MbS, on se voit au G-20 ou pas ?

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MbS, on se voit au G-20 ou pas ?

Certaines thèses, dominantes ces dernières semaines, proposaient l’idée que la querelle faite (notamment par les USA, qui nous intéressent ici) au prince héritier et dirigeant de fait de l’Arabie, Mohamed ben Slimane (MbS), à propos de la liquidation du Saoudien, Khashoggi passé dans l’opposition (et au Washington Post), était étouffée selon les nécessités des relations USA-Arabie, ou plutôt Trump-MbS, selon les intérêts des groupes d’armement US et selon les pressions du Pentagone. Cette interprétation est bien entendu assez accordée aux us et coutumes, et finalement aux mœurs purs et simples, à la fois du Système et de la protection des intérêts du système de l’américanisme.

Mais les choses semblent avoir changé à cet égard ces derniers jours avec une puissante offensive de communication, assortie de pièces nouvelles mises en circulation par la Turquie, en même temps que des fuites répercutées par le Post puis le reste de la presseSystème selon lesquelles la CIA aurait conclu que MbS avait lui-même ordonné l’exécution de Khashoggi. Trump a adopté une attitude mitigé et d’attente avant, semble-t-il, de recevoir le dossier complet de la CIA mais il reste fondamentalement pro-MbS. Le site israélien DEBKAFiles note que c’est la troisième offensive de communication contre MbS, il la détaille et donne ses propres explications des diverses causes et manœuvres derrière cette offensive, selon une analyse en quatre arguments.

« 1). Certains cercles de Washington sont déterminés à détruire la relation solide entre l'administration Trump et le roi saoudien Salman et son fils. Ces cercles cherchent depuis longtemps à affaiblir le roi, mais depuis l’entrée de Donald Trump à la Maison Blanche, ils considèrent que le renversement de MbS est bien plus souhaitable avec le bénéfice indirect de s’en prendre au président et à sa famille grâce à cette relation. L'éclipse du prince héritier aurait deux autres avantages aux yeux de ces cercles: elle mettrait gravement en péril la campagne anti-Iran de Trump et son projet de plan de paix israélo-palestinien, qui dépend de la coopération de l'Arabie saoudite, de l'Égypte, des Émirats Arabes Unis et d'Israël .

» 2). Un certain nombre de parties intéressées, politiques et financières, ainsi que de membres de la communauté pétrolière mondiale, considèrent avec une extrême déception les deux princes héritiers, MbS et Cheikh Mohammed Bin Ziyad (MbZ) des Émirats arabes unis, dirigeant la poussée pour établir une hégémonie et contrôle dans le Golfe Persique. Leur but n'est pas de faire tomber l'un des princes mais les deux. La Turquie [qui fait partie de cette manœuvre] a donc lancé un deuxième récit dans la presse [que contrôle le gouvernement], qui cherchent à impliquer MbZ en tant que complice de MbS dans la dissimulation du crime de Khashoggi. Cette version allègue que les Émirats ont confié cette tâche à une équipe de quatre personnes. L'un d'entre eux a été désigné par les médias turcs comme le Palestinien exilé Muhammed Dahlan, réputé ami proche de MbZ. Le ministre des Affaires étrangères des Émirats Arabes Unis a catégoriquement démenti son récit.

» 3).Le président turc, Tayyip Erdogan, continue dans son entreprise d’éliminer les deux princes afin de pouvoir mieux assurer lui-même la direction du monde musulman sunnite.

» 4).Le prince héritier saoudien a annoncé qu'il participerait au sommet du G20 à Buenos Aires du 26 au 30 novembre. Il espère que se faire voir et se congratuler avec les dirigeants du monde (y compris Erdogan) devant les caméras réparera les torts causés à sa réputation par l’affaire Khashoggi et lui donnera une assise solide sur la scène mondiale. La nouvelle vague de communication négative[...] de ces derniers jours vise à lui interdire cette opportunité en en faisant une personnalité internationale non grata. »

L’affaire MbS-Khashoggi est extrêmement exemplaire de l’état actuel du Système dans son sens le plus large, au travers de la situation des élites-Système transnationales et surtout de leurs divisions dans des domaines et des situations qui requerraient pour “le bien de tous” une unité sans faille au moins au niveau de la communication. Dans ce cas, la source elle-même, DEBKAFiles qu’on connaît bien comme “proche des services de sécurité” israéliens, diffuse une analyse qui n’est pas particulièrement favorable, ni à MbS ni à Trump ; lesquels devraient pourtant être considérés, dans la situation actuelle, comme très-très proches d’Israël. Par ailleurs mais un “ailleurs” assez proche, on sait que la direction israélienne est dans une phase délicate depuis la démission de Lieberman, ministre de la défense, et il n’est pas assuré du tout que la décision de Netanyahoude prendre pour lui-même le portefeuille de la défense n’ait pas été déterminée par la pression des chefs militaires, particulièrement mécontents de la façon dont ont été réalisées les récentes opérations contre le Hamas. Ainsi est-il est déjà difficile d’identifier précisément l’orientation de cette source.

Les deux premières causes de cette offensive anti-MbS que donne DEBKAFilesexposent des divisions extrêmement profondes à l’intérieur des directions-Système, par ailleurs tout à fait concevables. L’attaque indirecte mais centrale contre Trump de “certaines forces” qui, à Washington, participeraient à cette nouvelle poussée anti-MbS, reflète le profond désordre existant à “D.C.-la-folle” et renforce l’hypothèse jusqu’à en faire un simple constat que ce désordre touche aussi très profondément la politique extérieure puisque l’un des arguments avancés est qu’une déstabilisation à la fois de MbS et de la connexion MbS-Trump (famille Trump avec Jared Kushner) permettrait de compromettre fondamentalement la poussée anti-Iran de MbS-Trump. (Pour les USA, il faut noter la persistance de la divergence entre un Trump pro-MbS qui en est à dire qu’il faut maintenir la même alliance avec Ryad même si MbS est coupable dans l’affaire Khashoggi, et un Sénat anti-MbS qui continue, notamment sous l’influence de Lindsey Graham, à envisager des sanctions contre l’Arabie sous la forme de restriction des livraisons d’armement... Mais là aussi, comment débrouiller l’écheveau sinon en arguant du facteur-désordre lorsqu’on a également à l’esprit l’hostilité anti-Iran du même Sénat ?)

...La deuxième cause est encore plus ambitieuse, – mais aussi plus hypothétique par rapport à ce qui est perçu, – puisqu’elle envisage un bouleversement complet des influences dans le Golfe, cela qui ne déplairait pas (troisième cause) à Erdogan dont on sait qu’il ne cesse, au-delà de ses circonvolutions et de ses changements parfois étonnants de politique, de rêver d’être “calife à la place du calife” et distille avec à-propos le matériel “secret” permettant de relancer les offensives anti-MbS.

Si l’on est bien en peine de sortir de tout cela une appréciation certaine, et surtout l’issue de l’affrontement en cours, par contre le constat du désordre, du tourbillon crisique affectant les directions-Système dans cet ensemble hautement stratégique, est absolument inévitable. Comme on le disait plus haut (le “bien de tous”), un bon fonctionnement du Système aurait conduit très rapidement, soit à l’élimination de MbS, soit à l’étouffement rapide et définitif de l’affaire Khashoggi ; la direction d’un pays aussi important que l’Arabie dans l’ensemble-Système, doit être très rapidement rétabli, dans un sens ou l’autre pour ce qui concerne MbS, mais certainement pas laissé dans cet état d’indécision qui affaiblit l’ensemble et accentue les divisions et les affrontements.

On ignore bien entendu si MbS sera au G-20 en Argentine pour serrer triomphalement la main à tous ses “amis”, y compris Erdogan, mais nous nous jugeons autorisé à avancer qu’on y verra surtout bien des signes de ce désordre qui affecte toutes les forces du Système, ou disons du bloc-BAO élargi à tous les “amis” indispensables. C’est à cause de telles circonstances, et des connexions existantes entre toutes les situations crisiques (ce qui est au reste la définition même du tourbillon crisique), qu’il nous semble toujours de plus en plus difficiles de faire quelque prévision que ce soit sur les grands événements à venir, que ce soit une guerre ou pas contre l’Iran, une Troisième Guerre mondiale ou pas à partir de telle (Washington-Moscou) ou telle (Washington-Pékin) querelle, etc.

Mis en ligne le 21 novembre 2018 à 10H32