Notre “crise-Frankenstein” transmute la crise iranienne

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L’embargo sur le pétrole iranien, bien avant qu’il soit effectif, est devenu une crise en soi qui introduit un élément de bouleversement de la crise iranienne, en même temps qu’il étend encore plus la “crise haute” telle que nous l’avons définie. Il s’agit de ce que nous avons désigné comme cette “crise-Frankenstein”, créée de toutes pièces par les mesures de sanction et d’embargo, dont l’effet se fait déjà sentir dans un sens contraire à celui qu’on attend, avant que cet embargo soit lui-même effectif…

• Le 23 mars 2012, Reuters diffusait une analyse mettant en évidence combien l’annonce même de l’embargo avait créé un grand désordre sur le marché du pétrole et provoqué des effets de hausse menaçant pour l’économie globalisée en général, avec des situations d’ores et déjà enregistrées. L’annonce de la réduction des exportations de pétrole iranien de 300.000 barils/jour ce mois (essentiellement due à des décisions iraniennes contre certains pays faisant partie du bloc BAO) a fait monter le prix du pétrole à $127 le baril. Reuters cite divers analystes sur la question…

«“The sanctions are having an effect - it's just not the effect they were supposed to have,” says Dina Esfandiary, a research analyst and specialist on Iran at London's International Institute for Strategic Studies. “Sanctions are not exerting the desired influence on the regime. If anything, they may be making them more committed.” […]

»“The sanctions are a real Catch-22 for the global community” says Hayat Alvi, associate professor of Middle Eastern studies at the U.S. Naval War College. “Given global interdependence, many fragile economies and their valuable recoveries will be hard hit...We're already starting to see some of the effects.” […] “Iran will most likely continue to suffer the most, and over time the pressures might be too much for its economy and society to bear,” says Alvi at the U.S. Naval War College. “(But) I seriously doubt that Iran will give up its nuclear program without a fight, even with the increasingly difficult struggles to survive.”»

• Le 23 mars 2012 (Antiwar.com), Obama ajoutait une intervention solennelle en impliquant la crise iranienne comme cause principale de la montée du prix du pétrole, elle-même cause de l’augmentation du prix de l’essence aux USA, qui est désormais une préoccupation majeure pour sa campagne électorale… «“Right now the key thing that is driving higher gas prices is actually the world’s oil markets and uncertainty about what’s going on in Iran,” Obama insisted. “[T]hat’s adding a $20 or $30 premium to oil prices, and that affects obviously gas prices.”»

• Enfin, le 24 mars 2012, DEBKAFiles consacrait une analyse à une situation qui inquiète Israël, qui est la mise en évidence de conversations secrètes directes entre Obama et l’ayatollah Khamenei, le chef religieux suprême de la république islamiste. (Cette situation a pris également de cours Erdogan, le premier ministre turc, qui espérait être le lien privilégié et le seul lien directs entre les USA et l’Iran.) DEBKAFiles cite des interventions de l’ancien sénateur Chuck Hagel confirmant ces conversations et envisageant des arrangements extrêmes qui semblent prendre Israël complètement par surprise… (On notera pourtant que des indications précises de tels contacts Obama-Khameinei existent depuis janvier dernier.)

«On March 12, a close Obama associate, the former US Senator Chuck Hagel, virtually gave the game away when he said in an interview: “There may be back-channel talks, I don’t see any other way around this.” Israel did not fare any better than Turkey at Obama’s hands. […] Hagel was also revealing on another question. Asked by the interviewer: So does this mean “Bomb Iran or live with Iran with a bomb?” He replied: "Exactly. We may eventually wind up with those choices. But I don’t think we’re there now.” What he was saying was that the secret US-Iranian channel has not yet run its course. This may explain why no date has been set for the Six Power talks with Iran in Istanbul next month.»

• L’analyse de DEBKAFiles se terminait en citant toutes les précisions déjà vues, mettant en évidence les effets pervers de l’embargo sur le pétrole iranien, comme une menace majeure contre l’économie mondiale. Par conséquent, craint fort DEBKAFiles, les USA seraient en train de reconsidérer ou de “reconfigurer” leur décision d’embargo et de sanctions contre l’Iran dans ce domaine.

«At all events, the Obama administration appears to be rethinking sanctions as a bludgeon for turning Tehran away from its nuclear weapon aspirations. Those second thoughts were closely reflected in a new assessment coming from London’s International Institute for Strategic Studies Friday, March 23, which asserted that sanctions were having an effect – “but just not the effect they were supposed to have.” They have made the Iranians more not less committed to pursuing a nuclear weapon, it was said, and “had the knock-on effect of pushing oil prices to levels threatening the global economy.”»

Si nous prenons le texte de DEBKAFiles comme référence, nous découvrons que la question des sanctions qui évolue selon un processus particulièrement pur d’inversion en une “crise-Frankenstein” se retournant contre leurs initiateurs, tient une place secondaire et comme complémentaire. Le principal souci de DEBKAFiles, c’est la question des négociations directes Obama-Khamenei, qui est en train de griller les relais privilégiés (qui se croyaient privilégiés) des USA dans la région, – Israël d’une part, pour l’attaque, la Turquie d’autre part, pour la négociation. La question de l’embargo vient en argument supplémentaire, pour expliquer qu’il existe une nouvelle pression sur cette négociation Obama-Khameinei, sur Obama principalement, pour arriver à un accord.

Mais si l’on considère le reste, l’évolution plus générale, la situation générale elle-même, on s’aperçoit que c’est le contraire : la “crise-Frankenstein” est en train d’accaparer toute l’attention parce que tout le monde commence à crier “au feu !”, en découvrant que les sanctions et l’embargo sont en train d’alimenter un désordre considérable sur le marché du pétrole, les échanges, etc. Le facteur psychologique joue un rôle extrêmement important, et aussi l’habileté et l’attention constante d’Obama dans la gestion de sa réélection (essence plus chère aux USA, catastrophe pour sa réélection), – ce qui pourrait s’avérer être le plus bel exploit de son premier mandat et le seul véritable but, – se faire réélire… Autrement dit pour synthétiser le processus, l’appendice de la crise iranienne (l’embargo), devenue dans un premier temps crise autonome, est en train de devenir la crise principale, reléguant peu à peu la crise iranienne (l’attaque de l’Iran) au second plan. La rapidité du processus est confondante… Bien entendu, tout cela est entièrement gratuit (!) et ne repose sur strictement rien :

• La crise nucléaire iranienne, produit de nos phantasmes, de nos analyses biaisées ou hyper-réductrices, des dictatures d’influence, israéliennes, extrémistes US et autres, etc. ; tout cela couronné et synthétisé à la fois par une politique maximaliste aveugle du bloc BAO ; cette politique, incompréhensible et inexplicable d’une façon générale et profonde, sinon par des références métahistoriques (le cas de l’autodestruction du Système) et psychologiques prononcées (la maniaco-dépression), développée d’abord par ceux qui croient suivre une ligne rationnelle et entretiennent cette croyance en ne s’attachant qu’aux modalités d’une action qui ne vient jamais, et bientôt aux effets de cette action non encore accomplie, plutôt qu’au fondement et aux buts de la chose, – et ainsi de suite, sans fin semble-t-il… Aujourd’hui, aux USA, la crise iranienne vue précisément de la Maison-Blanche a comme principale référence ses rapports et ses effets sur la campagne présidentielle. Cela achève de confirmer l’absence de substance de cette crise, et son adaptabilité par conséquent à toute autre dynamique politique qu’elle-même, garantissant que son traitement ne se fait en aucune façon sur sa valeur propre. (Mais si c’était le cas, – traitement “sur sa valeur propre », – elle n’existerait pas.)

• Mais que dire de “notre crise-Frankenstein” ? Créée de toutes pièces par les soins des directions politiques du bloc BAO, à partir d’une volonté de faire pression sur l’adversaire dans une crise qui n’a elle-même aucune raison d’être sérieuse et qui continue à se débattre dans cette recherche d’une raison d’être, débouchant sur la perception (rien n’est sûr, bien entendu, quand il s’agit du marché du pétrole, avec une forte spéculation permanente) de la possibilité de l’extension d’une nouvelle menace de déstabilisation d’une économie mondiale déjà largement déstabilisée… Le “crise-Frankenstein” se transcrit donc en une “crise de déstabilisation d’une crise de déstabilisation”, à partir d’une crise complètement artificielle, et selon le travail dévastateur d’une psychologie exacerbée, en mode maniaque…

• Toutes les explications hégémoniques, manœuvrières, etc., qui sont avancées en général par les “rationalistes” de la crise qui se veulent observateurs indépendants, ou par les adversaires de la politique du bloc BAO, pour la condamner bien entendu mais en lui donnant une certaine rationalité, se heurtent désormais régulièrement aux phénomènes de la durée (sept ans que l’on menace l’Iran d’une attaque “surprise”) et de la “tension figée”, comme contre-arguments. Il faut désormais y ajouter, comme une nouvelle forme de contre-argument, l’extension “créatrice” et complètement irrationnelle de la fausse crise centrale vers d’autres crises, créées à cette occasion par des dynamiques incontrôlables et insaisissables, devenant elles-mêmes, aussitôt, incontrôlables et insaisissables dans leurs effets. Le cas de cette “crise-Frankenstein” des sanctions et de l’embargo est exemplaire. D’une certaine façon, ces explications “rationalistes” et hégémoniques, notamment celles qui se veulent anti-bloc BAO, contribuent à l’entretien de la crise centrale en tentant de la crédibiliser, sans qu’on distingue pour quel(s) avantage(s), selon qui soutient l’argument, et en concluant au simple besoin de rationalité pour soutenir la description qu’on en fait.


Mis en ligne le 26 mars 2012 à 06H01

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