Ouverture 2014 : Iskander, Sotchi, Ukraine

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Ouverture 2014 : Iskander, Sotchi, Ukraine

Avec une certaine alacrité et une grande vélocité, le paysage européen, dans lequel il faut impérativement mettre la Russie, prend forme pour l’année 2014. C’est un paysage de tensions montantes et diverses, sur divers plans et de diverses façons, et ces tensions déjà porteuses de désordre par leurs seules interférences et l’extraordinaire incohérence de leurs causes et attendus. Le bloc BAO semble avoir atteint sa vitesse de croisière-turbo de l’inconscience de la perception et de l’absence de sens de la politique. La grande ligne de fracture où ces tensions s’agglutinent est bien entendu l’opposition entre l’Europe institutionnelle (l’UE) et la Russie.

Le symbole est au rendez-vous : 2014 est une grande année de commémoration, puisque centenaire du déclenchement de la Grande Guerre. Ce rendez-vous sous forme de symbole est en général du type qu’affectionnent les dirigeants-Système, car les commémorations sont un excellent moyen de relancer la dynamique toujours fragile de la narrative-Système sur la grandeur des temps que nous vivons et leur orientation éclairée sous l’impulsion du Système. Le rendez-vous de la commémoration de la Grande Guerre peut être également perçu sous une coloration lugubre et catastrophique, pour notre compte en nous référant au poème d’Alan Seeger (voir le 19 novembre 2013).

Nous avons choisi trois faits, trois événements, trois nouvelles illustrant cette montée de la tension considérée comme préliminaire, comme une “ouverture” pour cette année 2014, – ou plutôt, et plus modestement dit, ils se sont imposés à nous, les événements. Il sera donc successivement question du déploiement de missiles russes sol-sol SS26 Iskander à capacités nucléaires à Kaliningrad, des Jeux Olympiques de Sotchi et de l’Ukraine. La variété du menu témoigne de la diversité sans guère de précédent de l'étonnante situation européenne en train de prendre forme, curieusement par le biais d'événements informes par les déformations qui leur sont imposées.

• Le déploiement des SS26 Iskander avait été annoncé comme définitive à l'automne 2011 par le président Medvedev (voir le 25 novembre 2011), après une suspension temporaire en 2009, et tout cela en riposte au déploiement des missiles antimissiles US (BMDE), notamment et particulièrement en Pologne. (En fait, il est question de ce déploiement depuis 2007 au moins [voir le 31 mai 2007].) Le déploiement des SS26 a donc commencé fin 2011 tandis que les projets antimissiles n'ont cessé de se diversifier et de se multiplier (notamment en Roumanie) alors que la raison d’être de ce système BMDE (l’Iran soi-disant agressive) n’a plus guère de réalité. Qu’importe tout cela, qui demande une mémoire vigilante ... Dimanche dernier, le quotidien Bild a donc “révélé” ce qui était déjà évident depuis deux ans, savoir que des Iskander étaient déployés à Kaliningrad ; Bild saupoudrait cela d’un sel très excitant, en annonçant qu’il disposait de “photos” évidemment top secret prises de satellites et montrant les missiles au nombre d’une dizaine. La technologie veille sous la forme de l’habituelle narrative sur “les sources”, et aussi les officines officielles des SR du bloc BAO qui font leur travail d’intox ... Mais non, ce n’est pas de l’intox, les Iskander sont bien là puisqu’on le sait depuis au moins 2011 ! Mais annoncer la “nouvelle” aujourd’hui, alors que le chaudron ukrainien est en train de bouillir, a tout le charme discret de la relance de la narrative-Guerre froide, version agressivité-russe, verdict culpabilité-russe.

La “nouvelle” est donc bien répercutée (BBC.News le 16 décembre 2013, Reuters le 16 décembre 2013), et l’on trouve ce qu’il faut en savoir (les faits, les gémissements furieux et terrorisés des voisins avancés du bloc BAO, etc.) dans Russia Today le 16 décembre 2013. (Un point intéressant de dialectique pour notre propos et les animations de la pensée pavlovienne-inconsciente des commentateurs-BAO est que RT parle des “frontières de l’UE”, en rapportant les “révélations” de Bild...“secret satellite” images showing at least 10 Russian missiles close to the EU border»].)

«The Russian Defense Ministry has confirmed media reports on the deployment of short-range Iskander missiles in the country’s west, near its borders with the Baltic states and NATO members, saying that it does not violate international agreements. German newspaper Bild wrote this weekend that Russia stationed several Iskander tactical ballistic missile systems - which are capable of carrying nuclear warheads - in its westernmost exclave of Kaliningrad, along the border with Baltic states. The paper said it obtained “secret satellite” images showing at least 10 Russian missiles close to the EU border, which were deployed over the past year.

»Commenting on the matter, Moscow confirmed that it did station the missiles, which have been designated by NATO as SS-26 Stone, in the region. “Rocket and artillery units of the Western Military District are really armed with Iskander tactical missile systems,” Maj. Gen. Igor Konashenkov, head of the Defense Ministry’s press service, told reporters on Monday. “The concrete areas of the deployment of Iskander missile battalions in the Western Military District do not contradict any international agreements or treaties,” he added, as quoted by Interfax... [...]

»Iskanders have been stationed in the region for over 18 months now, a senior official at Russia’s Defense Ministry told Izvestia daily. “Everything works as planned there. I don’t know why the Germans are raising a scare now,” the source noted. Russia is not going to ease its defense on European borders, where the western military alliance keeps its strategic missile forces, said deputy head of the State Duma’s defense committee, Viktor Zavarzin. “NATO has American tactical nuclear weapons in Europe. Who can it be aimed against if not Iran? Only against us,” he told the daily. The official pointed out that Russian missiles do not pose a threat to anyone. Rather, they are solely for defensive purposes.»

• Les JO de Sotchi vont être agités ... Voilà que le président français Hollande fait annoncer par son ministre des affaires étrangères qu’il ne se rendra pas à la cérémonie d’ouverture des Jeux, bref qu’il boycotte. (Voir Le Figaro du 16 novembre 2013 : la dissolution-turbo de la politique étrangère française poursuit, et il serait bon que nous revenions sur ce point particulier.) Hollande n’est pas le premier à agir de la sorte, il a emprunté avec un esprit résolu d’alignement la voie du boycott ouverte par le président allemand Joachim Gauck (voir le Guardian du 8 décembre 2013). L'on doit être assuré que nombre d’autres, dans la basse-cour BAO, vont suivre.

Le point intéressant de cette affaire de Sotchi est qu’on trouve à nouveau, après la Libye et la Syrie, une sympathique convergence, “objective” certes mais l’esprit y est, entre les dirigeants-Système du bloc BAO et les terroristes islamistes. On sait en effet que l’une des menaces majeures contre Sotchi est la possibilité d’un acte de terrorisme de grande envergure contre les Jeux de la part de groupes terroristes tchétchènes, directement contrôlés et manipulés par Prince Bandar, selon ses propres dires à Poutine à la fin juillet. (Voir le 24 août 2013.) Depuis, de multiples rumeurs et presque-informations ont circulé sur la présence d’islamistes tchétchènes en Syrie, se battant contre Assad mais aussi mettant en place une coordination pour une éventuelle action contre Sotchi. On sait d’ailleurs que cette menace terroriste désormais concrétisée rapproche les Russes et les Israéliens (voir le 11 décembre 2013). Ainsi pourrait-on voir le terrorisme islamiste, dénoncé par le bloc BAO comme la pire des terreurs, interférer à Sotchi dans le même sens que la politique de boycott en cours d’élaboration au sein du bloc BAO ; mais c’est une “alliance” qui, finalement, n’a rien pour étonner personne.

• Enfin, retour sur l’Ukraine ... On a déjà beaucoup dit sur l’arrogance et l’inconscience combinées du bloc BAO dans cette affaire. Lorsque l’on considère la nature de l’opposition et la division ethnique et politique du pays, on finit par observer que tout cela a des allures, là aussi, renvoyant au stéréotype syrien du point de vue du bloc BAO, dans la façon dont se font les enchaînements. Il n’est pas question d’avancer une hypothèse de répétition à l’identique, ce qui serait absurde, mais d’observer comment le bloc BAO parvient à se retrouver toujours dans une position similaire, c’est-à-dire une position maximaliste d’ingérence dans les affaires de souveraineté nationale, en soutien d’une “opposition” plus que suspecte poursuivant un objectif sans la moindre légalité et de toutes les façons très indéterminé. Tout cela risque de nous entraîner loin si la crise échappe à tout contrôle d’elle-même, c’est-à-dire si les événements se précipitent d’eux-mêmes.

Ici, nous apportons des précisions sur la composition de l’“opposition” que le bloc BAO soutient comme un noyau superbe de liberté et de démocratie-en-devenir. On s’aperçoit qu’en plus des habituels interférences corruptrices (Timochenko et son parti) qui sont universellement répandues dans ce pays, on trouve une composante non seulement ultra-nationaliste, mais quasiment national-socialiste, ce qui nous fournit les extrémistes nécessaires à la recette type-syrienne. (D’où l’on comprend également le soutien hystérique de certains politiciens polonais, comme l’ancien Premier ministre Jaroslaw Kaczynski, dont Strategic-culture.org disait le 4 décembre 2013: «The leader of the Polish conservative clerical Law and Justice Party, former Prime Minister of Poland Jaroslaw Kaczynski, has arrived for a visit to Kiev. He has come to support those demonstrating in support of eurointegration. The irony of the situation is that in his home country Kaczynski is considered a Eurosceptic, opposed to Poland joining the Eurozone, and a protector of religious and family values...»)

Sur cette “opposition désunie”, dont la victoire éventuelle contre le régime actuel serait une porte ouverte à la déstabilisation du pays, Alexandre Latsa, qui se demande si «les Européens comprennent bien qui ils soutiennent», nous apporte ces observations, le 11 décembre 2013 sur Novosti : «Les protestations ont été organisées par une alliance surprenante de partis de tendances différentes, allant de la droite à l’extrême droite de l’échiquier politique ukrainien. Il y a tout d’abord le parti “Alliance ukrainienne démocratique” (UDAR) du boxeur Klitschko qui bénéficie du soutien officiel de la CDU d’Angela Merkel. Il y a aussi le parti “Patrie” de Iulia Timochenko (aujourd’hui emprisonnée pour corruption et suspectée de complicité de meurtre) qui appelle à renverser le pouvoir ukrainien actuel. Enfin il y a “l’Union pan-ukrainienne Svoboda” (Liberté) qui portait tout simplement le nom de parti National-socialiste d’Ukraine jusqu'à 2004. Ce parti appelle clairement à manifester pour renverser le pouvoir et déclencher une révolution sociale et nationale (avec l’aide de milices et de sous fratries pagano-radicales telle par exemple le Wotan-Jugend) tout en dénonçant la mafia juive qui gouverne l’Ukraine! Que n’entendrait-on pas si de tels propos étaient tenus par des officiels russes!

»Ces trois partis ont formé une alliance bien improbable appelée “Groupe d’action pour la résistance nationale” qui tend donc à vouloir intégrer l’union européenne en renversant au passage le pouvoir en place, pourtant légitimé par les urnes. Un bien étrange cocktail de mouvements dont on ne peut que suspecter que leur brusque tropisme européiste ne soit en réalité surtout motivé par un mélange d’avidité du pouvoir et de haine profonde de la Russie. Ce groupe a aussi le soutien de certains tatars musulmans de Crimée qui exigent la démission du gouvernement et de stars du show bizness dont une chanteuse de pop music a même menacé de s’immoler si des changements n’arrivaient pas. Une actrice américaine, petite amie du frère du boxeur Klitschko, s’est elle aussi empressée de soutenir les manifestants et leurs aspirations euro-occidentales. Enfin ils ont le soutien des Femen qui ont, lors d’une manifestation à Paris, choisi d’uriner en public sur les portraits du président ukrainien sans que les forces de l’ordre françaises ne réagissent. Des soutiens qui en disent long.»

Dans cet ensemble ukrainien, les Allemands jouent un rôle hégémonique, qu'ils jugent conforme à leur statut de puissance dominante dans une Europe qui ne mesure plus la puissance qu’à l’aune des statistiques économiques. Ce sont donc eux qui mènent le bal en Ukraine, du côté de la détermination de qui fait quoi, un peu comme ils l’ont fait en Grèce à un autre propos. Ainsi Natalia Meden, de Strategic-culture.org décrit-elle, le 5 décembre 2013, comment les Allemands ont décidé de choisir le boxeur poids lourd de la crise comme leader de l’opposition... «So, who do German politicians view as the Ukrainian leader after the already looming fall of the “dictatorial regime”? Who does Europe want to be its would-be partner at the talks on the Ukraine’s association with the European Union? Respectable Europeans could not condescend to holding talks with someone like Oleh Tyahnybok, who finds that the Moskali (Russians), the Germans or the Jews are all the evils not worth choosing. Not so long ago he was decorated with the Gold Cross merit medal by veterans of voluntary trooper division SS ‘Galichina’.

»The West views Vitaly Klitschko as the next leader of Ukraine. It opts for him; he is the man of the West’s choice. An information campaign to create him the image of the West’s favorite person and the winner of the 2015 presidential election is still to be launched, though some signs are already tangible. Not only central German media outlets, but the local ones as well (it means the signal is given to the media from the very top) report about the “Ukrainian opposition is rallying around this politician”.»

L’on dit que l’affolement et l’indignation ont gagné hier soir les chancelleries lorsque l’on a appris le déploiement des SS26 Iskander, selon le rapport du Bild. La nouvelle a aussitôt été appréciée comme une brusque escalade de la position russe vis-à-vis du bloc BAO, comme l’annonce d’une menace pas loin d’être “incompréhensible”. Qu’importe si le déploiement est déjà en cours depuis près de deux ans au moins, s’il répond à un acte d’agression délibéré (le BMDE US/OTAN), s’il s’inscrit dans plusieurs points de pression contre la Russie (Sotchi, Ukraine) ; seul importe l’“effet d’annonce”, duquel il n’est en rien exigé qu’il ait un rapport quelconque avec la situation telle qu’elle est.

... Ainsi passons-nous de “la situation telle qu’elle est” à ce que nous nommons la vérité de la situation. Que les Russes l’aient voulu ou non, et l’on comprend bien qu’ils n’aient rien voulu du tout à cet égard, tout se passe comme si le déploiement des SS26 avait effectivement lieu aujourd’hui, et qu’il s’inscrivait comme une mesure militaire russe dans ce cadre de tension montante que l’on décrit. Même si personne ne veut accepter cette justification, même si les Russes eux-mêmes ne l’avancent pas selon l'évidence qu'elle ne correspond pas à la réalité puisque ce déploiement dépend d’une autre situation et qu’il est déjà fait, le cas des SS26 va apparaître de plus en plus comme un geste de mauvaise humeur des Russes et une sorte d’avertissement que la partie pourrait devenir sérieuse, dans tous les cas dans certaines circonstances. Dans cet empilement de narrative pour la plupart antirusses que constitue aujourd’hui la situation européenne dans le tourbillon qu’on décrit, le cas des SS26 pourrait effectivement devenir une nouvelle narrative à lui seul. La chose aurait l’avantage de rappeler certaines réalités, comme par exemple celle d’une Allemagne hégémonique et qui se conduit dans l’affaire ukrainienne comme une maîtresse de l’Europe, mais qui est une Allemagne privée de Wehrmacht, tout comme l’OTAN est, dans ces situations de tension grandissante, une coquille considérable qui révèle son vide à très grande vitesse. S’ils avaient quelque mémoire, les Européens se rappelleraient qu’en août 2008, ils n’avaient rien à opposer aux Russes qui s’engageaient dans le conflit géorgien à la suite des provocations de Saakachvili, et que l’US Navy mit un certain temps avant de pénétrer en Mer Noire, sous la forme d’un navire-hôpital animé des meilleures intentions du monde, et cela bien après que le cessez-le-feu ait été proclamé.

Enfin, il ne s’agit pour l’instant que de considérations temporaires et spéculatives. Nous en sommes encore à nous demander quelle sorte de “rendez-vous” sera pour nous l’année 2014 : une simple commémoration de l’une des pires guerres qu’ait connue l’histoire ? Simplement, doit-on observer que, désormais, la question est posée.

 

Mis en ligne le 17 décembre 2013 à 11H21