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1556Il est très difficile d’avoir une opinion tranchée de Trump sur Sanders et de Sanders sur Trump. Ces deux candidats sont ces deux-là « que tout oppose et que l’essentiel rapproche », comme nous les avons qualifiés dans un des nombreux textes où nous évoquions leurs cas, à tous deux de concert, depuis l’origine de la séquence actuelle où les choses devinrent très sérieuses. Sanders et Trump ont déjà montré nombre de signes ambigus de ce que nous nommerions une “estime particulière”, – en référence, mais avec modification pour qu’on ne confonde ni ne s’égare tout de même dans un domaine inopportun, au titre du livre de Roger Peyrefitte, Les amitiés particulières, – de l’un pour l’autre et vice-versa... Voyons ci-après quelques signes très récents de ce fait si “particulier”.
• Trump a lancé, un peu à l’aveuglette et à l’aventure comme il en a l’habitude (on agit d’abord, on pense après), l’idée d’une rencontre télévisée face à face avant la dernière primaire de la séquence actuelle, celle de Californie le 7 juin. Sanders a accepté avec empressement et il semble que Trump confirmerait sa participation. Clinton en a ri haut et fort en disant que cela n’était pas sérieux et que cela n’aurait pas lieu, et l’on pourrait aisément imaginer son éclat de rire un peu forcé et halluciné comme à l’habitude, et tirant plutôt sur la couleur jaune. Quoi qu’il en soit...
« Just minutes before Clinton's interview, Sanders triumphantly announced to supporters in Ventura, Calif., that Trump “is agreeing to debate” and that he “looks forward to defeating him.” The idea for a debate between Sanders and the GOP nominee arose after Trump told comedian Jimmy Kimmel on Wednesday night that he’d enjoy debating the Vermont senator before the California primary. At this point in the race, Sanders cannot win through the primary process but hopes to close strong so he can contest the nomination with superdelegates at the Democratic convention.
» When asked if she would join Trump and Sanders in the debate, Clinton responded, “This doesn't sound like a serious discussion, I'm just looking forward to debating Donald Trump in the general election.” »
Pour avoir l’équivalent français d’une telle situation, en mettant à part les circonstances différentes dues aux différences des processus électoraux mais en admettant qu’on se trouve dans une situation similaire en fait de résultat, c’est comme si, en avril-mai 2017, on retrouverait au lendemain du 1er tour Le Pen [Trump] contre Hollande [Clinton], et que Le Pen-Trump inviterait Mélenchon-Sanders, troisième du 1er tour, à un face-à-face, – et que ce dernier accepterait... Quoi qu’on puisse penser des diverses circonstances et arrière-pensées, l’idée établit un lien particulier entre Trump et Sanders, et suggère un mépris considérable, peut-être involontaire mais sans aucun doute significatif de la situation, de deux candidats antiSystème pour la candidate-Système. Ce mépris mesure bien la vigueur de l'affrontement (pour nous, antiSystème versus Système).
• Depuis plusieurs semaines, Trump dénonce à telle ou telle occasion le traitement qui est fait à Sanders par le parti démocrate qui favorise outrageusement Hillary Clinton, ou disons ce qu’il en reste après le coup terrible qu’elle a essuyé avec le rapport du département d’État dans l’affaire, ou plutôt le scandale dit-emailgate. Les tweets de Trump à l’attention de Sanders sont fameux : « Run, Bernie, Run », Trump signifiant par là qu’il recommande à Sanders d’envisager une candidature indépendante puisqu’il est saboté par le parti. Répondant à une question à ce propos, c’est-à-dire au propos précis de Trump l’encourageant pour une candidature indépendante, Sanders a répondu presqu’avec affection : « J’apprécie sa préoccupation. Je suis sûr que cela vient du fond de son cœur. » Le paradoxe de situation est qu’aussitôt après, Sanders renouvelant son espoir d’être malgré tout le candidat finalement choisi par le parti démocrate contre Clinton, il affirme alors que « si c’est le cas, nous allons le battre [Trump], et le battre à plate-couture... » Ainsi trouve-t-on constamment ce mélange d’une certaine proximité personnelle, exprimée d’une façon très inhabituelle par rapport aux mœurs politiciennes US, et d’un antagonisme politique non dissimulé... Cela ne signifie pas que ces deux hommes complotent ou qu’ils “s’aiment”, mais que leurs situations respectives les mettent en nécessité d’une estime réciproque.
« Bernie Sanders says he appreciates Donald Trump's appeal for him to compete in the presidential general election as a third-party candidate, but hopes he can face the GOP's leading candidate as the Democratic nominee. In an appearance Thursday evening on the ‘Jimmy Kimmel Live’ show, the senator from Vermont joked that it was a little “self-serving” of Trump to suggest that he made an independent run should he lose the nomination to former Secretary of State Hillary Clinton, which could split Democratic voters. Sanders added, “I appreciate his concern. I'm sure it comes straight from his heart.”
» Trump, the Republican Party's presumptive nominee, has said that Sanders is the victim of a “rigged” Democratic primary process — something which Sanders himself has said. Sanders has often railed against the Democratic Party's use of superdelegates, unbound party officials, who have overwhelming backed Clinton, all but guaranteeing her the party's nomination.
» Still, Sanders has pledged to ride the nomination contest all the way the Democratic convention in July, where he hopes to come out on top in a contested convention. “What I hope will happen is I will run against [Trump] as Democratic nominee,” Sanders told host Jimmy Kimmel. “Were going to beat him and beat him bad.”
...Même s’il s’agit de sentiments personnels, il nous paraît incontestable que cette “estime particulière” entre Trump et Sanders relève bien d’une situation politique, du fait qu’ils sont tous deux perçus comme antiSystème, tous deux dénoncés et combattus par l’establishment, mais avec la vertu particulière que les deux larrons se perçoivent effectivement eux-mêmes comme antiSystème. On retrouve cette situation tant de fois constatée entre les deux ailes de l’antiSystème par rapport au Système, c’est-à-dire des programmes politiques souvent antagonistes, souvent idéologiquement inconciliable, avec le fait majeur de la possibilité, – nécessité ou tentation c’est selon, – d’une entente implicite de s’opposer au Système. Certes, il n’y a pas qu’aux USA qu’on trouve ce cas de répartition des forces politiques (la France en est un autre exemple), mais les USA sont vraiment aujourd’hui le laboratoire où l’on peut examiner dans quelle mesure l’essentiel (l’antiSystème) pourrait enfin avoir raison des oppositions politiques et idéologiques pour enfin réaliser la seule alliance politique capable d’opérationnaliser la puissante vague antiSystème qui touche la plupart des peuples, et ainsi mettre la direction-Système correspondante en complète minorité et, par conséquent, la plonger dans un désordre et une confusion sans précédent et sans retour. Ce n’est pas la moindre surprise que ce retournement ultra-rapide nous soit offert par les USA, puissance réputée pour son système politique absolument verrouillée.
Le constat général à ce point est d’abord que les situations se confirment comme étant d’une extraordinaire originalité aux USA, et pour les USA, avec toutes les options déstructurantes pour le Système restant ouvertes. (Trump a verrouillé sa nomination républicaine en dépassant les 1237 délégués, Sanders reste en piste, Clinton est dans une situation de domination comptable au sein du parti démocrate mais fait face à une chute de popularité et à de très graves problèmes pour le maintien de sa candidature par la démonstration de son arrogance et de son cynisme.) Il est ensuite que rien d’irrémédiable ne s’est bâti entre les deux candidats antiSystème, malgré la rude campagne de trouble et de provocation menée par des groupes anti-Trump ; ces groupes prétendant agir au nom de Sanders mais l’on sait depuis longtemps d’où vient le financement (Soros & Cie, compris Hillary) et, par conséquent, ce que cela implique comme arrière-pensées. Sanders s’est gardé de les encourager, même s’il ne les a pas condamnés explicitement, chose impossible dans sa position ; Trump, lui, prend en général la chose à la légère, et évite par tous les moyens une dramatisation à ce niveau.
Tout se passe comme si les deux candidats antiSystème évoluaient en prenant soin de se ménager la possibilité de travailler ensemble, de profiter d’une ouverture, de ne s’interdire aucune possibilité d’arrangement. On arguera bien entendu et une fois de plus des différences de programmes, des différences idéologiques et conceptuelles, si l’on veut continuer à raisonner selon les conceptions en vogue dans les années 1930 et la lourdeur de la pensée dominante qui a écrasé le XXème siècle et permit l’émergence d’un Système totalitaire et d’une conception du monde concentrationnaire. Mais la fluidité de la situation aux USA, qui est une nouveauté extraordinaire dans ce système politique jusqu’ici complètement verrouillé, conseillerait plutôt au jugement raisonnable de s’abstenir du verdict idéologisé standard et de s’attendre à des surprises considérables, dans la logique de ce que nous avons vécu puisque nous allons, depuis des mois, de surprise considérable en surprise considérable.
Que l’on en soit à ce point où deux candidats à la fois irréconciliables dans le cadre idéologique et impensables dans le cadre institutionnel s’échangent des clins d’yeux complices, où le seul candidat-Système, une dame en l’occurrence, se trouve en train de sombrer dans un océan d’infamie et de corruption alimenté par les organes même du Système (le rapport du département d’État), mesure le degré d’imprévisibilité extraordinaire qu’a atteint cette situation. Ce que nous disions il y a six mois (“plus personne ne contrôle la situation”) est encore plus vrai aujourd’hui (“vraiment plus personne ne contrôle la situation”), après une bataille intense du Système pour réduire les deux intrus qui faussaient le jeu. Aujourd’hui, les deux intrus sont là, en pleine forme, plus proches qu’on ne croirait, face à un Système qui mesure l’hyperimpuissance où son activisme surpuissant l’a conduit... Chaud devant !
Mis en ligne le 27 mai 2016 à 13H28
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