Londres (et ROW) brûle(nt)

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…“Le reste”, ce n’est pas seulement le reste de l’Angleterre, mais, éventuellement, le reste du monde, – the Rest Of the World (ROW), cette fois USA compris. L’embrasement du Royaume-Uni, qui rappellent à certains la France-2005, la Grèce-2008 et d’autres, répond à tous les critères habituels. Que ce soit le Daily Telegraph (le 8 août 2011 : «London's rioters are the products of a crumbling nation, and an indifferent political class that has turned its back on them.»), que ce le Guardian (9 août 2011 : «Young looters from poor estates have nothing to lose and no reason to obey social norms, say experts»), ceux-là et tous les autres, les mêmes explications reviennent. Il s’agit d’un nœud inextricable de contradictions, de politiques nécessairement perverses et déstructurantes, de dissolution des identités sociales ; exclusion sociale, immigration, corruption de la classe politique (éventuellement de la police, voir la “crise Murdoch”), comportements conformistes accordés à des prescriptions terroristes (crainte des policiers d’être accusés de racisme s’ils interviennent contre des groupes immigrés), drogue, banditisme, illégalité et chômage, perversion des comportements sociaux avec le contresens de l’irresponsabilité et de l’indifférence aux solidarités… La liste est sans fin et ne vaut d’être explorée plus avant tant elle est parcourue d'évidences.

Le même jour (9 août 2011, sur Reuters), on constatait un nouveau mouvement spasmodique, la chose est coutumière, des fameux “marchés”, parce que les “marchés” n’ont pas confiance ou n’y comprennent plus rien : «The global economy stumbled deeper into crisis as stock markets slumped further on Tuesday, with investors losing confidence that the United States and Europe can rein in their debt burdens quickly and avert a double-dip recession.»

On ne s’arrête pas en si bon chemin, et, surtout, en chemin aussi clairement indiqué… La situation est confuse en Libye (Aljazeera.net, le 9 août 2011), où le CNT des rebelles prend des mesures pour réorganiser son exécutif, poursuivant ainsi la crise commencée avec l’assassinat du général Younes : «Al Jazeera's Tony Birtley, reporting from the opposition stronghold city of Benghazi, said the news on Monday came unexpectedly. “This came completely out of the blue. There's a lot of speculation now that there is some sort of inner fallout following the murder of Abdel Fattah Younes, the commander of the opposition forces, more than a week ago.”». On pourrait citer la Syrie et sa crise en pleine extension, tant d’autres encore, jusqu’à Bahreïn à propos de laquelle crise, ô surprise, Aljazeera.net qui avait pris des précautions pour ne pas déplaire à un confrère du Golfe (voir ce 15 avril 2011, sur l’attitude d’Aljzazeera.net vis-à-vis des évènements de Bahreïn), projetait le 4 août 2011 un documentaire TV sur ce même Bahreïn, qui faisait la leçon à l’Ouest et à d’autres : «The story of the Arab revolution that was abandoned by the Arabs, forsaken by the West and forgotten by the world.»

Quels rapports entre tout cela ? Rien, justement, – c’est-à-dire, finalement, tout. Le rapport entre tous ces événements, c’est qu’il n’y a pas de rapports visibles entre eux alors qu’ils se produisent parallèlement, et qu’aucun n’arrive à discipliner la dynamique crisique à son profit, et que tous pourtant semblent alors et soudain être tenus par un lien invisible qui est justement une dynamique crisique commune. Ce sentiment transforme soudain cette impression initiale d’une fragmentation considérable, en retrouvant une unité cachée si l’on insiste pour trouver de la cohérence à tout cela, – “intuition haute” aidant, espérons-le... La Grande Crise Financière, acte II (“GFC2 pour les amis”) n’a pas mobilisé à elle seule l’attention, comme elle aurait dû le faire, comme elle l’avait fait évidemment à l’automne 2008, paralysant le monde à son profit et polarisant toutes nos attentions. La crise des troubles au Royaume-Uni n’a pas non plus attiré toute l’intensité de notre attention sur elle, comme elle aurait dû le faire en temps normal puisque, parallèlement, la “GFC2” se poursuit à un rythme impressionnant. Et ainsi de suite pour chacune et pour toutes les crises, les unes avec les autres.

Aucun rapport entre tout cela, et pourtant elles ont tout à voir ensemble. Ce n’est plus le sujet de la crise, la cause de la crise, les conditions sociales, géographiques, politiques, etc., ni même les conditions psychologiques propres à chaque crise qui suscitent ces crises. Eventuellement, il doit bien y avoir un complot ici ou là, mais on comprend bien que cela n’importe pas dans l’ensemble de la chose (la big picture), que cela ne suffit pas à fournir une approche acceptable à ce qu’on sent être un immense mouvement à l’œuvre.

Bien entendu, nous en profitons pour considérer cela comme le renforcement de notre hypothèse du 4 août 2011 , on le comprendra aisément et sans demander plus d’exemples et d’explications… Voici la conclusion du F&C, où, finalement, nous rejetions l’étiquette GFC2 (pour Great Financial Crisis 2), pour en proposer d’autres, que nous jugeons, aujourd’hui plus que jamais, bien mieux adaptées à la situation :

«…Par conséquent, affutons nos acronymes… GFC2 n’est pas GFC2, mais bien GCC tout court, sans numérotation, – pour “Great Civilisationnal Crisis” (ou in French, les deux acronymes correspondant pour une fois, “Grande Crise Civilisationnelle”) ; ou encore, si l’on préfère la sophistication, GCCC (“Grande Crise de la Contre-Civilisation”, ou “Great Counter-Civilization Crisis”).»

Ce qui est remarquable, c’est le fonctionnement de la chose, qui implique l’existence d’un courant collectif, et en regard d’une psychologie présentant des caractères communs et sensible à une même tension et à une influence communes. A cet égard, on pourrait envisager l’idée que ce n’est pas un hasard si des segments entierts de populations de quartiers londoniens, et d’autres villes britanniques, se soulèvent dans un accès de barbarie pure, contre laquelle le régime en place, lui-même émanation d’une autre barbarie pure qui est la barbarie postmoderniste du régime libéral-capitaliste conduit à ses pires excès par la situation qu’il a lui-même engendrée, se trouve à la fois désarmé et désorienté. L’un et l’autre sont influencés par la puissance du courant historique, ou plutôt métahistorique, qui rassemble les éléments de l’accélération de la crise générale, et les active les uns après les autres, en succession rapide, voire les uns en même temps que les autres. Dans ce cas, les adeptes de l’évolution des “marchés” comme mesure de l’avancement et de la stabilité de la civilisation, – ce qui revient à prôner l’idée de “la stabilité par l’instabilité”, – devront être conduits à constater que la grande crise financière n°2 (GFC2) n’est plus aujourd’hui qu’une manifestation parmi d’autres de ce qui est devenu la “Grande Crise Civilisationnelle” ou la “Grande Crise de la Contre-Civilisation” (GCC ou GCCC).

En 2008, la première grande crise financière (GFC1) avait escamoté les autres crises, donc réduit la crise centrale du Système à elle-même (GFC1). Nous écrivions ceci dans notre texte du 13 octobre 2010 consacré à dde.crisis du 10 octobre 2010 :

«A l’été 2008, après une crise du prix du pétrole sévère, la conscience était très forte du lien entre la crise eschatologique (ressources, environnement, etc.) et notre système de puissance et de “la matière déchaînée” en crise. (Que cette crise du prix du pétrole ait dû beaucoup à la spéculation n’importe pas ici ; ce qui compte est qu’elle éclaire le fait indiscutable du lien entre les deux crises.)

»Puis vint 9/15 (l’écroulement boursier du 15 septembre 2008). Quelle que fut la gravité de l'événement, cette crise fut presque un soulagement dans l’inconscient et pour nos psychologies épuisées. En s’imposant comme l’urgence absolue, elle nous ramenait aux débats terrestres des économistes divers et évidemment antagonistes, aux habituelles responsabilités de la rapacité, du profit de la spéculation, – toutes choses qui, a contrario et pour des psychologies épuisées, pérénisent sinon légitiment notre système en faisant de sa crise un accident.»

En ramenant tout à une crise financière, on ramène le Tout de la crise fondamentale à une comptabilité, à des chiffres (ceux du comptable et non ceux de Pythagore), – c’est-à-dire à une vision scientiste du monde, assaisonnée pour l’occasion de l’excitation factice et pathologique de l’argent volatil, du suspens obscène qui va avec. C’est ne pas procéder autrement que saucissonner la crise centrale, la châtrer et finalement la dissimuler car, aujourd’hui plus que jamais puisque c’est sa tendance irréversible au plus la science avance, la vision scientifique procède de cette façon réductionniste et déstructurante, et fondamentalement réductrice du monde. Ce phénomène subversif est écarté cette fois-ci, et GFC2 est une crise parmi d’autres. La puissante réalité du monde, ce “courant historique, ou plutôt métahistorique”, a enfin surpassé les exigences de l’homme à l’avantage de lui-même (le monde réduit au Moi), – tant la crise financière, qui est rétrogradée, est par essence la crise descriptive du Système qui, par antithèse paradoxale, justifie un Système entièrement cautionné par l’homme en rupture du monde. Paradoxalement encore, puisque la caution du Système par l’homme est en réalité le signe de son asservissement au Système, ce développement d’une crise générale conservée dans la multiplicité de sa vérité, est une “libération” pour le sapiens, – même s’il n’en mérite pas tant…


Mis en ligne le 10 août 2011 à 08H37