Sanctions contre l'Iran: une crise-Frankestein nous est née

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Le fameux et avisé bloc américaniste-occidentaliste (bloc BAO) commence à mesurer le monstre terrifiant, insaisissable, aux multiples tentacules et effets directs, indirects au second et troisième degré, qu’il a réveillé en instituant un embargo sur le pétrole iranien (décision US fin décembre 2011, décision UE le 23 janvier 2012). Bien entendu, le fait que l’Iran est un important pays producteur (quatrième du monde) joue un rôle important (bien que la position de l’Iran comme exportateur soit moins significative). Mais surtout, l’on découvre (?!) qu’une mesure de restriction du commerce, assortie par automatisme législatif (aux USA) de mesures de restrictions secondaires, sur un facteur aussi fondamental que l’énergie, entraîne une cascade d’effets incontrôlables, dans tous les sens, qui entraînent, dans cette économie globalisée comme l’a voulue le bloc BAO, des conséquences également globales de déstabilisation économique et politique. C’est la loi du genre, celle de la globalisation, présentée comme un “ordre mondial” et qui recèle en vérité tous les ingrédients d’un “désordre mondial” en raison de l’interpénétration des pouvoirs de différentes natures, souvent antagonistes dans une économie à la fois ultra-dérégulée, à la fois manipulée par des intérêts économiques et politiques, à la fois lourdement influencée par des législations nationales de pays agissant comme bras armé de leur établissement financier (les USA, certes).

Les Iraniens ont bien interprété la dernière décision des USA d’exempter onze pays de l’obligation d’appliquer les nouvelles sanctions en écartant des mesures de rétorsion contre eux. Pour eux, c’est “une mesure de retraite” des USA, selon un parlementaire iranien, président de la Commission parlementaire sur la sécurité nationale et la politique extérieure. (Les onze pays : le Japon et dix pays de l’UE.) Alaeddin Boroujerdi ajoute que l’UE serait bien avisée de suivre la voie ouverte par les USA, en adoptant des mesures similaires “de retraite”. Les commentaires de PressTV.com, le 22 mars 2012.

«A senior Iranian lawmaker says Washington’s recent decision to exempt 11 countries from the new sanctions against Iran shows the United States is in “overt retreat” from its earlier stance on the Islamic Republic.

»“Regarding the Islamic Republic’s firm stance, the [US] move is an overt retreat from the United States’ previous stance,” said Chairman of the Majlis Committee on National Security and Foreign Policy Committee Alaeddin Boroujerdi on Wednesday. He added that the statement was a “respectful retreat” from the European Union’s decision to impose an oil embargo on Iran, ISNA reported. “They are probably hopeful that the decision will have an impact on soaring oil prices in the world and that it will enable them to put a cover on the EU’s unsuccessful and failed policy of imposing sanctions on Iran's oil sector,” he emphasized. […]

»The EU could take a wise measure if it also follows up the US retreat from its stance against Iran, the legislator said, adding that the 27-member bloc can save itself from more serious crises that it might face in the future.»

• Le même 22 mars 2012, Russia Today annonce qu’à la suite de l’annonce des pays “‘dispensés” de se soumettre aux sanctions, Washington a diffusé la liste des douze pays qui, eux, ne sont pas “dispensés”, et qui seront donc punis pour enfreindre l’embargo US par des interdictions d’accès au système financier US. Il s’agit de douze pays, dont d’importants pays du BRICS (l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde).

«The US State Department has revealed the list of 12 countries which may be subjected to American financial sanctions for failing to cut oil imports from Iran. […] Four of the countries on America’s anger list are among top 100 buyers of Iranian crude. They are China, India, South Korea and South Africa, with the first two being the two largest buyers. Also targeted by possible financial sanctions are Indonesia, Malaysia, Pakistan, Philippines, Singapore, Sri Lanka, Taiwan and Turkey.

»US President Barack Obama may order banks based in those countries and involved in oil trade with Iran to be cut off America’s financial system. On the other hand, he may exempt some of them from sanctions, if US national security demands it. So America’s allies like South Korea or Pakistan may dodge repercussions…»

Dans la même dépêche, la réaction de la Chine est mise en évidence, marquée par une insatisfaction qui fait penser que les Chinois prennent cette affaire très au sérieux et tiennent les USA pour complètement irresponsables dans leur comportement. «Meanwhile China on Thursday slammed America’s pressure on Iran’s trading partners following the exemption of Japan and European countries from penalties. The People’s Daily, the official newspaper of the ruling Communist Party, called the US policy misguided and selfish. “One stand-out feature of unilateralism is this: that one's own rules become the world's rules. Everyone must respect them, and if you don't, then you will be punished,” the paper said in a commentary.»

• Le Venezuela est, de son côté, entré dans le jeu au niveau technique des échanges pétroliers, en tant que gros producteur et gros exportateur, mais aussi en tant qu’adversaire des USA bien entendu. Pour cette fois, l’intervention n’est pas de Chavez mais de Rafael Ramirez, son ministre du pétrole et président de Petroleos Venezuela (PDVSA), la société nationalisée exploitant le pétrole au Venezuela. Ramirez estime que l’embargo menace la stabilité du prix du pétrole et devrait être un sujet de discussion majeur au sein de l’OPEP. Pour ajouter à la clarté du débat sur la question de l’embargo, où les USA ordonnent (ordonnaient) aux autres, exportateurs de pétrole iranien, de trouver une source alternative chez les Saoudiens, Ramirez précise que c’est “un mythe” d’espérer une source alternative de pétrole dans le Golfe, pour remplacer les exportations iraniennes bloquées… (PressTV.com, le 21 mars 2012.)

«Speaking to reporters during a visit to Venezuela’s oil-rich area along the eastern Orinoco river basin on Wednesday, Rafael Ramirez noted that Iran sanctions are “a direct aggression on an oil producing country.” The minister warned that the “threat" against Iran should not be taken lightly by other OPEC members, AFP reported. He stated that oil prices are currently responding to events beyond the control of the organization (OPEC), whose member countries account for about 30 percent of global crude oil output.

»Ramirez, […] emphasized that it was a "great myth" that Persian Gulf oil producers could make up for the loss of Iranian crude by increasing production. He said OPEC will assess the level of member compliance with the organization’s production quota at its next meeting...»

Autrement dit et pour revenir sur le propos d’introduction, nous sommes en pleine globalisation, où toutes les “armes économiques” (sanctions, embargo) portant sur des matières fondamentales dont le commerce est impératif pour la marche de notre système économique se trouvent confrontées à des tensions contradictoires, à des interférences sans nombre, etc., à mesure de l’importance de la chose. Aucun autre ensemble de mots que “désordre et chaos” n’a sa place, dans une situation devenue si complexe que même les partenaires entre eux (USA et UE, principalement) ne savent plus quels seront les effets sur eux d’une décision prise par l’un ou l’autre, ni même les effets immédiats, d’ores et déjà en route. Les USA eux-mêmes ont une peine infinie à évoluer en bonne compréhension dans l’imbroglio bureaucratique qu’ils ont généré dans cette affaire, selon les pesanteurs habituelles du Système : un grand nombre d’agences et de départements sont concernés par une véritable “bureaucratie des sanctions” qui s’est spécifiquement constituée ces vingt dernières années, qui constitue une sorte de corps organique tendant à l’autonomie mais ayant pourtant, par le fait, une constitution “trans-structurelle” qui lui donne une spécificité anarchique et compétitive à l’intérieur d’elle-même.

Cette pesanteur est confrontée à la volatilité bien connue des marchés, et à la spéculation systématique habituelle qui est désormais en marche et qui fait du prix du pétrole l’otage de pressions et de tensions dont la cause et les effets sont complètement hors de tout contrôle. La démarche “sélective” US, pour ce qui est de l’exemption des “punitions“ contre les pays qui ne respectent pas l’embargo, qui sont essentiellement européens, est évidemment faite pour tenter de ne pas trop entraver ce qui est perçu à Washington comme l’entame d’un “redressement” économique de l’Europe, auquel les USA ont en partie intérêt pour réduire les conséquences sur leur propre économie de la crise européenne ; cela, tout en ne s’empêchant pas de manœuvres contraires pour tenter d’accentuer un avantage supposé sur l’Europe. Là aussi, des mécaniques contradictoires sont à l’œuvre, toutes marquées par leur caractère insaisissable, sinon très mal identifié.

A cette situation “objective” de “désordre et de chaos”, on ajoutera la politique iranienne qui prévoit, sinon exerce (là aussi, le flou est de rigueur) des embargos volontaires sur certains pays qu’il considère comme “ennemis”. A quoi serviraient les mesures d’exemptions US vis-à-vis des pays européens qui les autorisent de facto à continuer à commercer (pétrole) avec l’Iran, si l’Iran décidait unilatéralement de ne plus commercer avec eux ? Au contraire, nommer dix pays de l’UE ainsi exemptés, c’est donner à l’Iran, aimablement, la liste des pays de l’UE qui sont les plus vulnérables à la cessation de livraison de pétrole, et une voie de plus pour défier le bloc BAO là où lui-même désigne ses faiblesses. A côté de cela, le ministre vénézuélien Ramirez a confirmé ce qui apparaît de plus en plus clairement, savoir que l’Arabie (qui finance Al Qaïda de la Libye à la Syrie, en passant par les appartements toulousains, pourquoi pas) n’est pas disposée à faire de gros efforts pour compenser la perte de pétrole iranien, si même elle peut les faire. Et l’on voit que le Venezuela veut porter cette affaire au sein de l’OPEP, dont la règle théorique a toujours été de défendre tous les pays de l’association contre des pressions extérieures d’embargo ou autre touchant le commerce du pétrole. Sur ce dernier chapitre, nous sommes déjà dans le domaine politique.

…Et nous poursuivons dans ce domaine politique en revenant aux mesures annoncées par les USA. En divisant leur politique entre “bons” et “méchants” par rapport aux sanctions indirectes qu’ils doivent prendre contre ceux qui violent l’embargo, les USA instituent une grave posture antagoniste contre des pays importants, qui sont désignés d’une façon encore plus agressive, a contrario, comme cibles de leur vindicte : la Chine et l’Inde, particulièrement. Poussés par cette intransigeance US, les Indiens, pourtant peu inclinés à un grand courage politique, sont de plus en plus conduits à affirmer une position politique de refus des pressions US, et s’organisent désormais pour poursuivre leur commerce avec l’Iran, en fonction de cet environnement hostile de la part du bloc BAO, et d’une façon qui apparaîtra de plus en plus comme hostile au bloc, quoi qu’en veuillent les uns et les autres. Outre l’effet immédiat de la chose, on peut commencer à envisager que cette affaire dégradera très sensiblement les relations des USA avec l’Inde (et aussi, avec la Chine bien sûr, qui prend une position de plus en plus violemment critique de la politique du bloc BAO). Cette situation affectera également les relations de ces deux pays avec l’UE. D’une façon générale, c’est aggraver une situation générale où l’Inde et la Chine, par leur puissance, sont pourtant, paraît-il, des partenaires incontournables des pays du bloc BAO en crise. Habile diplomatie...

Ainsi le fait même des sanctions contre l’Iran, avec leurs effets directs, indirects, et antagonistes entre eux et entre les divers acteurs, est en train de se constituer en une crise spécifique, complètement indépendante de la crise iranienne mais engendrée par un phénomène de chaîne crisique, une crise qui va vivre de plus en plus sa vie propre et s’inscrire dans la “crise haute” qui ne cesse d’étendre son empire sur les relations internationales. Cette crise va de moins en moins dépendre de l’action conduite ou non contre l’Iran et va avoir très rapidement, si elle ne les a déjà, des caractères complètement indépendants de cette action, et qui seraient exacerbés bien entendu si cette action devait s’aggraver et se transformer en hostilité. Ce phénomène est remarquable et illustratif du processus du Système surpuissance-autodestruction : pour tenter de prendre l’avantage dans une crise en cours, on crée une autre crise, d’abord appendice logique de la première, bientôt de plus en plus détachée de celle-ci et dévastatrices pour le Système lui-même, et apparaissant à cet égard comme un acte gratuit et aveugle dans le sens de l’autodestruction. On ajoutera l’ironie du fait qu’à la base de la l’action de cette crise se manifestent des attitudes politiques intérieures des deux composants du bloc BAO marquées par la dissimulation, la manœuvre vicieuse, l’impuissance et le tribut rendu aux apparences de communication (vis-à-vis de la cause sacrée d’Israël menacé, comme nul ne l’ignore, d’annihilation)… Les USA sont engagés dans cet imbroglio kafkaïen des sanctions pour tenter de contenir à bout de bras la fureur belliciste d’Israël, notamment à cause des intérêts électoraux du président Obama, et à cause des pressions du Congrès qui a sa propre politique maximaliste, notamment au niveau législatif. L’UE poursuit une politique ultra-dure de sanctions pour tenter d’empêcher une attaque de l’Iran par les USA, selon une autre “lecture” des perspectives de la crise ; en même temps, elle (l’UE) expose des divisions internes révélatrices et dévastatrices entre les “modérés” et les “durs”. Ces “durs” comprennent évidemment les trois “grands” inspirateurs de l’Europe (UK, France, Allemagne), plus, paraît-il, un Danemark dont on ignore ce qu’il fait dans cette galère ; et l’on rapporte que certains d’entre ces “durs”, dont l’inénarrable France de Sarko-Juppé bien entendu, veulent même, en plus des pressions sur l’Iran, “punir la Russie” pour sa position dans cette affaire. L’on imagine la satisfaction de l’Allemagne sur ce point, et les promesses qu’une telle proposition ferait se réaliser dans les relations entre l’Europe et la Russie, notamment, – nous ne sommes pas à une contradiction schizophrénique près, – pour la France qui voudrait par ailleurs “préserver” ses propres relations, si importantes comme chacun sait, avec la susdite Russie.

Si tout cela ne ressemble pas à un énorme monstre, un énorme Frankenstein des relations diplomatiques… On ignore si l’attaque surprise contre l'Iran annoncée depuis sept ans aura lieu, mais on peut mesurer les extraordinaires ferments de déstabilisation et de dissolution qu’elle a déjà semés avant d’avoir lieu, et qui fleurissent allégrement dans ce somptueux printemps de 2012. Bientôt, il sera acté qu’il n’est pas nécessaire d’attaquer l’Iran pour obtenir le “désordre-chaos” qu’une attaque contre l’Iran est censée risquer d’engendrer.


Mis en ligne le 22 mars 2012 à 06H36

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