Notre Titanic-cosmique

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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 1993

Notre Titanic-cosmique

25 décembre 2017 – Je vais essayer de tracer un bilan du phénomène antiSystème, donc de la situation du Système, au bout de cette année 2017 qui a poursuivi la phase en cours dont je situe la pleine vitesse de croisière à la mi-2015 (candidature de Trump), nous montrant ainsi que la situation crisique générale est bien devenue endémique et catastrophique pour le Système depuis le “coup de Kiev” qui démarre cette époque nouvelle où la catastrophe met en place ses moyens d’action et sa stratégie diluvienne. (Février 2014, date importante pour la chronologie crisique.) On verra que les constats de l’action des antiSystème sont nombreux, extrêmes, bouleversants, sans que pourtant la situation du Système, c’est-à-dire notre situation générale à tous, soit en apparence fondamentalement modifiée.

Durant ces deux dernières années se sont très rapidement dissipées des illusions d’un type spécifique entretenues par certains antiSystème, que l’on pourrait baptiser des “illusions d’antiSystème” ou “de certains antiSystème” (plutôt que “les illusions antiSystème”) pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’illusions de tous les antiSystème. En effet, en même temps, parallèlement et conjointement, liés par des liens serrés de cause à effet réciproques, sont apparues les limites décisives d’une certaine catégorie d’antiSystème, que je définirais disons comme des évènements, des artefacts et des situations “activistes antiSystème” ; c’est-à-dire “des évènements, des artefacts et des situations” qui sont objectivement antiSystème directement ou indirectement selon le classement qui est fait sur ce site ; et qui sont antiSystème même s’il s’agit de comportements inconscients, même s’il s’agit de comportements accidentels, même si cela vient d’acteurs normalement pro-Système mais devenant antiSystème, même et le plus souvent temporairement, par enchaînement complexe et contradictoires des causes et des effets.

(Ce qui compte n’est pas l’abondance et/ou la durabilité des producteurs d’antiSystème qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement antiSystème, et il s’en faut de beaucoup souvent. Ce qui compte enfin, c’est le fait même de la production effective de dynamiques, d’événements, de pressions de type antiSystème, d’où que viennent ces choses, de quelque façon qu’elles viennent, de quelque manière qu’on les présente.)

Je donne ici un rappel, une énumération non limitative des principaux de ces “évènements, artefacts et situation qui sont objectivement antiSystème”.

• Le Brexit, l’élection du candidat Trump, l’élection de Macron, comme évènements politiques d’ores et déjà accomplis et perçus comme antiSystème.

• La présidence Trump et l’accélération des défaites et déroutes de l’expansionnisme américaniste, avec d’une part un isolement qui ne cesse de s’affirmer des Etats-Unis, d’autre part une paralysie et un émiettement complets du pouvoir à “D.C.-la-folle” dans une situation crisique incontrôlable et en aggravation constante.

• Les avatars de l’UE, ses querelles internes, son incapacité de retrouver la stabilité notamment à cause de la diversité des crises qui la frappent (crise financière, Grèce, crise russe, crise migratoire, crise institutionnelle avec la Pologne, crise interne en Allemagne, etc.). Il s’agit d’une paralysie de l’UE sur une posture défensive, toutes deux tenues par une bureaucratie absolument proliférant, toutes deux alimentant les récriminations antiSystème.

• Des mouvements identitaires puissants dans de nombreux pays, avec un populisme à ciel ouvert qui investit le pouvoir ou qui l’assiège, exacerbé par les diverses crises migratoires que personne n’arrive à réguler. La durabilité du mouvement semble nette, comme le montre le cas de la Catalogne pourtant extrêmement poussif, divisé, assez peu habile dans le chef de ses meneurs, extrêmement isolé, et qui pourtant ne se déstructure pas.

• L’affirmation de la puissance russe, notamment stratégique, militaire et géopolitique (Crimée, Syrie, Moyen-Orient), avec également une dimension de stabilité et de spiritualité exerçant une influence antiSystème. On rangera dans cette même rubrique, du fait de la proximité des deux puissances, la Chine proche de la Russie, toujours perçu comme antiSystème du fait de son ascension qui met en cause les USA, le dollar, etc. (et cela malgré que la Chine joue entièrement le jeu de la globalisation).

• Le développement extraordinairement puissant et rapide du progressisme-sociétal (LGTBQ avec le féminisme en pointe), prenant une dimension politique et favorisant les résurgences d’extrême-guiche, – mais finalement, et en cela antiSystème, confronté dans son développement ultra-rapide et incontrôlé à des contradictions internes déstabilisantes et des impasses par l’absurdité de son extrémisme.

• Enfermement de la presseSystème dans une totale servilité au Système, et perdant ainsi à une vitesse prodigieuse tout crédit au profit de l’efficacité et du crédit grandissants des réseaux et de la presse antiSystème.

• Un système financier devenu fou, avec une instabilité chronique, une alerte constante et une psychologie exacerbée face à des crises hypothétiques que l’on décrit avec forces détails (et qui ne se produisent pas spécifiquement), le surendettement des puissances publiques à la souveraineté réduite à la peau et aux os, l’effacement complet et grotesque de la fonction de référence économique du marché boursier, l’extension géométrique du crime organisé comme acteur financier majeur, etc.

• Je laisse de côté mais à peine les évènements environnementaux, autour desquels se poursuit un débat sans fin et qui n’aura aucune conclusion sur la “responsabilité humaine” dans tel ou tel domaine de la crise environnementale. M’importe seulement le poids d’une hypothèse crisique écrasante dont le terme n’est rien de moins que la destruction du monde, une hypothèse dont le destin est irrémédiablement lié à celui d’une civilisation (de notre contre-civilisation), donc à celui du Système, donc avec une formidable pression antiSystème, consciemment ou inconsciemment ressentie, sur la psychologie.

Tous ces succès tactiques de la dynamique antiSystème ne fournissent aucune “stabilité antiSystème” en eux-mêmes et restent extrêmement incertains et sans cohésion malgré leur nombre, leur puissance et leur déferlement ; en aucun cas, les effets antiSystème ainsi dégagés ne parviennent à s’agglomérer pour engendrer une victoire stratégique qui mettrait en danger le Système. Pourtant ma perception et ma conviction d’une très grande puissance et d’une constante présence, que je ne vois nullement infirmées par quelque événement d’une certaine importance, est que le Système se trouve plus que jamais dans sa phase d’effondrement accéléré, que nous vivons “en temps métahistorique réel”, c’est-à-dire quotidien, identifiable au jour le jour. La métaphysique est aujourd’hui notre référence obligée, nécessaire, heure après heure...

Cette perception est de plus en plus partagée de tous côtés, y compris de sources venues du Système, tandis que la propagande du Système au niveau de la publicité, du simulacre, de la communication faussaire tente vainement de stopper cette hémorragie de croyance dans le Système en avançant des arguments et des perspectives de plus en plus mirobolants, ressortant de la science-fiction ou du simulacre scientiste. Si certains jugent avec raison que l’Église de Rome réduite à ses débris relaps perd de plus en plus de son influence spirituelle véridique, que dire de la religion du Système lorsqu’on compare l’actuel climat avec celui, absolument triomphaliste, qui régnait dans les années 1990 et même dans les années 2000, au moins jusqu’à la crise de l’automne 2008 ?

(Même lorsque je colle l’oreille au sol, j’ai bien du mal à entendre encore les derniers et piètres échos des odes extasiées faites au libre-échange et à l’efficacité de la puissance militaire américaniste de la période 1991-2008.)

Ce phénomène (puissants effets antiSystème sans résultat notable sur le Système) est dû à un retournement capital, ou plutôt une mise à nu d’une contradiction fondamentale qui rend l’action antiSystème inefficace directement, mais, paradoxalement, indirectement d’une efficacité dévastatrice. Effectivement, tous ces évènements énumérés (“antiSystème”), qui n’ont pas eu d’effets décisifs sur le sujet et la situation considérés, ont produit par contre un effet général indirect dévastateur ; et, dans ce cas et au contraire de ce qu’on a vu, les différents phénomènes antiSystème produisent alors un effet indirect commun, général, qui est une sorte de maladie, de peste si l’on veut, qui ne cesse de s’étendre dans le Système.

Cet effet antiSystème “collectivisé”, de type indirect par rapport à l’identification des divers facteurs, engendre la production d’un désordre d’une immense puissance, qui concerne essentiellement les psychologies bien plus que les évènements eux-mêmes. J’ai désigné cela, dans le Glossaire.dde du site, sous l’expression de “chaos-nouveau” après avoir pendant un temps proposé la notion d’“hyperdésordre” (c’est-à-dire un désordre vertueux parce que “désordre antiSystème”). Le “chaos-nouveau”, qui est aussi un phénomène crisique en mouvement s’opérationnalise dans le phénomène du “tourbillon crisique”, qui est un des très importants concepts de notre Glossaire.dde.

Cette situation a totalement pulvérisé en la retournant complètement la thèse du “chaos créateur” en montrant que ce “chaos-nouveau” attaquait directement la structuration du simulacre qu’a construit le Système depuis le début du siècle. Désormais, la formule de destruction du monde “dd&e” (déstructuration-dissolution-entropisation), créée par le Système pour atteindre son but d’entropisation du monde, s’est retournée contre le Système.

En effet, en devenant complet simulacre comme il a fait depuis février 2014 (“le coup de Kiev”), le Système s’est structuré à une vitesse foudroyante, notamment au niveau de la communication et de la narrative. Devenant ainsi totalitaire et exclusive structure du monde, il s’est désigné lui-même comme la cible principale puis la seule cible de l’attaque “dd&e” qu’il produit avec une surpuissance extraordinaire. On reconnaît, tournant à plein régime et dans la plus parfaite inconscience de la vérité de sa production, dans un “tourbillon crisique” absolument incontrôlable, l’équation si chère à mon cœur, – peut-être ma seule véritable connaissance algébrique, –l’équation “surpuissance-autodestruction”.

Il en résulte ce qui est pour moi une évidence depuis déjà longtemps, savoir que le salut, notre salut, ne peut venir que du Système en phase constante de surpuissance. Seul le Système peut détruire le Système, – et Dieu sait s’il s’y emploie ! Le travail tactique de l’antiSystème, incapable d’atteindre à une victoire stratégique comme on l’a vu, est pourtant complètement essentiel car lui seul, par le désordre qu’il ne cesse de créer, le vertueux “chaos-nouveau”, alimente la surpuissance du Système ; et l’on sait, ou l’on devrait savoir en tenant cette proposition comme la loi fondamentale de ce qu’il serait sympathique de nommer “la thermodynamique-métaphysique”, que la condition nécessaire et suffisante de la transmutation du Système en mode d’autodestruction dépend de l’augmentation constante de sa surpuissance.

Je crois fermement qu’il ne faut pas en rester là... Car, chaque jour davantage et de façon plus pressante, se pose la question de la Cause Première de cette mécanique surpuissance-autodestruction. Elle n’est pas tant thermodynamique qu’absolument métaphysique. Elle ne peut venir du Système qui ne peut vouloir sa destruction (son autodestruction) au travers de sa surpuissante faite pour anéantir le monde dans une entropisation qu’il (le Système) croit être son but ultime. Le Système ne peut pas vouloir se suicider alors qu’il prétend dans son infinie stupidité être “le créateur de la destruction du monde”. Le Système n’est pas un kamikaze car il ne sert pas une cause supérieure à lui puisqu’il se croit supérieur à tout. Il faut donc une intervention extérieure à lui, et bien entendu supérieure.

Il faut qu’existe une force infiniment puissante (une puissance supérieure en efficacité et en intelligence intuitive à sa surpuissance) qui est à l’origine de cette mécanique aboutissant à l’effondrement et à la désintégration du Système. Cette Cause Première rejoint évidemment les questions fondamentales de notre métaphysique qui sont devenues la plus importante, la seule activité de l’intellect intuitif capable d’éclairer cette phase de la Chute, de la Fin des Temps, que nous sommes en train de vivre. Les interdits les plus puissants à cet égard et pour cette sorte de réflexion, les plus puissants que nous ayons jamais connus dans quelque régime totalitaire que ce soit, qui sont en pleine surpuissance dans leur attaque contre la psychologie, sont du fait du passage à l’autodestruction qui les guette le signe de cette agonie de l’effondrement du Système. Ainsi faut-il interpréter le SOS que nous ne cessons d’entendre au fond de nos psychologies déchirées : le message est bien celui qui annonce le naufrage de notre Titanic-cosmique.