La CIA, Hersh & NordStream

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La CIA, Hersh & NordStream

• RapSit-USA2023. • Deux interventions simultanées nous donnent une vision intéressante de l’état du pouvoir à Washington. • Seymour Hersh nous parle d’une « rupture totale entre la direction de la Maison Blanche et la communauté du renseignement (la CIA) ». • Le directeur de la CIA Burns nous dit que le temps de l’hégémonie totale des USA sur le reste est passé. • Jamais, même pas en 2001-2003 après 9/11 et avant la guerre contre l’Irak, le pouvoir (quasi sans président) ne s’est trouvé si divisé à Washington D.C. • C’est une GrandeCrise.

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On notera plusieurs interventions ces deux derniers jours, – deux précisément, pour notre propos, – qui, confrontées et renforcées l’une ou l’autre, procure un éclairage intéressant de la situation washingtonienne. Elles permettent notamment de préciser la vérité-de-situation de l’équilibre du pouvoir à Washington D.C., – ou plutôt des déséquilibres qui s’opposent et s’affrontent.

Le constat s’élabore autour de trois éléments : la CIA, le journaliste et enquêteur Seymour Hersh et ses révélations, et les suites diverses du sabotage du gazoduc NordStream II sur lequel Hersh est intervenu avec fracas en février, en révélant sa perception de l’affaire selon ses sources habituelles (de la CIA ‘dissidente’, sans aucun doute), mais aussi son appréciation politique qu’il est allé également nourrir à la perception de ces mêmes sources. En effet, Seymour Hersh nous confiait dans son interview à ‘DemocracyNow !’ du 15 février :

« ...Maintenant, ce [que Biden] a fait, c'est qu'il a dit à l'Europe, “Vous êtes une puissance de second ordre”. Et je pense que les conséquences de cela pour les Européens vont être terribles. Ils ont vraiment ... cela a gravement entamé l’idée qu'ils peuvent dépendre totalement de l'Amérique, même en cas de crise. Et je pense que cela va affaiblir l'OTAN... [...]

« Et de toute façon, je pense que les conséquences politiques pour nous sont énormes. Je pense que c’est la raison pour laquelle Biden et son équipe à la Maison Blanche ont nié l'histoire et continuent de le faire, alors qu’elle est pourtant acceptée par une partie de la presse... [...] Je pense aux conséquences politiques pour nous à long terme, j’envisage même que certains pays puissent quitter l'OTAN... »

• Dans une nouvelle intervention, Hersh revient sur le sabotage de NordStream II, y ajourant un autre aspect plus stratégique, pour exposer l’existence d’une “rupture totale” entre la CIA et “la Maison-Blanche” (en réalité, selon nous, les neocon qui disposent d’une influence maximale à la Maison-Blanche et autour, avec le conseiller à la sécurité nationale et directeur du NSC Jack Sullivan et le Secrétaire d’État Blinken).

« Le sabotage des gazoducs Nord Stream et le manque de planification stratégique en ce qui concerne l'Ukraine ont provoqué  [...] “une rupture totale entre la direction de la Maison Blanche et la communauté du renseignement”, a déclaré le responsable du renseignement cité par Hersh. [...]

» “La destruction des gazoducs n'a jamais été discutée, ni même connue à l'avance, par la communauté”, a déclaré le fonctionnaire. »

Le deuxième point qui fait l’objet d’une critique dénonciatrice de la CIA, selon Hersh, est l’absence de planification concernant les forces US vis-à-vis de l’Ukraine. Les sources de Hersh parlent spécifiquement des 82ème et 101ème divisions aéroportées, respectivement en Pologne et en Roumanie, déployées près de la frontière ukrainienne, – à peu près 20 000 hommes comme total des deux unités.

« “Nous n’avons aucun signe disant qu’un haut responsable de la Maison Blanche connaisse vraiment le statut de ces deux divisions”, ont déclaré les responsables des services de renseignement à Hersh. “Sont-elles là dans le cadre d’un exercice de l’OTAN ou pour servir avec les unités de combat de l’OTAN si l’Occident décide d’engager les unités russes à l'intérieur de l'Ukraine ? Sont-elles là pour s’entraîner ou pour affronter éventuellement les Russes ? Les règles d'engagement stipulent qu'ils ne peuvent pas attaquer les Russes à moins que nos hommes ne soient attaqués”, a déclaré le fonctionnaire. »

La critique de la CIA ne s’arrête pas là. Elle ouche également le Pentagone, accusé d’irresponsabilité et d’irréalisme. La source de la CIA a déclaré à Hersh qu’il y a deux mois, le JCS (général Milley) avait, « avec un certain optimisme », demandé à des spécialistes de l’état-major de rédiger un traité de cessation des hostilités à présenter aux Russes « après leur défaite sur le champ de bataille ». La CIA ne semble pas, ni partager ni apprécier cette vision idyllique :

« Mais on ne sait toujours pas ce qui se passera si le scénario du Pentagone tourne mal et si les forces ukrainiennes essuient une défaite sur le champ de bataille, poursuit la source de Hersh : “Les deux divisions US déployées à proximité de la zone de guerre rejoindront-elles les troupes de l’OTAN et affronteront-elles l'armée russe à l'intérieur de l'Ukraine ?” »

• On ne peut pas, on ne doit pas séparer cette intervention de Hersh citant des sources identifiées  indirectement comme de la CIA, avec une intervention publique du directeur de la CIA mettant en cause la vision idyllique, de type-neocon, d’une hégémonie totale des USA sur le reste du monde, y compris l’ensemble Ukraine-Russes écrasés... Bill Burns, diplomate de métier, garde effectivement un ton très diplomatique, mais le sens de ses propos n’est pas dans le sens des rengaines Sullivan-Blinken, sous la baguette hésitante de Joe Biden.

... On notera avec intérêt que Burns parle d’« une période de changement “qui n'arrive que deux fois par siècle” », ce qui implique une amusante et curieuse, sinon énigmatique analogie, – soit avec les propos de Xi à Poutine (« Un changement qui ne s'est pas produit depuis 100 ans arrive. Nous le ferons ensemble »), soit avec l’évocation de la chute de l’URSS renvoyant à un hypothétique effacement de l’hégémonie US...

« Le rôle dominant des États-Unis sur la scène mondiale ne peut plus être garanti, car le pays connaît une période de changement “qui n'arrive que deux fois par siècle”, a déclaré Bill Burns, directeur de la CIA.

» S'exprimant à l'Institut Baker en début de semaine, M. Burns a déclaré que même si Washington “a toujours une meilleure carte à jouer que n'importe lequel de ses rivaux”, il n'est “plus la seule grande pointure de l’ensemble géopolitique et notre position de maîtrise de la donne sur la table n'est plus garantie”.

» Le chef de la CIA a souligné les liens croissants entre la Chine et la Russie, qui, selon lui, constitueront un “formidable défi” pour son agence dans les années à venir. Selon M. Burns, Pékin “ne se contente pas d'avoir un siège à la table ; elle veut diriger la table”, tandis que la Russie cherche à “renverser la table”. »

La bataille du pouvoir

Hersh est un homme sérieux, pour lequel nous avons une belle estime professionnelle. Nous croyons qu’il n’écrit rien “pour l’esbroufe” du simulacre. Nous pensons qu’il a une vieille expérience et qu’il travaille d’une façon concertée, dans des buts communs avec les factions saines non encore pourries, avec des source très sérieuses. Ici, nous avons la conviction que c’est bien avec la CIA qu’il travaille et très intensément, une sorte de CIA “dissidente”, c’est-à-dire d’une fraction qui n’admet pas la compromission de certains éléments de l’Agence avec le pouvoir, et qui lui demande de “sortir” cette affaire comme il le fait, qui exprime une rupture totale entre l’IC (‘Intelligne Community’) et le pouvoir.

La situation est très différente, par exemple, de celle de 2001-2003 où l’Agence avait été maté par son directeur George Tenet, qui s’était soumis à un pouvoir-neocon beaucoup plus puissant, autour de Dick Cheney, et ayant un soutien dans le public dans une atmosphère traumatique post-9/11 impliquant directement les USA et la patriotisme du pays bruyamment sollicité. Cette fois, les neocon sont à la fois complètement libres mais beaucoup plus faibles, et l’Ukraine ne trouve guère d’écho actif, émotionnel, patriotique, dans le public, tandis que des problèmes internes déchirent le pays. La partie est infiniment plus serrée..

Pour nous, la déclaration de Burns, qui dévie complètement du simulacre bidonesque sur l’hégémonie totale des USA, exprime officiellement-diplomatiquement l’avis et la faction que Hersh expose plus crûment. Signe que Burns est obligé, sinon de se ranger complètement, dans tous les cas d’exprimer l’avis des “dissidents” et de reconnaître leur droit à l’existence et à l’expression, – voire de la partager ? La simultanéité chronologique de l’intervention de Hersh et de celle de Burns n’est pas fortuite ou bien, – sacré hasard ! Nous voulons dire que tout se passe comme si elles étaient faites en même temps pour que la seconde (Burns) explicite la première (Hersh) et la renforce. Il s’agit presque d’une déclaration de guerre faite aux neocon de l’administration.

Le plus important chez Hersh concerne l’absence de stratégie de l’administration, avec le suivisme du Pentagone sans aucune personnalité pour le digérer [au contraire de 2001-2003, où le brio et l’influence de Rumsfeld contrastent singulièrement avec la médiocrité et la faiblesse de caractère de Austin-Milley], au profit d’une auto-désinformation sur la situation ukrainienne. C’est toute une méthodologie qui est mise en cause, – et plus exactement une pathologie intellectuelle de targuant d’être une méthodologie mais confinant au phantasme de l’indéfectibilité (certitude de ne jamais perdre à cause de l’opérationnalité de la justesse morale, sous forme d’inculpabilité) comme identifiant de la pathologie en raison de son extrémisme proche de la folie.

Une dernière chose est remarquable, concernant la représentation symbolique du couple Russie-Chine, qui est à notre avis erronée : “La Chine veut présider la table, la Russie veut la renverser”. Plusieurs remarques :

• La Chine veut-elle présider la table telle qu’elle est ? Veut-elle présider la table nouvellement dressé après que la Russie l’ait renversée ? Question ouverte, mais nous privilégions le deuxième terme pour la chronologie, – mais aussi, comme on voit avec ce qui suit, de la nature des rapports...

• Il s’agit de l’habituelle faute d’interpréter les rapports Chine-Russie en rapports de force, avec la Russie en “Junior Partner”, cette fois dissipé et semeur de trouble. La remarque de Xi, déjà rappelée, signifie que la Chine et la Russie travaillent sur un pied d’égalité et selon un schéma de multipolarité. Les USA, même Burns, ne peuvent ni imaginer, ni même peut-être (avec la possibilité qu’ils évoluent ?) accepter cela.

• Quoi qu’il en soit, ce qui import c’est l’affrontement interne : « Une rupture totale entre la direction de la Maison Blanche et la communauté du renseignement ». On tient là peut-être, et peut-être le plus sérieux, un des facteurs de division qui pourrait conduire à une crise de l’effondrement du pouvoir. Cette division ne peut que s’amplifier, connaissant les neocon qui ne peuvent modifier leur tactique de déstructuration fondant toute leur stratégie nihiliste sinon leur psychologie, qui ni ne s’effaceront ni ne changeront ; et la faction dont Hersh se fait le porte-voix, qui, à notre estime, estime qu’il s’agit d’une lutte totale dont l’enjeu est un conflit catastrophique avec la Russie (au moins...).

 

Mis en ligne le13 avril 2023 à 09H30

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