MTG ou Mister Z. ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

MTG ou Mister Z. ?

23 novembre 2025 (07H45) – ... Grave question, qui résume les hésitations gravissimes de l’auteur, et de là cette espèce de jour de congé qu’il s’est octroyé. Mais que je vous explique, venue d’ailleurs, l’exacte significations des différentes initiales dont est fait le titre.

• MTG, c’est Marjorie Taylor-Greene, bien connue désormais. C’est une jeune femme de fer, qui s’est trouvée prise dans le courroux quasi-pathologique de son président vénéré parce qu’elle défend les victimes du trafiquant de jeune chair Epstein et qu’elle s’est battue jusqu’au bout pour qu’on rende publique une partie de ses documents. Trump ne supporte pas, sans qu’on sache vraiment pourquoi, l’idée de cette publication, et il ne supporte pas du tout qu’une fidèle parmi les fidèle ne cède pas devant son courroux. Elle n’a pas cédé, et une fois le vote à l’unanimité obtenu, elle a annoncé sa décision de démissionner dans un fracas de tonnerre qui laisse présager bien des effets. Je crois, je suis sûr que cela n’a rien d’un acte de lâcheté et de capitulation, – on verra plus loin.

• On ne présente plus ‘Mister Z.’, on l’applaudit, on le cajole, on le chouchoute, on le clapote, on s’embrasse parce que l’Occident tient son héros, son Robin des Bois à plus de 100 €millards par an, avec une magnifique dégaine de petite racaille à la tire. Maintenant, c’est un peu différent. En ce moment Zelenski est placé devant une sorte d’effondrement ; pas sur le front, c’est déjà fait et ça continue et on s’est habitué à l’ignorer ; plutôt dans ses affaires personnelles et son gouvernement, qui s’effondrent littéralement sous une avalanche de scandales de corruption. Il y en a tellement, même si on feint de les ignorer, qu’à la fin l’odeur devient incommode. Du coup, la magie tend à disparaître et l’on sent bien que Mister Z. est en train de glisser hors des griffes de notre admiration extatique pour devenir embarrassant, très embarrassant... Et pendant ce temps, les Russes avancent et Trump nous sort son nième plan de paix dont Poutine laisse entendre, du bout des lèvres, qu’“on peut voir”, – mais que rien n’est vu ni fait pour l’instant, sinon l’accélération presqu’involontaire de la déculottée de Mister Z.

Pourquoi cette question ?

Bien sûr, la question est pure rhétorique. Si elle signifie dois-je parler d’elle (MTG) ou de lui (Mister Z) dans le texte d’analyse qu’on servira comme plat du jour ? Qu’est-ce qui importe le plus ? Si c’est cela, c’est effectivement pure rhétorique. Je n’ai pas à ennuyer mes lecteurs avec mes débats de belle conscience, qu’on tranche en général en silence et sans nécessité de s’en expliquer... Mais justement, non, ce n’est pas “pure rhétorique”.

En fait la question se dissimule à peine pour nous interroger adroitement quoique sournoisement, – si l’on répond à la question “qu’est-ce qui est le plus important, MTG ou Mister Z”, – : sommes-nous plus avancés ? Pas vraiment, me semble-t-il car la réponse peut varier selon le point de vue que l’on a.

Pour Mister Z., c’est évident. On brandit depuis quatre ans l’importance de cette guerre en Ukraine, notamment sur la situation de la cohésion-bouffe des pays américanistes-occidentalistes, et l’on guette la chute de Mister Z. Donc, nous continuons le mouvement qui continue à se justifier. Quant à la démission de MTG, nul ne doute a priori qu’une fille aussi batailleuse et influente au milieu d’un mouvement en pleine décomposqition-recomposition a des idées derrière la tête. Spoutnik fait une hypothèse qui fourmille aussitôt dans la tête des experts, mais qui exprime surtout les tensions qui déchirent les républicains et MAGA tandis que les démocrates regardent passer les trains :

« Certains analystes ont émis l'hypothèse que Greene, qui bénéficie d'un certain soutien au sein du mouvement MAGA de Trump, pourrait envisager une candidature à la présidentielle de 2028. Sa démission de son poste de représentante du 14e district de Géorgie pourrait être l'occasion pour elle de prendre ses distances avec Trump et de consacrer les trois années suivantes à se positionner comme la prochaine dirigeante du Parti républicain. »

Mister Z et le joueur de flûte d’Hamelin

Finalement, la réponse à cette question “qu’est-ce qui est le plus important, MTG ou Mister Z” est qu’il s’agit d’une fausse question puisque la réponse varie de 180° selon le point de vue qu’on choisit. La vraie réponse est plutôt : aucune importance, les deux se valent et signifient la même chose, comme les deux faces sans pile d’une pièce bidouillée.

Ces deux événements, survenant en même temps, et liés l’un à l’autre par de multiples fils directs et indirects, illustrent la crise entêtante et irrésistible qui frappe le principal pouvoir en place, celui qui exerçait, ou croyait exercer jusqu’ici une hégémonie sans partage comme le Maître du Monde installé sur son trône. Tous les acteurs sont en quelque sorte des “personnages secondaires” d’une action dont la cause échappe à l’influence et à la conception humaine. Peu importe ici de quel côté l’on se trouve et quel côté l’on favorise, et peu importe aussi les actes que prétendent poser l’un et l’autre parti. L’essentiel est que cet ensemble d’“actes secondaires” s’entendent pour accélérer les mêmes effets de destruction des situations en place, que l’on croyait impossibles à ébranler.

Par exemple, comment est-il possible d’avoir choisi une personne aussi grossièrement corrompue, dérisoire et entêtée que Mister Z, qui parvient grâce à ses défauts, – sa perversité complètement assumée et son absence totale du sens tactique de la retraite temporaire, diplomatique et militaire, – à fasciner, à mesmériser comme le joueur de flute fit des rats de Hamelin, les puissants marionnettistes qui prétendent le contrôler ? Ils l’ont pourtant fait, ce choix-là. Par  exemple encore, comment est-il possible qu’un manipulateur des foules aussi puissant que Trump ait l’intellect aussi réduit jusqu’à détruire par pur narcissisme primaire, – je mets de côté les complots divers et chantages classiques qui ne me convainquent guère, –  le mouvement populaire qui s’est formé autour de lui en générant une puissance d’attraction considérable ?  

Corruptions croisées

Un autre point remarquable qui rassemble les deux événements pour n’en faire qu’un est le rôle de la corruption dans ces deux cas. Directement ou indirectement, c’est bien comme un lien qui les unit ; pour Mister Z c’est évident, pour MTG cela passe d’une façon ou l’autre par les dossiers Epstein qui se déplacent évidemment dans une atmosphère de totale corruption.

Qui plus est, par “corruption” j’entends me référer à quelque chose de plus important que la corruption vénale qui est finalement l’intervention de facteurs extérieurs à un être pour une orientation ou l’autre. Je parlerai donc de cette corruption psychologique qui recouvre la réalité d’un puissant voile de mensonges ou de choses inventées pour dissimuler ce qu’il est plus prudent de faire ignorer.

Ce simulacre considérable de puissance, qui s’est construit autour des principales crises (voyez l’article récent de Jonathan Cook sur les journalistes anglo-saxons et l’action d’Israël à Gaza) constitue une formidable contrainte, constamment renforcée par ceux-là même qui la subissent. On retrouve sa présence écrasante dans les deux “événements” considérés, là aussi pour n’en faire qu’un, bien entendu inséré(s) dans la GrandeCrise.

Allons voir ailleurs, peut-être que j’y suis

A ce point, et parce qu’il faut bien rompre, s’impose une interrogation ultime : où conduit donc cette disgression, – comment nommer autrement ce texte ? – qui n’a fait que mettre en valeur l’espèce d’impuissance où l’on se trouve de réussir à concentrer une réflexion novatrice tout en restant rationnelle sur un point précis des événements du monde ? Peut-être parce qu’il n’y a pas de “point précis” dans les “événements du monde”, non ? Peut-être parce que tout cela nous glisse entre les doigts alors que nous imaginons pouvoir les saisir, liquide, sablonneux, aussi léger qu’un souffle de brume, dissipé même avant que d’exister à notre perception.

Toujours me trotte dans la tête cette citation de Pechkov, qui n’est pourtant pas un personnage au caractère exaltant ou séduisant, – dans tous les cas, j’en juge ainsi ; mais c’est bien lui qui a dit, avec une incroyable justesse :

« Ce que nous n’avons jamais vu auparavant, c’est que les décisions sur des questions fondamentale changent en trois ou quatre jours, parfois même en un seul jour. Comment construire des relations pour le futur ? Comment signer certains documents ? ... Je voudrais féliciter nos collègues de ‘Komsomokskaïa Pravda’ pour leur titre, parce que c’est le titre le plus brillant dans la presse de notre pays : “Sept Trump pour une semaine”... »

... Ce qui vous indiquera, en mentionnant la référence de cette citation, que j’aborde ici un problème qui n’est pas nouveau dans mes chroniques ; c’est-à-dire qu’il est nouveau, oui, par rapport aux décennies d’avant 2000, mais je ne peux m’empêcher d’en discourir à toutes les occasions, et donc il n’est pas nouveau pour vous, sous ma plume.

Peut-être voudrais-je vous faire partager mes tourments, et m’en décharger en partie sur vous ? Il y a de cela... C’est comme une sorte d’impuissance où l’on se trouve de découvrir que le monde est insaisissable et incompréhensible pour le cerveau humain, c’est de plus en plus évident à mesure qu’il (le “cerveau humain”) s’en accroit à lui-même bien plus qu’il n’en a et qu’il n’en est... Et malgré cela, cette “sorte d’impuissance” est aussi un motif d’exultation et d’exaltation, comme une sorte de bonheur fou, car ce qui est en train de se passer et que nous ne pouvons décrire par la raison, je puis vous dire que mon intuition ne cesse de me répéter que c’est la mise à mort du plus sanglant simulacre que l’être humain ait jamais monté, – sous les noms charmeurs de “progrès” et de “modernité”, – et la promesse qui suit cette tempête...