De l'effet de la dissolution de l’outil militaire US

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De l'effet de la dissolution de l’outil militaire US

Il nous est arrivé épisodiquement de citer David P. Goldman, qui fut longtemps connu sous le seul pseudonyme de “Spengler”, dans ses chroniques régulières de ATimes.com, extrêmement suivies dans les milieux d’affaires sensibles à l’influence anglo-saxonne des grandes places financières asiatiques telle que Hong-Kong La dernière fois que nous l’avions fait, c’était le 22 juin 2015, et il s’agissait, dans le cadre d’un F&C consacré aux désordres publics aux USA (« De l’anarchie à la sécession »), d’un texte typiquement “spenglérien”, marqué par une forte tendance sociale-darwinisme appuyée sur un suprémacisme de type évidemment anglo-saxon...

« • Là-dessus, des thèses radicales viennent se greffer, dont la plus radicale est celle du “genosuicide” (ou éthnosuicide ?) de la communauté africaine-américaine, qui n’est finalement qu’une forme du social-darwinisme qui a dominé la pensée des capitalistes extrémistes depuis la Guerre de Sécession. Ici, c’est David P. Goldman, alias Spengler, commentateur social-darwinien patenté, partisan du suprémacisme anglo-saxon, qui la présente sur ATimes.com, le 15 juin 2015. »

En un sens, Spengler-Goldman est un bon thermomètre, une mesure de l’influence de la tendance la plus “dure” du business globalisée dont les centres sont Wall Street et la City de Londres, et les relais dans les diverses places financières du monde ; son aire de réflexion couvre essentiellement l’Asie, mais ses considérations embrassent le monde globalisée et les diverses puissances qui s’y affirment, ou qui y périclitent. Spengler-Goldman ne s’embarrasse pas de sentiments, il fait même profession de raisonner avec le cynisme le plus réaliste, en sacrifiant à la conception social-darwinienne qui habille cette démarche. Quant aux USA, Spengler-Goldman a donc, et très naturellement, toujours été plutôt partisan, même si avec parfois des critiques sur la manière, de la politique militariste d’expansion hégémonique, et de la puissance militaire des USA qui assure la solidité des conceptions qu’il défend. C’est pourquoi ce texte que nous signalons aujourd’hui nous paraît très intéressant. Son originalité est qu’il montre bien que l’affaiblissement dramatique, sinon l’effondrement par dissolution en termes de nécessité stratégique de la puissance militaire US, est un fait qui commence à pénétrer même dans ces milieux où la notion de puissance stratégique hégémonique inhérente aux USA est une constante qui semblait absolument indestructible, sauf accident gravissime comme aurait pu l’être une attaque par surprise.

Dans ce texte du 20 mai (ATimes.com), Spengler-Goldman parle de l’“humiliation instructive de l’Amérique en Mer de Chine du Sud”, où le comportement US (de l’US Navy) acte la crainte des forces navales US d’évoluer dans des zones où elles se trouveraient à portée des nouveaux systèmes terre-mer de défense côtière de la Chine, notamment les missiles DF-21 spécialement conçus pour attaquer les porte-avions US. Spengler-Goldman rappelle l’influence que la Chine a acquise dans la région à cause de la perception de la baisse de la puissance US aussi bien consécutive à l’affirmation chinoise qu’au déclin inhérent de l’appareil militaire US. Il cite la réflexion du nouveau président philippin, un Super-Trump (sorte de groupe rock postmoderne) si l’on en croit les diverses anecdotes à son propos et ses déclarations exotiques ; mais quant à la Chine et les USA, Rodrigo Duterte est plus fermement et sérieusement réaliste, avec les pieds sur terre, selon cette déclaration qu’il fit l’année dernière :

« Les Américains ne mourront jamais pour notre défense. Si l’Amérique s’y intéressait vraiment, elle aurait envoyé ses porte-avions et ses frégates dès le moment où la Chine commença à réclamer des portions de territoires contestées, mais cela ne fut pas le cas... L’Amérique a peur de partir en guerre. Nous ferions beaucoup mieux de devenir des amis de la Chine. »

(Ce qu’oublie, ou ne sait pas encore le nouveau président Rodrigo Duterte, c’est que même s’ils le voulaient, – et sans doute le voudraient-ils, – les USA ne peuvent certainement pas affecter un porte-avions à la défense des Philippines parce qu’ils ne dispose pas de l’objet en question. Les quelques rares spécimens restant sont affectés à des zones stratégiques plus importantes, dans le sens quantitatif et qualitatif, que les seules Philippines.)

Là-dessus, Spengler-Goldman développe une analyse du statut des forces militaires US d’un point de vue technique qu’il n’a guère l’habitude d’aborder, parce qu’un esprit comme le sien tenait justement jusqu’alors pour acquise la toute-puissance des USA, et qu’il était donc inutile qu’il trempât sa plume dans le cambouis des décomptes technologiques de la puissance. Cette fois, il va jusqu’à citer parallèlement un expert US et un expert russe pour faire le panégyrique du système sol-air S-500 russe, qui est promis à mettre en péril, outre les têtes de missiles stratégiques intercontinentaux, la génération des avions tout-stealth de l’USAF (B-2, F-22 F-35). D’ailleurs, il n’est peut être pas nécessaire de recourir au S-500 pour en être quitte, – pour le F-35 sans aucun doute, en bonne partie pour le F-22, et même pour le B-2 que l’USAF ne peut se résoudre à envoyer en mission sans un certain nombre d’avions de protection si bien qu’on sait parfaitement quand et où le B-2 “invisible“ est en mission (les Français avaient pu découvrir cette étrange tactique durant la guerre du Kosovo),... Ce que Spengler-Goldman reconnaît plus loin, en rappelant les innombrables déboires du F-35 (JSF) : il effleure du coup l’aspect particulièrement dramatique de la dissolution de la puissance militaire US que l'on voit plus loin.

Bien entendu, et même s’il cite également des systèmes russes (signe que, pour lui, l’alliance stratégique Chine-Russie du point de vue du militaire est un fait acquis), Spengler-Goldman parle essentiellement de la Chine, qui prend ainsi, dans son estimation, une stature aussi impressionnante que celle des Russes vus par un Gouré ou par un Karber. Cela fait beaucoup. Sa conclusion rejoint d’ailleurs l’état d’esprit qu’on lui suppose en découvrant son texte, si inhabituellement technique, et si inhabituellement très-pessimiste à propos de la puissance militaire US :

« Voilà les faits terre-à-terre (mais aussi dans les airs et sur mer). Il n’est pas surprenant que les alliés de l’Amérique en Asie veuillent s’entendre avec la Chine. Il faudra rien de moins qu’un effort à-la-Reagan pour restaurer l’avantage technologique de l’Amérique et changer cette situation. »

Cette observation va bien dans le sens qui nous importe. L’effort de réarmement produit par Reagan entre 1981 et 1985 (guère au-delà) fut certainement la seule occurrence depuis 1945-1948 et jusqu’à aujourd’hui où le monde stratégico-financier s’intéressa à l’aspect quincaillerie de la puissance américaniste, le reste de l’époque depuis 1945 s’appuyant sur la certitude de la domination incontestée des USA. Il s’agit donc d’une prise de conscience constituant un fait important de communication, la perception du monde financier de la nouvelle impuissance militaire US par rapport à la tâche qui lui est impartie dans le cadre de la globalisation d’une suprématie stratégique sans aucune défaillance. C’est bien ce fait qui nous importe car il doit rapidement conduire à des modifications d’attitudes, de politiques financières, etc., dans un monde globalisé (celui de la finance) où la loyauté nationale, la fidélité à un parti n’ont strictement aucune place.

Là-dessus et pour faire bonne mesure, on s’attardera également sur le constat de Spengler-Goldman : la nécessité d’un “effort à-la-Reagan” (“a Reaganesque effort”). Si un effort de réarmement était concevable à cette époque, et bien que celui qu’effectua Reagan ne soit pas sans erreurs ni faiblesses (c’est sous sa présidence que commença à être mis en application le concept qui allait aboutir au choix catastrophique du “tout-stealth” pour l’USAF), il se heurte aujourd’hui à des blocages et à des phénomènes d’inversion non seulement catastrophiques, mais tout simplement confinant à la paralysie autodestructrice. On a déjà vu, à diverses reprises, combien le labyrinthe de gaspillage et de comptabilité corrompue du Pentagone, sa bureaucratie pléthorique que Rumsfeld dénonçait déjà (en 2001, et le 10 septembre !) comme un danger plus grave que l’URSS durant la Guerre froide, les impasses technologiques qui apparaissent de plus en plus nombreuses, constituent une impossibilité terrifiante pour réaliser le renforcement-réarmement de la puissance US. Une hyperpuissance dont le budget de la défense atteint officiellement $600 milliards, et officieusement jusqu’à $1.200 milliards, soit dans tous les cas bien plus que les budgets de la défense réunis de la Russie et de la Chine, qui se découvre proche d’un état d’infériorité vis-à-vis de chacune de ces puissances, une telle hyperpuissance se révèle à elle-même affectée d’une pathologie ontologique dans son incapacité de  réaliser la puissance à laquelle ces divers moyens l’engagent impérativement à prétendre.

Le Pentagone a désormais dépassé le stade de la productivité, même poussive ; îl en est au stade où des augmentations budgétaires ajouteront encore plus de chaos, de gaspillages, de corruptions à la situation existante, bien plus qu’elles ne résoudront le problème que découvre Spengler-Goldman. Le Pentagone en est au stade où la seule solution pour résoudre ses propres problèmes est celui de sa propre destruction, ou “autodestruction contrôlée” si l’on veut une référence sympathique à l’équation surpuissance-autodestruction ; c’est-à-dire, comme le prônaient notamment dès 2008 Winslow Wheeler et d’autres réformistes dont l’option de “la pause stratégique” en était l’esquisse, la déstructuration de l’ensemble en diverses entités séparées de façon à voir si quelque chose peut être fait au niveau des abats après avoir découpé le monstre en morceaux. C’est bien entendu une décision inenvisageable et impensable à moins d’un véritable coup d’État intérieur, pendant que la situation n’a fait qu’empirer depuis 2008 jusqu’aux constats catastrophiques d’aujourd’hui. Il reste à Spengler-Goldman à découvrir cet aspect de la situation.

En attendant, c’est certainement dans le domaine intérieur, au niveau du gouvernement US, des élites, des groupes de pression, de l’État profond”, etc., – nommez-les comme vous voulez, – que la réalisation de cette situation pourrait produire des effets dévastateurs. Si notre hypothèse au niveau de la communication avec ce texte est bonne et que des observations comme celles de Spengler-Goldman se répandent dans les milieux financiers fortement liés à l’hégémonie militaire stratégique des USA, la disparition de cette hégémonie militaire stratégique devient un facteur de plus dans le “chaos-nouveau” qui s’est abattu sur les USA, en plus du monde extérieur, depuis le début de la campagne électorale.

(Ci-dessous le texte de Spengler-Goldman sur ATimes.com le 20 mai 2016.)

 

dedefensa.org

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America’s instructive humiliation in the South China Sea

“Let us admit it fairly, as a business people should: We have had no end of a lesson: it will do us no end of good,” wrote Rudyard Kipling in 1902 after the Boers humiliated the British Army in the first round of the Boer War. America should express the same gratitude towards China, which has humiliated America in the South China Sea. By exposing American weakness without firing a shot, Beijing has taught Washington a lesson which the next administration should take to heart.

Last year I asked a ranking Pentagon planner what America would do about China’s ship-killer missiles, which reportedly can sink an aircraft carrier a couple of hundred miles from its coast. If China wants to deny the American navy access to the South China Sea, the official replied, we can do the same: persuade Japan to manufacture surface-to-ship missiles and station them in the Philippines.

It didn’t occur to Washington that the Philippines might not want to take on China. The country’s president-elect Rodrigo Duterte explained last year (as David Feith reported in the Wall Street Journal), “America would never die for us. If America cared, it would have sent its aircraft carriers and missile frigates the moment China started reclaiming land in contested territory, but no such thing happened … America is afraid to go to war. We’re better off making friends with China.”

It isn’t only the Philippines who see the obvious. China claims the support of 40 countries for its position that territorial claims to the South China Sea should be resolved by direct negotiations between individual countries, rather than before a United Nations tribunal constituted under the UN Convention on Law of the Seas, as Washington wants. A joint statement by the foreign ministers of China, Russia and India after a meeting in Moscow last month supported China’s position.

The 7th Fleet was the eight-hundred-pound gorilla in the South China Sea after World War II, relying on a weapons system now more than nine decades old, namely the aircraft carrier. That was before China fielded its DF-21 “carrier killer” surface-to-ship missile. The latest iteration of the missile, designated DF-26, reportedly has a range of 2,500 miles. New technologies, including lasers and rail guns, might defeat the new Chinese missiles, but a great deal of investment would be required to make them practical, as a January report from the Center for Strategic and International Studies argued.

The new generation of diesel-electric submarines first launched by Germany in the early 1980s, moreover, is quiet enough to evade sonar. Diesel electric subs “sank” American carriers in NATO exercises. Even without its surface-to-ship missiles, which can swamp existing defenses of US vessels, China’s stealth submarines can sink American carriers, and anything else that floats.

Perhaps a greater concern is the next generation of Russian air defense, the new S-500 anti-aircraft and anti-missile systems might make the American F-35 stealth fighter obsolete before it becomes operational. Writing in The National Interest, Dave Majumdar warns that the new Russian systems are “so capable that many US defense officials worry that even stealth warplanes like the F-22, F-35 and the B-2 might have problems overcoming them.” Pentagon officials think that the present generation of Russian anti-aircraft missiles embodied in the S-400 can overcome the jamming capabilities of existing F-16’s. Once Russia put a few S-400 systems on the back of trucks in Syria, it owned the skies over the Levant. The Pentagon doesn’t want to find out how good it is.

Russian commentator Andrei Akulov details the alleged superiority of the S-500, due for deployment next year:

“The S-500 is expected to be much more capable than the current S-400 Triumph.

“For instance, its response time is only 3-4 seconds (for comparison, the response time of S-400 is nine to ten seconds).

“The S-500 is able to detect and simultaneously attack (as well as make speeds of up to 4.3 miles per second) up to ten ballistic missile warheads out at 600 km flying at speeds of twenty-three thousand feet per second.

“Prometey can engage targets at altitudes of about 125 miles, including incoming ballistic missiles in space at ranges as great as 400 miles.

Akulov concludes, “It’s not often that a relatively inexpensive air defense weapon is able to make a trillion dollar fighter program obsolete. That’s exactly what the S-500 missile system will do to US brand new F-35 stealth fighter.”

China and Russia have narrowed the technology gap with the United States, and in some instances have probably leapfrogged America’s military. In the past, the United States responded to such circumstances (for example the Russian Sputnik launch of 1957) by pouring resources into defense R&D at national laboratories, universities and private industries. Instead, Washington today is spending the lion’s share of a dwindling defense budget on systems that may not work at all.

At an estimated lifetime cost of $1.5 trillion, the F-35 is the costliest weapons system in American history. Even before a myriad of technical problems delayed its deployment, Pentagon planners warned that the flawed aircraft would degrade US defenses by consuming most of the Pentagon’s research and development budget. A still-classified report signed by several four-star generals was handed to President George W. Bush midway-through his second term warning of this baleful outcome. Bush ignored it. Former Air Force official Jed Babbin detailed the aircraft’s flaws in the Washington Times last year, concluding, “The F-35 program is an example of how weapons shouldn’t be bought. It needs to be stopped in its tracks.”

Those are the facts on the ground (as well as the air and sea). It’s not surprising that America’s allies in Asia want an accommodation with China. Nothing short of a Reaganesque effort to restore America’s technological edge will change this.

 

Spengler (David P. Goldman)