Les sanctions et leurs arrière-cour

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Les sanctions et leurs arrière-cour

Un nouveau train de sanctions contre la Russie a été adopté par l’UE ce lundi 8 septembre. Quelques mots pour présenter l’initiative (Russia Toda-y, le 8 septembre 2014) : «A new package of sanctions against Russia has been adopted by the EU. Previous reports said the “further restrictive measures” were aimed at targeting three major oil companies, as well as the defense sector. According to a Monday statement by the president of the European Council, Herman Van Rompuy, the new package was adopted through written procedure, “deepening the targeted measures of 31 July.”»

Les sanctions veulent punir une nouvelle “action” de la Russie contre l’Ukraine (la Stealth Invasion, voir le 2 septembre 2014), dont aucune preuve tangible de son existence n’a été avancée, qui ressort des simples déclarations fantasmagoriques de la direction ukrainienne, bref un chapitre de plus de ce que nous nommons fantasy-narrative, un étage au-dessus de la narrative désormais classique. Aucun commentaire là-dessus ne semble nécessaire, tant il en a été déjà fait de nombreux ailleurs et éventuellement sur ce site, pour mettre en évidence l’imposture et le grossier montage de ce qui fait sans aucun doute partie de la catégorie de la contre-vérité élevée au rang de l’un des beaux-arts dès lors que l’on parle d’une véritable “invasion”.

Les Russes ont averti qu’ils riposteraient à ces sanctions touchant des domaines aussi importants que les sociétés Rosneft, Transneft et Gazpromneft. Le Premier ministre Medvedev a annoncé que l’espace aérien russe pourrait être interdit aux compagnies aériennes appartenant aux 28 pays-membres de l’UE, causant d’énormes difficultés et de considérables pertes financières, en même temps que la décision pourrait coûter d’importantes parts de marché de ces sociétés.

Diverses précisions ont été données en marge de cette décision, dont il est dit qu’elle dépend de la bonne application du cessez-le-feu. A cet égard, le comble de l’absurde est évident, sur le plan formel : le cessez-le-feu a été conclu entre Kiev et les séparatistes du Donbass (on peut employer ce terme car le séparatisme est de plus en plus à l’ordre du jour), donc les Russes ne sont pas directement partie prenante. Il sont donc les seuls à être punis pour quelque chose qui constitue une disons un progrès, selon une logique dont on appréciera l’aspect rationnel et politiquement festif.

Certains diplomates européens disent que ces sanctions sont sans doute temporaires, qu’elles pourraient être levées dès que le cessez-le-feu s’avérait devoir tenir. (A partir de quand un cessez-le-feu “s'avère devoir tenir” ? Passionnante énigme.) Il est fait état de certaines manœuvres administratives qui pourraient donner à la décision, au travers de la façon dont elle serait actée dans les divers processus administratifs prévus, un aspect moins rigide que celui qui est habituellement obtenu, rendant par ce fait beaucoup plus aisée une décision en faveur de sa levée. Tout cela témoigne surtout du malaise politique devant une mesure qui est si complètement surréaliste à force d’imposture et d’absurdité. Le climat n’est pas très allant à cet égard...

«In order to be approved, the restrictive documents needed to be signed by all 28 member states of the European Union. There were reports that the decision did not go through at once, and an EU ambassadors emergency meeting had to be called, as some governments had second thoughts on the new 'punishment' for Moscow. “The ceasefire is an enormous step forward and with that comes the possibility of a political solution...There is quite a strong appetite across Europe for saying we want a political solution here, we don't want a ramping up of the economic pressure,” British opposition MP and peace campaigner Jeremy Corbyn told RT.»

Mais ce qui nous paraît le plus important dans cette décision, ce sont les modalités qui y ont conduit, et c’est sur ce point que nous allons nous attarder. L’esprit de la chose peut être bien illustrées par de récentes interventions de la nouvelle Haute représentante succédant à Ashton, l’Italienne Federica Mogherini. Comme ministre italienne des affaires étrangères, Mogherini est réputée pour sa position très conciliante vis-à-vis de Moscou. Pourtant, lors de sa séance de confirmation devant le Parlement européen elle a pris au contraire une position très antirusse, très dure, qui a beaucoup surpris. Oleg Severguine, de La Voix ed la Russie, expliquait, le 5 septembre 2014, qu’il y avait là une nécessité de double langage. Severguine cite Olga Potiomkina, chef du département des problèmes de l’intégration européenne à l’Institut de l’Europe de l’Académie russe des sciences, qui explique combien la situation de Mme Mogherini est difficile  :

«Pour beaucoup, il était surprenant que Mme Mogherini ait brusquement changé de rhétorique et que sa bienveillance ait fait place à la rudesse. Est-ce que cela signifie que la Russie a un ennemi en la personne du Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères? Quant à la déclaration concernant la fin du partenariat stratégique, c’est tout à fait vrai. Le partenariat stratégique a disparu après l’adoption de sanctions. Quant à ses critiques, tout le monde comprend qu’à cause de son attitude bienveillante à l’égard de la Russie, Mme Mogherini aurait pu ne pas être élue à son nouveau poste. Elle est une femme politique souple et elle dit ce que l’Union européenne attend d’elle. Cependant, cela ne signifie pas qu’elle ne se rend plus compte de la situation existante et qu’elle sera par la suite une partisane de l’escalade.»

... Ainsi, lors d’une occasion parallèle à son audition, Mogherini a fait des déclarations complètement différentes : «Une autre déclaration de Federica Mogherini, déclaration récemment citée par le périodique allemand Deutsche Wirtschafts Nachrichten, semble être très significative. L’Union européenne est actuellement “en pleins ténèbres”, écrit le journal en citant Mme Mogherini. Comme l’UE “piétine dans l’obscurité”, il agit avec une “résolution encore plus fiévreuse”, ironise-t-il plus loin...»

Ce cas n’est ni extraordinaire, ni exceptionnel. Il est évident qu’un nombre non négligeable de dirigeants européens (c’est-à-dire dans la plus haute hiérarchie de l’UE) ont cette sorte d’attitudes et, notamment, jugent cette politique des sanctions antirusses absurde et contre-productive. Notamment, il se dit avec insistance que c’est le cas de Herman Van Rompuy, le président sortant de l’UE. Il y a déjà eu des signes selon lesquels Van Rompuy a montré une attitude sortant des normes totalitaires de l’UE qui répondent aux consignes du Système. Ainsi, après la mort d’Hugo Chavez, un communiqué avait été diffusé par l’UE, marqué d’une réelle empathie pour le dirigeant vénézuélien. Nous notions le 8 mars 2013 :

«Par rapport à la norme du bloc BAO, ce communiqué est remarquablement modéré, proche d’être marqué d’empathie [...] voire de chaleur, pour Chavez ou, dans tous les cas, pour le Venezuela de Chavez. C’est van Rompuy qui a voulu cette forme, tandis que Barroso aurait voulu qu’on ajoutât un mot, une phrase, pour “saluer” ce qui serait peut-être “des temps nouveaux”, plus ouverts aux “marchés”, c’est-à-dire au Système.

»La chose est à noter, au sein d’un système européen en général verrouillé par l’idéologie. Il s’agit d’une agitation humaine bien identifiée pour tenter d’échapper au diktat permanent du Système. On y parvient, temporairement, dans un cas qui n’aurait pas dû, normalement, c’est-à-dire selon les normes du Système, permettre un tel écart.»

Certaines des remarques de cette citation gardent toute leur actualité, notamment celle-ci : « Il s’agit d’une agitation humaine bien identifiée pour tenter d’échapper au diktat permanent du Système.» Elle concerne Van Rompuy dans ce cas (comme dans d’autres circonstances pour lui vis-à-vis de la Russie), mais elle concerne d’autres dirigeants européens, – exactement comme l’hypothèse que fait Olga Potiomkina concernant Mogherini. On a bien entendu tendance à voir, dans le comportement de l’UE comme dans celui de grandes bureaucraties dirigeantes (le gouvernelment US, bien entendu), l’action de dirigeants et d’exécutants stratégiques, à partir de directives clairement énoncées. A partir de là s’ébauchent les descriptions habituelles, comme par exemple celle de faire de l’UE une succursale de Washington, exécutant les ordres de Washington, etc.

Nous avons, on le sait, une toute autre vision, et nombre d’indices, d’exemples, de situation, notamment depuis qu’a éclaté la crise ukrainienne, ne cessent de renforcer dans notre chef cette conception. On en connaît l’essentiel qui est l’hypothèse que les politiques d’agression actuellement menées par le bloc BAO, et largement proclamées par divers relais du type “idiots utiles” (mais de plus en plus usés) allant des diverses Nuland aux BHL divers de service, sont l’effet de pressions de forces hors du contrôle humain dispensées par le Système conçu en tant qu’entité autonome animée par sa formule surpuissance-autodestruction. (Ce que nous nommions dans le cas Van Rompuy rappelé plus haut le “diktat permanent du Système”.)

Ainsi, pour le cas envisagé, la politique des sanctions se développe-t-elle d’une façon systématique effectivement surpuissante, sans que l’on sache précisément à quoi elle correspond et d’où vient son impulsion. La fantasy-narrative qui sert de cache-sexe à cette entreprise est elle-même de plus en plus usée, à cause de l’usage intensif qui en est fait, qui se heurte d’une façon de plus en plus destructrice aux diverses vérités de situation. Ainsi l’UE, – pour le cas envisagé, mais Washington ferait aussi bien l’affaire quand on considère par exemple les convictions de la sénatrice Feinstein, – tangue-t-elle comme un immense Titanic pris de boisson et cherchant à faire de l’iceberg que tout le monde connaît un de ces cubes de glace qui agrémentent les boissons arrosant les cocktails de service hâtivement organisés entre les réunions qui ont à décider du sort du monde.

... Cela écrit avec une plume ferme et hors de tout effet de boisson, il reste que l’on constate également combien les impitoyables exigences du Système se heurtent de plus en plus au désordre considérable des sapiens, notamment ceux des 28 de l’UE. Ces braves gens sont contraints à, si l'on veut jouer sur les mots, sanctionner des sanctions dont ils ne comprennent ni la cause ni le but, et qui ont le pouvoir étrange de les toucher de plein fouet à leur tour, par la grâce des “contre-sanctions” obligeamment annoncées par l’un ou l’autre dirigeant russe (le plus souvent Medvedev, pour ajouter l’insulte à l’injure puisqu’il s’agit de l’un des plus “libéraux” à la sauce-BAO parmi les dirigeants de Moscou). D’où le titre de EUObserver, le 9 septembre 2013 : «EU sanctions on Russia in limbo», – puis ces considérations diverses :

«EU countries have adopted a new round of sanctions against Russia, but cannot agree when or whether to implement them. [...]

»Last Friday, while EU leaders criticised Russia at a Nato summit in the UK, their ambassadors in Brussels were busy carving out restrictions on companies or products that would harm their country’s economies. EU officials over the weekend introduced the changes into legal documents, with plans for adoption on Monday and implementation on Tuesday. But on Monday a handful of EU countries refused to agree, prompting an emergency ambassadors’ meeting from 6pm to 9.30pm which came up with the Van Rompuy solution...

»Diplomatic sources told EUobserver the anti-sanctions group includes Finland and Italy, which have strong business ties with Russia. But it does not include Slovakia, also a sanctions sceptic, which secured the opt outs it wanted on Friday. Despite Van Rompuy’s promise that implementation “will take place”, one EU diplomat said nothing is guaranteed. “Ambassadors might come back to evaluate the situation on Wednesday. So everything remains fragile”, the contact noted...»


Mis en ligne le 9 septembre 2014 à 10H51

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