De la vertu pédagogique de la gloire de Poutine

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De la vertu pédagogique de la gloire de Poutine

Nous observons que divers articles sont écrits aujourd’hui sur le bilan de l’année d’action diplomatique et politique du président russe Poutine, tous pour mettre en évidence sa réussite et sa maîtrise remarquables. Il est manifeste que ces articles se placent dans la dynamique menant à la désignation du Prix Nobel de la Paix, pour lequel un groupe de personnalités russes a officiellement proposé le nom du président (voir Russia Today, le 1er octobre 2013).

On citera pare exemple l’analyse d’Alexandre Latsa, du 27 novembre 2013. On dira aussitôt que d’autres commenteront aussitôt que l’appréciation d’un Latsa, dont on connaît les engagements, n’apporte rien de nouveau pour ce qui concerne le statut de Poutine. Sans doute, même si un commentaire de Latsa reste objectivement toujours intéressant et enrichissant, et qu’il l’est effectivement dans ce cas. Plus singulier, alors, apparaît l’article du Washington Times du 28 novembre 2013, sans sollicitation particulière de l’actualité. Le Washington Times est connu pour être proche des neocons, lesquels ne sont pas vraiment des amis de Poutine.

«President Vladimir Putin is giving proof to the proverb, “Nothing succeeds like success.” Since facing massive protests last winter, he has stifled nearly all domestic dissent and implemented widely criticized anti-gay laws as Russia prepares to host the 2014 Winter Olympics in Sochi.

»He has put the brakes on Ukraine signing a free-trade and political association deal with the European Union, and persuaded Syria to allow international inspections of its chemical weapons. He met this week with Pope Francis before the “leader of the free world” — President Obama — could secure an audience with the rock-star pontiff. He even has been awarded a ninth-degree black belt in taekwondo — a level higher than that of action movie icon and all-around tough guy Chuck Norris.

»Voted Forbes magazine’s most powerful person in the world (supplanting the now No. 2 Mr. Obama), Mr. Putin, 61, has not ruled out a fourth presidential term that could see him remaining in the Kremlin until 2024. “Right now, there are no visible threats for Putin, either at home or in the international arena,” said Fyodor Lukyanov, the well-connected editor of the journal, Russia in Global Affairs. “This has been a very good year for Putin indeed.”»

Reconnaissons tout de même au Washington Times qu’il a assuré le “minimum syndical” en introduisant, pour détendre l’atmosphère, l’un ou l’autre dissident anti-Poutine avec des déclarations fracassantes du type de celle de Mr. Piontkovski, dit-opposition analyst : «A crisis is coming. But when, no one can say. It could be in the next five days, or in five years’ time» (également et pour poursuivre, “cela pourrait se produire dans les 50 prochaines années”, etc.). Dans la même veine que le Washington Times, on remarquera que Poutine est aujourd’hui bien vu, par exemple, sur nombre de sites US de l’ultra-droite chrétienne, en général anticommuniste et anti-KGB de père en fils même mille ans après la fin du communisme et des legs divers dont Poutine devrait faire partie ; et cela, cette attitude favorable, notamment à cause de l’attitude de protection adoptée par la Russie vis-à-vis des minorités chrétiennes exposées, notamment en Syrie. (Les chrétiens de Syrie considèrent aujourd’hui la Russie comme leur principale force protectrice [The Voice of Russia, le 16 octobre 2013].) C’est le site NewsMax de cette tendance qui signale le 21 novembre 2013 la rencontre du président russe avec le pape François, le 25 novembre (avant Obama, qui aurait voulu être le premier “grand leader” à rencontrer le “pape rock’n’roll” comme les milieux de la communication nomment ce pape si populaire, – cela ajoutant encore à la gloire de Poutine) ; rencontre sérieuse, avec comme principal sujet “opérationnel” le sort des chrétiens de Syrie...

«That Putin sees Christians as a key factor in maintaining regional stability is not lost on the local people. Last month, around 50,000 Syrian Christians applied for Russian citizenship and the Kremlin is seriously considering their request. The letter of application had fulsome praise for Putin’s Russia, which they described as a “powerful factor for global peace and stability.” By contrast, they were critical of the West’s support for "terrorists," whose aim, they wrote, is “to eliminate our presence in our homeland.”

»A spokesman at the Moscow Patriarchate said the request was proof of the “great authority” Russia currently has in the Middle East, “particularly among the Christian minorities living in that area.” Archpriest Nikolaj Balashov, No. 2 at the Patriarchate’s Department for External Church Relations, pointed out that Russia’s support is not new in the region: For centuries, he said, “no other country would look after their interests in the same way Russia would.”»

On peut d’autre part entreprendre la litanie des distinctions de communication dont Poutine a été chargé, sinon accablé, dans les dernières semaines, et encore distinctions venues de la presse anglo-saxonne, à la manière du Washington Times, avec une certaine réticence mais tout de même incapable de résister à la popularité [également] “rock’n’roll” du président russe. Qu’il s’agisse de Forbes qui classe Poutine comme “homme le plus puissant du monde” (voir Russia Today, le 31 octobre 2013), ou bien de Time le plaçant dans la dernière liste de prés-sélectionnés du “Person of The Year” (voir International Business Time du 28 novembre 2013), en concurrence notamment avec Edward Snowden et Bachar el-Assad, et aussi avec Miley Cyrus, qui a fait une remarquable “performance” de provocation sexuelle, ou quelque chose du genre avec pénis artistiquement peint, etc., lors d’une émission TV aux USA. (Mais Miley Cyrus est largement en tête, selon les votes des lecteurs de Time jusqu'ici, ce qui amorce tout de même un redressement bienvenu de nos “valeurs”.)

D’une façon plus haute et moins marquée par l’opérationnalité de la communication, le commentateur Fédor Loukianov tente, le 29 novembre 2013 (Novosti), d’expliquer le succès de la diplomatie russe et de Poutine. Ce texte est intéressant, aussi bien par l’exposition de points fondamentaux qui nous paraissent explicatifs de l’essentiel des situations, que ce soit l’importance des principes, que ce soit la supériorité des principes sur les “valeurs” prônées par le bloc BAO (voir pour notre compte le 23 septembre 2013, – et tout cela, sachant que nous reviendrons très rapidement sur ce texte de Loukianov qui comprend des ambiguïtés nécessitées par la situation, du plus grand intérêt)...

L’idée centrale de la diplomatie russe est bien entendu l’intégrité du principe de la souveraineté, explique Loukianov : «Cette tendance est derrière toutes les politiques internationales menées par la Russie : notamment sur les questions de “responsabilité de protection” – le droit des forces extérieures de s'ingérer dans les affaires intérieures en cas de violation des normes humanitaires. Le pays adopte ainsi une approche légaliste basée sur l’idée que tous les acteurs mondiaux doivent respecter le droit international à moins qu'il ne faille s'en écarter pour appliquer le premier principe – la souveraineté... [.. .]

»En fait ce genre d'opinions est propre à la tradition russe mais sous Vladimir Poutine, notamment après son retour au Kremlin en 2012, elles s’expriment sous une forme plus pure et complète. Il est persuadé que dans un contexte de chaos croissant au niveau mondial, seule la présence d'un appui permettra de survivre. Un appui réel si possible, soit fictif si tout se désintègre dans la réalité. Les approches classiques des relations internationales sont précisément appelées à remplir cette fonction...»

Loukianov développe les causes des succès de Poutine et de la Russie, qu’il résume dans une version anglaise du même texte à la rédaction différente (sur al-Monitor, le 22 novembre 2013) par ce simple constat sur “les autres” (c’est-à-dire les deux principales forces du bloc BAO, l’UE et les USA) : «But we have to recognize that the success of Russia is largely derived from the failure of others.» C’est là, effectivement, qu’on trouve la dimension pédagogique absolument objective du succès de Poutine et de la gloire, même parfois contrainte, qu’on lui reconnaît. (D’autres développements de Loukianov à partir de ce constat sont présentés dans son commentaire, sur lesquels nous nous réservons de revenir.) L’“échec des autres”, outre les tactiques et méthodes détaillées par Loukianov, c’est d’abord et c’est essentiellement, selon notre point de vue, une complète incapacité d’assumer les responsabilités fondamentales qu’impliquent les fonctions de chef d’État ou de gouvernement, selon les régimes, par rapport aux nations et aux groupes de nations qui sont sous leur direction selon un mandat populaire qui leur a été donné. La question des chrétiens de Syrie, qui est largement documentée, est un exemple particulièrement révélateur et absolument fondamental.

Nous parlons ici d’un réel point de vue objectif, sans référence religieuse spécifique et partisane, notamment en faveur de la spécificité chrétienne. On sait fort bien, dans tous les cas pour ceux qui se sont intéressés à la Deuxième Partie du deuxième tome de La Grâce de l’Histoire (voir deux textes du 20 juillet 2013 et du même 20 juillet 2013), que nous sommes loin de considérer l’aventure chrétienne comme un succès par rapport à son dessein fondamental naturel, et même que nous en sommes à la juger porteuse d’une lourde part de responsabilité dans le développement de la modernité. Mais là n’est justement pas le sujet puisqu'il est question d'une observation objective. Nous parlons de chefs d’État et de chefs de gouvernement (du bloc BAO) assumant des tâches temporelles immédiates et pressantes, où ils se doivent de manifester les influences constitutives et les principes fondamentaux structurant les nations et groupe de nations dont ils ont été chargés souverainement d’assumer le développement et la sécurité. Cette logique les rend comptables, même si l’un “bouffe du curé” pour être bien vu des salons et si l’autre ignore la signification du mot “principe” et confond le fait de l’“influence” avec le nombre de passages à la TV, de la défense des “influences constitutives et [des] principes fondamentaux”. Dans ce cas, la dimension chrétienne comme structuration doit être prise en compte, et cela implique un devoir de solidarité, dans le cas évoqué, avec les chrétiens de Syrie lorsque ceux-ci se font massacrer par des sauvages passionnés par le cannibalisme sur les corps de leurs adversaires préalablement décapités ou liquidés à la façon du NKVD de Staline. Pourtant, c’est le contraire qu’ils ont fait en applaudissant in fine au festin des cannibales, et c’est Poutine qui vient au secours des chrétiens de Syrie. En un mot qui est à peine jeu de mots, la messe est dite.

Poutine n’est pas un grand prix de vertu, et ce n’est pas ce qu’on lui demande. Le droitdel’hommisme l’irrite au plus haut point, et ce n’est pas ce que nous lui reprocherons. Il n’est pas nécessaire non plus de faire de lui un génie à la vision historique époustouflante. Simplement, il se tient droit et suit une logique principielle qui constitue en ces temps où l’on trouve autant d’éclairs au chocolat que de colonnes vertébrales pour en faire office, un cas à peu près unique. De ce point de vue, certes, Loukianov a raison et l’on peut volontiers le paraphraser  : «... the success of [Putin] is largely derived from the failure of others.»

De même, et toujours de ce même point de vue, nous serions fort proches de présenter l’hypothèse que la gloire actuelle de Poutine, même en des lieux de l’écrit fort inattendus pour cette célébration, souvent avec une irritation contre soi-même, souvent contre son gré ou disons “à l’insu de son plein gré” de la part de ces officiants inattendus, ressort essentiellement de la sourde et tragique réalisation que l’attitude de Poutine met tant en évidence la pathétique insignifiante de tous nos dirigeants, leurs visions faussaires, leur affaiblissement psychologique constant jusqu’à épouser tout ce qui fait subversion, ou, pour paraphraser l’expression tant affectionnée des salons, jusqu’à épouser tout ce qui fait contre-sens, prenant la bassesse pour de la hauteur, la veulerie du conformisme pour l’audace de la pensée, la manifestation de la supériorité écrasante de la force brute pour le courage sinon pour de l’héroïsme. Bref, la gloire de Poutine est un miroir qui est tendu au bloc BAO et, dans cette eau limpide un moment imposée, ils voient tous, inconsciemment, sans le réaliser pleinement mais en subissant brutalement le poids affreux du vice fondamental, la chute sans fin dans laquelle ils ont basculé.


Mis en ligne le 30 novembre 2013 à 14H18