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4 décembre 2025 (18H30) – Les Québécois, ou ce qu’il reste chez eux d’une fiévreuse défense de leurs origines françaises d’il y a plusieurs siècles, notamment la langue contre l’international english, n’apprécient pas les titres que l’industrie française du cinéma donnent souvent aux films américains : soit une simple reprise non traduite du titre anglophone, soit une adaptation souvent éloignée du titre original. Ainsi le film, assez fameux, ‘The Groundhog Day’ fut repris en France sous le titre ’Un jour sans fin’, tandis qu’il gardait chez les Québécois une fidélité du type “chacun chez soi”, en donnant une traduction exacte : ‘Le jour de la marmotte’.
Connaît-on le thème du film ? Il est fameux grâce au film : une équipe d’une TV américaniste va sur place, dans la petite ville de Punxsutawney, qui existe bel et bien dans le Connecticut, où a lieu chaque année, effectivement, “le jour de la marmotte” (le 2 février), où l’observation du comportement de l’une ou l’autre marmotte nous annonce que l’hiver est sur sa fin ou qu’il s’annonce au contraire encore plus rude dans les semaines qui viennent.
La trame du film, son aspect fantastique, est fondée sur l’hypothèse d’une “boucle temporelle” évidemment fermée qui offre une répétition infinie de la même journée :
« Bill Murray y interprète Phil Connors, un présentateur météo cynique et misanthrope chargé de couvrir le traditionnel jour de la marmotte à Punxsutawney, petite ville de Pennsylvanie, qui se retrouve bloqué dans une boucle temporelle le forçant à revivre indéfiniment cette journée du 2 février. »
Beau succès au départ, le film acquis une dimension symbolique et philosophique remarquable qui est même passée dans le langage populaire d’une part, et fait l’objet d’interprétations théologiques de diverses religions (chrétienne, juive, bouddhiste). Il n’est pas sûr que l’équipe du film ait voulu cela, bien que l’acteur principal Bill Murray, qui participa à l’élaboration du scénario, était très intéressé par sa dimension philosophique. Quoi qu’il en soit, l’image est entrée dans le langage populaire, ce qui est la plus sûre mesure de sa valeur symbolique :
« Il a également un impact significatif sur la culture populaire, le terme ‘Groundhog Day’ intégrant notamment le lexique anglophone pour définir une situation monotone, désagréable et répétitive. »
Pourquoi cette introduction cinéphilique ? se demandera-t-on évidemment. Je répondrais bien volontiers que cela concerne l’espèce de processus devenant presque une tradition des négociations sur un “processus de paix” ukrainien, avec la rencontre à Moscou. On comprend aisément que je la vis et la vit (d’assez loin d’ailleurs), pour mon compte, comme une sorte de ‘Groundhog Day’.
Je pense qu’il ne faut pas mépriser cette interprétation, d’abord pour ne pas trop me chagriner, ensuite parce que j’ai quelques arguments. Même si elle tient du symbole et de l’approximation, on conviendra que l’image de cette « situation monotone, désagréable et répétitive » répond à une réalité. Américanistes et Russes se rencontrent chaleureusement, discutent pendant des heures en saupoudrant ces échanges convenues mais ardues d’aimables considérations touristiques (Poutine à Witkoff-Kushner : « Avez-vous visité notre belle ville de Moscou ? »), et terminent toujours avec cette même chaleur renouvelée et le constat qu’ils n’ont pas avancé d’un pouce sur les différences fondamentales qu’ils constatent. Suivent les mêmes agitations et manœuvres des figurants et clowns qu’on connaît (Européens divers, neocon divers, plateaux TV divers), les mêmes promesses réciproques de secret des négociateurs sur les conversations suivies dans les deux ou trois heures des fuites sur ces entretiens à l’intention de la presseSystème qui joue à la fiérote, – avant de recommencer, ceci et cela, quelques semaines plus tard.
Pourtant, fichtre Ciel, que tout cela est important, la guerre en Ukraine, les relations USA-Russie ! Alors quoi ? Quelle explication ? Je crois qu’il faut prendre en compte les phénomènes suivants :
• A quel degré absolument stupéfiant nous, notre Système et le besoin de le faire survivre, et les formidables moyens du système de la communication nous ont conduit à un concept que nous définirions comme le contraire de ce que certains nomment le “renseignement narratif” puis l’“analyse narrative”. “Renseignement” et “analyse narrative” (NARINT [‘NARrative INTelligence’] en terminologie US du renseignement) signifient le travail effectué par le renseignement pour débusquer les narrative (ou FakeNews) et les détruire, ou éventuellement les manipuler à son avantage.
Nous parlons du “contraire” de cette définition parce que la puissance de la communication est telle qu’elle interdit l’identification sûre de toute référence objective, et donc interdit l’intérêt et le succès de NARINT tel que le concept elle fut conçu expérimentalement à l’origine (fin des années 1970). Dans ce paysage ainsi débarrassée des interférences de la Vérité pour ce qui concerne les actions humaines, joue alors à plein cette tendance à transformer la perception objective en récit subjectif utile, débouchant sur les tromperies considérables des narrative et du simulacre : partant des pratiques utiles et maîtrisées du renseignement pour aboutir, à mesure de la montée en puissance du système de la communication et la réduction de la pensée créatrice s’appuyant sur le réel qui l’accompagne, à des créations fantasmagoriques pures où la “pensée créatrice” devient “pensée folle”.
• La facilité que cette évolution donne à l’esprit de ne plus être lui-même, ni indépendant ni éventuellement “créateur” (“réduction de la pensée créatrice”) et capable de s’ouvrir à l’intuition, sans la moindre conscience de cette faiblesse. Il est évidemment renforcé par le milieu où il baigne, qui subit les mêmes pressions et les mêmes tensions. C’est-à-dire que pour nous, et pour moi de façon encore plus insistante, le domaine de NARINT selon le renseignement n’existe plus, – et même ne peut plus exister, cela simpliquant qu’en fait il n’a jamais existé. En développant leurs activités contre le NARINT, les services de renseignement développent nécessairement, – à tout coup dans l’environnement de la puissance du système de la communication aujourd’hui, – leur propre NARINT. Nous voilà partis dans le Grand Tournoi NARINT contre NARINT.
...Mais si l’on se comprend bien, la question posée à propos de NARINT n’a plus guère lieu d’être dans l’époque où nous vivons, – ¢e qui est un grand progrès par rapport à celles qui précédèrent, où nous étions sûrs, d’un côté comme de l’autre et chacun pour soi, de détenir la Vérité... Je signale qu’on a déjà abordé ce problème il y a deux jours, et qu’il est latent et clairement posé pour nous, attentifs à l’Ukraine, depuis 2014 :
« Ce qui sera plutôt mis en évidence, c’est l’extraordinaire fragilité de la communication et l’extraordinaire incertitude qui accompagne les informations ainsi portées à notre connaissance. C’est là le fardeau, – mais aussi l’avantage dans certains cas, – de l’époque de la postvérité qui, finalement, n’a jamais autant mérité son nom. »
... Ainsi, les événements que nous vivons finissent, dans cette perception imposée par la communication, par devenir sans cesse une répétition d’un modèle initial qui nous convient. C’est un ‘Groundhog Day’ non pas enfermé dans un “cycle temporel” mais enfermé dans le travail de l’esprit réduit à un bégaiement sans fin qui se racornit en une succession de balbutiements tous similaires. Les petites langues du système de la communication, grassement payées, se chargent de faire reluire le piètre hubris de ces esprits débilités en une intense satisfaction répétitive. La raison, toujours utile dans l’inutile, vous fournit clef en main une nouvelle version de la même explication possible depuis le début du processus.
Mais ici s’arrête l’analogie ‘Groundhog Day’. Elle s’effondre même complètement car, si les acteurs humains de ce piètre simulacre sont totalement impuissants à changer la situation qu’ils appréhendent et qui les écrase, cette situation change pourtant d’une façon colossale, à une vitesse stupéfiante et dans une mesure inouïe. Que se passe-t-il donc ? Notre incapacité de sortir de ces tristes narrative que nous avons tissées, ces non-vérités, semble comme si elle avait libéré un champ libre pour des changements colossaux et cosmiques dans notre situation, – là où la Vérité règne. Quelle explication donner ? Là encore, je m’en remets à l’hypothèse centrale de mon propos, en citant, du même texte signalé plus haut et exactement après l’extrait, l’intervention de ‘PhGBis’, toujours aussi sans-gêne mais dans ce cas assez utile :
Notes de PhGBis : « Je crois bien qu’en disant cela, PhG ne met pas en doute l’existence de la Vérité. Mais il la situe , – là où elle doit être d’ailleurs, au contraire de nos croyances, – si haut qu’elle échappe évidemment à l’agencement des manœuvres et initiatives humaines, lesquelles sont en mode de postvérité (voire de non-vérité depuis l’origine). Pour lui, me dis-je, on retrouve le fameux binôme stratégie-tactique emprunté aux termes de la guerre : la stratégie, qui est du domaine entre autres principes essentiels et primordiaux de la Vérité, exclusivement dans son chef, la tactique étant laissée à nos œuvres avec l’amoncellement d’erreurs sincères, de tromperies, de naïvetés, d‘hubris, de sottises et d’inattentions. Seules échappent à cette règle, pour un logocrate comme PhG, les intuitions venues d’au-dessus de nous qui sont évidemment marquées du sceau de la Vérité »
Qui s’aperçoit de cette évolution au-delà de ‘Groundhog Day’, parmi les acteurs de la tragédie-bouffe ukrainienne ? Il y en a bien peu, et plus encore si les commentaires des antiTrump sur l’état de santé du président des États-Unis s’avèrent exacts, – comme une malédiction frappant tous les dirigeants de nos grandes démocratie américanistes-occidentalistes.
Je pense qu’il faut alors en revenir à la Russie, le seul pays dans cette affaire ukrainienne qui se rende compte de la situation générale. Cela ne signifie certainement pas qu’il sache l’expliquer, encore moins qu’il sache y évoluer avec aisance. Il faut reprendre et comprendre cette exclamation de Pechkov, ce personnage si maître de lui, que je ne cesse de citer sans qu’il faille incriminer mon gâtisme ; parce qu’au fond, son exclamation n’est rien d’autre qu’un constat de cette situation qui ne cesse de nous donner des ‘Groundhog Day’, encore et encore :
« Ce que nous n’avons jamais vu auparavant, c’est que les décisions sur des questions fondamentale changent en trois ou quatre jours, parfois même en un seul jour. Comment construire des relations pour le futur ? Comment signer certains documents ? ... Je voudrais féliciter nos collègues de ‘Komsomokskaïa Pravda’ pour leur titre, parce que c’est le titre le plus brillant dans la presse de notre pays : “Sept Trump pour une semaine”... »