USAF: la révolte gronde

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1282

Un document exceptionnel vient d’apparaître sur la scène de la polémique autour de l’abandon du F-22 et de la crise de l’USAF qui va avec, impliquant évidemment le JSF/F-35. Il s’agit d’une lettre du général commandant l’Air Combat Command, adressée au sénateur Saxby Chambliss (républicain de Géorgie) et dont le Congressional Quaterley donne des extraits le 17 juin 2009. Corley, un général “plein” (quatre étoiles, grade équivalent à un “cinq étoiles” français), exerce le commandement opérationnel le plus important de l’USAF. La référence est impeccable, la procédure est exceptionnelle, l’écho est et sera d’une extrême importance.

«Gen. John D.W. Corley, the four-star chief of Air Combat Command at Langley Air Force Base, Va., wrote a letter to Sen. Saxby Chambliss , R-Ga., about the impact of Obama and Defense Secretary Robert M. Gates ’ decision to limit the number of F-22s in the U.S. inventory to 187. “In my opinion, a fleet of 187 F-22s puts execution of our current national military strategy at high risk in the near to mid term,” Corley wrote in the June 9 correspondence. “To my knowledge, there are no studies that demonstrate that 187 F-22s are adequate to support our national military strategy.”

»Corley’s command organizes, trains and equips the Air Force’s squadrons. His letter represents the clearest rebuke yet from within the military of the administration’s decision to end production of the F-22 and could give some in Congress pause about ratifying one of the highest-profile proposals in Obama’s first defense budget request. There are growing signs that some pivotal lawmakers may be leaning that way. [...]

»Corley’s views could change the equation on Capitol Hill. “General Corley’s statement is one of the first clear-cut pronouncements from a senior Air Force official regarding the risk inherent with Secretary Gates’ decision to limit F-22 acquisition to 187,” said Douglas A. Birkey, director of Government Relations for the Air Force Association. “This type of insight from a uniformed commander certainly has the potential to change the political dynamics surrounding the F-22. Members of Congress tend to listen to uniformed leaders when they go on record regarding national-security shortfalls.”»

Cette lettre est sans aucun doute un élément nouveau d'importance intervenant à un moment important. Des actions viennent d’être décidées au Congrès (à la Chambre) pour garder la chaîne du F-22 en activité au moins un à deux ans de plus, avec la commande d’une vingtaine de F-22 en plus des 183 actuels. Le Daily Report de l’Air Force Association de ce 19 juin 2009 rapporte:

«Rep. Neil Abercrombie (D-Hawaii) said Thursday morning that he expects “at least” 20 F-22s to be funded in the Fiscal 2010 defense budget. Speaking with defense reporters in Washington, D.C., Abercrombie, who leads the air and land forces panel of the House Armed Services Committee, said it was the sense of Congress last fall that 20 more of the new fighters are needed, if only for “breathing room” to make thoughtful decisions about national strategy and the role of airpower. He said that continued obstruction on the F-22 program by Defense Secretary Robert Gates would not stand, asserting that the Pentagon needs “to learn who’s in charge.” He shrugged off the fact that the June 17 committee budget markup only covered 12 F-22s, saying that if he’d had his way, he would only have put “one dollar” in as a “placeholder” for continued production. He said that there is strong bipartisan consensus that if the committee could have found more money, it would have made the number 20 Raptors. Abercrombie also said he’s confident House and Senate appropriators will support additional F-22s. His own panel only had a “pond” of funds to work with, he said, but the full House has a “lake” and the conference has an “ocean.” The money will be found, he said. »

Le même Daily Report de l’AFA, très proche de l’USAF officielle comme partie du lobby officiel de l’USAF, reste très discret sur la lettre du général Corley, malgré l’intervention d’un de ses membres dans l’article du Congressional Report. Tout cela mesure l’extrême délicatesse du sujet. La lettre de Corley représente de facto une démarche proche de l’insubordination, avec cette circonstance aggravante qu’elle met en cause une affirmation du chef d’état-major de l’USAF et du secrétaire à la défense, citant une étude interne selon laquelle 183 F-22 représente un volume acceptable pour la sécurité nationale («To my knowledge, there are no studies that demonstrate that 187 F-22s are adequate to support our national military strategy.»). Corley dirigeant le commandement qui est chargé de la disposition et de l’emploi opérationnel des F-22 comme de toute la flotte aérienne de combat de l’USAF, il est quasiment inconcevable qu’une étude sur la suffisance opérationnelle des 183 F-22 ait pu être réalisée sans ses services, et, plus encore, sans qu’il en ait été informé. Il s’agit donc d’affirmations de forme dont l’effet indirect est une accusation implicite de tromperie délibérée et de mensonge à l’encontre de ses supérieurs hiérarchiques.

D’autre part Corley s’adresse directement à un membre du Congrès, partisan du F-22. Il serait étonnant qu’il n’y ait pas eu entente délibérée entre les deux hommes pour cette opération. Cela permet d'avancer que Corley pourrait être invité à témoigner devant le Congrès sur le problème qu’il soulève, d’autant que les témoignages du chef d’état-major Schwartz et du ministre de l’Air Force, alignés sur les consignes de Gates, avaient fort irrité les parlementaires. Le fonctionnement formel du système US implique que les chefs en charge de domaines spécifiques sur lesquels le Congrès veut être informé déposent sans la moindre crainte des contraintes hiérarchiques; ce point de vue, en général complètement théorique, devient un argument de poids puisque l’acte est posé, et met Corley plus “en règle” avec le système que Schwartz, malgré le caractère proche de l’insubordination de son intervention. En temps normal, s’il n’y avait pas cette implication du Congrès, on verrait bien Gates, qui n’hésite pas devant les décisions abruptes, sanctionner le général Corley; est-ce concevable dans le cadre du Congrès chauffé à blanc dans l’affaire du F-22? D'autre part, on imagine également le coup porté à l'autorité du général Schwartz, déjà bien affaibli à la tête de l'USAF, au moment où l'autorité du chef d'état-major joue un rôle vital. Il s’agit d’une situation bien délicate, et d’une probabilité de montée d’un cran encore de la tension autour de tout le débat sur la situation de l’aviation de combat tactique et sur la crise de l’USAF. L’affaire débordera largement le cas du F-22 et impliquera évidemment le JSF.

Au-delà, c’est le problème bien plus vaste des rapports entre l’autorité civile et la hiérarchie militaire qui est à nouveau posé, dans un climat très tendu alors que Gates a entrepris une action de “réforme” du Pentagone où l’USAF est en première ligne. Cette intervention d’un officier général de ce rang, dans ces conditions délicates où les notions de prérogatives des pouvoirs sont soumises à de rudes pressions et à des interprétations diverses donne une bonne mesure de la tension entourant aujourd’hui la crise de l’USAF, qui est au cœur de la crise du Pentagone.


Mis en ligne le 19 juin 2009 à 12H58