Curriculum Vitae  en noir-et-blanc

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Curriculum Vitae  en noir-et-blanc

12 mars 2021 – L’autre jour (cela devrait être vendredi dernier), dans l’émission L’heure des Pros (CNews) où l’on rit tout de même un peu plus qu’avec Pujadas ou Apathie sur LCI, Je regardai et entendis Laurent Joffrin défendre avec vigueur la thèse du racisme très- sinon omniprésent en France. (Joffrin est de gauche et régulièrement invité chez Pro, qui a le goût de l’empoignade et du baston ; et c’est très bien ainsi, sans hésitation dans mon chef.) Il  (Joffrin) présenta l’exemple selon lequel un citoyen cherchant un emploi et expédiant son curriculum-vitae aussi acceptable qu’un autre, mais se terminant par son identité où l’on relèverait le prénom de “Mohamed”, avait beaucoup plus de chances qu’un autre par exemple avec le prénom de Philippe (sinon Philippe-Auguste comme je m’interpelle parfois), – beaucoup plus “de chance”, veux-je dire en déplorant l’expression non encore purgée, d’être écarté, d’être ostracisé, d’être racisé en un mot-nouveau.

(Racisme impénitent et sans repentance, et même impossible à repentir parce qu'on ne repentit pas l'irrepentissable. Deux-trois néologisme n'importe comment en un peu plus d'une ligne, mesure de mon émoi et de ma confusion.)

Je me permets d’élargir cette sage observation de défense de la diversité de monsieur Joffrin à toute la sphère de ce que je nomme le bloc-BAO, car nous marchons tous au même rythme du même crincrin inclusif et tolérant, sauf quelques abrutis qui mériteraient, malgré leurs obsessions ancestrales, d’être renvoyés à la Russie (je pense à la Pologne, la Hongrie, l’Iran, le Venezuela, la Syrie, les Houthis, etc.). Bref, Joffrin is right et la racisme est everywhere, comme on dit aux States dans les cocktails petits fours-champagne de Black Lives Matter-Hollywood. A preuve, cette historiette que je lui soumets avec mes meilleurs vœux de tolérance et de diversité. (Il est vrai qu’elle a paru, cette historiette, today sur Russia-Today, c’est dire que c’est à ne pas dire.)

« Un traducteur catalan rapporte que sa traduction d’un poème récité lors de l’investiture du président Joe Biden a été écartée selon l’argument que, étant un homme blanc, il n’avait pas le “profil” pour traduire une poétesse noire.

» Víctor Obiols, traducteur anglo-catalan renommé, a déclaré que son éditeur espagnol avait refusé d’utiliser sa traduction déjà achevée du poème intitulé “The Hill We Climb” de [la jeune et talentueuse] Amanda Gorman, au motif que la couleur de sa peau et son sexe ne convenaient pas à cette tâche.

» L’éditeur Univers, basé à Barcelone, a déclaré avoir confié la traduction à M. Obiols parce qu’on le considérait comme le plus qualifié. Obiols est connu pour avoir traduit les œuvres de Shakespeare et d’Oscar Wilde en catalan.

» Toutefois, alors que la traduction était déjà terminée, Univers a été contacté par l’éditeur américain de Gorman, Viking Books, qui lui a demandé de trouver à la place un traducteur qui soit une femme et un militant, de préférence d'origine afro-américaine.

» “Ils ne mettaient pas en doute mes capacités, mais ils recherchaient un profil différent, qui devait être une femme, jeune, militante et de préférence noire”, a expliqué M. Obiols à l’AFP.

» Selon les médias espagnols, la rédactrice en chef d'Univers, Ester Pujol, a déclaré que l’éditeur américain avait tout à fait le droit de poser n’importe quelles conditions, qualifiant la demande de “parfaitement acceptable”.

» Pujol a précisé que, même si sa traduction ne verrait pas le jour, Obiols serait rémunéré pour son travail. Univers est actuellement à la recherche d'un candidat approprié pour remplacer Obiols.

» Obiols s’est dit sidéré par la position de l'éditeur américain.

» “Si je ne peux pas traduire un poète parce qu’il s’agit d’une femme, jeune, noire, une Américaine du XXIe siècle, je ne peux pas non plus traduire Homère parce que je ne suis pas un Grec [“mâle blanc” ?] du VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Ou je n’aurais pas pu traduire Shakespeare parce que je ne suis pas un Anglais [“mâle blanc” ?] du XVIe siècle”, a-t-il déclaré aux médias.

» Peu après avoir été renvoyé, le traducteur a publié plusieurs tweets, se qualifiant de “victime d'une nouvelle inquisition”. Il a ensuite supprimé ces messages parce qu'il ne voulait pas qu'ils soient mal interprétés, a-t-il déclaré aux médias.

» Obiols n’est pas le premier traducteur de Gorman à perdre son emploi en raison de problèmes d'identité. Le mois dernier, la poétesse néerlandaise Marieke Lucas Rijneveld a dû refuser de traduire le poème en néerlandais à la suite d'une campagne publique menée par la militante de la culture noire Janice Deul, qui a affirmé que Mme Rijneveld (qui est devenue le plus jeune écrivain[e] à remporter l'International Booker Prize l’année dernière et qui s’identifie comme non-binaire [*]) n’était pas adaptée à cette tâche parce qu’elle est blanche, – et malgré le fait que Amanda Gorman avait choisi elle-même Mme Rijneveld.

» Janice Deul a déclaré qu’elle n’était pas opposée à ce que des Blancs traduisent les œuvres de Noirs, mais pas dans le cas de “ce poème spécifique de cet orateur spécifique dans ce domaine [spécifique ?] de Black Lives Matter”. 

» Gorman, 23 ans, a fait des vagues en janvier après être devenu le plus jeune poète [la plus jeune poète(sse?)] à lire un poème lors d’une inauguration présidentielle. Son poème, influencé par l’émeute [l’insurrection du 6 janvier] du Capitole et évoquant la fragilité de la démocratie américaine, a suscité les louanges du président Barack Obama et de l'ancienne première dame Michelle Obama. Dans ce texte de six minutes, elle se décrit comme une “fille noire maigre, descendante d'esclaves et élevée par une mère célibataire”. »

(*) “Non-binaires” ou “genderqueer” : « ...dont l’identité de genre ne s'inscrit pas dans la norme ». La Hollandaise Mme Rijneveld avait pourtant un bel atout, du type carré d’as ou une couleur en main, pour justifier sa tâche sublime. (Note-PhG.)

Ce texte est plein de bonnes choses sur l’état du monde, sur la (haute) tenue de notre civilisation, sur notre extrême intelligence structurée à l'aide de très-vertueuses vertus morales. (Que dites-vous d’une “vertu-vertueuse” ? C’est mieux qu’une “verrue-vertueuse”, non ?) Il devrait aller comme un gant à Joffrin, aussi bien qu’à Mohamed et à Philippe-Auguste.

Je me demande bien ce que je fais ici, moi, à lire des trucs pareils, qui me font prendre conscience de la fragilité de ma condition, de mes vices cachés, de mon passé qui ne passe pas, de mes repentations à géométrie variable et sans domicile fixe ; et encore, que dirait-on si, retournant sur la terre de mes ancêtres, j’en revinsse fort bronzé comme j’en ai le tempérament, d’une couleur qu’Obama-Saint ne démentirait pas puisque fort proche de sa Sainte-Pigmentation ? Quoi qu’il en soit et pour ce qu’il en est des divers trames et péripéties de l’aventure rapportée dans cette nouvelle, je vous dirais que je les trouve fort bien organisés d’ores et déjà, tous ces braves et vigilants guerriers wokenistes, avec des commissaires-politiques, des surveillants-pions, des kapos, des collabos, des dénonciateurs, des autocritiqueurs... Ne dirait-on pas qu’ils ont fait cela toute leur vie d’avant le déluge ?

C’est une époque formidable, où le Black Homère est autorisé à traduire une recette du Catalan Virgile, après tampon d’approbation de Madeleine Shakespeare, transgenre fidèlement lié à Proust (d’où “Madeleine”, vous voyez ?). C’est une époque où il fait bon vivre, au milieu des crétins qu’aucun Covid ne torture, une époque pleine d’audace, parce que les crétins, voyez-vous, c’est, comme dit vous-savez-qui, « ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ».

Pour saluer cette heureuse occurrence où l’on semble enfin découvrir la voie de la vertu égalitariste par l’égalité déjantée et dégenrée, décolonialisée et déracisée, je retrouve un extrait d’une interview de Pierre-André Taguieff, qu’il m’est arrivé déjà de citer, notamment lorsqu’il parlait de “bêtise” ; comme ceci, avec le mot souligné en gras, souvenez-vous :

« On connaît le dogme des pseudo-antiracistes contemporains, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : ‘Le racisme anti-Blancs n’existe pas.’ On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. Le déni du racisme anti-Blancs peut en effet exprimer soit une adhésion idéologique au racisme anti-Blancs doublée d’une volonté de cacher cette adhésion, soit une forme de conformisme relevant du politiquement correct, soit une forme de bêtise consistant à nier les évidences. » (‘L’imposture décoloniale’, 2020)

On sait combien ce trait important et bombastique de l’esprit, et comme caractère de l’esprit de ce siècle, je veux dire le XXIe, – combien “la bêtise” est devenue pour moi essentielle, en tant que telle, comme doctrine collective et même comme « élément-métahistorique » de mes emportements et analyses considérables. Lors, vous pensez bien que me vient à l’esprit cette réponse de Taguieff, à la dernière question de l’interview, je crois que c’était en novembre 2020 (le titre, du Taguieff pur : « Le décolonialisme est la maladie sénile de la gauche intellectuelle contemporaine »).

A cette époque nous n’avions pas encore touché le fond, et d’ailleurs pas plus maintenant, et quand nous y serons nous creuserons pour trouver plus profond encore que le fond, là où l’on trouve le Saint-Graal, la Bêtise trônant, lumineuse, impériale et si assurée d’elle-même, la Bêtise-superbe “éclairant le monde”...

Figaro-Vox : « Vous rappelez que l’activiste Rokhaya Diallo a retweeté le compte satirique de Titania McGrath sur Twitter qui se moque des délires woke et devance même parfois des discours progressistes. La frontière entre la parodie et le premier degré est-elle ici en voie de disparition? »

Taguieff : « C’est là un indice de la bêtise des nouveaux bien-pensants. Il ne s’agit pas de la bêtise ordinaire, pour ainsi dire innocente, mais d’une bêtise prétentieuse, arrogante, sophistiquée. Un esprit de sérieux idéologisé, doublé d’une roublardise plus ou moins affûtée. C’est la bêtise commune aux élites médiatiques et aux élites académiques faisant profession de “radicalité”, à Rokhaya Diallo ou Lilian Thuram en version militante, à Judith Butler ou Gayatri Chakravorty Spivak en version “théorique”, disons comiquement pédante.

» On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron. Mais la bêtise la plus redoutable, parce qu’elle passe inaperçue, c’est la bêtise des élites intellectuelles, soumises aux modes idéologiques et rhétoriques, conformistes dans leurs rêves de “radicalité” et fascinées par la violence des supposés “damnés de la terre”, censés avoir “toujours raison”.

» Rien n’est plus pitoyable que la bonne conscience et la lâcheté tranquille de ceux qui, pour paraphraser Camus, n’ont jamais placé que leur fauteuil ou leur micro dans ce qu’ils croient être le sens de l’histoire. »

Cela dit, monsieur Taguieff, je ne comprends pas très bien pourquoi vous m’avez incité à vous citer, à cause de la réponse que vous faites, à propos de la gentille historiette rapportée plus haut, à propos de Homère-Biden et de ses traductions simultanées pas très loin du Capitole où l’on insurrectionne régulièrement, et vraiment en toute égalité de peau. Certes, Homère n’est pas Noir, – quoique, on enquête voyez-vous..., – mais tout de même, un peu d’indulgence encore et il pourra entrer dans le grand Panthéon de la bêtise, à gauche, tout à gauche du Parthénon. Je vous l’assure, on y trouve des Blancs à ne plus savoir qu’en faire ; il semble mème que, de ce point de vue de la bêtise, les Blancs soient champions du monde, en ce XXIe siècle ; ils se bousculent, ils demandent qu’on les excuse d’être Blanc, ils disent qu’ils n’aiment pas les Blancs, qu’ils exècrent les “Blancs plus blancs que blanc” qui sont d’un blanc si douteux, – je n’en ai désormais plus aucun doute, – je parle du “si douteux” qui ne fait aucun doute, au point que je me retire des couleurs, ni blanc ni noir, ni rien du tout, dans mon royaume de l’inconnaissance, me rappelant toujours cette réplique d’Anouilh :
« Vous ne le savez pas, vous autres, mais tout au bout du désespoir il y a une blanche clairière où l’on est presque heureux. » (Patatras ! Pardonnez-lui, Mon Dieu, pour ce “blanche” si mal à propos, c’est à cause de Votre lumière sans doute [arrangeant, PhG] ; bien qu’avec Rembrandt et son clair-obscur, on puisse envisager de s’arranger.)

Pour le reste, allons-y pour un mot d’adieu... Et revenons au temps passé, lorsque le cinéma, bienheureusement précurseur de nos Derniers Temps, était “en noir et blanc” sans que toute la Bêtise du monde déchaînât sa haine horrible et sa fureur hystérique. Étonnez-vous, après cela, de la puissance et la beauté incomparable de ma-Nostalgie.

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