Le JSF n'a pas prévu la cyberguerre

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Le JSF n'a pas prévu la cyberguerre

Le JSF, qui fut in illo tempore, la merveille du XXIème siècle, se distingue aujourd’hui par une capacité extraordinaire à rassembler sur lui tous les défauts, toutes les faiblesses, tous les handicaps de la modernité et de la technologie postmoderniste. Lisant le titre de l’article de Sydney J. Freedberg Jr., que AOL.Defense publie le 15 mai 2012 : Cartwright Targets F-35…», nous pensions qu’il s’agissait de nouveautés sur le prix (le coût, évidemment en augmentation), les incapacités techniques, le retard de livraison, etc. Il n’en est rien, puisqu’il s’agit d’une nouvelle faille dans le concept du JSF, qui vaut d’ailleurs à la condition que le JSF “marche”, – ce qui est si loin d’être acquis… Par conséquent, il faut que le JSF “marche” pour qu’il expérimente un nouveau risque gravissime.

Le constat est assez nouveau et certainement original. Il vient du général Hoss Cartwright, vice-président du Comité des Chefs d’Etat-Major jusqu’en août 2011, qui faillit être nommé président de cet organisme qui représente l’équivalent d’un Etat-Major général interarmes. Cartwright, général du Corps des Marines, est réputé comme l’un des plus fins stratèges de l’armée US. L’extrait qui concerne le JSF vient d’un discours où il a passé en revue plusieurs aspects de la situation des forces armées US, d’un œil très pessimiste, tant du point de vue budgétaire (le Pentagone va subir des réductions budgétaires supplémentaires d’au moins $250 milliards et sans doute au-delà), que du point de vue de l’état des forces et des conceptions qui les orientent. Son jugement sur le JSF, qui est rapporté ci-dessous, fait partie d’une appréciation de nouveaux dangers qui menacent techniquement et technologiquement des forces US déjà très affaiblies.

Le texte dont on a tiré cet extrait est un compte-rendu d’une conférence donnée le week-end dernier par Cartwright, dans le cadre de la Joint Warfighting Conference, organisée conjointement par le US Naval Institute et le groupe industriel AFCEA. )

«Cartwright fears the Pentagon's most expensive program, the F-35 Joint Strike Fighter, might prove to be as vulnerable to enemy hackers as the old under-armored Humvees were to roadside bombs. “We built the F-35 with absolutely no protection for it from a cyber standpoint,” he said. Just as historical aircraft used to have an “EMCON Switch” – short for “emissions control” – that could turn off all electronic transmissions from the aircraft when it needed to avoid detection, Cartwright said, today's aircraft need a switch that shuts off all the electronic apertures through which they can potentially receive transmissions, lest electronically savvy enemies hack into them. “As a guy who spends his life on the offensive side of cyber, every aperture out there is a target,” Cartwright said.

»“There is a nexus coming between electronic warfare and cyber,” between traditional electronic jamming and countermeasures and new-fangled hacking, Cartwright concluded. “One knocks the door down and the other goes in and does the dirty work.” The current turf wars between the electronic warfare and cybersecurity communities miss the vital point, he said. In the cyber realm, “we've been thinking 90 percent defense, 10 percent offense. That's bass-ackwards for us,” he said: We need to stand ready to seize the electromagnetic offensive.»

Le problème qu’expose le général Cartwright est l’absence de lien dans la structure de guerre US entre la guerre électronique et la cyberguerre. La guerre électronique selon les conceptions US est une appréciation strictement opérationnelle qui n’envisage que des situations d’agression directe dans un contexte de conflit brutal, qui n’intervient que dans une guerre conçue essentiellement selon le système du technologisme et la brutalité qu’il suppose. (Par exemple, la guerre électronique définie par des situations telles que les émissions des ondes radar pouvant aider au guidage de missiles sol-air vers l’avion émetteur et le détruire, ou, au contraire, l’attaque et la destruction de sites sol-air en guidant les missiles air-sol sur les émissions de radar du sol, les diverses actions de brouillage afférant à ces situations, etc.) L’intervention de la cyberguerre se fait dans des conditions absolument différente : il n’y a pas d’agression brutale, destructrice, pas de situation “opérationnelle” dans le sens brutal du mot à proprement parler, mais la rechercher d’une intrusion, d’une ouverture dans un système (le JSF dans ce cas, parangon du système de systèmes électroniques et informatiques), par laquelle l’action de cyberguerre est déclenchée avec la pénétration du système, son infection, sa manipulation, etc.

La révélation de Cartwright selon laquelle le JSF n’a aucune protection contre ces “agressions douces” montre combien la pensée US est complètement orientée vers le technologisme (système du technologisme), engendrant des actions de force et des actions brutales (guerre électronique), et nullement vers la communication (système de la communication), engendrant des actions beaucoup plus subtiles et élaborées, avec l’avantage que ces actions peuvent également être tenues dissimulées et activées à un moment donné, au gré du manipulateur. Il semble que cette pensée US ne conçoit la cyberguerre que dans le seul domaine de l’affrontement de communication, surtout pratiqué par les services de renseignement et les divers appendices du domaine.

C’est d’abord aux Chinois que pense le Pentagone lorsqu’il découvre, à l’image de Cartwright parlant du JSF, les possibilités des interférences de la cyberguerre dans divers domaines. Ce même Pentagone vient de publier un rapport sur l’activisme chinois à cet égard (PressTV.com le 18 mai 2012) : «A new Department of Defense report warns that not only is China responsible for many of the cyber attacks on U.S. military computer systems, but that the country continues to launch cyber operations that threaten the U.S. economy as well, making the Chinese “the world’s most active and persistent perpetrators of economic espionage.”» Il est d’ailleurs quasiment acquis que les Chinois ont déjà pénétré le programme JSF, dans un sens dévastateur (voir le 6 février 2012), ce qui indique que l’infrastructure technologique et industrielle du programme est aussi vulnérable que l’avion lui-même.

En plus des Chinois, on peut penser que les Russes eux-mêmes sont avancés dans cet art de la cyberguerre comme outil soft de neutralisation de l’électronique de la guerre brutale du technologisme, et sans doute les Iraniens avec eux, si l’on admet que la “capture” du RQ-170 est aussi bien le fruit d’une coopération entre Russes et Iraniens, dans une sorte de “cyber-G4G”. Enfin, il y a simplement les hackers comme le mentionne Cartwright, y compris les gens d’Anonymous qui proclament qu’ils sont les “maîtres du monde”. Ainsi, parallèlement au général Cartwright qui nous fait découvrir que le principal système d’armes aérien des USA au XXIème siècle est dépourvu de défense contre cette menace à laquelle les soi-disant “maîtres de la communication” que sont les USA n’ont pas pensé, autant le FBI contre les hackers, que la NSA d’une façon générale jugent le système de la communication US comme actuellement indéfendable. Quant à l’idée qu’il faudrait doter un avion tel que le JSF d’un mode “EMCON Switch” fermant toutes les “entrées” du système par lesquelles pourrait pénétrer une agression de cyberguerre, on n’ose penser aux effets que cela aurait sur un programme déjà totalement à la dérive et confronté à des kyrielles de problèmes de fonctionnalité dus autant à sa complexité qu’aux vices inhérents à la conception originelle, et aux blocages technologiques constatés. Le constat qu’on peut proposer ici est qu’il ne s’agit de rien d’autre que de la prépondérance que le système de la communication, dans sa version Janus dans ce cas (puisque les USA sont acquis au Système), est en train d’affirmer sur le système du technologisme.

…Mais, bien entendu, les machinistes du système de l’américanisme ont une botte secrète, dans tous les cas pour ce qui concerne le JSF. Ce superbe système qu’on découvre brusquement vulnérable jusqu’à l’extrême, garde dans sa manche, comme une botte secrète, une situation également extrême d’invulnérabilité : s’il ne vole pas, s’il s’abîme dans l’effondrement complet comme on le voit évoluer, qui pourra encore quelque chose contre lui ?


Mis en ligne le 19 mai 2012 à 22H43

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