Le double éclairage du mensonge BHO-sarin

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Le double éclairage du mensonge BHO-sarin

La Syrie c’est bien loin, et plus loin encore le formidable fiasco du bloc BAO et de BHO pour forcer à une attaque contre Assad. Cela se passait en août-septembre de l’année 2013... Soudain, la voix respectée et compétente de Seymour Hersh, Prix Pulitzer et maître du journalisme d’investigation mené en toute indépendance depuis l’affaire de My-Laï (1969 dans les années-Vietnam), nous sort un dossier considérable sur le montage que fut l’attaque chimique en Syrie du 21 août 2013. Pas vraiment de surprise parce qu'il semble bien que la surprise n'a plus sa place dans les poubelles élégamment puantes des montages sans fin des USA, et du bloc BAO en général. On trouve sur l'internet, outre le texte de Hersh lui-même, nombre d’analyses du dossier. Celle de Justin Raimondo, bien documentée, et évidemment favorable au travail de Hersh comme la simple décence et l’épuisement de devoir subir leurs mensonges y invitent, est à lire, sur Antiwar.com le 10 décembre 2013.

Il est tout de même à noter que Hersh, qui était prêt à publier depuis un nombre respectable de semaines, a dû faire un saut transatlantique pour publier son dossier dans le London Review of Book du 8 décembre 2013. Comme il l’explique dans Huffington Post du 9 décembre 2013, il a essuyé deux refus de publication, – du New Yorker, le périodique où il publie régulièrement et qui lui doit une belle popularité et des ventes substantielles, – et du Washington Post. On n’était pas vraiment intéressé, ou bien l’on jugeait ce Hersh pas très crédible, avec ses sources qui ne sont pas du “standard” du Washington Post...

«Hersh is a freelancer, but he's best known these days for his work in The New Yorker, where he helped break the Abu Ghraib scandal in 2004. While Hersh is not a New Yorker staff writer, it was notable that his 5,500-word investigative piece landed in the London Review of Books, a London literary and intellectual magazine, rather than the publication with which he's most closely associated. In an email, Hersh wrote that “there was little interest” for the story at The New Yorker. A New Yorker spokesperson did not immediately respond to a request for comment.

»Hersh then took the story to The Washington Post. The Post intended to publish it, as BuzzFeed first reported. Hersh told HuffPost that he went to the Post because of the paper’s reporting on documents provided by former NSA contractor Edward Snowden... [...] It's unclear exactly why the Post decided not to publish the story. Hersh wrote that he was told by email that Executive Editor Marty Baron decided “that the sourcing in the article did not meet the Post's standards.” Baron and a spokesperson for the Post did not respond to requests for comment on Sunday night.

»A few weeks ago, Hersh sent the Syria story to editors at the London Review of Books, LRB Senior Editor Christian Lorentzen told HuffPost. Lorentzen said the piece was not only edited, but thoroughly fact checked by a former New Yorker fact checker who had worked with Hersh in the past...»

Est-il nécessaire, vraiment, de s’attarder sur la duplicité du Système et de sa petite main, le bloc BAO ? Sur leur bassesse, leur lâcheté, leur indignité, leur aveuglement, leur goût presque vertueux à force de conviction de l’inversion et de l’imposture ? Il existe déjà une abondante littérature à propos de l'attaque chimique du 21 août et de ce qui était apparu aussitôt comme l'hypothèse la plus vraisemblable du montage, ou false flag selon l'expression en vogue, et l’intérêt du texte de Hersh repose finalement sur nombre de détails, nombre de points de vue et de témoignages, etc., éclairants à plus d’un égard.

L’un de ces points intéressants concerne la frustration, la fureur, l’incompréhension de nombre d’officiers du renseignement US. Hersh décrit les diverses démarches, évaluations, etc., qui ont précédé puis accompagné l’attaque chimique. Il y a eu la mise en évidence de divers éléments, avant et pendant l’attaque, que de telles actions viendraient probablement ou venaient effectivement de groupes terroristes, et particulièrement d’al-Nusra, sorte de groupe dépendant de l’association générale nommée al Qaïda, dont il a été déterminé qu’il maîtrisait la production de gaz sarin. Nombre de signaux et de constats techniques ont renforcé ces diverses évaluations. «A former senior intelligence official told me that the Obama administration had altered the available information – in terms of its timing and sequence – to enable the president and his advisers to make intelligence retrieved days after the attack look as if it had been picked up and analysed in real time, as the attack was happening. The distortion, he said, reminded him of the 1964 Gulf of Tonkin incident, when the Johnson administration reversed the sequence of National Security Agency intercepts to justify one of the early bombings of North Vietnam. The same official said there was immense frustration inside the military and intelligence bureaucracy: ‘The guys are throwing their hands in the air and saying, “How can we help this guy” – Obama – “when he and his cronies in the White House make up the intelligence as they go along?”’»

Il faudra également noter combien cette affaire présente d’aspects contradictoires, voire déroutants, qui rendent encore plus remarquable la duplicité comme pratique courante et quasiment automatique, par désintérêt de toute rectitude du jugement de comportement et par aveuglement des perspectives, de l’administration Obama et du président lui-même. En effet, il s’avère que Seymour Hersh fait preuve d'un grand courage et d'une belle constance en déclarant qu'il a été et qu'il reste dans une certaine mesure un fervent partisan d’Obama. (Son activisme-journalistique a été effectivement nettement plus mesuré depuis l’arrivée d’Obama.) Pourtant, l’affaire du montage du chimique syrien le conduit tout de même à dénoncer cet homme et son administration dont il est partisan. Hersh le montre dans ce passage beaucoup plus personnel (extrait d’une interview de Hersh sur Democracy Now !, le 9 décembre 2013), où il témoigne également de l’attachement des militaires à Obama ; pourtant, le comportement d’Obama, dans ce cas, parut à nombre de ces personnes, et à Hersh lui-même, complètement inacceptable. (A noter que, dans ce passage, Hersh écarte l’argument de l’opinion publique comme principal frein à l’attaque de la Syrie, jugeant que l’opposition du Pentagone fut déterminante. Nous ne partageons nullement cette analyse : sans nier l’importance de l’opposition des militaires [voir, par exemple, le 11 septembre 2013], il reste que, pour nous, le “climat” de l’opinion publique, se répercutant sur la position du Congrès, joua un rôle primordial même si insaisissable dans les faits précis, dans la volte-face en plusieurs étapes d’Obama [voir le 29 août 2013 et le 10 septembre 2013].)

Amy Goodman: «And why this is significant today? In the end, President Obama chose not to strike Syria because the American people just overwhelmingly said no. But what this means for what’s happening in Syria today? And also, why then did the Syrian...»

Seymour Hersh: «Let me interrupt you, Amy.»

Amy Goodman: «Yes.»

Seymour Hersh: «Amy, let me interrupt you. He didn’t... I’m telling you, he didn’t do it because the American people said no. He knew it because he didn’t have a case. And there was incredible opposition that will be, one of these days, written about, maybe in history books. There was incredible operation from some very, very strong-minded, constitutionally minded people in the Pentagon. That’s the real story. I don’t have it; I could just tell you I know it.

»And so, it wasn’t just a case... you know, from the military’s point of view, this was a president who many respected in many ways. There’s many good things about Obama. There’s a lot of things... as I said, I voted for him twice. And he’s probably going to be the brightest president we’re ever going to have, and maybe the best president we’re ever going to have. The system is... doesn’t produce always the very best, our system. But the fact of the matter is that this president was going to go to a war because he felt he had to protect what he said about a red line. That’s what it was about, in the military’s point of view. And that’s not acceptable. You don’t go to war, you don’t throw missiles at a country, when there’s no immediate national security to the United States. And you don’t even talk about it in public. That’s wrong, and that was a terrible thing to do.»

Il est tout de même bon de noter enfin le grand bruit que l’article de Hersh a provoqué, malgré les quelques années-lumière en termes de communication, comprimées en quelques mois, qui nous séparent des faits et des méfaits, malgré l’absence d’intentions spécifiquement antiSystème de Hersh. Il s’agit d’un aliment de plus pour le discrédit du Système, un renforcement du mépris à son égard, du malaise et du désarroi dans le rang des employés-Système malgré l’impeccable fin de non-recevoir qu’ils opposent à toutes les vérités, il s’agit enfin d’un renforcement de l’attitude systématique, pas nécessairement bruyante d’ailleurs mais certainement résiliente, qu’il faut avoir contre toute affirmation, contre tout acte de communication de nos dirigeants, c’est-à-dire du Système, – bref, présumé menteur et dissimulateur à 120% avant qu’en une circonstance ou l’autre, une sorte de preuve soit apportée selon laquelle il se révèle qu’il nous a communiqué quelque chose d’acceptable ...

• ... Mais l’article de Hersh n’est pas seulement intéressant par rapport à un fait passé et éventuellement par rapport à ce qu’il faut penser de l’administration Obama, ou par rapport à la confirmation de la pensée qu’on en a. Il intervient indirectement, comme complément d’une information qui, à elle seule, aurait été extrêmement incertaine, qui se trouve ainsi renforcée, qui peut alors être considérée en toute hypothèse dans ses implications. Il s’agit de DEBKAFiles, que l'on connaît bien sur ce site.

En août, DEBKAFiles avait relayé les versions les plus hystériques portant sur la responsabilité d’Assad. Le but, relayant effectivement la tactique des “ultras” autour de Netanyahou, était de susciter une intervention US en Syrie, avec l’espoir d’impliquer l’Iran et de parvenir à une confrontation entre les USA et l’Iran. Aujourd’hui, DEBKAFiles adopte sans la moindre restriction, et par ailleurs sans s’encombrer ni de vergogne ni de scrupules excessifs, la thèse de la responsabilité d’al Qaïda dans l’attaque chimique, et cite essentiellement comme référence l’article de Hersh, qui s'avère ainsi d'une utilité politique inattendue. (DEBKAFiles du 8 décembre 2013.)

«According to some reports, Al Qaeda in Syria has got hold of sarin nerve gas and is ready to use it. This was confirmed by the investigative journalist Seymor Hersh in an article he published in London on Dec. 8. He quoted “a large number of American intelligence officials” who said that “the chemical attack on the eastern Damascus suburb of Ghouta on Aug. 21, in which more than 150 people died, may not have been carried out by Bashar Assad’s army but by Jabhat al Nusra [Al Qaeda’s Syrian branch].”

»A senior intelligence consultant told the reporter: “Already by late May… the CIA had briefed the Obama administration on al-Nusra and its work with sarin, and had sent alarming reports that another Sunni fundamentalist group active in Syria, al-Qaida in Iraq (AQI), also understood the science of producing sarin. At the time, al-Nusra was operating in areas close to Damascus, including Eastern Ghouta.” DEBKAfile reports that both these organizations have enlisted many Chechen and North Caucasian members to fight in Syria.

»The sources quoted by Hersh charged President Barack Obama and Secretary of State John Kerry with “deliberate manipulation of intelligence.” One high-level intelligence officer called the administration’s assurances of Assad’s responsibility a ruse. “When the attack occurred, al-Nusra should have been a suspect, but the administration cherry-picked intelligence to justify a strike against Assad,” according to Seymour Hersh.»

DEBKAFiles développe l’idée de la possibilité d’une coopération entre la Russie et Israël au niveau de la sécurité et du renseignement, à la suite de la rencontre entre Netanyahou et Poutine à Moscou, le 20 novembre (rencontre au cours de laquelle on aurait laissé de côté la question iranienne, où les deux pays ne s’entendent guère). («One was possible Russian-Israeli military and intelligence cooperation against al Qaeda elements in Syria.») La spéculation est basée sur la crainte, sinon le constat effectif d’un développement de l’équipement chimique d’al Qaïda, sur la possibilité d’une attaque d’une branche du terrorisme tchétchène du sysdit al Qaïda lors des JO de Sotchi en Russie, et bien entendu d’une menace contre Israël à partir de bases syriennes d’al Qaïda. (L'hypothèse avait déjà été évoquée d'une menace du Saoudien Bandar contre la Russie et les JO de Sotchi, d'une attaque de groupes tchétchènes/al Qaïda que lui, Bandar, aurait contrôlés [voir le 23 octobre 2013]. Mais les choses ont changé depuis, et aussi la position de Bandar qui se rend souvent en Russie [voir le 10 novembre 2013]. Bandar, qui semblait tout maîtriser en août, de l'attaque-montage chimique du 21 août en Syrie aux groupes tchétchènes/al Qaïda, n'est peut-être pas, ou plus, dans cette position de maîtrise qui fait d'ailleurs aussi bien partie de son arsenal faussaire de négociations, cela faisant s'interroger sur le fondement de ses menaces du mois d'août.)

Cette interprétation de DEBKAFiles, où l’attaque chimique du 21 août prend une allure si différente que celle favorisée jusqu’ici par les Israéliens, est renforcée par une visite assez discrète du ministre israélien des affaires étrangères Lieberman à Moscou le 9 décembre, pour des entretiens avec Lavrov. Il y a des liens spéciaux entre Lieberman et les Russes, pour la raison évidente que Lieberman est un juif de Russie émigré en Israël. L’entretien a été clôturé par quelques mots rapides de Lavrov, sans guère de détails. PressTV.ir donne quelques indications sur la rencontre, ce 10 décembre 2013, avec notamment la précision que les conversations ont porté notamment sur la situation en Syrie, mais aussi en Afrique du Nord. Cela établit clairement une connexion pour conclure que le sujet est bien l’activité terroriste de ce qu’on nomme al Qaïda, – si le terme “terrorisme” est désormais suffisant pour la description de l'activité... Cette idée doit être gardé à l'esprit pour tenter de comprendre l'évolution de la situation générale.

«Russian Foreign Minister Sergey Lavrov and his Israeli counterpart Avigdor Lieberman met for talks in Moscow on Monday. Their meeting was held behind closed doors and there wasn't a press conference afterwards. However, the Russian Foreign Ministry says they discussed the situation in the Middle East in detail. Foreign Minister Lavrov and Avigdor Lieberman touched upon key aspects of the situation in the Middle East and North Africa, in particular Syria and Geneva 2 peace conference. They also discussed a number of international topics, including Iranian nuclear program.

»Sergey Lavrov reiterated Russian position on solving issues in the region and Moscow's support for a political dialogue without foreign interference. While in Moscow, Lieberman has also taken part in a joint Russian/ Israeli commission for trade and economic cooperation.»

Il semble que ces contacts entre Israéliens et Russes et les hypothèses évoquées par DEBKAFiles alimentent l’hypothèse d’un contexte nouveau, moins dans le sens géopolitique classique de modification et d’évolution des alliance, que dans un contexte beaucoup plus large de l’évolution d’une situation générale, notamment de ce qu’on nomme “terrorisme”, avec évidemment l’évolution du label al Qaïda, les situations et les politiques des États impliqués pouvant évoluer, elles, selon des orientations inattendues à mesure que le “terrorisme” évolue vers le désordre pur. Dans ce contexte, il semblerait que des conflits tels que celui de Syrie tendraient à perdre les caractères idéologiques et ethnico-religieux extrêmement pressants qui les ont caractérisés, pour eux aussi évoluer vers des situation plus caractérisées par ce qui se rapproche du “désordre” pur. D’une façon très symbolique et significative, le texte de Seymour Hersh fait le lien entre ces deux situations, caractérisant l’une (celle qui s’effacerait) et préparant l’autre (celle qui se dessinerait).


Mis en ligne le 11 décembre 2013 à 02H52