Deux The-Donald en un ?

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Deux The-Donald en un ?

Donald Trump est-il double ? Cette pensée est bien lourde à porter, quand on pense au calvaire que représente déjà, pour nombre d’hommes civilisés, postmodernes, progressistes, sociétaux, etc., le poids d’un seul Donald dans la position qu’il occupe. Cela dit, certains actes et certaines circonstances autorisent à s’interroger sur la véritable personnalité du président des États-Unis et sur le véritable but qu’il poursuit, – éventuellement sans réaliser toutes les conséquences de ce “véritable but”.

On trouve dans Sputnik.News, le 29 septembre 2018, une interview de l’analyste US Tom Luongo, analyste financier et politique indépendant, qui publie le site Gold Goats 'n Guns, et dont on trouve également des textes réguliers de commentaire sur Strategic-Culture.org. C’est à la suite de l’intervention de Trump à l’ONU, et aussi dans le contexte de l’accord trouvé par les signataires du traité JCPOA avec l’Iran pour contourner les sanctions US, que Luongo est interviewé et qu’il affirme principalement cette idée : Donald Trump est double, avec, – du point de vue antiSystème de Luongo, –un  bon côté et un mauvais côté ...

Comme on le lit ci-dessous, dans l’interview complète de Luongo, à la question de savoir si l’action de Trump soi-disant en faveur des USA se retourne contre les USA en favorisant, en poussant certains des principaux autres pays à s’allier entre eux dans des combinaisons et selon des cas qui étaient impensables auparavant, eu égard au courage et à l’esprit d’indépendance de certains d’entre ces “principaux pays”...

« Oui, c'est absolument ce qui se passe, et une partie de moi-même est conduite à considérer que Trump le fait exprès. Donald Trump est un personnage très intéressant et très versatile, et je suis à la fois heureux et triste de l’avoir comme président parce qu’il est à moitié bon et à moitié mauvais. Je pense qu'il a le sentiment que l'ordre mondial géopolitique actuel pour lequel les États-Unis paient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cet ordre institutionnel international de l'après-guerre, ne fonctionne plus pour les États-Unis.

» Mais j’ai aussi le sentiment qu’à un certain niveau, il ne comprend pas très bien non plus que nous, Américains, n’avons pas cette “destinée manifeste” qui nous autorise à dire au monde vers où il se dirige et comment il doit fonctionner pour ce faire. C’est une contradiction entre les aspects pratiques du monde réel... [...]

» Aussi, je pense vraiment qu’avec sa personnalité telle qu'elle est et son style de négociation, certaines de ses activités sont de vaines fanfaronnades, d’autres correspondent à des réalités, – par exemple, sa colère honnête et véridique. »

On comprend bien la logique de l’analyse de Luongo, que nous partageons largement et qui est soumis à la condition impérative que Trump ne doit pas réussir (c’est-à-dire MAGA, ou Make America Great Again) tout en restant en place pour poursuivre en bonne partie l’aspect de déconstruction de son projet (déconstruction-déstructuration de l’ordre mondial de la globalisation, que les USA ont mis en place à leur avantage, donc déconstruction des USA dans sa version hégémonique, soi-disant “impériale”). C’est ce que nous écrivions dès la mi-2016, alors que Trump était loin d’avoir partie gagnée, et que nous avons repris depuis à différentes reprises :

« Au contraire, cela confirme le rôle de Trump, dont nous avons dit qu’il est là, avant tout, comme un destructeur, – et nullement comme un sauveteur des USA (“America Great Again”), qui serait objectivement un sauvetage du Système, chose qui nous paraît totalement catastrophique et de toutes les façons absolument impossible. L’élection d’un Trump, qui est aujourd’hui assez improbable en raison du dispositif général du Système développé contre lui, aurait à notre sens un pouvoir de chaos sur la situation US et hors-USA que nous avons déjà envisagé, qui conduirait à une état chaotique également intéressant... C’est bien entendu toute cette situation USA-2016, quelle qu’en soit l’issue, qui développe cette crise haute comme nous l’apprécions. »

En ce sens, Trump s’affirme de plus en plus, par des voies complètement différentes et selon des techniques également dissemblables, comme évoluant vraiment vers cet American Gorbatchev”que nous réclamons depuis si longtemps. Lui aussi, Gorbatchev, a réussi à déconstruire le système soviétique, et lui aussi il n’a pu le remplacer, comme il le projetait, par un système soviétique new-look, purgé, réformé, repeint et remis à neuf (Make Soviet Union Great Again).

Mais là où Trump distance Gorbatchev, – qui n’avait pas une véritable tâche globale à accomplir, – c’est dans les conséquences extérieures qu’il parvient à déclencher. L’accord entre les 4+1 du JCPOA (les 5+1 moins les USA) qui réunit principalement l’UE, la Russie et la Chine pour mettre en place un processus nommé SPV (Special Purpose Vehicle) comme substitut au SWIFT, c’est-à-dire une “machine à se passer du dollar pour commercer avec l’Iran” (et d’autres cas éventuellement), et donc le moyen d’ignorer les sanctions US, représente une remarquable tentative d’affirmation d’indépendance vis-à-vis des USA. Si le SPV réussit, il s’agira d’un grand et bel acte de déconstruction de la mainmise financière des USA sur le reste...

A cette lumière et en mesurant les conséquences de la chose (toutes les conséquences, y compris le facteur psychologique...), il s’agit d’un événement intéressant. Il est d’autant plus intéressant qu’il se produit dans l’indifférence quasi-générale à “D.C.-la-folle”, sauf une réaction du secrétaire d’État Mike Pompeo à laquelle nul n’a prêté attention malgré son phrasé bombastique et dramatique dans son absurdité (« Il s’agit de la mesure la plus contre-productive possible pour la paix et la stabilité régionales et globales »). “D.C.-la-folle” est bien trop occupée à se déchirer à belles dents, dans une orgie extraordinaire d’inconscience et d’irresponsabilité, avec l’affaire de la désignation du juge Kavanaugh à la Cour Suprême qui conduit certains à se demander si cette fois ce n’est pas Cour Suprême elle-même, la plus haute instance du pouvoir historique des États-Unis d’Amérique, qui est mise en cause.

Effectivement, devant ces prolongements et la possibilité de tels événements, on comprend l’interrogation de Luongo sur le véritable rôle de Trump, avec plus que jamais la question ouverte de savoir s’il agit en toute connaissance de cause ou sans mesurer les conséquences de ses actes. Quoi qu’il en soit, Trump apparaît, s’il ne réussit pas complètement ce qu’il prétend entreprendre tout en poussant la chose assez en avant, comme ce qu’on peut espérer de mieux pour accomplir la mission, involontaire ou pas, de déconstruction de l’“empire” pimentée d’un saccage incroyable de la superbe machinerie du pouvoir de l’américanisme.

Il est vrai qu’“en même temps”, – cette expression de campagne qui décrit si évidemment et simplement la simultanéité des chaînes explosives en pleine activité, – c’est également sa présence à la fonction où il se trouve qui porte toute la puissance explosive intérieure en cours, avec le déchaînement de passion qu’il suscite, avec l’exacerbation des tendances les plus radicales jusqu’à prétendre à des utopies de révolution d’une sorte d’“ultragauche-postmoderne” s’insérant dans le maillage de corruption et de désintégration de l’appareil du pouvoir américaniste. Là aussi, qu’il l’ait voulu ou pas n’importe en aucune façon, lorsque et puisque c’est évidemment la métahistoire qui parle pour susciter un paroxysme de tourbillon crisique.

Luongo, dans son langage mesuré et dans son commentaire bien tempéré, décrit quelques éléments du très grand événement métahistorique qui est en cours de manufacture, répondant ainsi aux questions de Sputnik.News (devenuSpoutnik dans notre traduction) :

Spoutnik : « Que pensez-vous du mécontentement du ministre des Affaires étrangères Lavrov vis-à-vis de “l'approche unilatérale” de l'Occident vis-à-vis de la politique mondiale qui, dit-il, empêche la création d'un monde multipolaire ? »

Tom Luongo: « Je pense que nous avons pris un tournant très dangereux ici aux États-Unis, avec Donald Trump et son cabinet néoconservateur essayant de dicter au monde ce que nous voulons exactement dans toutes les circonstances. Pour moi, c'est comme s’il s’agissait du dernier sursaut d’un empire qui ne s’aperçoit pas que tous les autres ont compris qu’il s’effondre et essaient simplement de trouver le moyen de minimiser les dégâts pendant ce processus. »

Spoutnik : « Pensez-vous que cet unilatéralisme trumpiste et cette résistance à la marche vers la multipolarité du monde moderne se retournent contre les USA et incitent encore plus certains pays à s'éloigner des États-Unis et à former de nouvelles alliances ? »

Tom Luongo: « Oui, c'est absolument ce qui se passe, et une partie de moi-même est conduite à considérer que Trump le fait exprès. Donald Trump est un personnage très intéressant et très versatile, et je suis à la fois heureux et triste de l’avoir comme président parce qu’il est à moitié bon et à moitié mauvais. Je pense qu'il a le sentiment que l'ordre mondial géopolitique actuel pour lequel les États-Unis paient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cet ordre institutionnel international de l'après-guerre, ne fonctionne plus pour les États-Unis.

» Mais j’ai aussi le sentiment qu’à un certain niveau, il ne comprend pas très bien non plus que nous, Américains, n’avons pas cette “destinée manifeste” qui nous autorise à dire au monde vers où il se dirige et comment il doit fonctionner pour ce faire. C’est une contradiction entre les aspects pratiques du monde réel, et même si je déteste utiliser ce terme je dirais que Donald Trump est le “baby-boomer” par excellence à cet égard. Il a vraiment ce genre d'exceptionnalisme américain messianique inscrit dans sa psyché. Et même si c'est louable à un certain niveau, cela peut aussi être vraiment malfaisant si on porte ce sentiment à l’extrême de sa logique.

» Aussi, je pense vraiment qu’avec sa personnalité telle qu'elle est et son style de négociation, certaines de ses activités sont de vaines fanfaronnades, d’autres correspondent à des réalités, – par exemple, sa colère honnête et véridique.

» Les commentaires de M. Lavrov sont plus ou moins l’expression la plus claire de la diplomatie russe et je pense que M. Lavrov n’est pas seulement le meilleur diplomate russe mais honnêtement le meilleur diplomate du monde aujourd’hui ; sans lui, le monde serait beaucoup plus dangereux qu’il n’est. Je respecte énormément sa capacité à rassembler les gens et à forger des alliances pour faire face à une agression sur plusieurs fronts, y compris non seulement par les États-Unis, mais également par l'Union européenne.

» Il est très intéressant de voir comment cela se passe, et vous pouvez voir le contrecoup dans l’outil [le SPV, ou Special Purpose Vehicleconçu par l'UE, la Chine, la Russie, etc., de façon à contourner les sanctions imposées par les USA à l’Iran à partir de novembre.

» Mais c’est une mesure encore plus importante que cela parce qu’il faut également veiller à ce qu’aucune sanction ne soit imposée aux cinq grandes sociétés pétrolières et à tous les entrepreneurs qui ont participé à la construction du gazoduc Nord Stream 2. Ainsi, si Trump change d’avis concernant les sanctions sur ce cas, tout le monde disposera d’un véhicule pour les transferts d’argent. »

Spoutnik : « Le ministre russe des Affaires étrangères a également évoqué la nécessité de résoudre tous les problèmes existants par la diplomatie. Pensez-vous que le président Trump souscrit à ce concept de résolution des problèmes internationaux par la diplomatie, en s'asseyant à une table ou bien croit-il que la pression brutale est la voie à suivre ? »

Tom Luongo: « Je pense que Trump croit à la fois à la pression brutale et à la négociation. Je pense qu’il savait depuis le moment où il occupait le poste de président, une fois informé, que les Nord-Coréens avaient mis au point une arme nucléaire. À ce stade, toute possibilité d’influence des États-Unis avec la menace d'invasion militaire, de changement de régime, etc., prend fin. Nous-mêmes, dans la droite libertarienne anti-interventionniste, nous disons cela depuis trente ans.

» Une fois l'arme nucléaire obtenue, tout l'effet de levier disparaît, et alors nous devons négocier. C'est pourquoi les Coréens, les président Moon Jae-in du Sud et Kim Jong-un du Nord ont lancé le processus de paix, et les États-Unis étaient vraiment prêts à s’y mettre. Tout ce que Trump avait alors à faire était de créer un mécanisme lui permettant de sauver la face devant les électeurs américains afin de sortir de sa posture initiale, puis de défier son cabinet qui souhaitait que toutes ces questions restent ouvertes et irrésolues le plus longtemps possible ; parce que c’est comme ça qu’ils vendent plus d'armes à travers le monde, et que par conséquent c’est comme ça qu'ils peuvent collecter des fonds pour leurs partis, républicains et démocrates.

» Tout cela fait partie de cette corruption effrénée et insensée qui existe dans le système politique américain. Ce sont toutes ces crises qui doivent rester actives, et leur résolution constitue un anathème pour les stratèges inspirateurs de Washington et pour les intérêts de tous à Washington. C’est le plus gros problème, c’est le plus gros obstacle à la paix dans le monde.

» Je pense que Trump veut résoudre ces problèmes, mais son style de négociation (lire Art of the Deal) consiste à insulter ses interlocuteurs, les personnes avec lesquelles il négocie, jusqu'à ce qu'ils disent “ça suffit” et quittent la table. A ce moment, il commence à négocier. Une fois qu’il n'a plus de capacité d’influence, il parvient rapidement à la conclusion. Je ne pense pas qu'il mettra jamais à exécution ses menaces de sanctions sur le gazoduc Nord Stream 2… Il va menacer, il va essayer de continuer à retarder les investissements dans les entreprises russes et la dette des entreprises russes et ainsi de suite, mais je ne pense pas qu’il ira jusqu’aux sanctions et il le sait bien. »

 

Mis en ligne le 30 septembre 2018 à 16H46