De la “crise du F-22” à la “crise du lobbying”

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Comme toutes les crises qui parcourent notre technostructure occidentaliste, la “crise du F-22”, dont nous parlions encore hier, a de multiples ramifications. En général l’affaire semble, notamment aux esprits forts et fort intellectuels, de pure quincaillerie un peu méprisable en même temps qu’évidemment condamnable au nom de la juste appréciation des méfaits du complexe militaro-industriel; il reste qu'à bien la comprendre, elle apparaît pleine de ressorts cachés qui nous éloignent de la susdite quincaillerie et nous rapprochent de la substance du système; il est bon par conséquent d’explorer et de mettre en lumière ces divers ressorts, en plus de suivre attentivement cette affaire.

Dans la “crise du F-22”, la prise de position, le 14 juillet 2009, de Michael F. Dunn, président de l’Air Force Association, le principal et fort officiel lobby de l’USAF, en faveur de la poursuite du programme F-22, est un événement politique important. C’est plus précisément un événement révélateur de la crise de la structure politique du système washingtonien/américaniste.

Dunn écrit un texte modéré, sur la pointe de la plume dirions-nous. Il expose le cas en termes techniques et stratégiques, selon des arguments bien connus et exposés, répétons-le, de manière modérée. Sa conclusion est également et évidemment exprimée de manière modérée; elle n’en est pas moins radicale puisqu’elle recommande la poursuite de la production du F-22 jusqu’à ce que le F-35/JSF soit, si l’on veut, “sorti de l’auberge” où il se débat avec des ennuis sans fin, et produit d’une manière satisfaisante pour démontrer la viabilité du programme. Le texte n’est pas “anti-JSF”, puisque le JSF est officiellement l’avion central futur de l’USAF, – mais, quoi, on peut avoir quelques doutes et montrer quelque prudence…

«Rejecting the F-22, the U.S. is choosing to rest our air dominance future solely on the F-35 Lightning II. Although not yet in production or proven, we expect it to be an excellent plane. The stubborn fact remains the F-35 was designed to be the low end of the new high-low mix, similar to the one that has served us so well for a generation with the F-15 and F-16.

»In contrast, although similarly multi-capable and flexible, the F-22 is uniquely optimized for air-to-air combat, including more missiles than an F-35 is capable of carrying. The F-22 has supercruise, which allows greater speeds when necessary while saving fuel and increasing range at cruising speed; unmatched maneuverability due to unique technology; excellent stealth features, allowing it to penetrate hostile airspace; high-altitude capability far beyond that of the F-35; and the requisite firepower with a better than 30-to-1 “kill ratio” against fourth generation fighters.

»The F-22 program is directly responsible for 25,000 jobs, and partially responsible for another 70,000 throughout 40 states and 1,000 subcontractors. Building more would prolong that valuable economic activity while the F-35 program ramps up. It seems foolhardy to shut down the only active manned warplane production line the Air Force has left before the F-35 line is up and running.

»Allowing dependable allies with a clear need, such as Japan or Australia, the option to purchase F-22s would create even more U.S. jobs, and strategically be an effective force-multiplier that strengthens allied defenses.

»The case for a premature shutdown is not based on any military strategy, but budgets alone; a risky proposition when those budgets determine military strategy for a generation. F-22s should continue to be built, at least until the first year a full order of 80-to-110 tested, proven F-35s roll off the ramp. The only thing more expensive than a first-rate Air Force is a second-rate Air Force.»

Il y a deux points différents mais au moins d’égale importance dans cette prise de position, via son président, du puissant lobby de l’USAF, l’Air Force Association.

• Cette position se place en complète contradiction avec la direction de l’USAF (son chef d’état-major et son ministre de l’Air Force, partisans déclarés de l’abandon du F-22, – position évidemment suscitée par la complète allégeance de cette direction, désignée dans ce but, à la politique du secrétaire à la défense Gates). Cela constitue un événement considérable de la part d’un lobby qui est entièrement engagé en faveur de l’USAF et qui, par conséquent, devrait suivre, quasi-aveuglément, la direction de l’USAF dans ses choix. Il s’agit d’une “révolte postmoderniste” dans ce que nous avons désigné comme “une guerre civile postmoderniste” (la “crise du F-22”). Bien entendu, cette “révolte” reflète celle qui couve et apparaît par instant, au gré d’une déclaration ou l’autre d’un général de l’USAF. Elle n’est donc nullement infondée. Il n’empêche qu’elle brise le lien sacro-saint de l’allégeance à l’autorité suprême. La “crise du F-22”, qui est aussi “la crise du JSF”, est en train de devenir le cœur de la “crise de l’USAF”, elle-même cœur de la crise du Pentagone. L’enchaînement de la montée aux extrêmes est significatif, même si le ton de Michael F. Dunn est prudentissime; il est d’autant plus prudentissime que la démarche est gravissime.

• L’événement marque également, et c’est au moins aussi important, une crise centrale du système du lobbyisme, qui est la clef de voute du système de l’américanisme, et de la démocratie finalement, – la “démocratie américaniste”, qui nous est présentée en général comme le modèle de ce système. Elle confirme la réalité et la force de cette crise qui met en cause le système, déjà évidente avec l’affaire Freeman, dans la mesure où elle confirme une prise de position partisane et très controversée, à ciel ouvert et sans dissimulation, d’un lobby important, parce que la crise dans lequel est engagé ce lobby nécessite cette prise de position. On sait que l’intervention partisane et à découvert d’un lobby est la contradiction même de la fonction du lobbyisme en général, puisque cette action doit être dissimulée et ne pas sembler partisane, c’est-à-dire sembler “objective”, disons de pure “information” et, partant, vertueuse; la vertu, au moins d’apparence, est la condition sine qua non de la pérennité du système. Cela signifie que l’ampleur des crises qui frappent le système au travers de la nouvelle structure crisique qui le caractérise désormais, le caractère déstructurant de l’événement pour les structures mêmes du système, sont tels qu’ils nécessitent effectivement, désormais, que les lobbies perdent leur caractère même. La “crise du F-22” et l’intervention d’AFA sous la forme du message de son président ont l’avantage de mettre cet événement encore plus en lumière.


Mis en ligne le 15 juillet 2009 à 06H19