Nuland, le nucléaire et l’apocalypse-bouffe

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 6219

Nuland, le nucléaire et l’apocalypse-bouffe

• L’un des acteurs les plus actifs du clan neocon est une dame, désormais célèbre et indiscutée dans l’influence au sein du pouvoir US. • Victoria Nuland n’a donc pas sa langue dans sa poche et envisage pour des journalistes ukrainiens la possibilité d’une frappe nucléaire russe. • Elle laisse entendre que les USA seront là, au côté des Ukrainiens. • Promesse sexy et audacieuse, mais qui conduit à aborder la question du nucléaire, – ou pas... • Des armes (hypersoniques) aux grandes capacités conventionnelles pourraient bien jouer un rôle proche de celui du nucléaire...

Nuland Victoria, on la connaît depuis 2005 (ambassadrice US à l’OTAN  et surtout 2014 (principale instigatrice du coup d’État des nationalistes-nazis ukrainiens, dit-‘Maidan’, du 22 février 2014). Elle fait partie de la “dynastie Kagan”, – en anglo-américaniste « the neocons Royalty Kagan » ou encore « The Kagan family, America’s neoconservative aristocracy », comme les désignait Robent Parry en 2017. Sa pugnacité sans faille, son assurance dévastatrice, la puissance de son influence et son habileté à manipuler les élitesSystème de Washington (y compris son supérieur hiérarchique, le secrétaire d’État Blinken), n’ont d’égales que son inculture abyssale, sa barbarie intellectuelle et sa bêtise nihiliste omniprésente qui est la marque de la fortune du type-neocon standard dans ces “temps-devenus-fous” ; bref, du type « ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ».

“Ca ose tout” dans ce registre de l’aveuglement apparaît dans une très récente sortie de communication, une interview du 22 avril à une feuille ukrainienne justement nommée ‘European Pravda’. Le sujet : une attaque nucléaire tactique russe en Ukraine.

« Dans une interview accordée au média ukrainien European Pravda, il a été demandé à Mme Nuland d’évaluer la possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires tactiques. Elle a répondu qu’elle ne pouvait pas exclure un tel “scénario catastrophique”. Poutine ayant “déjà ordonné” ce qui, selon elle, constitue des “crimes de guerre brutaux”, le monde doit se préparer au pire. En même temps, a souligné Mme Nuland, les conséquences de telles mesures seraient catastrophiques pour la Russie et pour Poutine personnellement. »

Les précisions données par Noland vont au-delà de la position standard en général adoptée par des autorités de sécurité nationales US, notamment quand elle ajoute ce « et pour Poutine personnellement » qui n’a guère de sens dans ce contexte, sinon de pure polémique bien dans la manière des neocons. Ensuite, elle accepte de donner des garanties in fine opérationnelles qui sont également hors des conceptions doctrinales en cas de guerre nucléaire en impliquant un engagement US au côté de l’Ukraine en cas de tir nucléaire russe tactique en Ukraine (le « rassuré l’Ukraine en lui disant qu’elle ne serait pas laissée seule » qu’on lit ci-dessous). Là encore, on retrouve le penchant de cette fraction extrémiste US qui tend à affirmer que les USA s’engageraient dans un conflit nucléaire même s’ils n’étaient pas directement touchés, ni même concernés (l’Ukraine n’étant pas officiellement un pays de l’OTAN).

« Elle a refusé de donner des détails sur la réponse potentielle de l'Occident, affirmant plutôt que l’utilisation d’armes nucléaires porterait la situation à un “niveau fondamentalement nouveau” où le prix à payer serait “tout simplement astronomique”.

» Interrogée par un journaliste pour savoir si Kiev peut compter sur le soutien de ses partenaires occidentaux dans le pire des scénarios, Mme Nuland a rassuré l’Ukraine en lui disant qu’elle ne serait pas laissée seule. Entre-temps, la sous-secrétaire d'État a déclaré que les États-Unis continueraient à fournir une assistance militaire à l'Ukraine. Elle a révélé que Washington avait commencé à fournir à Kiev des systèmes de roquettes à lancement multiple (MLRS) et qu'elle ferait de son mieux pour répondre aux besoins de l'Ukraine. »

On comprend à son attitude constante que la partie du pouvoir politique US (dans un état d’éclatement sidérant) qui se garde avec hostilité de toutes les manœuvres d’influence de Noland est au moins le Pentagone. Confirmant sa position constante d’écarter toute manœuvre de communication risquant d’aggraver les relations avec les Russes, le Pentagone avait, deux jours avant l’interview de Nuland, indirectement réagi par une fin de non-recevoir aux nièmes commentaires de Zelenski sur l’emploi du nucléaire tactique russe suscitant l’interview de Nuland par ‘European Pravda’.

« Les avertissements fermes de Mme Nuland sont intervenus deux jours seulement après que le Pentagone a déclaré qu'à ce stade, il ne voyait pas la nécessité de modifier le dispositif nucléaire du pays. La déclaration du porte-parole du ministère américain de la défense faisait suite aux affirmations du président ukrainien Volodymyr Zelenski selon lesquelles Moscou pourrait utiliser des armes nucléaires tactiques en Ukraine. »

On notera que Nuland est la plus haute fonctionnaire (sous-secrétaire d’État pour les affaires européennes) à discuter de la possibilité d’une frappe nucléaire tactique russe en Ukraine à partir d’une déclaration impliquant une situation opérationnelle ; elle est la plus haute et aussi la seule, à ce niveau de responsabilités, à émettre le jugement de base que cette hypothèse est opérationnellement acceptable.

Jusqu’ici, une autre intervention notable d’un haut fonctionnaire US, le directeur de la CIA Burns a envisagé l’hypothèse d’un point de vue théorique, sur une base purement rhétorique et sans évoquer la position US dans ce cas, la référence opérationnelle (revers catastrophiques essuyés par la Russie) étant d’une pure désinformation de fantaisie assez éloignée de ce que pense le Pentagone :

« En début de semaine, le directeur de la CIA, William Burns, a lancé un avertissement précis selon lequel la Russie pourrait recourir à des armes nucléaires tactiques en Ukraine. S'exprimant le 14 avril, il a déclaré que le risque évalué à ce moment-là était faible. Mais Burns a nuancé cette évaluation en ajoutant que si la Russie était désespérée, sa décision d'utiliser des armes nucléaires pourrait changer.

» “Compte tenu du désespoir potentiel du président Poutine et des dirigeants russes, des revers qu’ils ont essuyés jusqu’à présent sur le plan militaire, aucun d’entre nous ne peut prendre à la légère la menace que représente un recours potentiel à des armes nucléaires tactiques ou à des armes nucléaires à faible puissance”, a déclaré Burns. »

La “dé-sanctuarisation” des USA

Ces déclarations de Nuland, toute extrémistes qu’elles sont, constituent également une approche de la possibilité de monter aux extrêmes du conflit qui dénote une conception complètement irréaliste et dépassée par rapport aux situations respectives des deux superpuissances nucléaires. (On met ici à part l’aspect complètement improbable de la situation envisagée [un tir nucléaire russe en Ukraine seule], notamment à la lumière de l’affirmation russe qu’il n’y aurait pas de tir nucléaire “en premier” [cela étant implicitement entendu, dans les circonstances, dans le cadre d’un conflit du type ukrainien]).

• Cette hypothèse d’un tir nucléaire russe est pour l’instant complètement irréaliste sinon absurde. Dans la situation présente, la Russie est en position avantageuse pour ses buts de guerre au niveau opérationnel, malgré le flot d’armements déversé par les pays de l’OTAN en Ukraine, et la présence de différentes forces des pays de l’OTAN sous des formes dissimulées et dans des situations camouflées. L’armée ukrainienne ne parvient ni à manœuvrer, ni à réussir des contre-offensives marquantes, et donc  à contrecarrer les manœuvres russes.

• Si la situation devait changer jusqu’à la possibilité de monter au nucléaire, ce serait à la suite d’une intervention massive de l’OTAN en Ukraine, ou ailleurs vers la frontière russe, changeant du tout au tout la situation opérationnelle sans pour autant signifier une déroute russe, – on en est loin si l’on se tient au rapport des forces. Quoi qu’il en soit, il reste que la situation serait alors complètement différente avec la Russie et l’OTAN face à face, d’une façon découverte, engageant massivement les deux blocs, et certainement engageant d’autres territoires que la seule Ukraine, avec toutes les précautions pour ne pas provoquer l’autre sur de tels territoires n’ayant plus de raisons d’être.

Dans ce cas, on peut admettre que la possibilité d’une frappe/de plusieurs frappes pourrait être envisagée par la Russie. Vue l’extension envisagée ici du conflit, il n’y aurait plus aucune raison impérative pour que ces frappes se situent précisément en Ukraine. L’on peut être sûr qu’alors, les Russes auraient comme premières cibles à éliminer, les deux bases US de missiles antimissiles transformables en missiles sol-sol offensifs de Roumanie et de Pologne.

• Mais ici se pose la question revenant au centre du débat : s’agirait-il nécessairement de frappes nucléaires ? Ce qu’ont montré les Russes depuis le début du conflit, c’est une remarquable capacité dans leur réserve de missiles de frappe à très grandes précisions, et aussi l’introduction opérationnelles des missiles hypersoniques (notamment le ‘Kinzhal) provoquant des dégâts considérables sur des cibles précises, sans dégâts collatéraux importants. RT.com a mis en ligne le 19 avril un long entretien, très détaillé, précis et technique, avec le vice-ministre de la défense Bourisov. Celui-ci a affirmé que la Russie avait mis en place une industrie de production de systèmes de haute technologie, notamment la production, d’armement complètement suffisante, une industrie d’armement autarcique. Concernant les missiles de frappe de haute précision, il est notamment dit ceci :

RT : « Parlons maintenant des capacités militaires de la Russie. Les services de renseignement américains ont rapidement signalé que la Russie avait épuisé tout son stock de missiles Kalibr dès la première semaine de l'opération spéciale. Et pourtant, ces missiles sont toujours opérationnels et permettent de frapper avec précision des cibles ennemies. Je comprends parfaitement que la plupart des informations concernant nos armes sont top secrètes, cependant. Je voudrais savoir si notre industrie de la défense est en mesure de réapprovisionner toutes les armes que nos troupes ont déjà utilisées, comme les missiles Kalibr, Iskander et Kinzhal. Comment se porte-t-elle à cet égard ? »

Youri Bourisov : [....] « ...Maintenant, revenons à votre question. Dès 2011, tous nos programmes d'acquisition de défense ont été axés sur la production et le déploiement d’armes de haute précision. Pendant tout ce temps, nous avons également renforcé nos capacités de fabrication. En conséquence, aujourd'hui, nous pouvons pleinement répondre à la demande des forces armées russes en matière d'armes de précision.

» Puisque vous avez mentionné le missile de croisière [dans sa version mer-sol] Kalibr, le fait est que presque tous les navires russes et les sous-marins diesel du projet 636.6 portent des missiles Kalibr. Déployés en mer Noire, ils peuvent frapper des cibles militaires n'importe où en Ukraine. Il en va de même pour d’autres types de missiles, notamment le missile aéroporté Kh-101 porté par les chasseurs-bombardiers Soukhoi Su-30 et Su-35. Nous disposons d’un large éventail de munitions air-sol dont la portée effective et la puissance varient selon les types de cibles. De ce fait, la Russie domine le ciel en Ukraine. L’armée de l’air russe y veille grâce à l'efficacité de ses armes à partir de plateformes aériennes.

» Les principaux fabricants de défense russes ont des contrats pour la production d’armes de haute précision jusqu’en 2030 ou, dans certains cas, 2033. Ces entreprises se portent bien. Elles peuvent planifier à long terme et adapter leurs capacités en conséquence. Elles continuent également à développer des mises à niveau pour ces systèmes d’armes. Il s’agit d’une opération durable et bien construite, avec un grand potentiel pour l’avenir. C’est ce qui se passe en Russie en termes de production d'armes modernes. »

• Cette question des missiles guidés de haute précision russes, ici vus du point de vue tactique, est extrêmement importante, surtout avec l’introduction de l’hypersonique qui porte aussi bien des munitions conventionnelles à grande capacité que des munitions nucléaires. La très grande puissance d’impact des hypersoniques doit être ici rappelée pour bien comprendre que ce missile utilisé en type tactique, peut aisément acquérir une dimension stratégique conséquente tout en se cantonnant à des charges offensives conventionnelles. Sa frappe peut occasionner des dégâts précis sur des cibles précises équivalents à ceux causés par une arme nucléaire, sans les inconvénients collatéraux catastrophiques de cette arme... On rappelle ici les caractères de la frappe d’un hypersonique :

« La vitesse élevée du Kinzhal lui confère probablement de bien meilleures caractéristiques de pénétration des cibles que les missiles de croisière subsoniques plus légers, comme le [missile de croisière US] Tomahawk. Trois fois plus lourd et presque douze fois plus rapide que le Tomahawk, le Kinzhal possède plus de 3×122 = 432 fois l’énergie cinétique en croisière d’un missile Tomahawk (~17,3 gigajoules, soit l'équivalent de 4 100 kg d’énergie explosive TNT). »

• Cela implique la possibilité, dans le cas d’une escalade, de la mise en place et de l’existence d’un échelon intermédiaire entre la guerre conventionnelle de haut niveau et la guerre nucléaire avec son enchaînement quasiment inéluctable du tactique au stratégique (guerre totale d’anéantissement). Dans l’état actuel des forces, cette novation serait au seul avantage des Russes, grâce à leur missiles hypersoniques qui, dans certaines conditions, pourraient frapper avec précision une cible militaire aux USA (bases, centre de commandement, etc.) sans provoquer les dégâts collatéraux catastrophiques d’une frappe nucléaire. Il s’agirait alors d’une frappe d’avertissement non-nucléaire brisant dans des conditions opérationnelles normales le verrou symbolique et stratégique que constitue l’invulnérabilité du territoire US ; démontrant au contraire la réalité nouvelle fondamentale de la vulnérabilité désormais directe, de la “dé-sanctuarisation” du territoire US. En mettant les USA sur la défensive, cela constituerait une forte incitation à stopper les politiques agressives diverses des USA, dont la politique de soutien aux poussées agressives contre la Russie, comme en Ukraine depuis 2014.

La question d’envisager une riposte nucléaire serait posée aux USA dans des conditions extrêmement désavantageuses dans la mesure où la Russie disposerait de tout son arsenal nucléaire intact, ainsi que d’une défense anti-missiles balistiques ou autres (avec les S-400 et les S-500) très efficace, au contraire de celle des USA. On aurait alors une situation où les USA payeraient leur négligence complète du développement et de la modernisation de leurs forces stratégiques, y compris leur retard considérable dans le domaine des armes hypersoniques, suite à une concentration quasi-exclusive de leur conception et de leur production d’armement pour la “guerre contre la Terreur” avec les diverses campagnes contre le terrorisme et les pseudo “États-voyous” depuis 1991-2001. L’inconséquence des planificateurs US serait alors complètement mise en lumière : décider de s’attaquer à la Russie, puissance nucléaire et stratégique considérable, par des moyens hybrides ou indirects mais en proclamant désormais une volonté de destruction du régime, sinon du démembrement du pays, sans s’être assuré d’une posture stratégique adéquate face à la Russie. Ce serait les USA qui auraient « la charge du choix » (d'utiliser le nucléaire en premier) sans avoir vraiment les moyens du choix.

 

Mise en ligne le 23 avril 2022 à 17H45