Trump-Pentagone, ou le titanesque ambigu

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Trump-Pentagone, ou le titanesque ambigu

On devrait considérer comme un événement symbolique la conjonction de deux événements chronologiquement parallèles. En Californie, Hollywood remettait ses Oscars dans une pluie d’attaques contre Trump considérées désormais comme le “minimum syndical” de tout artiste de bonne qualité marchande de ce lieu de haute culture, avec en plus une bourde colossale comparable à un tir de drone au Yémen dans la présentation du lauréat de l’Oscar le plus prestigieux, qui faillit compromettre la multiracialité qui y règne en maîtresse absolue. A Washington D.C. version-Trump, le président offrait un bal aux gouverneurs, avec pour la première fois son hyper-First Lady en grand apparat à ses côtés qui recevait l’Army Chorus, l’orchestre officiel de l’US Army, tandis que l’orchestre officiel du Marine Corps jouait du jazz pour les invités. Symbole parce qu’à Hollywood on voyait le déchaînement anti-Trump du système de la communication (cette dénomination est préférable pour Hollywood) tandis qu’à Washington, les forces armées étaient ainsi honorées par le couple présidentiel. (C’est bien un signe important, notamment de l’insistance de son mari à cet égard, que Melania Trump, qui est plus que réticente pour assumer sa position officielle de First Lady, ait effectué sa première apparition dans ce rôle honni par elle, dans une occasion où les forces armées sont ainsi mises en valeur.)

On peut ainsi mieux orienter sa réflexion sur la position de Trump, non pas sa position bien connue contre le système de la communication (presseSystème, Hollywood, avec parrainage de la CIA) mais sa position par rapport au Pentagone et aux forces armées, selon une orientation qui commence à prendre forme. En même temps, on a la confirmation d’une considérable augmentation ($54 milliards pour l’année fiscale 2017, ou bien peut-être $85 milliards) du budget du Pentagone, là aussi dans le même sens : Trump appuie à fond, et s’appuie à fond lui-même sur le Pentagone. Cela signifie-t-il que Trump adopte une attitude militariste-interventionniste ? Pas si vite, car les USA de Trump sont plus que jamais caractérisés par l’adage “Pourquoi faire simple quand on peut faire [très] compliqué ?”...

Par conséquent, la position de Trump mérite d’être détaillée et analysée en détails, d’autant qu’elle caractérise bien la complexité souvent contradictoire de la situation actuelle du pouvoir confronté à l’installation de Trump à la Maison-Blanche : le Pentagone et Hollywood/presseSystème (et la CIA) font tous partie du bon vieux CMI (Complexe Militaro-Industriel) remis au goût du jour (sous la forme du Military-Industrial-Entertainment-[Congress]-Complex, ou mieux encore Military-Industrial-Communication-Complex [MICC]), – ou finalement encore, pour suivre le goût du jour (en american-english dans le texte), l’“État profond”, ou Deep State . Le constat auquel on est conduit dans cette réflexion est que les affrontements autour de Trump et à partir de Trump, loin de se résumer à la simplicité suspecte du “Deep State vs Trump”, constitue au contraire un formidable ferment de fragmentation du susdit Deep State.

L’augmentation du budget du Pentagone était l’une des grandes promesses de campagne du candidat Trump. (A cette époque, il était, – déjà ou encore, c’est selon, – tenu pour acquis que Trump aurait une politique de désengagement et d’entente avec la Russie, et cette affirmation ne semblait nullement contredite par la volonté affirmée d’augmenter les dépenses militaires.) Il tient parole d’une façon extrêmement marquée, qui ne peut que satisfaire les généraux, et notamment ses ministres Mattis (défense) et Kelly (sécurité intérieure), et son conseiller de sécurité nationale (McMaster), tous généraux. Il est très probable que Trump insistera surtout pour une expansion de l’US Navy vers le chiffre de 350 navires de combat (la marine se trouve actuellement largement en-dessous des 300 navires de combat).

(D’un point de vue stratégique, l’expansion de la marine signifie bien entendu un accroissement du contrôle des voies de communication et peut fort bien être appréciée comme n’étant pas une politique interventionniste mais bien une forme de puissance s’accordant avec un certain repli de la puissance US. Les USA isolationnistes, quand ils le furent, veillèrent constamment à maintenir une puissante marine militaire alors qu’ils veillaient parallèlement à éviter tout engagement extérieur, politique et autre. Il est peu connu, parce qu’assez peu compatible avec l’historically correct de la pensée globaliste, que la puissance navale mit les USA directement en concurrence confrontationnelle avec le Royaume-Uni en 1926-1928, jusqu’à constituer durant cette période un risque de guerre majeure entre les deux “cousins” USA et UK, et le seul risque de guerre sérieux ayant existé  dans cette période pré-Grande Dépression et pré-hitlérienne.)

Un autre point plus délicat est la modernisation et le renforcement de la puissance nucléaire US qui sembleraient voulus par Trump. Certains centres de pouvoir insistent pour que ces capacités soient développées dans le sens de la possibilité de mener une “guerre nucléaire limitée” ou vers la capacité d’une “première frappe stratégique” victorieuse, ce qui soulève la crainte de la possibilité d’une guerre nucléaire et de la relance d’une “course aux armements”. Dans ce domaine des forces nucléaires, il est vrai que l’effort de modernisation de la Russie, répliquant lui-même à l’agressivité des précédentes administrations et au développement des réseaux antimissiles, est aujourd’hui en plein développement et donne un argument à ceux qui veulent un effort du côté US. En d’autres mots, la “course aux armements”, au-delà des traités de limitation des forces nucléaires devenus quasiment caducs à cause de la tension entre la Russie et le bloc-BAO, est d’ores et déjà lancée.

Ces appréciations générales étant faites d’un point de vue conceptuel, il reste le volet de l’application, c’est-à-dire d’une dépense efficace de l’argent supplémentaire que va recevoir le Pentagone. On sait que l’actuel budget officiellement fixé autour de $700 milliards, approche en réalité, à cause des diverses dépenses cachées, sous-traitées à d’autres ministères et agences, etc., les $1.200-$1.300 milliards. Sur ce budget gargantuesque qui avale d’un seul coup de langue tous les budgets militaires mis ensemble de toutes les puissances qui comptent sur la planète, se greffe la monstrueuse incapacité de gestion et l’horrible inefficacité de cette gigantesque usine à gaz qu’est le Pentagone, conduisant les masses d’argent disponibles jusqu’à l’inversion des capacités, combinés avec des pyramides d’argent égarés (plus de de $1.000 milliards en 15 ans dont on a perdu toute trace dans la comptabilité). On comprend que les nouveaux $milliards dont Trump se propose d’arroser la bestiole ne feront qu’ajouter à l’immonde désordre. Comme disent ses critiques les plus radicaux et donc les plus raisonnables et les mieux informés, comme Winslow Wheeler, le Pentagone a dépassé le point d’inversion, celui où la situation classique de l’apport d’argent  destinée à accroître la capacité d’acquisition est complètement pulvérisée par la situation où les facteurs négatifs de corruption, de gaspillage et de confusion de gestion de la bureaucratie font désormais que l’apport d’argent supplémentaire accroît en priorité cette corruption, ce gaspillage et cette mauvaise gestion. (Wheeler jugeait d’ailleurs, il y a  déjà presque 10 ans, le Pentagone irréformable : il faudrait commencer par le briser en autant de services et de départements et repartir à zéro en recherchant une division en deux ou trois, après audit et interruption de fonctionnement pendant 6 mois-un an.)

Cette inversion de la puissance est un problème différent du reste (de la puissance militaire intrinsèque des USA), un problème spécifique de la bureaucratie du Pentagone aussi bien que des conditions du “progrès” technologique, lui aussi ayant dépassé à notre sens le point d’inversion. Ce “problème différent” se trouve synthétisé et symbolisé, notamment sinon essentiellement par le monstrueux programme JSF (F-35) qui devrait coûter s’il allait au terme, selon les estimations poétiques les plus récentes, entre $2.000 et $3.000 milliards ; ce programme avec son incontrôlabilité budgétaire catastrophique et ses limitations sinon ses interdictions de capacités dues à ces phénomènes d’inversion sinon de blocage catastrophiques du technologisme.

Or, c’est cet autre problème que Trump, appuyé sur son expérience de gestionnaire, entend prendre à bras le corps, éventuellement d’une façon directe, avec une implication directe sans précédent. La question du JSF est souvent mentionnée d’une façon directe et explicite par le président, avec notamment la volonté affirmée de soumettre ce programme JSF à une compétition comparative avec un programme Boeing (un F-18 amélioré en version F-18XT ou tout autre développement de ce modèle). Jamais un président n’a été aussi directement impliqué dans la mise en cause d’un programme aussi spécifique, avec Boeing comme concurrent désormais complètement impliqué dans la démarche, selon une méthodologie complètement inhabituelle, sidérante comme les affectionne Trump et contraire à tous les usages. (Voir, – ou entendre, – ce coup de téléphone extraterrestre, le 17 février, de Trump au général de l’USAF Bogdan qui dirige le programme JSF au Pentagone, pour l'entendre faire le point glorieux sur le programme, avec le CEO de Boeing présent pour écouter la conversation, Bogdan ayant été avisé de la chose.) Le programme JSF pourrait devenir un champ particulièrement furieux et exceptionnel dans la bataille contre la bureaucratie du Pentagone que Trump semble bien décidé à engager. Dans ce cas, il s’agit de Trump versus le Pentagone, le même Pentagone que dénonçait Rumsfeld il y a seize ans, le 10 septembre 2001, la veille exactement, comme “l’ennemi n°1” des USA.

C’est donc une situation tout à fait inédite : Trump veut être à la fois le McNamara et le Reagan de l’invincible Moby Dick, selon le surnom donné au Pentagone en 1998 par le secrétaire à la défense Cohen. McNamara fut le secrétaire à la défense de Kennedy et de Johnson qui lança, à son arrivée au Pentagone en 1961, un formidable programme de réforme et de restructuration du monstre nouvellement apparu avec le fameux discours du président Eisenhower de janvier 1961 ; Reagan fut l’homme qui ouvrit en grand, en 1981, les vannes d’un “réarmement” de plus des USA mais aussi le plus fameux, déversant un flot d’argent sur le Pentagone. Les deux hommes semblèrent réussir pendant quelques mois (McNamara) et quelques années (Reagan) avant qu’on s’aperçoive que la situation avait empiré et qu’ils avaient indirectement et involontairement participé à l’accélération de cette aggravation. Moby Dick était déjà Moby Dick et l’est aujourd’hui au-delà de toute concevabilité et quasiment au-delà de l’inversion, dans l’irréversibilité absolue.

Personne avant Trump n’a voulu, et pu encore moins, être à la fois McNamara et Reagan. Inutile de dire qu’il (Trump) n’a bien entendu aucune chance de réussir, ni dans un sens ni dans l’autre, de notre point de vue ; mais là n’est pas l’enjeu, également de notre point de vue. L’enjeu concerne la situation politique générale des USA dans sa phase crisique aigue actuelle et il est à chercher au niveau des conséquences politiques et des déplacements d’influence des différents acteurs du fameux Deep State. Le fait est qu’en agissant comme il le fait, et sans doute sans stratégie (sans calcul) à cet égard, mais simplement selon des impulsions tactiques, Trump obtient deux sinon trois résultats, toujours selon ce point de vue antiSystème qui nous anime :

1). Il divise profondément de Deep State en ralliant à sa cause toute la puissance d’influence des forces armées où il est déjà très populaire, et bénéficiant indirectement de la popularité des forces armées dans la population, en même temps que du sentiment patriotique d’unité sous-jacent à cette popularité.

2). Il divise l’industrie d’armement jusqu’à l’exacerbation, en suscitant l’affrontement entre les deux géants Lockheed Martin (LM) et Boeing, à propos du programme JSF. (L’énormité budgétaire du programme JSF/F-35 en fait l’une des rares forces capables de fracturer profondément l’industrie d’armement. Boeing a toujours espéré pouvoir détrôner le F-35 de LM, et il s’agit là d’un point d’affrontement extrêmement fort, où Boeing devient un soutien effectif du président, à un point où cette convergence suscite un effet politique évident, et un point de fracture de plus du Deep State.)

3). S’il s’attaque directement au JSF, Trump affronte la bureaucratie du Pentagone, d’ailleurs en exacerbant des divisions au sein de cette bureaucratie, sinon dans certaines fractions de la direction des forces armées, entre pro- et anti-JSF. Il met le Pentagone sens-dessus-dessous sans pouvoir être accusé de miner la sécurité nationale puisqu’il l’arrose d’argent par ailleurs, avec sa posture si originale : augmenter fortement le budget militaire tout en attaquant certains programmes, dont le plus gros, le plus coûteux et le plus prestigieux selon la narrative bureaucratique.

Répétons que nous ne voyons là-dedans aucune perspective de “victoire” de Trump, ou quoi que ce soit d’approchant. Sa “victoire“ éventuelle n’a pour nous aucun intérêt. Nous voyons essentiellement, par l’originalité (sans douter involontaire, qu’importe) de sa position un formidable ferment de désordre au sein du Pentagone, du CMI, du MICC, bref du Deep State soi-même... Ainsi soit-il.

 

Mis en ligne le 28 février 2017 à 17H14

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