Un autre “Day of Infamy

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Harlan Ullman nous est souvent apparu comme un commentateur judicieux, de l’intérieur de l’establishment US auquel il appartient indiscutablement. (Ce dernier point nous permettant de relativiser les jugements qu’il porte, et le degré de profondeur critique qu’on peut attendre de lui, – ainsi les choses sont-elles claires.) C’est lui qui a fort bien synthétisé cette fameuse “politique de l’idéologie et de l’instinct” à laquelle nous nous référons si souvent. Nous nous tournons à nouveau vers lui pour une appréciation de l’évolution de la situation aux USA depuis la crise de la dette, – laquelle nous semble déjà d’une autre époque, puisque les choses vont à cette vitesse stupéfiante qu’on mesure et qu’on ressent chaque jour.

Justement, c’est le 2 août 2011 et la signature de l’accord sur la dette que Ullman prend pour thème dans sa chronique d’UPI du 10 août 2011 ; ce 2 août 2011 qui devient, dans son jugement, un nouveau “Day of Infamy”, selon l’expression utilisée par Franklin Delano Roosevelt le 8 décembre 1941, pour caractériser l’attaque de Pearl Harbor de la veille. Les autres “jours d’infamie” de l’époque moderne de leur histoire, où les USA reçurent un choc terrible, sont, selon Ullman, le krach d’octobre 1929 (curieusement, ou par inadvertance, il le place les 28-29 septembre 1929), l’attaque de Pearl Harbor, l’assassinat de John Kennedy le 21 novembre 1963 et l’attaque 9/11 de 2001. Et puis, le 2 août 2011…

«The United States has endured and suffered through days of triumph and tragedy. Among the latter have been the stock market crashes of Sept. 28-29, 1929; Japan's attack on Pearl Harbor, Dec. 7, 1941; John Kennedy's assassination on Nov. 22, 1963; and, of course, Sept. 11, 2001, which needs no elaboration.

»Joining that infamous collection will be Aug. 2, 2011.

»On that day, Congress passed and U.S. President Barack Obama signed into law legislation raising the debt ceiling and borrowing capacity of the United States while making about $1 trillion of spending cuts to its already swollen deficit-ridden budget.»

Ullman met en cause le système politique US tel qu’il fonctionne, ou plutôt, tel qu’il ne fonctionne plus du tout, – sa complète paralysie, la paradoxale “tyrannie des minorités” qui achève par une inversion caractéristique de l’état de l’effondrement de la chose la critique fondamentale de Tocqueville sur “la tyrannie de la majorité”. La description que donne Ullman du fait lui-même, – outre qu’il nourrit une hostilité manifeste à des mouvements tels que Tea Party, mais c’est accessoire pour le jugement, – nous donne la mesure technique d’un blocage qui affecte la machinerie même du pouvoir américaniste. Il s’agit, si l’on veut, au travers du constat du verrou des dispositions constitutionnelles elles-mêmes absolument subverties, de la confirmation “technique” marquant dans la machinerie du pouvoir la perception déjà intégrée de la psychologie, que «the system is broken» (voir notre analyse du 5 mars 2010).

«Aug. 2 set the new standard for the best possible outcome government can obtain, not the worst. The reasons why arise from a government that seems irreversibly broken and that has turned the U.S. political system on its head.

»The United States is supposed to be a democracy. In most democracies, majority vote normally rules. Yet, that isn't the case. Instead, a tyranny of the minority now dictates politics. In the Senate, 60 is the number of votes needed to absolutely assure passage of legislation. Democrats have 53. Hence, without the remaining seven that must come from Republicans, the minority rules. In the House of Representatives, votes from a block of 60-70 Tea Party Republicans are essential to pass legislation even though Republicans hold a majority of seats. Those representatives were elected by a small slice of the electorate. Yet, they were able to hold the debt ceiling bill hostage…»

Ullman tire les conséquences catastrophiques pour la puissance US, pour leleadership US et ainsi de suite, au travers de l’autre constat que tout débat politique, toute résolution des polémiques et oppositions les plus mineures, sont devenues impossibles. Il y a des solutions faciles pour cette multitude de situations de blocage mais elles sont “impossibles” à appliquer, justement à cause de cette situation de blocage («Solutions here are easy to invent and probably impossible to implement»), – justement en en cercle vicieux parfait nourrissant la tendance désormais éclatante à l’autodestruction du Système, ici au niveau washingtonien. Il s’en déduit que l’avenir est sombre pour les USA… Ullman avance simplement la prévision que cette catastrophe est promise à durer “pour un temps très long” ; c’est une prévision singulièrement déraisonnable puisqu’on comprend bien que les conditions générales de la crise centrale ne donnent aucun délai pour “réparer” cette situation, mais au contraire fournissent tous les ingrédients pour aggraver et empirer cette situation… Mais Ullman est un homme de l’establishment et il ne peut aller jusqu’à la conséquence évidente, qui est simplement le constat que nous assistons, avec la chose en train de se faire sous nos yeux, à l’effondrement du système de l’américanisme.

«The consequences of this breakdown are sadly clear. While we remain the greatest economic and military power on the globe, unless our political system is cleansed of these ills, American leadership will be lost for a very long time. The American dream will be replaced by diminished expectations and lower standards of living for most Americans. The maxim that future generations will be better off will become a delusion.»

• D’une certaine façons, les Américains (les citoyens des USA) sont d’accord avec Ullman. D’énormes majorités se dégagent dans tous les sondages depuis le 2 août pour porter un jugement infiniment pessimiste sur l’état du système washingtonien. UPI encore, ce même 10 août 2011, rapporte les résultats de l’un de ces sondages, où l’on voit symboliquement près de trois-quarts des personnes interrogées juger complètement justifiée l’analyse de S&P sur l’état du système washingtonien : «Seventy-one percent of respondents said S&P's analysis was accurate, while 52 percent said the downgrade was warranted.»

• Parmi d’autres, le Daily Telegraph de Londres signale, ce 10 août 2011, que les démocrates commencent à se poser de très sérieuses questions concernant les chances de réélection du désormais très-fantômatique président Barack Obama («Democrats doubt Barack Obama's reelection chances President Barack Obama is facing mounting doubts within his own party about his re-election prospects…»). On commence à échafauder des formules de rechange, dont l’hypothèse d’une Hillary Clinton lançant sa propre candidature pour 2012, – hypothèse un peu faiblarde, d’une tentative improvisée de réparation. La référence désormais classique pour BHO, c’est Jimmy Carter, archétype dans l’esprit des commentateurs du malheureux quoique sympathique “one-term Président”. On discute d’autres formules alternatives. L’idée répercutée par Timothy Garton-Ash d’un “président électronique”, et d’une alternative au “système bipartite”, intéresse par exemple Bernd Debusmann, chroniqueur de UPI, le 5 août 2011.

• Il y a bien sûr le débat (en cours depuis les années 1970 et, semble-t-il, inépuisable) sur la puissance déclinante des USA, qui est, pour les jours d’aujourd’hui, une façon honorable de masquer le fait que le système s’effondre. D’une façon générale, on trouve toujours quelques experts “désignés volontaires” ou commis d’office pour affirmer que, non, les USA ne sont pas si en déclin qu’on croit. Leurs arguments sont tout de même sollicités et un peu tristounets, puisqu’essentiellement par défaut. Ainsi, de James Dobbins, de la Rand Corporation, ancien diplomate, auteur de quelques études hautement académiques et ennuyeuses à mesure sur la question (Reuters, le 10 août 2011) : «“Anybody looking at the United States today would have to say, ‘Well, compared to what?’ Britain is burning. Europe is in the middle of a financial crisis that is considerably more serious than the American. Japan has been in a stagnant situation for considerably more than a decade,” [Dobbins] added.» Effectivement, sur le tas de ruines fumantes de la modernité, les USA pourront toujours affirmer qu’ils ont assuré le leadership mondial de l’effondrement.

• …Tout cela se passe alors que les marchés continuent la ronde folle de leur crise particulière, – GFC2 dans le cadre plus large de GCCC. Pourtant, note Chris Kirkham, de HuffingtonPost, ce 10 août 2011, la crise financière pourrait commencer à avoir des effets, – essentiellement psychologiques, – sur les habitudes d’achat des citoyens américains, ou plutôt effet accélérateur sur leur habitude nouvelle d’acheter le moins possible…

«With consumer spending already declining in recent months, economists say the plunge in the stock markets over the past month could deal another significant blow to Americans' spending habits – a threat that could imperil any meaningful economic recovery. As trillions in household wealth has been erased over the past month, the psychological impact of large sell-offs extends from the wealthiest consumers to anyone with a retirement or pension plan tied into the markets.»

L’évolution psychologique confirme de plus en plus cette place secondaire de la crise financière, “secondaire” dans le sens d’une crise parmi toutes les autres, s’inscrivant dans le cadre de la grande crise du Système et de notre “contre-civilisation” (GCCC). La situation est donc confirmée comme étant complètement différente de celle de septembre 2008, – au niveau psychologique bien sûr, qui est infiniment plus important que les vaticinations prévisionnistes des économistes surveillant l’évolution de la catastrophe. Psychologiquement, pour les USA dans ce cas, GFC2 vient en plus des autres crises en cours, dont bien sûr la crise de la dette (dont elle est d’ailleurs, pour une grande part, un effet). Elle n’est plus la crise per se, comme ce fut le cas pour la crise de septembre 2008, dont la prééminence spectaculaire et surfaite permit de dissimuler pour quelques mois la profondeur abyssale du mal général et terminal d’une civilisation devenue contre-civilisation. L’évolution observée le 4 août 2011 se confirme.


Mis en ligne le 11 août 2011 à 07H31