Les “vieux sages” se rebiffent

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Les “vieux sages” se rebiffent

Il est vrai que surnommer Kissinger “vieux sage” a de quoi hérisser le poil de certains, – “vieille crapule”, cela lui va tellement mieux ; il n’est pas faux que faire de Gorbatchev un “vieux sage“ peut aussi choquer ceux qui le surnommeraient plutôt “vieux naïf”, sinon “vieux traître”, – pour avoir fait exploser l’empire soviétique au profit de l’Occident via Eltsine et sa bouteille de vodka. Pourtant, nous nous en tenons là, c’est-à-dire à leur expérience, à leur maîtrise de la diplomatie d’État, à leur connaissance des réalités politiques, à la nécessité de ne pas s’en conter à soi-même ; “vieille crapule” et “vieux traître”, si l’on veut, mais des caractères, c’est-à-dire une connaissance indubitable et une expérience à mesure de ce dont ils parlent avec la volonté de nourrir leur jugement de cette connaissance et de cette expérience ... Car ils parlent de l’Ukraine, de la Russie, et surtout du traitement que le bloc BAO applique à la Russie.

• Kissinger, c’est la dernière intervention en date. Habile, la “vieille crapule” de 91 ans a choisi le Spiegel pour développer son point de vue, confiant dans le fait que 99% des habitués de la High Society de Georgetown n’en sauront rien, puisque pour eux les contours du monde connu et civilisé s’arrêtent au Potomac et à House of Cards. Quant à la politique du Spiegel, truffé de journalistes régulièrement stipendié par la CIA, SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel) compris, elle est de ne pas faire savoir à sa main droite ce que sa main gauche va écrire ; c’est “bordel-sur-le-Potomac” transféré à “bordel-sur-la-Spree” ... Dans tous les cas, pour le contenu des déclarations de Kissinger, à en croire RT le 10 novembre 2014...

«Former US Secretary of State Henry Kissinger has given a chilling assessment of a new geopolitical situation taking shape amid the Ukrainian crisis, warning of a possible new Cold War and calling the West’s approach to the crisis a “fatal mistake.” The 91-year-old diplomat characterized the tense relations as exhibiting the danger of “another Cold War.” “This danger does exist and we can't ignore it,” Kissinger said. He warned that ignoring this danger any further may result in a “tragedy,” he told Germany’s Der Spiegel.

»If the West wants to be “honest,” it should recognize, that it made a “mistake,” he said of the course of action the US and the EU adopted in the Ukrainian conflict. Europe and the US did not understand the “significance of events” that started with the Ukraine-EU economic negotiations that initially brought about the demonstrations in Kiev last year. Those tensions should have served as a starting point to include Russia in the discussion, he believes. “At the same time, I do not want to say that the Russian response was proportionate,” the Cold War veteran added, saying that Ukraine has always had a “special significance” for Russia and failure to understand that “was a fatal mistake.”

»Calling the sanctions against Moscow “counterproductive,” the diplomat said that they set a dangerous precedent. Such actions, he believes, may result in other big states trying to take “protective measures” and strictly regulate their own markets in future. When introducing some sanctions or publishing lists of people whose accounts were frozen one should wonder “what will happen next?” the former Secretary of State said rhetorically, because when something begins you cannot lose sight of where it is going to end.»

• Puisque nous sommes dans RT, office de propagande monstrueuse comme chacun sait, poursuivons le cœur léger. Nous savons qu’il nous reste Libération, BHL et Anne Applebaum pour nous ressourcer et renaître à la vertu de la Vérité-BAO/Système. Il s’agit du texte concernant l’allocution de Mikhaïl Gorbatchev, 82 ans, au symposium solennel tenu à Berlin pour saluer le quart de siècle de la Chute du Mur. Notre petit doigt nous a confié que les officiels allemands étaient furieux après le discours de Gorbatchev, – du style “mais ce n’est pas du tout ce que nous voulions qu’ils disent”... Ainsi les vieilles lunes elles-mêmes échappent-elles au contrôle du Système, au nom des libertés sociétales qui assurent les “aujourd’hui-qui-chantent” de la postmodernité. Puisqu’il y a le “mariage pour tous”, l’affirmation des féministes et ainsi de suite, il était inévitable, et bienvenu après tout, que le troisième âge s’émancipât et nous ressortît quelques vieilles et bonnes vérités de situation des temps jadis. (RT, le 8 novembre 2014.)

«Western policies toward Russia championed by Washington have led to the current crisis, and if the confrontation continues, Europe will be weakened and become irrelevant, former Soviet leader Mikhail Gorbachev warns. Speaking to a forum in Berlin amid the celebration of the 25th anniversary of the fall of the Berlin Wall, he called on western leaders to de-escalate tensions and meet Russia halfway to mend the current rift.

»After the Cold War ended, the leaders of the western world were intoxicated with euphoria of triumph, and they adopted anti-Russian policies that eventually led to the current crisis, Gorbachev said. “Taking advantage of Russia’s weakening and a lack of a counterweight, they claimed monopoly leadership and domination in the world. And they refused to heed the word of caution from many of those present here,” he said. “The events of the past months are consequences of short-sighted policies of seeking to impose one’s will and fait accompli while ignoring the interests of one’s partners.”

»Gorbachev gave a list of examples of those policies, including the expansion of NATO and the development of an anti-ballistic missile system, military interventions in Yugoslavia and Iraq, the west-backed secession of Kosovo, the crisis in Syria and others. The Ukrainian crisis is a “blister turning into a bleeding, festering wound,” he said.

»Europe is the one suffering most from the situation, Gorbachev said. “Instead of becoming a leader of change in a global world Europe has turned into an arena of political upheaval, of competition for the spheres of influence, and finally of military conflict. The consequence inevitably is Europe’s weakening at a time when other centers of power and influence are gaining momentum. If this continues, Europe will lose a strong voice in world affairs and gradually become irrelevant,” he said.

»What needs to be done is for the west to tone down its anti-Russian rhetoric and seek points of convergence, Gorbachev said. He added that his own experience in the 1980s showed that much worse and seemingly hopeless conflicts can be resolved, granted there is the political will and a right setting of priorities. He assured the forum that the Russian leadership was willing to do its part, as evidenced by President Vladimir Putin’s keynote speech at the Valdai Forum.“Despite the harshness of his criticism of the West and the United States in particular, I see in his speech a desire to find a way to lower tensions, and ultimately to build a new basis for partnership,” Gorbachev said.»

On ajoutera, pour le fun et pour l’ironie de l’histoire, la remarque de Kissinger selon laquelle l’Allemagne ne joue pas le rôle de première puissance européenne (merci pour la France, mais à juste titre) qu’elle devrait tenir, – c’est-à-dire en nuançant son opposition à la Russie pour pouvoir amorcer le rapprochement nécessaire entre cette puissance et l’Union européenne. Le propos est succulent, de la part d’une “vieille crapule” qui sait mieux que personne dans quels liens d’allégeance les USA tiennent une Allemagne transie de trouille à l’idée de la moindre déviance de la ligne transatlantique. Une grande puissance européenne de la sorte, on peut s’en passer malgré l’effet qu’elle produit dans les salons parisiens du temps courant... Quant à Gorbatchev, son attaque directe contre le système, ou plutôt le non-système de sécurité européen, entre l’OTAN et la PESC de l’UE qui ne cessent de favoriser l’expansionnisme antagoniste du bloc BAO, rappelle la nostalgie qu’il a de sa proposition d’une sécurité basée sur le concept de “la maison commune européenne”, revivifiée par la proposition russe de Medvedev d’octobre 2008 d’une sécurité collective européenne, qui n’intéressa personne dans le bloc BAO, – sauf Sarko, pendant un gros mois. Le bon sens est largement exprimé depuis un quart de siècle entre ces deux propositions russes et tout ce que fait le bloc BAO est de le traîner en ridicule en opérationnalisant ses pitreries ukrainiennes. (Gorbatchev : «Over the longer term, the system of European security must be reformed, because the enlargement of NATO and the current EU common defense policy have failed to produce positive results, Gorbachev said. This would likely require an overhaul of the OSCE, which in its current format is not up to the task, he said, while proposals to that effect have been voiced by policymakers both in the EU and in Russia, but they had been “filed away in the archives.”»)

Il faut dire que les interventions de Kissinger et de Gorbatchev, en général accueillies par un silence glacial dont la presse-Système a le secret, sont de la sorte à figurer dans un courant de communication qui menace constamment de rupture la narrative du bloc BAO. On parle bien d’une “rupture”, et non pas de nuances, ou de corrections, dans la mesure où ces deux hommes, reconnus chacun à leur façon et chacun avec leurs qualités et leurs défauts comme des autorités dans le domaine de la politique diplomatique et stratégique, proposent un discours fondé sur un constat similaire caractérisant le courant de communication en question, qui est l’exact contraire du credo du bloc BAO : la responsabilité originelle de la crise toute entière ne peut être imputée qu’au bloc BAO. Cette convergence des deux discours de représentants des deux blocs du temps de la Guerre froide constitue une grave menace du point de vue du système de la communication. Il est difficile avec Kissinger et Gorbatchev de parler de “propagande”, aussi bien que d’une crédulité née de l’absence d’expérience. Ainsi, les seules armes sont-elles le silence glacé, marque du repli cadenassé et verrouillé dans l’imaginaire de la narrative, ou le persiflage du type Petit Journal de Canal+ qui produit un effet instantané de une à deux minutes amené à se dissoudre rapidement dans les secondes qui suivent. Le problème de la narrative d’aujourd’hui, face aux deux “vieux sages” de circonstance, c’est qu’elle n’a rien de sérieux à leur opposer dans la catégorie où ils évoluent. Aucun acteur sérieux de la Guerre froide ne peut leur opposer une réplique indiscutable développant une logique qui entérinerait absolument la narrative en cours. Même un Brzezinski développe un discours ambigu, mêlant d’incroyables emportements pro-Kiev bien dans sa nature de Polonais d’origine, qui portent souvent sur des observations tactiques, et des raisonnements qui retrouvent la logique stratégique de la Guerre froide et une appréciation de la situation qui n’est pas si éloignée de celles des Kissinger et Gorbatchev. (Voir, notamment, notre texte du 3 mai 2014 sur des interventions écrites de Brzezinski.)

Cette absence totale de caution historique de la narrative du bloc BAO, – et pour cause, – constitue un terrible handicap pour cette démarche, en proclamant, derrière les affirmations officielles et les développements-Pravda de la presse-Système, continuellement comme une basse continu : “le roi est nu”. La fragilité, aujourd’hui, est du côté du Système, face aux vieillards chargés d’expérience du temps de la Guerre froide.


Mis en ligne le 11 novembre 2014 à 12H32

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