La grâce de l’Histoire : Deuxième Livre (III)

La grâce de l'histoire

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La grâce de l’Histoire : Deuxième Livre (III)

20 juillet 2013 – Nous avons tenu nos lecteurs épisodiquement informés des spasmes, convulsions et autres agitations quasi-épileptiques qui caractérisent l’évolution de la structure de La grâce de l’Histoire. Ils savent désormais quoiqu’approximativement, nos lecteurs, que le volume unique de l’origine s’est scindé en trois “Livres”, ou “tomes”. (Voir notre “La grâce... Carnet de bord-1”, du 17 juillet 2013.)

Aujourd’hui, nous présentons la Deuxième Partie (en plus de l'Introduction, mis en ligne le 2 mars 2012) de ce qui est désormais le deuxième Tome de La grâce de l’Histoire. On a rapidement esquissé, lors de notre précédente intervention (présentation de la Première Partie de ce deuxième tome, le 15 février 2013), les circonstances dans lesquelles s’était imposée, in extremis, la nécessité de glisser une nouvelle Partie de notre récit, immédiatement après la Première Partie. Il s’agit effectivement de cette Partie nommée «La passerelle eschatologique et le Christianisme», que nous avions évoquée de cette façon :

«[...L]orsque s’est imposée, toujours au même auteur, une obligation inattendue de glisser... [...] une nouvelle partie destinée à éclairer et à approfondir à la fois le propos. Entre la partie consacrée à la Renaissance... [... ;] il s’agissait d’intercaler le survol d’une histoire du Christianisme, selon notre interprétation, pour mieux faire comprendre les mécanismes et le comportement psychologique se développant de la Renaissance à la rupture fameuse (1776-1825) du “déchaînement de la Matière”, et établir d’autre part l’hypothèse d’une “passerelle eschatologique” entre le XVIIème siècle, et notamment le Nouveau-Monde, et les temps métahistoriques présents où le “Nouveau-Monde” reste au centre de nos préoccupations.»

Effectivement, au départ, lorsque nous est venue l’idée de glisser cette partie entre celle de la Renaissance et celle du Siècle des Lumières, ou “siècle du persiflage”, nous la justifiions par un caractère descriptif du XVIIème siècle (surnommé par certains “le Grand Siècle de l’Intolérance”), que nous définirions par une sorte de “tentation eschatologique” dans le chef des mouvements religieux issus de la Renaissance, qui pouvait être liée au caractère descriptif qu’on pourrait relever dans notre époque de grande crise d’effondrement du Système. (Ainsi s’explique l’expression de “passerelle eschatologique” du titre.) Cela impliquait notamment, chez les religieux extrémistes les plus activistes (catholiques et protestants), une recherche de l’Apocalypse, également selon un état d’esprit qu’on retrouve aujourd’hui dans d’autres segments activistes de la population. Finalement, cette poussée fut contenue puis annihilée par une échappée humaniste, à partir de 1680, sous le magistère du Protestant Louis Bayle (converti au catholicisme, reconverti au protestantisme), qui développa un courant modéré, humaniste, ouvert et tolérant, sous le nom de “République des Lettres”. («La “République des Lettres”, ce chemin de Bayle ralliant à lui protestants modérés et libres parleurs, et catholiques raisonneurs et raisonnables, tous bons esprits et (encore) croyants sincères...») Ce mouvement fut parmi les inspirateurs directs du Siècle des Lumières, étant lui-même, du moins selon une approche conventionnelle sinon conformiste, une lumière qui éclaira in extremis “le Grand Siècle de l’Intolérance” à son crépuscule.

A partir de ce récit enfermé dans son temps, et interprété par nous bien entendu, il nous apparut qu’une extension à un historique du Christianisme contribuerait décisivement à justifier, à élargir et à hausser le propos, et à lui donner toute sa puissance. Ainsi le récit dans cette Partie s’allongea-t-il considérablement, en remontant dans le temps jusqu’aux origines historiques du Christianisme. D’une façon générale, cela nous permit de mieux structurer notre approche fondamentale du Moment-clef de notre conception (le “déchaînement de la Matière”). Pour nous, le Christianisme, dont l’origine spirituelle la plus haute est évidente, disposait des capacités de mener à bien une mission historique fondamentale, en haussant décisivement ce caractère historique au niveau métahistorique. Ce Moment est celui du “Temps des cathédrales”, au XIIème siècle essentiellement ; l’échec de la transmutation conduisit à la décadence et à l’affaiblissement du Christianisme jusqu’à le rendre extrêmement vulnérable aux influence les plus déstructurantes et dissolvantes. Le Christianisme qui est de si haute valeur originelle est, dans son existence terrestre, un échec considérable. Plus dure sera la Chute...

Nous envisageons cette “historique” du Christianisme en acceptant objectivement les données fondamentales de cette religion, c’est-à-dire son origine spirituelle et son état de dépositaire de la Tradition principielle, parmi d’autres courants spirituels et d’autres religions également comptables de la Tradition. Notre méthodologie est en effet de repousser le moindre interdit, et, pour ce cas, de cette sorte d’interdit qui prononce l’anathème contre des événements ou des phénomènes hors du champ de la raison, et d’une raison bien précise, préparée par un conditionnement spécifique et contre sa fonction naturelle à cette tâche d’impitoyable censeur. Ainsi en est-il, pour notre méthodologie, de l’acceptation sans détour de l’hypothèse impliquant une pensée qui accepte comme une donnée évidente la dimension divine, qui définit évidemment le Christianisme. Voici un passage de la Partie mise en ligne aujourd’hui, qui explique cette position...

«Dans notre ouvrage, et de plus en plus précisément à mesure que nous progressons, et très précisément bien sûr avec ce travail sur le Christianisme, nous tentons ceci dans la substance et la forme même de l’esprit : accepter, et même réclamer pour nourrir la puissance de ce travail la conception générale même, la conception cosmique qui baignerait toute une pensée de l’élément divin comme une évidence de la vérité du monde. Il s’agit de penser comme lorsqu’on pensait effectivement de cette façon. (Pour suivre la référence et aller jusqu’à son terme, sans restriction parce qu’on ne restreint pas cette sorte de démarche : il s’agit de penser le XXIème siècle, au XXIème siècle, avec l’esprit complet d’un Agrippa du XVIème siècle, ou d’un Plotin, ou d’un Platon, certes, avec les “choses divines” baignant cet esprit.) Dans le cas qui nous occupe présentement, il s’agit de penser le Christianisme comme si la divine origine de ce phénomène constituait une vérité acquise et admise sans énervement de l’esprit, pour notre façon de penser, pour mieux embrasser ce qu’il nous importe de décrire. Si cette latitude ne nous est pas impérativement accordée, à quoi sert de juger ? Comment juger avec la légèreté céleste qui convient, avec aux pieds les boulets que nous nous sommes attachés ? Comment prendre son envol ? A cause d’une telle restriction, l’esprit de la chose, le langage même, interdisent un jugement équitable en rendant par avance le verdict… Il nous semble, enfin, que nous n’avons, somme toute, aucune raison de moins présenter cela comme une évidence, que le contraire ; en d’autres termes, il nous paraît moins évident et impératif de faire ce qu’on nomme audacieusement quoique dans une langue courante et suspecte d’approximation “la preuve de l’existence de Dieu”, que de faire la preuve de la non-existence de Dieu. [...]

»Sans nous dévoiler nous-mêmes en aucune façon, dans un sens ou dans l’autre, de notre croyance ou de notre absence ou refus de croyance, pour aller d’un extrême à l’autre, nous voulons avancer ceci d’une façon complètement objective : sans être religieux (Chrétien) de quelque façon que ce soit, ni “pratiquant” d’une foi religieuse, ni ardent illuminé ou même raisonnable croyant de cette méthode de la foi, sans même rien de tout cela, nous voulons qu’on puisse penser, presqu’avec l’état de l’esprit d’un athée s’il le faut et pour nous faire bien entendre jusqu’aux plus sourds à cet égard, avec comme centralité du dispositif l’idée si puissante, si enrichissante, de l’existence de l’Unique, du Principe éternel, de l’Ineffable, – ou bien celle de “l’existence de Dieu”, si vous voulez, pour faire bref selon le langage convenu… Nous préférons cette voie royale de l’intelligence et de l’intuition haute à la fausse liberté et au soupçon policier impliqués par la surveillance vigilante de la sauvegarde de l’hypothèse de Sa non-existence. Nous croyons que l’esprit s’en porte bien mieux, qu’il hume haut, qu’il ne craint pas les cimes, qu’il n’a nul besoin de se contempler dans un miroir pour s’étalonner et mesurer sa propre gloire, et continuellement arguer de sa propre grandeur acquise sans l’aide de quiconque.»

Cet extrait permet de mieux comprendre, nous l’espérons, le sens de notre démarche, qui est de nous pénétrer du Christianisme, jusqu’à sa dimension la plus haute, pour juger décisivement, selon notre point de vue, de sa dimension terrestre. C’est alors que nous développons notre appréciation du destin du Christianisme, qui joue évidemment un rôle fondamental dans le déroulement des événements qui nous importent d’une façon centrale, – bien sûr autour du “déchaînement de la Matière”, ce qui l’a préparé, ce qui l’a permis et ce qui a suivi jusqu’à nous, en ce début de XXIème siècle.

Nous présentons également un extrait du texte général de cette deuxième Partie du Tome II de La grâce de l’Histoire. Il s’agit des dernières pages de conclusion. Nous faisons une allusion à ce que nous percevons de la position de l’Église dans notre situation générale de crise et situons ce propos dans la perspective générale de notre récit, avec la poutre maîtresse du “déchaînement de la Matière”. Bien entendu, cet extrait ne dit rien de décisif en lui-même : ainsi ne peut-il être pris en aucune façon pour un jugement de notre part sur notre situation présente selon ce qui serait la position opérationnelle, la fonction politique et l’influence spirituelle de l’Église aujourd’hui. Notre très ferme recommandation, sans aucun doute sine qua non selon nos règles, est que cet extrait doit être lu à la lumière de l’ensemble de cette Partie que nous mettons en ligne aujourd’hui, et jusqu’à l’extrême de la logique, à la lumière au moins du Tome II de La grâce de l’Histoire dont il est la deuxième Partie. Il s’agit donc pour l’instant d’un exemple du développement du propos, qui doit être apprécié comme tel et comme rien d’autre ; et ainsi, de cette conclusion ne peut-on tirer aucune conclusion de l’orientation générale du récit (La grâce de l’Histoire) ni de notre position présente vis-à-vis de l’Église. Notre tentative générale, avec La grâce, est de type objectif, même si elle paraît engagée à certains, – mais ceux-là jugeraient alors à la lumière d’une référence (celle de la modernité et de ses affrontements internes) qui est elle-même un engagement et interdit par conséquent absolument de trancher entre ce qui est objectivité et ce qui ne l’est pas.

Extraits, – conclusion de la Deuxième Partie

« A-parte du temps courant…

» En effet, le récit portant ici sur la “passerelle eschatologique” entre le XVIIème siècle et notre XXIème siècle, il n’est pas illogique de mentionner une appréciation succincte sur ce XXIème siècle, du point de vue du Christianisme comme nous l’avons évoqué, c’est-à-dire par rapport à la progression du Mal. Parcourant ces lignes à nouveau, avant la première publication dite “en ligne” [en juillet 2013], la tentation s’est ajoutée à la logique d’y mettre quelques considérations sur les événements les plus récents, les plus conjoncturels, les plus éloignés de la réflexion qui cherche profondeur et durée plutôt qu’éclat et fugacité ; et ceci, sans nul doute, nullement pour déflorer cela, bien entendu... [...]

» Il y a une troublante similitude entre le sort de cette Église emportée dans une crise de dissolution qui fait craindre l’effondrement, et le Système lui-même, lancé sur une course similaire. On ne peut se libérer d’un malaise devant cette occurrence qui semblerait rassembler ces deux entités fondamentales, comme si même un marché pouvait avoir été conclu entre les deux, pour tenter de freiner cette chute effrayante en additionnant et combinant ce qui leur reste de forces. L’Église apporterait au Système représentatif de notre contre-civilisation, ce qu’on nomme lestement “un supplément d’âme”, ou d’apparence d’âme, comme on donne une caution, comme pour sembler lui donner un sens ; le Système offrirait à l’Église une pseudo-sûreté en lui reconnaissant une sorte de magistère moral, exprimé essentiellement dans le vacarme du système de la communication, par le prestige de l’institution papale, par la fascination éprouvée pour l’institution papale, si évidente lors de l’élection d’un nouveau pape (cas de mars 2013 justement, après les circonstances inhabituelles et nécessairement troublantes de la démission de Benoît XVI)… Les deux s’adoubant ainsi l’un l’autre feraient de cette hypothèse d’une sorte de marché une chose malheureuse, qu’on pourrait juger à juste titre d’une extrême bassesse. Il n’est pas question d’ajouter ici une critique de circonstance portée contre le Christianisme ; il est question d’observer que le Christianisme, qui a semblé se contracter dans l’Église elle-même, n’oppose aucune résistance sérieuse à un courant qui met en cause l’essence même de son origine, – ce courant qu’il a lui-même contribué à créer, d’une façon si regrettable ; au contraire, il continuerait à y contribuer par souci de tactique sans la moindre élaboration, mais quoi, persevere diabolicum quoi qu’il en soit. Cela nous conduit à une remarque d’importance, encore plus en y ajoutant le constat de la longue période que nous avons observée et en considérant ce qu’a été le combat constant de l’Église.

» L’hypothèse théorique et spéculative du rapprochement du Christianisme avec la force du Système qui est nécessairement athée par rapport à la spiritualité renvoyant au Principe et à l’Unique, ne se dément pas d’elle-même parce que nous percevons d’une façon assez évidente cette chose inattendue que ce rapprochement n’est pas nécessairement contre-nature. De là notre conclusion, pour nos futures réflexions, à propos de ce destin terrestre de l’Église, passant par son manquement à l’accomplissement de sa Mission au Temps des cathédrales, puis ce qui a suivi, – conclusion suivant laquelle l’Église s’est bien plus préoccupée des croyances, des religions et des particularités y compris internes concurrentes d’elle-même telle qu’elle se conçoit, qu’elle a constamment soupçonnées, combattues, dénoncées, tenté d’amadouer à son avantage, etc., que des forces anti-spirituelles et modernistes engagées pourtant dans la furieuse et hurlante bataille contre le Principe qui a accompagné le “déchaînement de la Matière”. On en déduirait effectivement que l’alliance évoquée ici est moins “contre-nature” qu’elle ne paraît, et alors son principe qui ne serait pas rejeté accomplirait complètement le destin catastrophique du Christianisme en rendant compte des soupçons les plus profonds.

» D’une façon encore plus générale, nous sommes conduits à une autre conclusion, certes à la lumière de l’aventure chrétienne mais avec le Christianisme considéré comme les autres religions telles qu’elles existent au sein du Système, pour la situation de ce début du XXIème siècle où la religion d’une façon générale est brandie partout comme acteur principal, à proscrire et à détruire ou à magnifier c’est selon. Cette conclusion générale, c’est que le fait de la religion comme force et comme structure dont on a rappelé l’idée courante qu’elles sont celles d’un “acteur principal”, est devenue au contraire un outil dans un gigantesque ébranlement du monde qui la dépasse ; et nous disons, certes, bien plus ébranlement du monde qu’affrontement ; et la religion outil et rien d’autre, et certainement pas acteur ; et la religion outil de l’ébranlement du monde, c’est-à-dire outil du désordre … En un sens, si l’on inclut dans notre développement sur le Christianisme et dans ce bref coup d’œil sur la situation “actuelle”, les agitations des autres grandes religions monothéistes, ce à quoi l’on assiste aujourd’hui ne serait nullement tout ceci, – ni un affrontement de religions [de “civilisations”, moins encore !], ni une affirmation des religions, – mais au contraire une déroute complète des religions monothéistes qui ont toutes plus ou moins eu un rôle, et surtout le rôle exclusif du spirituel, dans l’accouchement de notre civilisation devenue contre-civilisation. Cette déroute complète accompagne celle du Système que ces religions ont contribué à créer, sans doute le plus involontairement qui soit, par le seul fait de leur affirmation monothéiste ; parce que, selon cette approche, cette affirmation monothéiste apparaît méthodologiquement inspiratrice de l’exclusivisme hermétique du Système et même de la source dont il procède (le déchaînement de la Matière grosse de lui dès qu’elle se manifeste), de leur jaillissement et de leur existence même… Nous nous en tenons là dans cette incursion dans notre “temps courant”, à propos de questions et de remarques qui laissent à penser, qui nous solliciteront par conséquent à nouveau, non sans noter combien cette “passerelle eschatologique” qui a fait le thème de circonstance de cette partie du récit possède de bien diverses facettes, et diverses façons de s’affirmer. Effectivement, elle vient jusqu’à nous pour nous interpeller à propos de son propre destin.

» Justification du propos

» Allons plus avant en retrouvant notre chronologie qui, paradoxalement, nous ramène en arrière. Ce qui nous a guidé dans cette partie du récit en proposant, comme nous l’écrivons à son début, “de penser le Christianisme comme si la divine origine de ce phénomène constituait une vérité acquise et admise sans énervement de l’esprit”, c’est notre inquiétude et notre incompréhension originelle à propos des conditions extraordinaires de ce que nous estimons être une catastrophe affectant le destin du Christianisme. Comment une entité de si haute intelligence et de spiritualité si fervente, manifestement inspirée par une injonction divine, si puissante, si admirablement construite, si incontestable dans son magistère de la civilisation inspirée par elle, par conséquent à la fois maîtresse et responsable des évènements se développant sous son empire, comment le Christianisme a-t-il pu laisser se développer la modernité, parfois jusqu’à s’en réjouir pour mieux confondre ses soi-disant adversaires et ses diffamateurs souvent intéressés, parfois même semblant s’y complaire après tout ? Notre réponse est que le Mal, qui est pour nous à la fois la modernité et le déchaînement de la Matière qui l’a ranimé décisivement sous la forme d’une entité, le Mal qui a manifestement exercé toute son influence pour permettre cette déviation vient pour une part de lui-même, du Christianisme ; non pas le Mal comme création du Christianisme précipité dans sa décadence jusqu’à l’inversion certes, mais comme proximité du Christianisme conduisant, pour les âmes les plus inquiètes et contre les espérances sans fin mises dans cette célébration du divin, jusqu’à sa confusion avec le Christianisme lui-même. (Plotin : « …mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du Mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi »… Le Christianisme, conduit par ses errements terrestres à s’assimiler au Mal, sans être mauvais en soi mais ayant agi terrestrement de cette façon que tout s’est passé comme si le Mal jaillissait de lui-même [du Christianisme]. On reconnaît la ruse centrale du Mal et son efficacité sans cesse renouvelée.)

» Le Christianisme, dans son opérationnalité terrestre et au contraire de son essence purement accordée à la transcendance, s’est révélé perméable au Mal opérant sous sa représentation de la modernité parée des atours du progressisme, où la vertu séculière se paie du sacrifice des principes transcendantaux. Cela fut essentiellement accompli par le biais d’une psychologie complexe, impétueuse et sûre d’elle-même, extraordinairement efficace mais trop maîtresse de ses effets jusqu’à la passion pour eux, pour voir que son brio l’entraînait à favoriser les germes de ce qui deviendrait, pour le Christianisme, l’inversion de lui-même. Ce brio était paradoxalement la faiblesse même, et cette psychologie d’apparence puissante dissimulait cette faiblesse effectivement mortelle pour la destinée envisagée, sa vulnérabilité à la pression et à la pénétration du Mal. Le Christianisme terrestre se jugeait peut-être de trop belle extraction, de trop haute lignée et de transcendance trop affirmée pour mener à bien sa fortune terrestre sans prêter le flanc aux entreprises d’un Méphistophélès habile à se dissimuler ; pour entreprendre ses opérations terrestres, c’est comme s’il était venu de trop haut ; emporté par la sûreté de son origine, il trébucha. Par conséquent et pire encore, le Christianisme chuta… Sans doute faut-il songer à lui pardonner, tant son origine semble marquée de vertus superbes, mais pour autant on se retiendra de le féliciter car les grandes vertus ont leurs responsabilités dans la conduite indigne de leur destin où elles se fourvoient parfois, et elles doivent être prêtes, s’il est nécessaire, à en répondre d’une certaine façon. Le Christianisme reste l’enfant de ses origines magnifiques mais l’on ne peut s’empêcher d’avancer l’hypothèse qu’il ne fut pas insensible à l’orgueil dont il sait pourtant, lui le premier semble-t-il nous dire, qu’il est un pêché.

» D’un point de vue plus général, que l’on pourrait qualifier de cyclique, ce destin malheureux et fautif du Christianisme doit finir par trouver sa place dans l’arrangement général des choses et du monde. On peut en effet observer que, selon notre approche, le Christianisme prend, volens nolens, une part fondamentale au développement des choses de cette façon que le Mal sous la forme du Système prenne sa place en pleine lumière et nous apparaisse dans toute sa puissance maléfique, avec le “déchaînement de la Matière”, sans plus rien dissimuler de sa surpuissance de dissolution et ainsi préparant sa course autodestructrice ; en favorisant involontairement mais décidément le développement du modernisme, qui donne un cadre historique cohérent à l’évolution considérée avec le “déchaînement de la Matière” ; en imposant par les conditions de sa propre Chute une dimension métahistorique promise à transformer le destin que nous vivons de l’apparente promesse moderniste transformée en impasse de la modernité, en l’inéluctable issue eschatologique que nous devinons ; enfin, en nous délivrant, par sa déviation sinon son inversion même, de son exclusivité parfois dictatoriale de la représentation terrestre des accointances divines par lui-même, et en ouvrant le champ par conséquent à une nouvelle liberté dans la quête de l’ineffable, du moins pour ceux que la chose intéresse. Pour admettre ce schéma, effectivement, il faut admettre décidément la séparation du Christianisme de ses origines glorieuses et si hautes, pour considérer sa branche terrestre devenue tronc central, son aventure purement exotérique et séculière, comme un destin promis à se gâter au contact des aventures terrestres, un destin sacrifié à la mise en évidence du Mal, pour assurer son identification puis sa destruction. A la lumière de notre enquête, il nous semble que le Christianisme accomplit parfaitement cette mission-là (qui n’a tout de même nul besoin de majuscule). Plus qu’aucune autre dynamique historique, il a su mettre en évidence les ambitions du Mal autant que le Mal lui-même, avec sa représentation principale qu’est la modernité, et y répondant par sa propre Chute conduisant à l’issue eschatologique.

» Ce constat entraîne aussitôt le propos à ajouter, au simple enchaînement de notre chronologie retrouvée, l’enchaînement de la progression du Mal. Nous passons de cette partie où l’on embrasse le Christianisme à celle que je nomme “la Partie du persiflage” principalement au XVIIIème siècle, qui est aussi celle d’une des offensives majeures du Mal ; celle où le Mal mit enfin en place sa tactique magistrale de pénétrer les esprit, de les affaiblir, de les pervertir et de les asservir, non par les idées ni par quelque autre chose intelligible que ce soit où la raison garde la possibilité de l’affronter, mais par le chemin tortueux et vicieux de l’infection de la psychologie, auparavant pervertie, amollie, dissoute, ouverte comme une fille qui s’offre .

» Ce que l’on est conduit à constater, c’est qu’il (le Mal) peut ainsi opérer avec la plus grande efficacité, non seulement parce que la décadence du Christianisme a préparé les Lumières avec quelle minutie, avec quelle efficacité, mais surtout parce que cette décadence a complètement ressuscité la psychologie du Christianisme des premiers âges historiques, du temps de l’Empire ; la psychologie qui s’ouvre à la subversion et à la dissolution en prétendant à la fois à l’inculpabilité et à l’indéfectibilité qui donnent une illustre vertu ; la psychologie de cette force diffuse et dissolue qui tient toutes les responsabilités des autorités dans ses rets et qui affirme ne prétendre à rien en fait de responsabilité… Le fait est qu’elle servit, cette force, à assurer le plus grand triomphe terrestre qu’on put jamais imaginer pour un mouvement de cette apparente humilité, avec la seule puissance de l’onction Très-Haute elle-même, qui est le Christianisme, et qu’elle conduit aussi sûrement à son effondrement. La démarche qui doit nous importer désormais est d’observer ce qui s’est passé dans l’enchaînement qui suit, dans les effets conduits par des chemins incertains et indirects, que permit et même favorisa cette religion évidemment ennemie du Mal, devenant par ces catastrophiques circonstances son plus grand allié en lui garantissant l’investissement de l’esprit humain… Ainsi s’avance vers nous, non le Siècle des Lumières mais “Le Siècle du persiflage”. »