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5106• C’est, à l’heure des BRICS réunis à Johannesbourg, un des grands thèmes du temps, celui de la dédollarisation. • Beaucoup de gens chez les BRICS pensent qu’il ne faut pas trop affronter l’Occident-tardif, et ne pas trop songer à la dédollarisation. • Là-dessus, Poutine (interdit de séjour grâce aux “règles” américanistes-occidentalistes) fait son discours en virtuel et son message principal est : « La dédollarisation est irréversible. » • Les BRICS sont irrésistibles mais ils devront comprendre ce qu’ils sont et ce que les évènements leur imposent.
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Depuis Charles Trenet (« La java du Diable ») et Boris Vian (« La java des bombes atomiques »), on sait que la java est bien plus qu’une danse, qu’elle est aussi un instrument sarcastique-cynique et canaille en diable de ce qu’on pourrait nommer pour cette seule occasion, la “méta-cosmologie” ou la “méta-théologie” en un curieux assemblage de domaines plus concurrents que complémentaires. On pourrait donc aussi bien proposer un emploi similaire de la java pour la “dédollarisation” qui est devenu un enjeu d’une puissance n’égalant que son ambiguïté dans la communication globale de la GrandeCrise.
Poutine, dans son discours en mode virtualiste puisque lui-même est interdit de visite à Johannesbourg, – Tribunal Pénal International et universel de l’Occident-collectif oblige, – a fermement exprimé une position que certains devront se faire violence pour l’assimiler au nom d’une force transcendante. Il a expliqué à ses amis des BRICS que la dédollarisation s’impose “objectivement et irrésistiblement”, – c’est-à-dire sans qu’aucune volonté politique ni aucun complot n’intervienne, et sans que personne ne puisse l’arrêter ni la manipuler. En ce sens, il n’a pas dit aux BRICS “faisons la dédollarisation” ni “Ne faisons pas la dédollarisation” mais bien “la dédollarisation se fait toute seule”, “la dédollarisation est déjà là”, “ la dédollarisation nous entraîne irrésistiblement”.
« Le dollar américain perd son rôle mondial dans le cadre d'un processus “objectif et irréversible”, a déclaré le président russe aux participants du sommet des BRICS en Afrique du Sud mardi. Vladimir Poutine s'est exprimé par vidéoconférence, ayant choisi de ne pas assister à l'événement en personne.
» La dédollarisation “gagne du terrain”, a déclaré M. Poutine, ajoutant que les membres du groupe des principales économies émergentes cherchaient à réduire leur dépendance à l'égard du billet vert dans leurs transactions mutuelles. »
Certes, tout cela n’est que d’un discours, mais du point de vue de la communication l’importance de la chose est incontestable. On a vu dans plusieurs textes, références, etc., qu’il existe chez les BRICS un parti de la modération, comme il en existe un même chez les commentateurs dissidents (AMC chez Korybko), pour rejeter absolument “le but” de la dédollarisation pour les BRICS, donc la dédollarisation elle-même.
Même les Russes, – hors-Poutine mais certainement pas anti-Poutine, – ont sacrifié à cette tendance de la modération, plutôt tactiquement que stratégiquement si c’est le cas. C’est ainsi qu’en a conclu Korybko dans son analyse d’un article que le ministre russe des affaires étrangères Lavrov (il dirige la délégation russe au sommet des BRICS en l’absence de Poutine) signe dans la revue sud-africaine ‘Unbutu’. Daté du 21 août, il s’agit d’un texte de présentation, – « BRICS : vers un Ordre Mondial Juste », – de la vision russe de l’avenir des BRICS valable pour le sommet de Johannesbourg.
Voici donc le passage du texte de Korybko plus précisément consacré à la présentation de la position russe sur la dédollarisation :
« M. Lavrov a commencé par décrire la transition systémique mondiale vers la multipolarité, en particulier ses dimensions économico-financières, afin de définir le contexte dans lequel se déroule le sommet des BRICS de cette semaine. Il a notamment indiqué que “non seulement la Russie, mais aussi un certain nombre d'autres pays réduisent constamment leur dépendance à l'égard du dollar américain, passant à des systèmes de paiement alternatifs et à des règlements en monnaie nationale”.
» La tendance susmentionnée n'est pas une dédollarisation au sens où l'entend l'AMC, c'est-à-dire une décision politique visant à supprimer progressivement l'utilisation de cette monnaie dans son intégralité. Il s'agit plutôt d'une diversification par rapport au dollar afin de se prémunir contre les risques de change et autres risques liés à la dépendance à l'égard du dollar. Bien qu'ils puissent sembler identiques au membre moyen de l'AMC, puisque les deux objectifs réduisent la part du dollar dans l'économie, leurs motivations sont totalement différentes.
» Le premier est une chimère, car il n'est pas réaliste d'éliminer progressivement le dollar de la circulation mondiale dans un avenir proche en raison de la taille de l'économie américaine, de l'influence profondément ancrée de ce pays sur le système financier et du statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. En outre, il s'agit d'une déclaration de guerre financière de facto (bien qu'il s'agisse d'une mesure d'autodéfense après que les États-Unis ont fait du dollar une arme à des fins hégémoniques), ce qui pourrait inciter les États-Unis à exercer des représailles brutales contre tout pays qui oserait poursuivre ouvertement cet objectif.
» Quant à la seconde, il s'agit d'une position apolitique et raisonnable qui évite judicieusement toute déclaration de guerre financière de facto contre la monnaie de réserve mondiale, réduisant ainsi les chances que les États-Unis réagissent de manière excessive à cette décision. En fait, les stratèges qui ont finalement réalisé qu'il était impossible de préserver le système financier centré sur l'Occident pourraient conseiller aux décideurs politiques des États-Unis et de l'UE de soutenir le Sud dans la mise en œuvre de réformes graduelles dans le cadre de leur nouvelle politique visant à améliorer les liens avec ces États. »
On a déjà noté qu’il s’agit de la même approche (analyse) que font les théoriciens appréciant dans le sens de la modération les conceptions indienne et brésilienne, éventuellement chinoise et russe (cela restant à voir de très-près et sans nulle garantie de réalisation concrète). De quoi s’agit-il ?
• Il ne faut pas, comme les commentateurs-dissidents impatients le réclament, “déclarer la guerre au dollar” ; parce que toutes les structures actuelles tournent autour du dollar et qu’il faut maintenir celles qui sont utiles ; parce que les USA sont très-puissants et doivent jouer un rôle ; parce qu’ils (les USA) peuvent riposter durement... Quoique Korybko remarque en passant, – il aurait pu développer, cela valait la peine...
« ...[B]ien qu'il s'agisse [“déclarer la guerre au dollar”] d'une mesure d'autodéfense après que les États-Unis ont fait du dollar une arme à des fins hégémoniques ... »
• Il faut au contraire adopter une position “apolitique et raisonnable” pour éviter toute “guerre financière”, notamment parce qu’ainsi on évite des réactions “excessives” d’agressivité de la part des USA. C’est un argument d’une qualité rationnelle plus ou moins acceptable et d’une extrême faiblesse réaliste parce que, comme chacun devrait savoir, les USA ne réagissent pas d’une façon graduée et en fonction de ce que font les autres, mais dans tous les cas d’une façon maximale, en aveugle, à-la-Bolton, – ce qu’ils ont d’ailleurs déjà fait au niveau financier et commercial, comme le signale Korybko.
• On ajoutera, pour mémoire, – mais quelle mémoire !, – ce que PhG a développé une fois de plus hier à propos de l’absurdité d’envisager les années qui viennent avec les USA en position de puissance dont la conception remonte aux années 1960 alors qu’ils sont en processus de désintégration. Relisons cela et songeons aux décennies de paix et de concorde qui attendraient les BRICS s’abstenant de “faire la guerre au dollar”...
« Ce qui continue à me déconcerter, c’est cette façon de tracer une Grande-Stratégie, – quoi, pour les 10, 20, 30 ans à venir ?! – avec un rôle considérable attribuée à une hyperpuissance aujourd’hui, à l’instant où je vous écris ce texte, désintégrée en une multitude de spasmes de dégénérescence. Je ne sais pas, moi, par exemple prenez cette vidéo ! – Je veux dire celle de gens sérieux, pas les clowns du New York Times ou de LCI ; prenez cette vidéo et écoutez Mercouris discuter avec l’avocat fameux aux USA Robert Barnes, tous deux citant furieusement des cas métahistoriques du destin de Rome et de celui de l’empire britannique, de la naissance de la Grande République par-dessus tout cela, pour conclure que jamais une si grande puissance terrestre ne s’était trouvée dans une telle situation (Trump, Biden, etc.) de blocage total avec des échéances apocalyptiques comme cette élection présidentielle de 2024... »
Il faut bien avoir à l’esprit que Korybko a fait cette analyse sur le texte de Lavrov, tandis que l’élément que nous présentons vient de Poutine. On croirait pourtant que nous les opposons, puisque Lavrov ne parle pas de faire la guerre pour la dédollarisation tandis que Poutine annonce l’inéluctabilité de la dédollarisation. Rien dans tout ce que nous avons écrit ne contient une critique fondamentale de qui que ce soit (mis à part la poubelle-USA, certes), – Poutine, Lavrov, Korybko, les BRICS, l’Inde, la Brésil, etc. Nous relevons simplement ce qui pourrait être une contradiction et qui ne l’est évidemment pas, – une telle contradiction entre Poutine et Lavrov, c’est absurde ! Nous ne nous intéressons qu’au fait en constatant que personne, dans tous ceux que nous avons cité, n’a vraiment tort...
Ce qui signifie que personne ne veut provoquer la mort du dollar par la dédollarisation, ou si l’on veut la dédollarisation par “la guerre contre le dollar” d’une façon ouverte et affirmée, – mais que, de quelque façon que ce soit, la dédollarisation se fera sinon même en train de se faire, – et par conséquent, le dollar se portera vraiment très vite très mal par rapport à ce qu’il fut. L’Oracle-Poutine l’a dit, et l’ensemble titre-sous-titre de RT.com nous dispense d’une longue et tatillonne analyse :
« La dédollarisation est irréversible - Poutine
» Les BRICS deviendront économiquement plus puissants que le G7, a déclaré le président russe lors d'un discours au sommet de Johannesbourg. »
Il est révélateur que le titre, qui est comme une tentative de saisir l’essence même de la communication, parvienne effectivement à offrir une version qui nous satisfait : l’inéluctabilité objective de la dédollarisation signifie que l’événement est en cours, – ce que l’on voit effectivement avec les diverses prises de position des uns et des autres changeant de devises pour leur commerce. Ou bien faut-il convoquer le petit-fils de l’icône, Nkosi Zweivelile Mandela, s’interrogeant pour RT.com (« Mais pourquoi utiliser des dollars pour commercer entre nous Africains ? »), et constatant que les BRICS voient leur popularité grimper en flèche parce qu’ils offrent « une alternative au système à domination occidentale » ? Tout cela, on se l’accordera et on nous l’accordera, ce n’est pas “faire la guerre” ; mais les américanistes, eux, qui sont perchés sur les ruines de ‘D.C.-la-folle’, y verront avec une alarme de plus en plus hystérique une agression contre leur vertu, c’est-à-dire une véritable “guerre”. Cela aura lieu très vite, cela a lieu d’ores et déjà, et tout sera dit malgré les options modérées, et les BRICS seront vus, – non, sont vus d’ores et déjà comme des agresseurs de l’hégémon de l’Empire. Il faudra alors, et se compter, et choisir son cap (“Tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous”).
Enfin, ce qui nous intéresse dans tout cela, c’est de bien embrasser la chronologie en rejoignant effectivement quelque chose de si intéressant dans le propos de Poutine. Sa référence à l’inéluctabilité objective signifie que l’événement objectif précède ses causes subjectives (les intérêts des nations, l’insupportabilité de l’hégémon, etc.). L’événement objectif, c’est déjà l’Évènement en soi, celui qui nous précède, qui fait moins de la divination de ce qui va nous apparaître comme nécessaire, que de la mise à jour sinon de la production d’une colossale vérité-de-situation de façon à ce que le nécessaire (la dédollarisation) nous apparaisse comme inéluctable et nous fasse comprendre que cette situation-là avait atteint son niveau d’insupportabilité pour notre compte. La puissance métahistorique et métapolitique de l’Évènement est dans ceci que l’inéluctabilité objective précède l’insupportabilité subjective jusqu’ici vécue dans un silence aveuglé.
Mis en ligne le 23 août 2023 à 16H30