T.C.-102 : La course sur le fil

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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T.C.-102 : La course sur le fil

23 décembre 2021 – Par les temps qui courent, le Temps accélère au-delà de toute possibilité concevable depuis le ‘Big-Bang’. Les événements semblent tester l’option selon laquelle si vous imposez une accélération à ce qui est déjà “nos temps-devenus-fous”, vous pourriez provoquer un paroxysme du paroxysme qui, soudain, délivrerait des forces cachées précipitant l’effondrement, ou les effondrements que tout le monde attend inconsciemment comme une libération d’une tension de folie devenue insupportable.

Ainsi se présente 2022, sur deux fronts dits de potentiels “paroxysmes de paroxysme” :
• la situation de structure crisique d’un premier front d’affrontement international, se subdivisant entre des deux fronts d’affrontement entre blocs (disons, pour l’heure et dans une situation susceptible de changements), un “bloc-Système” [bloc-BAO, indeed] et un “bloc-antiSystème” [les compères Chine-Russie] ;
• la situation de structure crisique du front (intérieur) des États-Unis d’Amérique, où la séparation entre “bloc-Système” et “bloc-antiSystème” existe en substance mais se heurte trop à diverses spécificités contradictoires pour être tout à fait clairement identifiée.

Ces deux fronts sont entre eux, en réalité, dans une course bien plus que  dans un affrontement. Les deux participants évoluent de concert, comme dans une finale des Jeux Olympiques (même en Chine) où “l’important est de participer” mais l’enjeu suprême est de ne pas gagner. En d’autres mots, lequel des deux paroxysmes parviendra le premier à la médaille d’or du “paroxysme du paroxysme”, conduisant la structure crique au finale de la Grande Crise GCES ? Importante question, peut-être celle qui dominera l’année 2022-cruciale (une de plus).

• Front d’affrontement international

Les points de tension géopolitique entre les deux “blocs” comme on les a nommés ne peuvent être décrits sans qu’on fasse un appel puissant au simulacre, au montage et aux narrative. L’actuelle vedette du “show géopolitique” est évidemment l’Ukraine, qui a produit le plus formidable amoncellement de simulacres qu’on puisse concevoir, de la révolution du Maidan qui représente le “coup-CIA” le plus flagrant de l’histoire pourtant fournie à cet égard (selon un connaisseur) et le terrain d’élections du simulacre d’invasions multiples de la Russie, au point que nous avons forgé un néologisme à plusieurs branches pour bien nous faire comprendre : le “déterminisme-narrativiste”. C’est pourtant à nouveau en Ukraine que se joue le sort du monde, volant régulièrement la vedette ces deux dernières années à Taïwan et à l’Iran. L’extrême complication des simulacres, des compromissions, des soumissions et des corruptions, – les pays de l’OTAN et l’Ukraine étant experts en ces matières vis-à-vis des USA, – fait de cette crise un archétype de tragédie-bouffe de nos temps-devenus-fous.

La plupart de ces crises sont aussi vieilles que la Grande Crise. (Sarkozy ne disait-il pas en août 2007 que la crise iranienne était la plus grave crise qu’avait à affronter le monde, faisant ainsi craindre un dénouement, – explosion ou désamorçage, – et donc la fin de la crise ; aujourd’hui, l’on re-re-re-reparle d’une attaque israélienne.) Ce qui est nouveau, c’est l’emploi implicite du terme “ultimatum” pour qualifier les propositions de Poutine aux USA pour l’établissement d’une sécurité européenne à l'occasion de la crise ukrainieznne ; propositions qui sonneraient plutôt comme des injonctions.

Le Saker-US analyse longuement les mesures de rétorsion (hors d’un conflit militaire) que les Russes peuvent prendre si leur ultimatum est rejeté, sans douter une seconde que Poutine réagira effectivement. Elles sont nombreuses et, selon lui, la Russie est en excellente position.

« Je pense que les premières mesures seront prises rapidement, à moins que les États-Unis ne montrent des signes tangibles de leur volonté non seulement de négocier sérieusement, mais aussi de le faire rapidement. Poutine vient de répéter aujourd’hui qu’aucune tactique dilatoire américaine ne sera acceptable pour la Russie.

» Jusqu’à présent, il semble que les États-Unis vont faire une contre-offre à Moscou. S’il s’agit des habituelles conneries sur l’exceptionnalité des États-Unis, la pression “douleureuse” sera très vite augmentée, au cours des deux prochaines semaines. Si l’administration “Biden” est réellement sérieuse et montre des signes tangibles, vérifiables, que Washington négociera, alors la Russie pourrait attendre un peu plus longtemps, nous parlons d’un mois, peut-être un peu plus. Mais personne en Russie ne parle d’années, ni même de plusieurs mois. L’horloge tourne maintenant et les États-Unis doivent agir très rapidement : avant mars [2022], c’est certain. »

Le problème est que le bloc-BAO, encalminé dans son déterminisme-narrativiste, ne peut imaginer autre chose qu’une offensive en Ukraine comme “réponse russe”, ou “riposte russe”. Il aura de la peine à imaginer que des mesures russes contre lui autrement qu’en Ukraine même ou par rapport à l’Ukraine, concerne effectivement la crise ukrainienne puisqu'il ne conçoit pour résoudre cette crise qu'une complète capitulation russe assortie d'aveux complets. Le bloc-BAO continuera donc à être dans un autre monde, un monde-simulacre, hors de la vérité-de-situation. Pour cette raison, il faudrait que Poutine, avec son ami Xi, envisageât avec adresse et habileté de devenir aussi fou que le bloc-BAO pour bien se faire comprendre...

• Front des États-Unis d’Amérique

Pour décrire la situation réelle aux États-Unis, parfaitement ignorée de tous les commentateurs européens (étant entendu que nous mettons la Russie hors de l’Europe), rien ne vaut l’article du prestigieux constitutionnaliste Jonathan Turley, du 20 décembre 2021. Il s’agit de l’atmosphère, absolument omniprésente chez les démocrates, de l’emporter, d’imposer leur régime, de faire triompher leur loi « par n’importe quel moyen », y compris le plus illégal, le plus brutal, le plus intolérant... Turley nous parle donc du « Temps de la Rage » :

« En notre Temps de la Rage, aucune institution ni aucun processus ne semble inviolable.  Lorsque la majorité de la Cour suprême s’est déplacée vers la droite, les universitaires et les leaders progressistes ont exigé le “reconditionnement de la Cour” [ajouter des Juges progressistes pour modifier la majorité], – une pratique considérée depuis longtemps comme anathème pour l’État de droit. Lorsque la commission ad hoc formée par la Cour Suprême a fait part de ses préoccupations concernant le “reconditionnement de la Cour”, elle a été dénoncée par des groupes progressistes et deux des rares membres conservateurs ont démissionné en raison du tollé. Les universitaires ont été exhortés à “réécrire” le Premier Amendement lorsqu’il est apparu comme une entrave aux efforts de “justice sociale” [wokenisme]. Il n’est donc pas surprenant que certains de ces mêmes activistes demandent maintenant le renvoi de la “conseillère législative” du Sénat [‘Parlementarian of the US Senate’], Elizabeth MacDonough. Son délit ? Elle a rendu un jugement non partisan selon lequel les démocrates ne pouvaient pas faire passer le vaste ensemble de réformes de l’immigration dans le cadre de la procédure de conciliation budgétaire. Comme la Cour suprême, la “conseillère” est devenue un obstacle à la politique, donc elle ou son autorité (ou les deux) doivent s’en aller. Les députés et le personnel démocrates répètent la même menace, désormais familière à Washington, de faire triompher leur politique “par n’importe quel moyen”. »

Le climat aux États-Unis ces derniers jours est comme fouetté par l’arrivée de l’année nouvelle. Pour tout le monde et dans tous les sens, 2022 sera “décisif”. Pour ce faire, on parle énormément de l’intervention d’une universitaire, spécialiste de l’analyse des situations d’instabilité politique et travaillant pour la CIA, donc utilisant la méthodologie de l’Agence. Il s'agit de Barbara F. Walter. Il y a eu un article de Walter dans le ‘Daily Mail’, puis une interview d’elle dans le Washington ‘Post’.

L’attention portée à Walter avait été bien préparée par l’article du Washington ‘Post’ des trois généraux à la retraite de l’US Army dont il a été question sur ce site le 19 décembre 2021, sous le titre fort aventureux de « Putsch au Pentagone ». Après deux jours d’atermoiements internes, WSWS.org s’est décidé à commenter les constats horrifiés des trois généraux à la retraite mais tout de même en mission, pour enchaîner sur Walter. C’est cette partie (la conclusion) de l’article que nous reprenons.

« Le Washington ‘Post’ a publié une nouvelle chronique sur la probabilité d’une guerre civile aux États-Unis, par l'un de ses éditorialistes habituels, Dana Millbank, qui adopte en général une posture d'humour moqueur et de manque de sérieux.

» Dans la chronique de dimanche, cependant, Millbank a interviewé une professeure de sciences politiques à l'UC San Diego et conseillère de la CIA en matière d'instabilité politique, Barbara F. Walter, qui utilise la propre méthodologie de la CIA pour évaluer les conflits civils et l'applique aux États-Unis. Sa conclusion : “Nous sommes plus proches de la guerre civile qu'aucun d'entre nous ne voudrait le croire.”

» Millbank donne un extrait du prochain livre de Walter, à paraître en janvier, intitulé, ‘How Civil Wars Start’.

» “Personne ne veut croire que sa démocratie bien-aimée est en déclin, ou se dirige vers la guerre”, écrit-elle. Mais, “si vous étiez un analyste dans un pays étranger et que vous observiez les événements en Amérique, – de la même manière que vous observeriez les événements en Ukraine, en Côte d'Ivoire ou au Venezuela, – vous dresseriez une liste de contrôle, évaluant chacune des conditions qui rendent une guerre civile probable. Et ce que vous constateriez, c'est que les États-Unis, une démocratie fondée il y a plus de deux siècles, sont entrés en territoire très dangereux.”

» Les États-Unis sont au bord d’une “insurrection ouverte” qui conduirait à “une violence soutenue alors que des extrémistes de plus en plus actifs lancent des attaques qui impliquent le terrorisme et la guérilla, y compris des assassinats et des embuscades”, écrit le conseiller de la CIA, selon Millbank.

» De tels scénarios ne sont pas seulement le cauchemar d'un trio de généraux à la retraite ou d'un conseiller de la CIA. Au contraire, ces commentaires sont publiés dans le principal journal de la capitale américaine pour exprimer ce qui est largement débattu dans les cercles dirigeants de l'élite américaine : le 6 janvier 2021, loin d'être un événement unique, est un avertissement de l’éruption imminente d'un conflit violent, en 2024 si ce n'est plus tôt. »

“Guerre civile”, voilà donc la promesse de Walter, avec les compliments de la CIA qui a largement contribué à la préparation de la chose, – de la prévision, veux-je dire... Pour que le ‘Post’ publie, dira-t-on dans les rédactions parisiennes, il faut que cela soit sérieux. Il faut surtout que cela corresponde à la narrative démocrate, et trotskiste également puisque ‘WSWS.org’ y va carrément et chronologiquement. A ce point du propos, il est en effet essentiel de préciser que, pour tout ce beau monde, l’incendie de la guerre civile a été allumé par l'“insurrection” du 6 janvier 2021 au Capitole, qui est une réplique wokeniste de l’incendie véridique du Reichstag avec les trumpistes figurant les nazis... Car cet événement (le 6 janvier 2021) ébranla le monde. Avant, tout allait si bien, l’entente régnait, la légalité constitutionnelle respectée, le ‘Russiagate’ et les élections marchaient à pleine vapeur – vous savez ? Vous vous rappelez ?

Donc, les démocrates parlent de la guerre civile, ils secouent la boule de cristal de leurs prévisions comme un brandon allumé, remplissant parfaitement leur rôle assumé depuis presque une décennie de déconstructeurs, ou déconstructurationnistes, d’incendiaires , de gens de cette gauche devenue instruments de destruction de la civilisation. (Du Système en réalité, mais cocus ils sont... On connaît ma/notre position tactique-stratégie qui leur dit “bravo, continuez idiots-utiles vraiment idiots et si utiles”, et qui nourrit un profond mépris pour leur utopisme nihiliste hystérique et vulgaire.) Arriveront-ils à forcer les républicains à être moins lâches, et les “Deplorables” à prendre les armes qu’ils ont stockées ? C’est ce que pense Nebojsa Malic, qui tient également pour fort important la lettre des généraux lanceurs d’alerte d’une guerre civile qu’ils contribuent à embraser, et concluant ainsi :

« Les Démocrates ont eu une étrange obsession de la guerre civile cette année. C’est quelque peu déroutant, alors qu'ils viennent d'en mener et d'en gagner une. Après tout, qu'est-ce que la “fortification” de l'année dernière sinon le point culminant d'un effort de plusieurs années pour remplacer l'ancienne république constitutionnelle par une “Our Democracy” plus “équitable” ?

» Pendant ce temps, les républicains soi-disant dangereux et armés jusqu'aux dents se sont contentés de poursuivre leur chemin légaliste, stupidement convaincus que les anciennes règles étaient toujours en vigueur. Même si un certain nombre d'entre eux pensent que Biden n'est pas un président légitime, ils ne sont pas prêts à remettre en question le système auquel ils croient encore. Pourtant, au moment même de leur triomphe, les démocrates sont sur le point de lancer une chasse aux sorcières [dans l’armée] qui pourrait pousser leurs adversaires à bout. »

Quoi que l’on pense du fond de l’analyse de l’agent Walter, même si l’on juge qu’il s’agit d’une opération (télé)guidée par l’alliance démocrates-CIA, l’important est objectivement la dynamique qu’il révèle, productrice objective de l’effondrement. Paralysés d’horreur à l’idée du scrutin de novembre 2022 où ils se voient perdants dans les deux chambres, les démocrates sont lancés dans une surenchère alarmiste et déconstructrice internes, quitte à provoquer un véritable conflit qui serait plutôt un démembrement du pays.

Cela fait six ans que ce pays fonctionne ainsi, en état d’“urgence révolutionnaire”, et chaque événement pseudo-démocratique est l’occasion d’attaquer avec une violence redoublée le processus démocratique que pourtant le Système mit tant de zèle et de précision à mettre en place avec une “fabrique du consentement” fondé sur une bipartisanerie de pacotille permettant de verrouiller toutes les serrures de ce simulacre. Il s’agit certes d’une tragédie du suicide au rythme du ridicule et dévastateur wokenisme qui reste l’ultime champ d’affrontement des dirigeants des deux camps pourtant complices dabs l’édification du Système ; et par conséquent, à cause de ce qu’est le wokenisme, tragédie-bouffe par essence mais tragédie quoi qu’il en soit... Nous nous apercevrons alors que le “quoi qu’il en coûte” du bouffon est en vérité un “quoi qu’il en soit” de la tragédie catastrophique.

A qui la médaille d’or ?

Dans un article de ‘Spoutnik-Français’ qui expose ses analyses, l’essayiste Nikola Mirkovic (‘L’Amérique empire’) observe :

« Ce genre de discours atlantiste m’inquiète. L’attitude, le comportement, les agissements des Occidentaux me rappellent ce que j’ai vu en Yougoslavie. »

Il parle de la politique US/OTAN vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, par rapport à la stabilité, l’équilibre et la structuration européenne. Changeant deux mots, il pourrait aussi bien parler de la stabilité, de l’équilibre et de la structuration des USA par rappoort à eux-mêmes, à leurs illusions, à leur simulacre.

Les deux crises sont de la même structuration, celle de la structure crisique qui est la forme universelle de la GCES. Elles ont lieu en même temps, plus en coordination automatique qu’en parallèle, parce que l’une alimente l’autre et vice versa, dans un mouvement tourbillonnant (“Tourbillon Crisique”, pour ‘T.C.’). Les deux sont déjà dans un territoire tragique, mais comme il s’agit de tragédie-bouffe on a encore un peu de d’espace, un peu de champ. “Quoi qu’il en soit” l’issue est inéluctable, qui est celle du paroxysme explosif, puisque, simplement, il n’y a pas d’autre issue.

La seule question en suspens est d’ordre chronologique, et elle n’est pas secondaire : laquelle des deux crises atteindra la première ce paroxysme explosif ? Il est évident bien entendu que cet aspect chronologique implique une très forte connectivité entre les deux, la première catastrophe influant décisivement sur la seconde, pour hâter son point de combustion. Bref, – 2022 sera une année intéressante, à tous points de vue ; une de plus, et toujours de plus en plus...