Dagan et la rage bien mal contenue de DEBKAFiles

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Dagan et la rage bien mal contenue de DEBKAFiles

Une des formules pour progresser dans l’investigation des sujets intéressants pour notre démarche, dans une époque où n’existe plus aucune référence fixe du point de vue de l’information, c’est de raisonner par analogie, par logique indirecte sinon antagoniste, à partir des outils de l’expérience et de l’intuition. (Ces outils permettent par ailleurs de sélectionner ce qui vaut un effort d’investigation par rapport à la démarche générale qu’on suit, c’est-à-dire ce qui n’interfère pas sur cette démarche, et ce qui recommande de ne pas tenter cet effort à cause des interférences sur cette démarche. Ce choix est la formule même de l’inconnaissance, qui repousse la recherche de certaines connaissances, – certes, pas toutes, –pour écarter le danger de verser dans le réductionnisme.)

Ici, nous avons le cas de DEBKAFiles et d’une analyse, absolument furieuse et éructant de rage visible (trop visible, à notre sens, et là est la faute révélatrice), publiée le 9 mars 2012. On sait ce dont il s’agit avec DEBKAFiles, comme relais des services de sécurité israéliens type Mossad. Diverses précisions ont déjà été données concernant DEBKAFiles, notamment sur le site Charleston Voice (qui relaie vers d’autres sites), le 24 janvier 2012, à la suite de l’exploitation très importante d’une information donnée par DEBKAFiles sur la possibilité du paiement en or, notamment par l’Inde, du pétrole iranien. DEBKAFiles est décrit comme un site mis en place par la CIA et le Mossad, avec des interférences diverses, notamment de neocons notoires, et principalement de Frank Gaffney qui est l’un des plus extrémistes parmi ces neocons. Mais cela ne définit pas nécessairement la “ligne” de DEBKAFiles, parce que les oppositions sont aujourd’hui nombreuses à l’intérieur de ce camp, entre Mossad, CIA et neocons divers ; on sait que même les neocons se divisent entre eux, comme ils l’ont fait sur le cas libyen.

Laissons de côté cet aspect, dont la poursuite de l’enquête nous conduirait à ce réductionnisme contre lequel nous luttons avec l’inconnaissance. Nous nous attachons au contraire au cas déjà signalé du 9 mars 2012, parce qu’il dépend d’éléments que nous connaissons, et qu’il est révélateur d’une façon très significative d’une affaire dont l’importance est considérable pour la situation du Système. Cette analyse, qui semble porter sur le sujet général des relations Netanyahou-Obama, et qui transpire d’hostilité contre Obama, s’attache en fait plus précisément au cas de l’interview CBS de Meir Dagan, dont nous avons parlé le 10 mars 2012. C’est une attaque vicieuse et furieuse contre Dagan, et nous sommes persuadés qu’il s’agit là du véritable “message” de l’analyse. Voici le passage (en tête d’analyse pour qu’il ne puisse être raté) concernant Dagan, le reste étant l’habituelle information “exclusive“ de DEBKAFiles, où l’on trouve sans aucun doute à boire et à manger (de l’information et de la désinformation)… Nous signalons (souligné en gras) quelques affirmations qui nous paraissent importantes.

«Forward planning must have gone into setting up the CBS 60 Minutes interview with Israel’s leading voice against an attack on Iran’s nuclear sites directly after he week US President Barack Obama spent sparring with Israeli Prime Minister Binyamin Netanyahu in Washington on this very issue. In his interview with Lesley Stahl airing at prime time Sunday, March 11, the former Mossad spy Chief Meir Dagan will give President Obama timely support for his contention that a window is still open for a diplomatic resolution of the issue – against the prime minister’s assertion “there is not much time left.”

»Wednesday, the US President said senior Israeli intelligence officers agreed with him and were warning against a unilateral Israel strike. Although he is retired and pretty much a lone voice in Israel’s intelligence community, Dagan was found to fit the bill. But even the interviewer was taken aback when the ex-Mossad chief said: “The regime in Iran is a very rational one.” And President Ahmadinejad (who has called for Israel’s annihilation)? “The answer is yes, said Dagan, “but not exactly our rational, but I think he is rational.”

»He may have a point from the special perspective of an intelligence mastermind who needs to get his head around the thinking of his antagonist in order to fight him. By delving into an enemy’s personal, national and religious rationale, he may also discover his weak spots. Judged by this cold rule of thumb, Bashar Assad might also be deemed rational when he massacres his people to stay in power – although Dagan doesn’t go that far.

»Neither does he apply his reasoning to Israel’s security interests. If he did, he would have to challenge the premise that the heads of the Islamic regime in Tehran are rational enough to engage in purposeful negotiations for abandoning their nuclear ambitions, an assumption which is the crux of Obama’s Iran policy.
 The impact of the Dagan interview will soon fade as one more voice blending in the jangling chorus of point and counterpoint on Iran which is orchestrated by the Obama administration.»

On fera plusieurs remarques sur ce commentaire de l’intervention de Dagan sur CBS…

• D’abord, qu’il s’agit de la première fois que DEBKAFiles s’intéresse d’une façon aussi spectaculaire à l’intervention de Dagan, ou d’un de ces chefs de service israéliens de sécurité nationale en désaccord avec le projet de l’attaque de l’Iran. (Pourtant, Dagan a pris publiquement ses positions iconoclastes depuis neuf mois.) C’est le signe de l’importance que cette intervention (sur CBS) a aux yeux de tous les centres d’influence israéliens, ou relais dans ce sens, par son influence directe sur la direction politique washingtonienne et sur le public.

• Cet intérêt est furieusement voire hystériquement critique et diffamatoire pour Dagan, signe que l’importance de son intervention est perçue comme dévastatrice par les groupes d’influence dont DEBKAFiles se fait l’écho. Qualifier Dagan de “pretty much a lone voice in Israel’s intelligence community” dans sa critique de l’attaque est une affirmation grotesque qui porte fortement atteinte au crédit qualitatif de l’information, ou de la désinformation du site. (Même quand on désinforme, il faut veiller à la “qualité” de la fausse information ; la “solitude” de Dagan peut être mesuré a contrario par les très nombreuses interventions de divers de ses collègues affirmant les mêmes positions, dont nous avons souvent rendu compte, par exemples le 4 novembre 2011, encore le 4 novembre 2011, le 10 novembre 2011, le 30 décembre 2011, le 2 février 2012, le 8 février 2012.) Ressortir l’argument du “rayer Israël de la carte” d’Ahmadinejad, dont tout commentateur sérieux sait sans discussion possible qu’il s’agit d’un faux de traduction, n’ajoute rien non plus à la critique, et même la discrédite encore plus, au profit de l’hystérie engendrée exactement par la crainte de l’écho éveillé par l’intervention de Dagan…

• Ecrire que «[T]he impact of the Dagan interview will soon fade» fait s’interroger sur l’intérêt de DEBKAFiles, dans ce cas, de lui accorder une telle et si furieuse importance… Cela conduit à conclure au contraire : DEBKAFiles craint énormément l’impact de l’intervention de Dagan, avec tout son poids d’ancien chef du Mossad, avec l’irruption sur la scène politique US de l’évidence que la communauté de sécurité nationale israélienne, qu’on a l’habitude à Washington de voir soudée dans une politique maximaliste au nom de la sauvegarde d’Israël, s’est gravement divisée sur cette question de “la sauvegarde…”, qui n’est plus désormais, pour une partie non négligeable d’entre elle, liée à cette même politique maximaliste que l’AIPAC proclame, à Washington toujours, comme la seule concevable.

• On trouve dans l’extrait ci-dessus plusieurs indications selon lesquelles DEBKAFiles est absolument persuadé, et tente de faire passer cette idée, que l’interview de Dagan fait partie d’un complot de l’administration Obama pour contrer l’équipe Netanyahou/Barak (quoique Barak se fasse plus discret ces derniers temps) et ses projets d’attaque. Cette analyse est d’ailleurs surmontée d’un titre provocateur pour le président US à propos d’une nouvelle exclusive de DEBKAFilesObama projects an Israel visit in July: before or after an attack on Iran?»), et avec une explication de ce titre entérinant la provocation selon laquelle les USA n’ont aucune capacité de contrôler ce que Netanyahou a l’intention de faire à propos de l’Iran : «As the latest DEBKA-Net-Weekly issue disclosed exclusively this Friday, Obama wants to meet Netanyahu again in July and is considering a trip to Israel to be combined with visits to other Middle East capitals. He reckons the trip will give his reelection campaign a major boost. It cannot be said now if this journey will take place before or after an attack on Iran and whether it will be an American, an Israeli or a combined operation.»

Nous tenons cette intervention débridée et effectivement furieuse de DEBKAFiles, par rapport et par contraste avec son habituelle habileté, son ton détaché et professionnel, en même temps que froidement péremptoire, qui sont les normes de ses analyses, comme un signe indirect mais extrêmement convaincant de la réalité profonde et explosive du conflit qui oppose Netanyahou et Obama. DEBKAFiles perd son contrôle et son calme habituels parce que ses inspirateurs dans ce cas se trouvent eux-mêmes privés, par l’urgence du cas, de leur contrôle et de leur calme habituels… Dans ce cas, nous serions conduits à considérer, sans nécessairement l’adopter complètement, la thèse de Robert Parry, dans ConsortiumNews du 9 mars 2012, selon laquelle Obama est aujourd’hui l’adversaire n°1 de Netanyahou et le seul homme politique proéminent aux USA, avec Ron Paul, à s’opposer à une guerre contre l’Iran. Parry fait un parallèle entre Jimmy Carter et Obama, observant, avec des détails qui sont des révélations, que Carter se préparait, s’il avait été réélu en 1980, à une offensive contre Israël pour la restitution des territoires occupées et la formation d’un État palestinien. (Cette idée s’appuie sur le fait qu’un président réélu n’a plus besoin de soutien pour une autre réélection qui lui est interdite et se trouve dans la capacité, pendant au moins les deux premières années de son second mandat où il dispose de toute son autorité, d’agir un peu plus librement.) Parry, qui est un spécialiste de cette période, lui qui a décortiqué l’affaire des otages US de Téhéran (novembre 1979-janvier 1981) qui vit les Républicains coopérer avec les Iraniens avec le soutien des Israéliens pour torpiller la réélection de Carter, estime manifestement que l’attitude des Israéliens (de Netanyahou) jouera un rôle fondamental dans les élections présidentielles US

Mais l’affaire Dagan/CBS introduit un élément complètement nouveau dans ces rapports entre Israël, la politique extérieure US et le processus intérieur du Système pour la désignation des présidents. Pour la première fois, l’establishment israélien ne présente pas un front uni et la présidence US manipule clairement cet événement nouveau. A lire le texte de DEBKAFiles avec le texte de Parry comme background, nous verrions sans guère de doute confirmée l’hypothèse faites accessoirement sur le rôle de l’administration Obama dans l’interview Dagan/CBS (le 10 mars 2012 : «On peut envisager que l’administration Obama et le Pentagone, qui n’ont guère de goût pour une guerre de cette importance, ont favorisé l’apparition de Dagan dans le programme de la CBS, et qu’à l’inverse l’AIPAC a du se battre de toutes ses forces pour l’empêcher.»)


Mis en ligne le 12 mars 2012 à 05H08