Message hypersonique en pleine Ukrisis

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Message hypersonique en pleine Ukrisis

• Le 19 mars, pour la première fois un missile hypersonique a été utilisé en conditions opérationnelles complètes : frappe au sol contre des installations fortifiées ou souterraines avec ogive conventionnelle, à partir d’un MiG-31K volant à un millier de kilomètres de la frappe. • Il s’agit du missile russe ‘Kinzhal’, et une autre ou plusieurs autres frappes par le même type de missiles ont suivi, confirmant son statut opérationnel complet. • On voit se mettre en œuvre un nouvel échelon de la guerre, entre conflit conventionnel classique et conflit nucléaire.

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Pour la première fois, – si l’on met à part des rumeurs d’emploi opérationnel expérimental d’un exemplaire en Syrie en 2021, – des missiles hypersoniques Kh-47M2 ‘Kinzhal’ (ou ‘Kinjal’, comme employé par RT-France et les commentateurs-spotters français ?) ont été utilisés en Ukraine, sans doute à partir d’avions lanceurs MiG-31K opérant à partir de la Crimée. On dit bien “des missiles” dans la mesure où, de source officielle russe, il y a eu plusieurs missions de frappe de ‘Kinzhai’, les 19 et le 20 mars au matin. Les Russes ont tenu à faire savoir l’événement de façon très officielle puisqu’il y a eu des interventions du porte-parole officiel du ministère russe de la défense, le général Igor Konachenkov... Cela donne ceci :

« “Dans la nuit du 19 mars et le matin du 20 mars, des éléments de l’infrastructure militaire ukrainienne ont été frappés par des missiles de haute précision à longue portée”, a déclaré le porte-parole du ministère russe de la Défense Igor Konachenkov, précisant qu'il s'agissait notamment de tirs de missiles hypersoniques.

» L’officiel russe a affirmé, dans le détail, que des missiles de croisière ‘Kalibr’ lancés depuis la mer Noire avaient détruit des ateliers de réparation de véhicules blindés ukrainiens, à Nejine. De plus, selon la même source, une base de stockage de carburant de l'armée ukrainienne, située près du village de Konstantinovka dans la région de Nikolaïev, a été détruite par des missiles de croisière mer-air Kalibr lancés depuis la mer Caspienne ainsi que par le système aérien de missiles aérobalistiques hypersoniques ‘Kinjal’.

» La veille, le 19 mars, l'armée russe avait fait état pour la première fois de tirs des missiles aérobalistiques hypersoniques ‘Kinjal’, détruisant un “grand entrepôt souterrain de missiles et de munitions de l'aviation ukrainienne”. »

Détails sur les attaques

Depuis, des informations plus précises, également d’origine officielle russe, ont été relayés. C’est le cas d’un article de ‘SouthFront.org’, du 21 mars 2022, qui reste pourtant très factuel sans envisager les suites de l’événement, sinon dans son titre et son premier paragraphe qui rendent un son conceptuel situant, quoique de manière assez vague, l’importance opérationnelle et symbolique de l’événement :

« 26ème jour de la guerre en Ukraine : l’ère des armes hypersoniques a commencé.

» Le 26e jour du conflit s'est déroulé dans l'ombre des armes hypersoniques russes qui ont été pour la première fois vues en action pendant l'opération en Ukraine. »

L’extrait choisi de l’article concerne l’intervention du ‘Kinzhal’, au moins avec deux ou trois tirs semble-t-il, peut-être plus, montrant par là que les Forces Aérospatiales russes ont d’ores et déjà un équipement conséquent de ce type d’engins et qu’il ne s’agit pas d’une simple démonstration opérationnelle de “relations publiques”. Ce constat est renforcé par l’annonce que le ‘Kinzhal’ pourrait être  encore utilisé contre des objectifs spécifiques, impossibles à détruire avec d’autres moyens.

Le 21 mars, le ministère de la défense russe a pour la seconde fois parlé des frappes, précisant que les objectifs atteints sont des erntrepôts souterrains de l’aviation ukrainienne, des unités de missiles ‘Tochka-U’  à Deliatine, dans la région d'Ivano-Frankovsk, des dépôts de carburant à Konstantinovka, dans la région de Nikolaev.

Il faut noter que ces précisions permettent par ailleurs d’avoir une idée plus précise de l’importance et de la puissance des forces ukrainiennes qui se sont très fortement renforcées, notamment avec l’aide extérieure de pays de l’OTAN (des Etats-Unis) depuis la prise de pouvoir de février 2014 et des combats de haute intensité qui s’en sont suivis jusqu’en 2015. L’armée ukrainienne que les Russes ont attaquée est (était ?) une armée de grande puissance et de grandes capacités ; ces caractères étaient certainement beaucoup plus importants que les Russes ne prévoyaient, montrant par là les gravissimes erreurs initiales de leur renseignement dues à une trop grande confiance résultant des engagements antérieurs, – type d’erreur jusqu’ici réservée aux évaluations des services US.

Extraits de l’article de ‘SouthFront.org’ signalé plus haut :

« Selon le ministère russe de la Défense, les missiles Kinzhal ont été utilisés à une distance de plus de 1 000 kilomètres.

» “Le temps de vol du missile hypersonique était inférieur à 10 minutes.

» ”En raison de la vitesse hypersonique et de l'énergie cinétique très élevée, l'ogive du Kinzhal a détruit un arsenal souterrain protégé situé dans une zone montagneuse, construit à l'époque soviétique pour stocker des munitions et des missiles spéciaux.

» ”La destruction d'un grand dépôt de carburant à Konstantinovka par le missile hypersonique Kinzhal est due à son invisibilité et à son invulnérabilité à tout moyen de défense aérienne et antimissile ennemi.

» ”L'utilisation au combat du système de missiles d'aviation Kynzhal a confirmé son efficacité à détruire des objectifs spéciaux hautement protégés de l'ennemi. Les frappes sur l’infrastructure militaire de l'Ukraine par ce système de missiles se poursuivront dans le cadre de l'opération militaire spéciale”, a déclaré le ministère de la défense.

» Les militaires russes ont rappelé que les missiles hypersoniques étaient utilisés avec des ogives conventionnelles. “ [Bien entendu], les experts sont bien conscients des capacités de cette arme, non seulement en termes de portée, mais aussi en termes de type de charge”, ajoute le communiqué. »

A notre connaissance qui ne prétend aucunement à l’exhaustivité, les premières analyses, extrêmement pauvres en substance, l’ont été par des sites sans capacités d’observation stratégico-politiques, et préoccupés de ne pas mettre en évidence des capacités russes. Par exemple, celle d’un “expert” tel qu’il se présente, – comme  « Ancien aviateur militaire, spécialiste en sécurité aérienne et consultant chez Aviation NXT », – analyse confondante de naïveté potache et de niaise nigauderie enturbannées de fioritures “communicantes” :

« Il s'agit donc principalement d'un (coûteux) exercice de communication à l'encontre des alliés de l'Ukraine : la Russie peut détruire les navires qui s'aventureraient dans la Mer Noire, et elle pourra continuer à bombarder l'Ukraine malgré l’arrivée des nouveaux systèmes de défense aérienne promis par les Etats-Unis. Sur le terrain par contre, cette annonce n’a aucun intérêt. »

Anatomie de l’hypersonique

Au contraire, l’intervention en conditions opérationnelles adéquates du ‘Kinzhal’ confirme l’évaluation immédiate de ces engins suivant leur présentation par Poutine en mars 2018, évaluation faite par le Pentagone dès la fin mars 2018, confirmée en mai 2018 pour leur utilisation conventionnelle comme c’est le cas en Ukraine, notamment par Daniel Gouré, un expert proche du Pentagone et très proche de l’industrie d’armement US :

« Les systèmes d'armes hypersoniques pourraient considérablement modifier l'équilibre existant entre les forces militaires conventionnelles entre les États-Unis et ses principaux concurrents. Ils pourraient frapper des cibles militaires-clef telles que des aérodromes, des centres de commandement et de contrôle, des dépôts et des concentrations de forces quasiment sans alerte préalable... »

Deux choses donnent un avantage considérable, dans notre temps-courant où n’existe face à ce type d’armes aucune contremesure opérationnelle, ni même en développement avancé (sauf peut-être, paradoxalement mais logiquement, chez les Russes qui avancent dans le domaine des missiles anti-missiles hypersoniques, prévoyant leur future apparition dans des armées peu amicales) :

• La très grande vitesse (mach 10 pour ‘Kinzhal’) renforcée de vols avec manœuvres d’évitement systématique (changements temporaires de direction, d’altitude, etc.) rend ces engins impossibles à intercepter, voire à détecter dans l’état actuel des défenses.

• Leur très grande vitesse et leur masse en font des engins de frappe profonde, contre des cibles habituellement protégées par l’enfouissement et/ou le bétonnage. Le Wikipédia adéquat, nous donne les précisions techniques qu’on peut difficilement colorer de l’habituelle maquillage antirusse. Ces précisions servent à éveiller notre perception à une puissance de pénétration au moment de la frappe qui permet aussi bien de parvenir à des objectifs souterrains qu’à des objectifs très protégés, souvent en suscitant des secousses telluriques localisées :

« La vitesse élevée du Kinzhal lui confère probablement de bien meilleures caractéristiques de pénétration des cibles que les missiles de croisière subsoniques plus légers, comme le [missile de croisière US] Tomahawk. Trois fois plus lourd et presque douze fois plus rapide que le Tomahawk, le Kinzhal possède plus de 3×122 = 432 fois l'énergie cinétique en croisière d'un missile Tomahawk (~17,3 gigajoules, soit l'équivalent de 4 100 kg d'énergie explosive TNT). »

Un nouvel échelon de la guerre

Ce que montrent les frappes de ‘Kinzhal’, c’est qu’avec des ogives conventionnelles et des objectifs bien précis, le missile hypersonique devient effectivement, comme l’observait Gouré, une nouvelle arme transformatrice du champ opérationnel conventionnel. De telles frappes peuvent porter des coups gravissimes sinon fatals à des bases militaires, des réserves stratégiques souterraines importantes, – et il n’en manque pas du côté US, avec leur myriade de bases autour de la Russie, en Europe et au Moyen-Orient. On espère que les services d’évaluation militaires occidentaux tireront les conclusions nécessaires de ces frappes, qui sont parfaitement contraires aux sottises de circonstance dont on a évoqué un exemple plus haut. Le missile hypersonique doit être considéré au moins autant comme une arme conventionnelle nouvelle d’une extrême puissante (et alors sa vitesse, avec son énergie cinétique, agit comme un multiplicateur considérable de la force de destruction à l’impact), que comme une arme nucléaire (à ogives nucléaires) très rapide et indétectable mais qui n’a que faire de l’énergie cinétique puisque l’arme nucléaire se déclenche elle-même hors de tout choc d’impact.

Cela donne un échelon intermédiaire tout nouveau et d’une extrême importance dans l’escalade militaire, entre la guerre conventionnelle classique de haut niveau et la guerre nucléaire. Il s’agit d’un très grave problème pour les forces occidentales, qui doivent très vite (mais avec quel espoir ?) tenter de trouver une parade. Dire que ce facteur « n’a aucun intérêt » sur la situation opérationnelle en Ukraine qui est si poreuse et extensible à d’autres territoires, – dire cela n’a vraiment aucun intérêt !

Post Scriptum-OTAN

Bien entendu, en décrivant les attaques effectuées par les missiles ‘Kinzhal’, on s’inscrit dans le cycle d’attaques à haute intensité sur des bases arrières importantes et divers points de dépôt, de contrôle et de concentration que la Russie vient de commencer au milieu de la semaine dernière (notamment dimanche dernier, avec l’attaque de la base de Yavoriv par des missiles de croisière ‘Kalibr’). Ainsi peut-on justement noter que, dans tous les cas, et particulièrement dans ceux des attaques de ‘Kinzhal’, les installations attaquées avaient largement été construites et aménagées par l’OTAN. Le « message hypersonique »  est par conséquent largement et surtout directement destiné à l’OTAN et les activités du missile ‘Kinzhal’ concernent largement le cadre général stratégique de l’OTAN et des États-Unis dans toute la zone Europe/Moyen-Orient.

Il est intéressant de terminer avec un texte du 20 mars (avant la connaissance des détails de l’attaque des ‘Kinzhal’) de Larry Johnson, ancien officier de la CIA qui travaillait avec le colonel Lang jusqu’au 3 mars dernier et qui s’est replié sur son site ‘Sonar21’ (‘Sonar’ pour ‘Son of the New American Revolution’) ; cet intérêt dans la mesure où Johnson s’intéresse particulièrement à cette implication de l’OTAN. (A lire aussi des commentaires de lecteurs de l'article de Johnson très détaillés sur des activités de l’OTAN en Ukraine.)...

« Je dois admettre d’emblée que je n'avais aucune idée de l'ampleur de la présence de l'OTAN en Ukraine avant cette semaine. Je n'y avais tout simplement pas prêté attention. Mais les attaques foudroyantes de la Russie contre Yavoriv, Delyatyn, Mykolaiv et Zhytomyr ont attiré mon attention. Si vous ne faites pas attention, vous devriez.

» Mon article le plus récent, ‘La Russie exploite le flanc occidental de l'Ukraine’, aurait dû s'intituler ‘La Russie expose l'impuissance de l'OTAN’. Cet article traitait des attaques sur Yavoriv et Delyatyn. Ma curiosité est pleinement piquée et je recherche actuellement sur Internet des documents des États-Unis et de l'OTAN décrivant leurs activités sur ces sites. [...]

» ...Avec le recul, il semblerait que la Russie ait envoyé un message très clair sur ses priorités stratégiques en Ukraine.

» Enfin, il semble que l'OTAN et l'EUCOM [US European Command : Commandement US en Europe] soient occupés à nettoyer leurs sites Web de toute référence aux bases ukrainiennes qui ont accueilli les forces de l'OTAN et des États-Unis. J'ai trouvé ce qui suit en utilisant DuckDuckGo, mais le lien est cassé. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une coïncidence ? Je ne le pense pas.

» “‘United States Command in Europe

» “‘https://www.eucom.mil ' sujet ' yavorivCommandement européen des États-Unis Image. 15:19 PM 7/12/2016’. Un aumônier des forces armées ukrainiennes et des soldats de la Garde nationale ukrainienne terminent une prière lors de la cérémonie de clôture de l'exercice Rapid Trident 16 à Yavoriv, en Ukraine, le 8 juillet 2016. L'exercice est un poste de commandement régional et un exercice d'entraînement sur le terrain qui implique environ 2 000 soldats de 13 ....”

» Je ne sais pas s'il y avait d’autres bases où les forces militaires de l'OTAN et des États-Unis ont fourni une formation et/ou du matériel aux forces ukrainiennes. Si les événements de la semaine dernière sont un indicateur des plans futurs, je ne voudrais pas passer du temps dans ces bases. La Russie est très claire : “Nous allons les démilitariser”. »

 

Mis en ligne le 22 mars 2022 à 15H20

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