T.C.-92 : Jusqu’au bout, chaque jour 

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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T.C.-92 : Jusqu’au bout, chaque jour 

20 août 2020 – Le dernier texte de :la rubrique “T.C.” (“Tourbillon Crisique”) date du 30 mai 2020, ce qui fait très loin et très inhabituel. Dieu sait s’il n’a pas manqué d’événement pour justifier l’appel à “T.C.” ; c’est simple, on pourrait parfois penser que chaque jour est un spasme gigantesque de plus du “Tourbillon Crisique“ du monde.

(Bien entendu, Covid19 est passé par là, même là s’il n’est pas directement concerné. Il a décisivement et sans retour bouleversé la psychologie.)

C’est un peu pour cela que j’ai délaissé cette rubrique “D.C.” : parce que chaque jour presque devrait s’y inscrire. En cela aussi, et vis-à-vis de mes références personnelles, je répéterais que nous sommes entrés dans une “nouvelle ère-nouvelle”. (Les “ères-nouvelles” défilent aujourd’hui à la vitesse des jours et des heures folles.) Je dirais même que cette “nouvelle ère-nouvelle” mérite bien cette étrange formulation, car il s’agit peut-être bien, voire sans le moindre doute, d’une forme différente d’“ère-nouvelle” par rapport à ce que nous avons connu.

Il n’y a pas qu’un simple aspect quantitatif : des crises de plus en plus importantes, qui s’accumulent, qui surgissent de plus en plus vite, qui s’intègrent, qui tourbillonnent, qui mugissent, etc. Il y a aussi un aspect qualitatif inédite, concernant la forme ou le ‘modèle’ de la crise (concept pris en général), sa spécificité, mais aussi son originalité, sa complexification dans la mesure où le domaine touché n’est normalement (?) en rien crisique. Dans cet aspect qualitatif, il y a également un chapitre important qui est dévolu à la question des contradictions qui est devenue d’une considérable et incroyable importance, qui projette les uns et les autres dans des situations inattendues, à partir des positions diverses qu’ils affirment, sans qu’ils se doutent de ce que ces choix leur réservent.

Un exemple me revient souvent à l’esprit. Ce sont les mêmes, – en général dissidents et antisystèmes, et se réclamant implicitement d’être de ‘bons’ antisystèmes par leur dénonciation des antiSystème jugés trop entreprenants ou utopiques dans leur bataille , – qui, d’une part, se plaignent que les exigences dites de ‘sécurité sanitaire’ (le confinement, ou bien le port obligé du masque), est non seulement attentatoire à la liberté (ce qui n’est pas faux), mais surtout dénoncent une vaste opération (oserais-je dire ‘complot’ ?) destinée à isoler l’individu, en le coupant des autres, en le ‘désocialisant’, en l’amollissant, en le mettant définitivement à merci d’une sorte de dictature indéfinissable ; si vous voulez et pour faire bref, “vaste opération” destinée à le ‘zombifier’ en son isolement extrême, seul avec son impuissance, pour l’empêcher de s’opposer aux forces sombres qui nous assaillent. Les mêmes vont diraient d’autre part, sinon vous disent dans un même souffle que ce qui favorisent ces ‘forces sombres’ et leur permet d’imposer le confinement ou le masque pour nous zombifier, c’est que nous, – c’est-à-dire eux, les gens, le peuple, sont d’ores et déjà abrutis, servilement volontaires pour être serviles, complètement anesthésiés dans leurs i-pad/i-phone et leur ‘tourisme de masse’ (ou bien, disons ce qu’il en reste) ; bref, résumons, tout ça d’ores et déjà ‘zombifiés’ dans tous les sens.

Pour faire bref justement, ceci : ainsi cherche-t-on à ‘zombifier’ dans une vaste opération, coûteuse, bruyante, suspecte, des masses molles frappées d’aboulie sauf pour la servilité, bref des masses d’ores et déjà ‘zombifiées’. Le grand complot porte sur la zombification de ceux qui sont déjà zombifiés.

(Moi-même, si je peux me permettre un aparté, me suis trouvé dans une situation où j’ai glorifié le confinement après tout... Voyez ci-dessous, en note [*], un rappel de ma perception du confinement, effectivement interdicteur de ma liberté.)

Voilà le type de contradiction qui est apparue un petit peu ces dernières années, qui s’installe et nous inonde avec brutalité et dans le plus grand fracas ces derniers mois avec Covid. L’événement fait du champ de bataille crisique, désormais, plus un affrontement au sein du camp antisystème, mais un peu comme si plus personne ne se réclamait du camp du Système et se disait d’une façon ou l’autre antisystème. (On notera l’absence de majuscule, par rapport à mon antiSystème, qui est une toute autre affaire.)

C’est ainsi, je crois que nous sommes entrés dans une “nouvelle ère-nouvelle”, c’est-à-dire une “ère-nouvelle” qui n’a plus aucun lien de parenté, ni avec ce qui a précédé, ni avec ce qui a existé. Cette “nouvelle ère-nouvelle” est caractérisée par son caractère absolument, totalement et même totalitairement crisique. La substance même du temps et du monde, des événements, des affrontements, des parti-pris, de tout ce qui est terrestre et ne fait pas appel à une référence supérieure, tout cela est crisique, ou matière dynamique de crise, et donc soumis à la relativisation qu’impose la crise ; et dans ces circonstances, vous vous trouvez dans une difficulté considérable, quasiment sans une issue qui vous permettrait de rétablir même temporairement de la stabilité, d’identifier qui est qui, qui est de votre parti, qu’est-ce que c’est que votre parti et ainsi de suite.

Nous sommes sur une terre mouvante qui bouge à chaque pas, qu’animent sous nos pieds de terribles secousses telluriques, un monde en crise totale et totalitaire, terra incognita marquée par la fureur des dieux et le feu grondant de l’enfer. Ainsi en est-il des crises, et de la plus grande d’entre elle, la GCES-totalitaire. (Voilà bien un concept nouveau sur lequel il faudra se pencher à partir de l’idée de la GCES : la ‘crise-totalitaire’.)

Dans un tel magmas et torrent de lave, il est impossible d’en rester à des considérations terrestres, et notamment, et essentiellement, s’en tenir à des références terrestres pour fixer sa position, la faire évoluer, la fixer à nouveau. Il faut une sorte de ‘Ligne Générale’ dont le trait est tracé par au-dessus de nous. Voilà le rôle principal du Système dans mon cas, majusculé pour le distinguer, qui est le représentation opérationnelle du Mal qui règne sur la terre. Il ne s’agit pas d’une ‘création’ de circonstance, une référence surgie de nulle part pour jouer les utilités. Je perçois le Système comme cette “représentation opérationnelle” du “déchaînement de la Matière” d’à partir de la fin du XVIIIème siècle, laquelle, par les moyens de la modernité façonnant les psychologie vers le pire, par les outils bien-connus (systèmes du technologisme et de la communication) qui séduisent les Sapiens-Sapiens pour en faire des exécutants, déclenchent le séisme de toutes les infamies qui avaient été précieusement rangées depuis plusieurs siècles en un arsenal de dévastation.

Ainsi je dispose de ma référence négative, contre quoi je me situe, la chose qui domine le reste dans le domaine de la malédiction et de l’effondrement, et alimente l’empire qui nous enferme depuis plus de deux siècles. Si vous voulez, c’est mon étoile polaire. Aujourd’hui, dans cette crise-totalitaire où la confusion règne, où nul ne sait dire s’ils ne trahit pas à l’instant ce qu’il chérissait l’instant d’avant, par simple goût de la vanité de s’en tenir à ses propres conceptions, je me tiens ferme en référence à mon étoile polaire, qui est ma bataille-totalitaire contre le Système.

Notre monde a finalement basculé dans le plus complet subjectivisme, qui aurait dans les salons la réputation de pouvoir s’avérer être un outil décisif pour le Système. Pour qui sait y faire et riposter mortellement, il y a “Janus” à portée de main et le moment est venu, comme il était envisagé il y a deux jours... « ...[P]our mener à son terme la phase historique à laquelle il a présidé et que les choses puissent se mettre de façon à se transmuter en une fondation métahistorique qui serait ouverte sur les possibilités de l’avenir, le Système doit effectivement se découvrir complètement en semant tous les malheurs qu’il est capable d’engendrer et de produire selon la logique subversive et la dynamique du “déchaînement de la Matière”. Il doit complètement “jeter le masque”, dirions-nous selon une image à double sens dans les temps de la pandémie Covid19. »

Pour cela, il faut tenir ferme, comme on le doit dans un ouragan qui semblerait signer votre arrêt de mort, pour affronter tous les périls (« la montée des périls », disait le général). Le fait est que l’époque, la “nouvelle ère-nouvelle”, est absolument structurée pour être le théâtre de cet affrontement final, suivi d’effondrement. Il n’y a plus de crise, nous sommes la crise.

 

Note

(*) Un rappel de ma perception du confinement, lorsque j’écrivais le 29 mars 2020 :

« Je n’ai pas peur du confinement ni n’en souffre nullement. Pour vous dire le vrai, par nature et par la nature de mon travail que je considère comme une mission, je me suis confiné moi-même depuis des années et des années, peut-être bien depuis 30 ans dans l’esprit de la chose. Sur le tard, je suis devenu intransigeant et ne veux plus rien voir du monde de cette époque “étrange et monstrueuse” que je n’aime pas jusqu’à l’ignorer absolument comme l’on dédaigne, – curieusement et paradoxalement jugeront certains, bien que mon métier soit de la connaître dans tous ses états et dans tous ses vices, ce que je fais bien plus et bien mieux que tant et tant d’être qui y vivent comme l’on s’y vautre.
» Ainsi puis-je vous dire que l’on peut faire de belles et saines choses dans une épopée de confinement. Il importe que ce confinement que le monde (le Système) vous impose, vous en fassiez une forme de refus de ce monde (le Système). Un confinement n’est pas nécessairement l’acquiescement d’une servilité, – seuls les esprits prompts à se soumettre peuvent y songer, – cela peut être aussi la défiance inébranlable de la résistance.
» Vous ai-je dit le moment le plus heureux, le plus joyeux de ma journée ? La matin, à la fine pointe de l’aube, ma chienne Marie et moi. Pas un bruit, plus rien de ce grondement sourd du trafic de la grande nationale dans la vallée, aucune trainée de condensation dans le grand ciel bleu, pas une voiture dans mes petits chemins de fortune menant à la forêt, là-bas, tout près, rien que la nature qui chante (les oiseaux n’ont jamais été si joyeux et si bavards)... Alors, je rêve un peu, – “Rêvons un peu”, disait Sacha ; le jour où ils ordonneront, triomphants et épuisés, la fin du Grand Confinement, leur répondre avec un amical doigt d’honneur, pour leur dire : “Non non, nous continuons comme nous avons appris à vivre, d’une nouvelle façon, avec quelques petits aménagements, notre propre organisation vous voyez, c’est tout... Sortis du Système et confinés hors de lui, nous ne voulons plus y retourner, car que ferions-nous d’une équipée désolée au milieu du champ des ruines de la modernité ?” »