’agissait bien d’une telle machination. Il s’agit, d’une façon bien différente et avec toute la maladresse grossière qui l’accompagne, de la dynamique de poussée surpuissante issue du Système et dont la caractéristique est l’aveuglement le plus complet des effets de la puissance qu’il déchaîne, sans aucun frein, sans aucun calcul, sans aucune tactique d’attente ou de contournement, mais avec comme seul moteur et comme seul guide une dynamique hors de contrôle, produisant la nécessité d’avancer furieusement, encore avancer furieusement et toujours avancer furieusement.
En ce sens, un Trump (ou un Sanders si le cas était possible) ouvre la boite de Pandore avec cette formule sonnant comme un abracadabra : America First. Dans un univers où la politique et la stratégie se sont retirées des formes principales de la pensée, s’effaçant derrière le système de la communication dont elles attendent les consignes, la chose, cette formule d’ America First, avec son formidable poids de diabolisation et d’intoxication des psychologies, représente comme une superbe cape rouge agitée devant le taureau furieux qui ne cesse de foncer, et qui se déchaîne plus encore, suscitant par contre-réaction les effets négatifs qu’on voit aujourd’hui (insurrection et le reste). C’est pour cette raison que le slogan est d’une importance capitale : il plonge l’adversaire, le Système, dans une fureur sans contrôle et accentue l’aveuglement du déchaînement de sa surpuissance. On voit qu’on est loin des supputations sur le programme d’un Trump, ou quelque autre détail de cette sorte.
On observera que tout cela s’est développé, dirait-on, de soi-même. L’insurrection elle-même est née sans plan préconçu, elle aussi comme un mouvement de résistance qui se renforce brusquement de la puissance de l’adversaire qui l’a suscitée, en retournant de plus en plus précisément cette puissance contre lui (“faire aïkido”), – réaction déjà vue et valable pour tous les domaines, et de plus en plus efficace puisque la surpuissance ne cesse d’être de plus en plus surpuissante, – par conséquent, tous les comptes faits, de plus en plus autodestructrice. Plus encore, cette réaction s’est faite simultanément de plusieurs côtés, pour la scène “révolutionnaire” des élections US à partir de l’élection primaire du Michigan, au début mars, qui a mis la question du commerce au premier plans des polémiques entre les candidats ; cela suivi, pour la scène plus globalisée où l’Europe intervient, de polémiques directement liées à la reprise des négociations sur le traité, à la fin avril. Désormais, tout le monde sent bien que le sort du ou des traités est en jeu, ontologiquement, alors que les tempêtes ne cessent de se lever à l’horizon ; et que, derrière, ce sont toutes les structures du bloc BAO, l’Europe de l’UE bien entendu, les USA de l’américanisme eux-mêmes, qui sont en première ligne sur le front de cet immense affrontement.
Il y a par conséquent toutes les chances que cette “crise des traités”, comme on pourrait commencer à nommer un aspect de cette grande affaire, continuera à monter en puissance dans les mois qui viennent, avec l’aiguillon de l’élection finale du président US où Trump sera très probablement présent avec son terrible slogan America First. Parallèlement, cette “crise des traités” va s’inscrire dans la plupart de agendas politiques, comme l’y invite le cadre de la globalisation où elle s’inscrit. Au-delà s’ouvre la terra incognita classique, avec l’enjeu colossal de la rupture de l’internationalisme qui constitue le cadre conceptuel général de toute la postmodernité. Tous les mouvements de déstructuration et de dissolution, économiques et financier bien sûr, mais aussi politiques, sociétaux, culturels, psychologiques, etc., et la globalisation elle-même, reposent dans leur développement et dans leur élan sur l’orientation internationaliste de la puissance US d’abord, sur toutes les orientations, structures, associations, etc., qui se sont développées ensuite au sein de ce que nous nommons le bloc BAO. C’est toute l’architecture mise en place depuis 1945-1947 qui est mise en cause par America First, d’abord symboliquement, mais tout aussi bien conceptuellement et opérationnellement. L’onde de choc d’une telle réorientation, dans le climat de tension et de panique qui règne aujourd’hui, est de l’ordre du séisme global majeur. Il est une voie très probable de l’effondrement du Système.
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