Charles & Jeanne

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Charles & Jeanne

28 novembre 2017 – Il y avait, avant-hier sur Arte, un documentaire sur un aspect à la fois évident et inédit du général de Gaulle en tant que président de la République. Il s’agissait de Charles le catholique, diffusé sur France Cinq, le 26 novembre 2017 en fin de soirée.

Je dis que c’est pour moi un aspect évident et inédit parce qu’il m’a toujours paru évident que de Gaulle était un homme d’une foi toute ensemble assurée et puissante, formant le fondement même de son caractère (et foi catholique en l’occurrence, mais cela aussi secondaire qu’évident) ; et que c’était tellement évident que cela n’avait nul besoin d’être montré, et de plus pratiqué avec la plus extrême discrétion par l’intéressé, et donc l’aspect inédit dans ce sens et pour mon compte.

(C’est dire qu’on ne doit pas voir un tel document en pensant à la religion catholique, ni à la religion tout court. Au fond, malgré le titre, ce n’est pas le sujet, et la chose n’a provoqué chez moi nul débat à propos de la religion, ni ne m’a converti à quoi que ce soit.)

Je me suis même trouvé étonné qu’on en fasse un document, et que des livres soient écrits à ce sujet. Sans doute y en a-t-il un certain nombre, mais non, encore une fois semblant de peu d’intérêt pour moi à cause de ce que j’ai dit. Cette fois, pourtant, j’ai dérogé à ce penchant et n’en suis pas mécontent, tant m’apparaissent certaines vérités dissimulées. D’abord, on comprendra que c’est une expérience inédite de voir un documentaire sur de Gaulle, pour rencontrer un de Gaulle silencieux, à la fois transparent et impénétrable, le visage grave et assez lointain. D’habitude, on voit un document sur de Gaulle pour l’entendre parler, présenter sa politique, sa vision du monde, etc. ; là, au contraire, nous étions conviés à reconnaître les silences du Général, la façon qu’il avait de respecter les lieux où on le voit, souvent une cathédrale, le respect qu’il met, par simple convenance, à écouter ceux qui dispensent la religion qu’il a embrassé. J’écoutai de Gaulle dans son silence et pas du tout dans ces paroles, dans son silence solitaire et pas du tout dans sa religion.

Le fait est qu’on jacassait autour de lui dans ce documentaire, tandis qu’on le voyait évoluer en silence même si en grand apparat. Le plus fort, je veux dire le plus remarquable est que ces illustrations d’un homme plongé dans sa foi était salué d’un concert de louanges des diverses personnalités interrogées, pour sa capacité, en tant que président de la République, à être rigoureusement laïc et à ne rien laisser paraître de sa religion. Les commentateurs se nommaient Mélenchon, Fillon, Philippot, Onfray, le député PS Razzi Hammady (un musulman, certes), des historiens, etc.

(Tous laissaient entendre, parce que cela semble tellement l’évidence là aussi, qu’un personnage de cette sorte saurait parler à la France d’aujourd’hui, roulée dans la boue et déchirée dans tant de problèmes insolubles et dont tant parmi ces problèmes ont à voir avec les religions dans leurs rapports avec la laïcité... Et Dieu sait, Lui, que j’en doute, que je le verrai bien perdu, de Gaulle, dans cette France-là.)

Je crois qu’il revint au commentateur de religion musulmane, Hammady, de trouver la réponse à l’interrogation que faisait naître ce contraste, lorsqu’il dit que de Gaulle président pratiquait une religion en ne montrant aucune pratique d’aucune religion qui put heurter la laïcité et la République, et nullement la catholique malgré l’évidence, parce qu’il pratiquait aux yeux de tous “la religion de la France”. Cela faisait penser à Jeanne, certes, et d’ailleurs on n’y manqua pas, et Jeanne fut présente tout au long du documentaire au côté de Charles.

Car la même chose peut être dit d’elle, comme cela a été rappelé par l’ami Bonnal parlant aimablement des Âmes de Verdun, et citant les deux Allemands qui ont leur place dans ce livre, Curtius et Sieburg parlant de la mystique française et de Jeanne comme si l’essentiel de cette héroïne qui inventa le nationalisme mystique ne fut pas d’être chrétienne ni catholique, mais d’abord Française, – et le reste, y compris Dieu, qui suit, – et de Gaulle qui suivra comme naturellement, par son silence même, une semblable démarche :

« Le Français vit beaucoup plus intensément que nous [Allemands] parmi les souvenirs du passé, écrit Curtius. Nous voyons dans le passé l'histoire d'un devenir ; le Français y contemple la présence d'une tradition. [...] Les catégories de la pensée historique [du Français] sont celles de la durée, non du développement. [...] Ce qui, en France, est devenu réalité historique, conserve une fois pour toutes sa validité. »

« Sieburg l’observe, mi-figue mi-raisin, ce culot exceptionnel de l’inventrice du ‘nationalisme mystique’ : “Elle avait pour principe que non seulement la France a toujours raison, mais encore qu'elle agit toujours d'accord avec Dieu, de sorte que quiconque lui résiste, résiste à Dieu.” Ce n’est pas mal trouvé, cette assurance tranquille et harmonieuse, qu’on retrouvera chez de Gaulle : “Lorsqu'on analyse le nationalisme de Jeanne, on est obligé ou bien de lui donner raison, ou bien de douter de Dieu.“ Sieburg termine le propos sur un ton dont on ignore s’il est sarcastique ou s’il a le souffle coupé devant tant d’impudence vertueuse et éclairée, cette Jeanne qui inspire ce mot d’un prince de l’Eglise – “Dieu avait besoin de la France”, – ce qui conduit Sieburg à cette observation à propos de la formule du ‘nationalisme mystique’ annexant Dieu pour le bon motif, – qui “ne permet à Dieu d'être Dieu que lorsqu'il est entré en contact avec la France”. »

Ainsi, tout au long du documentaire apparaît cet homme hors de toute polémique politique, sans le moindre parti qui put être pris pour ou contre lui, peut-être même sans pratique religieuse significative d’une situation temporelle même si cette pratique fut constante, comme quelque chose qui évolue en-dehors de tout cela. Je dis ce jugement nullement selon un sentiment d’une politique au sens le plus large, justement. (Je pourrais bien entendu être classé gaulliste à plus d’un titre et plus d’un engagement, mais pour autant nullement approbateur de toutes ses politiques, notamment vis-à-vis de l’Algérie.) Je dis cela parce que c’est le vrai, et que cela ressort de tout le propos, l’avancement de cet homme désincarné de toute politique et aussi de toute religion malgré tout, pour mieux incarner la France avec une sorte d’assurance infiniment humble, – cette humilité qui est si bien rendu par ce silence... Il ne doit pas cette humilité à une religion à l’heure où s’étripent les religions, mais à une Nation venue du fond de l’Histoire et fixée ainsi dans son éternité mystique.

Il fallait les entendre, toutes ces voix d’aujourd’hui d’ailleurs fort respectables, naviguant entre République et laïcité mais ébahies devant la splendeur de l’équilibre et de l’ordre rassemblés dans une sorte d’harmonie sublime, dont rendait compte la spiritualité qui nimbe le personnage. Ils étaient de tous les horizons politiques, d’opinions diverses et contraires, rescapés de combats politiques qui les déchirent entre eux, et pourtant ils chantaient d’une même voix comme s’il s’agissait d’un Oratorio la splendeur de l’unité perdue bien plus que celle d’un homme avec sa politique et éventuellement sa gloire terrestre. Curieusement, par conséquent, ce ne fut pas un documentaire, ni sur Charles, ni sur le catholicisme, mais bien sur la hauteur du spirituel et de la tradition qui fondent les aventures historiques lorsque la durée, la hauteur et l’intuition en ont fait des événements métahistoriques qui retrouvent une tradition originelle.

On sort de cette représentation sans jugement nécessaire sur un homme, sans avoir une conviction politique ni religieuse renforcée, mais bien plutôt envahis d’une nostalgie sublime puisque ce qui fut alors, avec lui et avant lui, exista effectivement, et plus encore persuadé par contraste catastrophique que nous avons perdu une clef, une formule, une hauteur, et que cette perte nous interdit de nous disperser dans les marécages et les trous noir de ces temps obscurs. On discutaille un peu, toujours en coulisses du documentaire, pour savoir ce qu’un de Gaulle ferait aujourd’hui, mais à peine. L’on comprend que le temps, l'époque que nous vivons n’est plus la sienne, et lui-même d’ailleurs ne saurait que faire, atteint par la bassesse affreuse des choses que nous subissons et se refusant à tenter de “la comprendre” comme on refuse la contagion que vous risquez en côtoyant l’im-monde.

(Il l’avait bien montré par sa paralysie soudaine devant les événements de mai-68 auxquels il ne comprit rien, parce qu’il ne pouvait imaginer que soudain la bassesse de l’irresponsabilité et de l’inversion put d’un seul coup balayer une telle nation que la française ; et il résolut l’affaire à sa manière, par un tour de passe-passe et sans y comprendre davantage, préparant déjà le départ qu’il avait d’ores et déjà décidé.)

Je crois que les silences de De Gaulle dont je parlai plus haut sont aujourd’hui plus actuels et plus inévitables qu’ils ne furent jamais. Ce sont les silences de l’esprit qui refuse de condescendre aux bassesses auxquelles sont soumis les événements que nous traversons. Ce sont les silences de l’âme qui attend que passent les temps de l’ignominie et du simulacre. Ce n’est pas vraiment refuser son temps et se désengager, c’est attendre que ce temps achève de se déstructurer et de se dissoudre comme fait toute pourriture en toute-puanteur, pour enfin pouvoir songer à s’y remettre.