Le Brésil a inventé le “coup-bouffe”

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Le Brésil a inventé le “coup-bouffe”

La guerre hybride, avec ses révolutions de couleur, sa démocratie rétablie à-la-mode-Nuland, tout cela c’est bien joli mais il faut savoir éviter l’écueil du ridicule. Au Brésil, ça ne semble guère marcher car le “coup” (on peut maintenant employer le mot) qui a écarté Dilma Rousseff du pouvoir sombre dans le ridicule des corrupteurs pris la main dans le sac, avec démission d’un nouveau ministre à la clef, et un personnage-clef qui plus est... La presse-Système n’ose pas publier les derniers sondages du président-par-intérim depuis deux semaines parce que sa popularité pourrait bien verser dans le négatif (– 2% ?), un peu comme les taux de prêt des banques globalisées aux abois.

L’on sait maintenant, grâce à la diffusion d’un enregistrement d’une conversation téléphonique de 75 minutes que le ministre Juca, démissionnaire, avait mis au point un “pacte national” dans la grande tradition des situations d’urgence qui appellent les patriotes à se réunir sous le drapeau de l’union nationale. Il s’agissait de se débarrasser de Dilma, non pas spécialement parce qu’elle gênait les plans d’investissement stratégique de la planète par les USA, mais simplement parce qu’elle protégeait la procédure d’enquête dite Car Wash sur les scandales de corruption qui menaçaient tous les signataires. (Au passage, on remarquera que la presse-Système n’a même pas la tenue de la solidarité puisque c’est le plus grand quotidien brésilien, Folha de Sao Paulo, qui a publié une transcription complète de l’entretien où les comploteurs parlent de l’urgence de destituer Dilma de crainte d’être eux-mêmes mis en accusation pour corruption.)

Reuters donne, le 24 mai, les détails de la démission annoncée du ministre Juca, désigné comme un ministre-clef du nouveau gouvernement et très proche du président-par-intérim, tandis que nombre des autres ministres sont des figurants, certes également comploteurs et corrompus mais de peu d’envergure. La présidence du très sexy Temer a donc commencé en faisant du lourd : fuite gargantuesque, super-scandale, démission, d’ores et déjà désordre dans les rues, les JO brésiliens s’annoncent pleins d’une samba échevelée dans une atmosphère abracadabrantesque et globalisée.

Peu avant l’annonce de la démission de Juca, le site de Greenwald, The Intercept, avait publié (le 23 mai) un article détaillé sur l’affaire, signé par Andrew Fishman, David Miranda et Glenn Greenwald lui-même. Nous en donnons ici les derniers paragraphes qui évoquent les perspectives politiques désormais nouvellement bouleversées au Brésil, après le premier bouleversement, il y a deux semaines, de la mise à l’écart de Rousseff pour juger de l’opportunité de sa destitution. Avec la démission de Juca et les remous qui l’accompagnent, les possibilités de développement politique vont de l’annulation de la procédure de destitution à des présidentielles anticipées qui verraient très probablement un retour triomphal de Lula, avec comme option-joker le chaos généralisé, ou bordel-samba – une belle réussite de la guerre hybride, tout ça...

» Ever since Temer’s installation as president, Brazil has seen intense, and growing, protests against him. Brazilian media outlets — which have been desperately trying to glorify him — have suspiciously refrained from publishing polling data for many weeks, but the last polls show him with only 2 percent support and 60 percent wanting him impeached. The only recent published polling data showed that 66 percent of Brazilians believe legislators voted for impeachment only out of self-interest — a belief these transcripts validate — while only 23 percent believe they did so for the good of the country. Last night in São Paulo, police were forced to barricade the street where Temer’s house is located due to thousands of protesters heading there; they eventually used fire hoses and tear gas. An announcement to close the Ministry of Culture led to artists and others occupying offices around the country in protest, which forced Temer to reverse the decision.

» Until now, The Intercept, like most international media outlets, has refrained from using the word “coup” even as it (along with most outlets) has been deeply critical of Dilma’s removal as anti-democratic. These transcripts compel a re-examination of that editorial decision, particularly if no evidence emerges calling into question either the most reasonable meaning of Jucá’s statements or his level of knowledge. This newly revealed plotting is exactly what a coup looks, sounds, and smells like: securing the cooperation of the military and most powerful institutions to remove a democratically elected leader for self-interested, corrupt, and lawless motives, in order to then impose an oligarch-serving agenda that the population despises.

» If Dilma’s impeachment remains inevitable, as many believe, these transcripts will make it much more difficult to leave Temer in place. Recent polling data shows that 62 percent of Brazilians want new elections to select their president. That option — the democratic one — is the one Brazil’s elites fear most, because they are petrified (with good reason) that Lula or another candidate they dislike (Marina Silva) will win. But that’s the point: If what is being avoided and smashed in Brazil is democracy, then it’s time to start using the proper language to describe this. These transcripts make it increasingly difficult for media outlets to avoid doing so. »

Nous avions déjà la “tragédie-bouffe”, inspirée du genre “opéra-bouffe” (pour “opéra bouffon”) et immortalisée par les Bouffes-Parisiennes dans les années 1860. Nous avons désormais le “coup-bouffe”, avec ce qui est en train de se développer au Brésil qui passe en ridicule et en abracadabrantesque tout ce qu’on a vu jusqu’ici en fait de production du Système. Il est vrai que le Système manie une formidable superpuissance, qu’il provoque des évènements terribles, qu’il sème la désolation et la souffrance, la mort, l’injustice et l’infamie. Il est vrai également, et de plus en plus, qu’il accumule, par enchaînement d’effets induits au travers des comportements obscènes de personnalités des directions-Système et des élites-Système, des situations qui, plus qu’être  scandaleuses, deviennent grotesques, ridicules, insupportables à force de grotesque et de ridicule. Ce processus est évidemment favorisé par le calibre incroyablement réduit et faiblard de ces personnalités des directions-Système et élites-Système, en général d’une faiblesse psychologique considérable, sans la moindre légitimité ni le moindre caractère, doté de cette fameuse colonne vertébrale faite de la même matière que l’éclair au chocolat selon le mot fameux du vice-président Théodore Roosevelt à propos du président McKinley... En effet, la corruption réduit l'être à une caricature de son ontologie, comme les Jivaros de ce qu'il reste de jungle brésilienne faisaient de la tête de leurs ennemis.

Une direction-Système aussi maladroite, aussi pourrie par sa corruption, aussi scandaleusement inepte, engendre un ridicule qui devient un très grave travers politique. On sait bien que l’adage selon lequel “le ridicule tue” n’avait plus court depuis longtemps jusqu’à nos sociétés postmodernes. Aujourd’hui, dans ces temps où la communication règne, où la bonne réputation fondée sur la narrative se bâtit sur le conformisme et les bons sentiments, on ne peut plus se permettre d’être ridicule car le Système n’accorde plus cette liberté et ne supporte ni l’ironie ni la dérision. Il faut avoir l’air absolument sérieux, absolument ennuyeux et complètement légitimes, même dans les situations les plus bouffonnes et les plus... ridicules ; pour cela, des trésors de montage et de narrative ne cessent d’être déployés. Au Brésil, il semble bien que ces mesures constantes de travestissement des vérités-de-situation soient elles-mêmes à bout de souffle : le voyage au bout du ridicule semble donc en voie de s'achever...

Le problème est par conséquent qu’il y a tellement de ridicule qu’il commence à déborder de partout, comme les voies d’eau dans la coque du Titanic ou les digues de retenue de l’eau protégeant La Nouvelle-Orléans lors de l’ouragan Katrina en août 2005, et qu’ils vont avoir l’air de plus en plus ridicules, et donc finissant par paraître ce qu’ils sont, et donc devenant insupportables à l’air du temps lui-même. Les “coups-bouffes”, cela vous expédie ses comploteurs ad patres dans les éclats de rire de la plus pathétique dérision : ainsi règne le “chaos-nouveau”, production sans exemple de la surpuissance du Système et menace mortelle d’autodestruction du même...

 

Mis en ligne le 25 mai 2016 à 16H20

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