Communication-blitzkrieg

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Communication-blitzkrieg

10 mars 2014 – Nous pourrions commencer notre observation par le jugement que Poutine a obtenu des effets inattendus avec sa conférence de presse du 4 mars (voir le 4 mars 2014, sur ITAR-Tass), au cours de laquelle il a fixé une attitude plutôt conciliante que ferme, – et le même jugement pour ce qu’il en a manifesté depuis. Ce jugement ne porte pas du tout sur le fait politique lui-même : on peut aisément apprécier rationnellement le sens tactique de cette position d’autant que par ailleurs Poutine ne cède rien sur le fond. Il s’agit essentiellement de l’effet de cette position sur ce qui constitue l’essentiel de l’affrontement aujourd’hui, après l’épisode brutal allant de la chute de Ianoukovitch à la prise de position de la Crimée, qui est l’affrontement par la communication.

Cette introduction indique bien notre intention de traiter de la question de l’Ukraine du point de vue de la communication, – car c’est bien de cela qu’il s’agit. En ce sens, nous poursuivons nos Notes d’analyse du 6 mars 2014, concernant les réactions à la communication interceptée Paet-Ashton. Nous l’écrivions d’ailleurs, parlant de ce phénomène... «[L]a différence est saisissante, entre ce que nous avons nommé le “moment-Nuland” qui concerne la conversation entre Victoria Nuland et l’ambassadeur Pyatt, et le “moment-Paet” dont nous parlons ici. [...] Tout se passe comme si nous étions dans une autre époque pour ce qui concerne le traitement et l’exploitation des informations dans le cadre du système de la communication, y compris de la part des officiels eux-mêmes» ; puis, poursuivant, en nous promettant d’y revenir rapidement, et y revenant effectivement comme nous le faisons :

«Il s’agit donc d’un phénomène qu'il faut développer, étudier, évaluer pour bien le comprendre ; un phénomène à propos duquel nous avons beaucoup à dire, – ce pourquoi nous mentionnons à deux reprises que nous reviendrons sur le cas, en espérant que ce sera, selon nos disponibilités, le plus rapidement possible.»

Nous allons appuyer notre analyse sur une rapide interview du journaliste indépendant allemand Manuel Ochsenreiter (voir son site, Manuelochsenreiter.com), dans Russia Today le 5 mars 2014, portant sur la propagande. C’est ce sujet de la propagande qui nous intéresse, bien entendu pour le dépasser fondamentalement. (Nous soulignons de gras les phrases qui nous intéressent particulièrement. L’une de ces courtes citations a déjà été utilisée dans un autre de nos textes, dont le sujet est proche, le 7 mars 2014, – puisque nous terminions justement par ceci : «C’est une idée importante [...] qu’on trouve par exemple dans une interview du journaliste allemand Manuel Ochsenreiter [...] “The really disturbing fact is that those media lies are now influencing the thinking and the decisions of the responsible politicians as well.”».)

Russia Today: «What do you think of Kerry's pile of harsh words for Russia?

Manuel Ochsenreiter: «It is not worth to talk about the content of Kerry’s speech because maybe Kerry is one of the best paid professional liars in the West. We have to remember what he was telling about Syria in the past. He was one of the loudest war-mongers when it came to Syria. So now he does this function too, when it goes against Russia. The worst thing is to see that this is a part of a giant media propaganda war against Russia, particularly against Crimea and against the Russians in Ukraine. This is really dramatic and what Kerry does and what he says, he is somehow like a pop star in this propaganda show against Russia and this we shall take seriously.»

Russia Today: «Do you think Washington is likely to change its stance?»

Manuel Ochsenreiter: «I don’t think so, because the propaganda war is rolling. You cannot stop this huge media propaganda. We have many lies circulating in media. The really disturbing fact is that those media lies are now influencing the thinking and the decisions of the responsible politicians as well. This example we know from Syria, when politicians make decisions on the basis of rumors. It is quite dangerous and Washington will not change anything.»

Russia Today: «Obama continues to insist Russia's violating international law. Do you agree that's the case?»

Manuel Ochsenreiter: «This whole Ukrainian conflict is not about democracy, it is not about oligarchs and it is not about political parties. It is a purely geopolitical conflict. If somebody seizes power in an illegal way, but is pro-Western the Western states will appreciate this. If the same thing happens in the other direction, the Western states will start threatening with the military intervention, for example. So it is about the position of the new government. As long as this regime is purely on the Western side and asks the West for support, the West will acknowledge this regime as a new legal government.»

Pourquoi parlons-nous des “effets inattendus” de la position politique de Poutine ? A notre sens, l’évidence de la chronologie des événements le montre. Lors de sa conférence de presse, Poutine s’est montré dans la forme modéré dans la forme, le ton conciliant, enrobant les affirmations habituelles de la politique russe de nombreuses réserves et observations restrictives. Par exemple, lorsqu’il parle de l’hypothèse d’une intervention militaire, selon le compte-rendu d’ITAR-Tass :

«Possibility of sending troops to Ukraine remains, but there is no such need for the time being, says Vladimir Putin. Russia has no intention to go to war against Ukrainian people. “If the decision to use military force in Ukraine were made, it would be legitimate,” says Putin. “Russia's national interests are concerned, and it would be a humanitarian action,” he adds. Use of Russian troops in Ukraine would be last resort to be employed only on legitimate basis. If rampage begins in Eastern regions of Ukraine, Russia will reserve the right to use all available means...»

Répétons-le, il n’y a dans ces phrases aucun recul conceptuel par rapport à la politique russe dans cette crise, mais un ton, comme nous le disions plus haut, donnant au tout, effectivement, une “impression de communication” d’une certaine retenue, voire même, justement, d’un certain recul ou d’une amorce de recul par rapport à la tension de la situation. Peut-être, sans doute même, y a-t-il eu durant cette conférence de presse “une main tendue” de Poutine au bloc BAO, c’est-à-dire une proposition d’arrangement, mais bien entendu rien des principes fondamentaux n’a été cédé. D’une certaine façon, le bloc BAO a semblé répondre en même temps à cette “proposition” avec la rencontre Lavrov-Kerry à Paris, présentée par les Russes sous de bons auspices : Lavrov espérait y rencontrer le secrétaire d’État et non la pop star selon Ochsenreiter. Après la réunion, le côté US s’est employé, d’une façon systématique qui compromettait effectivement tout espoir d’un prolongement constructif quelconque, à réduire toute possibilité dans ce sens. Les “officiels” habituels ont notamment dénigré de façon féroce le document signé par les trois ministres de l’UE, les opposants et Ianoukovitch dans la nuit du 20 au 21 février, et qui constitue pour les Russes la base nécessaire sur laquelle on peut tenter de trouver un arrangement. Le site WSWS.org, du 6 février 2014 notait :

«After the meeting [Kerry-Lavrov], US officials strongly denied claims by Lavrov that Moscow and the Western powers favored a European Union-brokered peace deal in Ukraine. A top State Department official told Reuters that there were “no agreements” in the Kerry-Lavrov talks and that “there never will be without direct Ukrainian government involvement and absolute buy-in.”»

A côté de cela, et pour renforcer notre propos, on notera que c’est depuis la conférence de presse de Poutine que les USA ont commencé à prendre des mesures militaires (envois de détachements d’avions de combat en Pologne, entrée d’une frégate de l’US Navy en Mer Noire, etc.). Ils s’étaient abstenus de tout geste de cette sorte, dans tous les cas de façon visible, depuis le 21 février, alors que la période était beaucoup plus tendue et incertaine que depuis le 4 mars. Manifestement, cette gesticulation militaire de pure communication a accompagné l’intervention politique de Poutine, alors qu’on s’en était abstenu jusqu’ici ; elle a même souligné, par contraste et a contrario, un autre geste de “détente” de Poutine, qui avait été de renvoyer dans leurs bases d’origine, loin de l’Ukraine, les forces importantes (150 000, forces aériennes, forces blindées, etc.) rassemblées dans la zone frontière pour une manœuvre surprise de cinq-six jours depuis le 26-27 février.

D’une façon très différente de ce qu’imagine sans doute Poutine, qui juge peut-être que tout le monde a intérêt à chercher un arrangement maintenant que la crise a éclaté, – cela reste à préciser, en n’excluant pas l’idée que son jugement a peut-être évolué depuis le 4 mars, puisque les choses vont vite, – le bloc BAO est nécessairement conduit à voir dans l’attitude du président russe une marque de faiblesse, une amorce de retraite, un commencement de concession unilatérale. La même forme de perception a fonctionné de cette façon durant la crise syrienne où, à plusieurs reprises, le bloc BAO a cru, et proclamé, que des marques de volonté de coopération, d’arrangement là aussi, de la part de la Russie, signifiaient que ce pays était “sur le point d’abandonner Assad”. La question, comme on doit le comprendre, n’est pas d’observer qui a raison et qui a tort du point de vue des positions politiques dans cette occurrence mais bien de comprendre les relations psychologiques, les perceptions évidemment différentes des deux parties. En d’autres mots, ce qu’il importe de comprendre par-dessus tout, c’est que cette différence n’est pas de l’ordre du point de vue mais de l’ordre de la substance même des choses. La parole que n’a pas dite Merkel et qui a été répandue pour discréditer Poutine (voir le 7 mars 2014) n’est peut-être pas objectivement fausse, ce qui serait un étrange raccourci ; simplement, il s’agirait moins de constater que Poutine vit “ “in another world” (que le vrai), mais plus justement que les deux parties, le bloc BAO et la Russie, résident dans deux mondes différents.

... Mais nous savons évidemment que, dans cette affaire, le bloc BAO représente nécessairement le Système, et son action en est complètement dépendante, absolument inspirée, etc. Selon notre méthodologie, observer ce fait nous dégage de la politique et ne conduit pas à quelque jugement que ce soit, voire un engagement nécessaire sur les responsabilités politiques ; il suffit simplement à situer les positions des uns et des autres par rapport au Système. Ainsi, plutôt que dire “la Russie a raison, le bloc BAO a tort” (ou vice-versa, pour les puristes), observer ce fait revient à dire que le bloc BAO est complètement prisonnier du Système tandis que la Russie l’est moins, et qu’elle l’est beaucoup moins par logique antagoniste dans cette circonstance de tension extrême. D’autre part, on observe que cette situation aggrave la perception mentionnée plus haut (non pas “Poutine dans un autre monde”, c’est-à-dire semi-dingue dans le même monde pour tous, mais chacun dans son monde). Par sa dépendance du Système, qui est celle d’un intoxiqué, d’une sorte de junkie, le bloc BAO est tout entier conduit par le Système, et par son moyen le plus puissant d’opérationnalisation qui est le système de la communication ; la Russie l’est beaucoup moins, même si elle est active dans ce domaine, et plus souvent qu’à son tour excellente. Le bloc BAO pense selon la seule communication comme inspiratrice, la Russie pense selon la communication comme moyen et outil.

Quelles que soient les données, les entreprises, la géographie, etc., notre temps est celui où le bloc BAO opérationnalise le Système, et dans ce cas qu’importe la “légalité internationale”, la “souveraineté”, etc., car l’enjeu est au plus haut qu’on puisse imaginer, au-dessus de ces avatars terrestres même lorsqu’il s’agit de principes qui devraient régir les relations internationales. C’est pourquoi il nous faut nous tourner vers le comportement du bloc BAO (ne disons pas “la politique”, le terme est inapproprié, beaucoup trop substantiel, qui ferait croire à une pensée conceptuelle). Pour cela, les remarques de Ochsenreiter nous donnent un bon point de départ, une bonne base de lancement ... : «[...T]he propaganda war is rolling. You cannot stop this... [...] The really disturbing fact is that those media lies are now influencing the thinking and the decisions of the responsible politicians as well...»

La charge aveugle de la pop star

D’abord, il importe de rappeler que les USA sont le principal moteur de l’antagonisme, de la montée à l’extrême antirusse dans le bloc BAO depuis le début mars ; que l’intérêt des USA pour l’Ukraine, – nous parlons de l’intérêt du système de la communication (notamment presse-Système et pundit) et de toute la machinerie du gouvernement par conséquent encore plus que parallèlement, – a été très faible, sinon quasi-nul jusqu’à autour du 20-25 février. Les manigances de Nuland & Cie le démontrent justement et paradoxalement, qui n’ont pu avoir lieu que parce que l’Ukraine n’intéressait pas Washington et que le groupe disposait d’une complète liberté dans son entreprise. Nous écrivions le 21 février 2014, mettant en évidence combien l’“l’intérêt des USA pour l’Ukraine” a commencé par l’aspect le plus anecdotique, le plus “hollywoodien”, et tout entier initié par le système de la communication, des évènements de la semaine du 17 février :

«[L’]absence d’intérêt [US] pour la crise ukrainienne [...] a prévalu même si la machine subversive US a continué à fonctionner... [...] Une journaliste de Saint Louis, Sarah Kendzior, fait une analyse, dans Politico.com Magazine, le 20 février 2014, où elle observe que les médias US ont commencé, depuis quelques tout petits jours, à s’intéresser à l’Ukraine à cause des images, qui montrent des scènes d’apocalypse, – “Journalist Simon Shuster said it was ‘straight out of Hieronymus Bosch.’ Writer Philip Gourevitch thought it was more like Bruegel. But the main word to describe the violent clashes in Ukraine’s capital city of Kyiv was ‘apocalyptic.’”, – d’où le nouveau mot proposé par Kendzior pour qualifier ces articles (apocalypsticle)...»

Mais rien de sérieux n’était fait encore le 20-21 février, puisque les USA étaient exclus de l’accord initié par l’UE et signé entre les deux parties ukrainiennes (l’opposition et Ianoukovitch), alors que la Russie était présente. Cette absence, à notre sens, rendait plus compte de l’indifférence washingtonienne que d’un différend de politique, – le gouvernement US, hors le groupe Nuland, n’en avait aucune par indifférence, et s’il en avait eu une il l’aurait imposée à l’UE qui se serait alignée comme de coutume. Il est très acceptable, après la conversation téléphonique Praet-Ashton (voir le 6 mars 2014), d’envisager l’idée que les tirs de snipers du 21 février qui ont tout fait basculer et balayé cet accord étaient initiés, non seulement par les extrémistes, mais par des réseaux du bloc BAO (William F. Engdhal parle de Gladio, le 28 février 2014) avec le soutien actif de la faction Nuland, ou bien des mercenaires type-Blackwater, société avec laquelle les neocons type-Nuland ont des intérêts financiers communs, – cette occurrence comme seul moyen de faire complètement basculer la situation et de forcer à l’implication de Washington.

Le deuxième facteur qui a conduit à l’engagement complet des USA, avec un basculement dans une politique-rhétorique extrémiste, c’est la situation de communication de l’administration Obama, avec les accusations de repli et de neo-isolationnisme, et de “puissance pauvre” qui ne peut plus agir à l’extérieur (voir le 28 février 2014). Ce point est à notre sens capital : l’hybris de l’universalité de l’empire, de l’exceptionnalisme américaniste, est le moteur psychologique le plus puissant qu’on imagine, et cette fois pour tout l’establishment ; en période de déclin sinon de déroute, il devient un facteur fondamental pour rendre insupportable la reconnaissance de la Chute. On ajoute le complément, dans le même sens, des pressions grandissantes du système de la communication et des extrémistes républicains ou des républicains déjà en campagne électorale selon l’habituelle rhétorique extrémiste (voir le 8 mars 2014 : «[...N)ous dirions sans la moindre hésitation que le brutal durcissement US à la fin-février et au début mars a évidemment et essentiellement sinon exclusivement à voir avec cette campagne démocrate pour réfuter l’argument du neo-isolationnisme»).

On conclut de tout cela que l’aspect politique et stratégique de la situation, et de l’implication des USA qui a servi à radicaliser la situation selon l’affirmation de cette démarche qui se veut rationnelle, est caractérisé par le désordre et l’incohérence, sinon l’indifférence et l’inexistence, sinon la méconnaissance et la crasse ignorance de la chose en général. Effectivement, l’engagement brutal de communication (US) en Ukraine se fait au moment même où le retrait US des affaires du monde est tellement marqué que le sémillant Kerry s’époumone à plaider le contraire, – et l’engagement en Ukraine, effectivement mesure cosmétique de ravalement d’une “image de marque” ternie, et donc pure communication, avec le secrétaire d’État devenant pop star... Les “complots”, eux, ont bien lieu, ils pullulent, ils débordent de fric que tous les organismes subversifs, de USAID à la CIA, des réseaux autonomes type-neocons à la galaxie-Soros, distribuent à peu près à tout le monde pour ne pas rater le gagnant éventuel. Pour autant, si les complots ne parviennent pas à activer le système de la communication qui est la masse fondamentale d’influence directrice de la politique, ils n’ont aucune signification et aucun poids inspirateur fondamental, aucune fonction de source originelle et conceptuelle de la crise, ni même aucun sens opérationnel sinon l’automatisme habituel de déstructuration et de désordre. L’élément essentiel est le système de la communication, et nous en parlons en vérité, comme nous sommes accoutumés de le faire, comme d’une entité autonome, hors du contrôle humain ; c’est-à-dire que, si cette masse dynamique puissante, et autonome dans son action, parvient à être intéressée par les stimuli extérieurs et des événements divers, c’est elle qui prend en main la situation opérationnelle et la conduit.

La spécificité de la crise ukrainienne, c’est la démonstration, ou la confirmation furieuse que rien n’arrête la poussée du système de la communication, qui est désormais le principal moteur de la dynamique de surpuissance du Système. (L’autre moteur dynamique du Système, le système du technologisme, opérationnalisé dans ce cas envisagé par l’appareil militaire, est dans l’état où on l’a déjà décrit [voir le 3 mars 2014], avec le symbole terrible de l’US Army revenu pour ses effectifs au niveau de 1940, sorte de “retour à la case départ”, et l’efficacité technologique conduisant à une situation pire encore : «Il n’y a pas “retour à la case-départ”, il y a retour au sous-sol de ce qu’était “la case-départ”, un sous-sol qui est une impasse décisive puisqu’il s’agit de la fermeture des perspectives capacitaires réelles par une impasse tendant vers zéro...»)

Cette poussée du système de la communication, dans le cas envisagé, déploie désormais deux nouveaux caractères pour opérationnaliser sa surpuissance : une extraordinaire rapidité de déploiement, qui est le caractère même de la crise ukrainienne, et une indifférence totale aux facteurs habituels de la géopolitique, que ce soit la géographie, la cohérence idéologique, etc. (Pour cette raison, nous jugeons contradictoire, par rapport à son discours général, que Ochsenreiter qualifie la crise de «purely geopolitical conflict».) En effet, l’attaque sur l’Ukraine, avec la cohorte Euromaidan composé des éléments qu’on sait, avec bien assez de facteurs voyants et vociférants pour prêter le flanc à toutes les accusations de résurgence de “la bête immonde” (fasciste, nazie, etc.) si chère au Système pour ses entreprises de démonisation mais cette fois de son côté, cette attaque représente un acte d’une énorme imprudence du point de vue de la communication justement, une prise de risque colossale pour un bloc BAO qui est dans un état désespérant de déliquescence et dans une trajectoire d’effondrement qui le rendent immensément vulnérables aux fameux blowback (“coups de fouet en retour”). Mais le bloc BAO est désormais enchaîné au système de la communication, qui le dirige, lui impose ses décisions, et tout cela ne peut aller que dans le sens voulu par la dynamique de surpuissance aveugle de ce système, qui ne peut qu’aller de l’avant sans restriction aucune, qui entend absolument imposer sa loi sans la moindre concession ni aménagement, au risque évident de l’autodestruction, – sans compter les avatars du type-Janus du fait que ce système de la communication prend souvent en compte, par goût opportuniste du sensationnalisme, des mesures dans son opérationnalité qui avantagent objectivement l’adversaire. Le bloc BAO s’est engagé dans l’aventure la plus folle qui se puisse imaginer car en fonction de son entrée tonitruante et de sa montée aux extrêmes il doit en sortit complètement vainqueur alors qu’il a affaire au plus puissant et au plus déterminé des adversaires qu’on puisse imaginer (la Russie de Poutine) ; car s’il n’en sort pas totalement vainqueur, – et à cet égard, on lui souhaite bonne chance, – il court le risque terrible de voir l’incendie qu’il a allumé se propager contre lui, et à quelle vitesse, – effet d’autodestruction accéléré par le caractère-Janus de ce système... On ne se désengage pas d’Ukraine, une fois la sottise conduite à son terme, comme l’on se désengage de Libye ou de Syrie. (Et l’on ne se désengage pas d’une confrontation avec la Russie comme l’on se désengage d’Irak ou d’Afghanistan.)

En cela, on voit bien que seul le système de la communication est le vrai inspirateur de l’évolution de la crise, et sa surpuissance interdit toute pensée rationnelle, toute prudence calculatrice qui font les politiques acceptables, capables de savoir jusqu’où il faut aller trop loin, quand retirer les pions encore utiles lorsque le sort tourne à l’infortune. C’est là que s’impose l’idée de Ochsenreiter («The really disturbing fact is that those media lies are now influencing the thinking and the decisions of the responsible politicians as well...»), mais transcendée à un domaine bien plus haut, conceptuellement à un domaine qui est d’une autre nature que la propagande. Les décisions jusqu’au fondamental sont prises en fonction de l’évolution du système de la communication, non pas de la seule propagande, c’est-à-dire non pas en fonction de mensonges pur et simple et limités à eux-mêmes mais en fonction de construction structurée (et évidemment faussaires et subversives). Il s’agit des narrative qui enchaînent les décideurs non à cette circonstance limitée du mensonge mais à toute une théorie de développement viciée, à toute une conception conceptuelle faussaire, et finalement, d’une façon inéluctable, à une perception du monde invertie qui leur est imposée. La narrative sur l’Ukraine est colossale, à l’image des enjeux, et l’engagement dans cela est bien “l’aventure la plus folle qui se puisse imaginer” pour le bloc BAO.

En effet, la surpuissance du système de la communication règle aussi les dimensions de l’affrontement et, avec l’Ukraine, cette dimension est nécessairement globale puisque la partie adverse qu’on engage directement est une puissance stratégique nucléaire, dont la puissance d’influence ne le cède qu’aux USA, dont le rôle est nécessairement global. Dans ce cas et compte tenu de la position géographique et de la perception symbolique de l’Ukraine, la dynamique du système de la communication pousse nécessairement vers un affrontement direct entre cette puissance, la Russie, et les USA qui sont totalement impuissants à réfréner la tendance à l’engagement direct vers laquelle les pousse le Système, – et cela malgré les tentatives en sens contraire des appréciations rationnelles et mesurées de certaines forces au sein du système de l’américanisme (au Pentagone, comme toujours, paradoxale force d’apaisement parce que sa puissance et son statut dépendent de l’exposition et du déploiement bien rangé de ses forces, et non de leur usage et de leur gaspillage). (Et, bien entendu, puisque les USA sont poussés à l’activisme, notamment avec divers détachements militaires symboliques affectés à des pays OTAN, voire à l’Ukraine, pour marquer leur “engagement”, l’OTAN suit fidèlement, conduite par la vue basse de sa bureaucratie irresponsable. On voit s'esquisser diverses mesures de “coopération”, de “consultation”, des mesures symboliques, etc., de l’OTAN vers l’Ukraine, selon l’habituelle doctrine de phagocytage de ce monstre bureaucratique [l’OTAN].) ... Ainsi, lorsque nous parlons d’une telle possibilité (“affrontement direct” entre les deux puissances), il s’agit bien d’un engagement “direct”, et non seulement par proxy, par mercenaires type-Blackwater interposés, etc. (Ceux-ci, notamment les mercenaires type-Blackwater/revu-Academi, qui seraient désormais entre 1 800 et 2 100 en Ukraine, et essentiellement déployés dans l’Est et le Sud-Est russophones de l’Ukraine, ne serviront par leurs actions qu’à hâter un probable engagement russe dans cette région, et une implication US de facto.) On pourrait dire que les deux puissances, Russie et USA, sont symboliquement, avant de l’être (rapidement) opérationnellement, face à face et qu’aucune ne peut perdre la face.

La grande différence de l’actuelle situation et des situations de la Guerre froide paroxystiques que la première pourrait sembler dupliquer en cas de son propre paroxysme, c’est l’effacement complet des individus et de tout ce qui fait une direction humaine à cause de la rupture des perceptions, au profit du système de la communication d’une part, des événements qui surgissent et provoquent leurs effets d’autre part. De ce fait, il n’y a aucune règle tacite, aucune possibilité de voir une perception équivalente commune acceptant un brutal changement d’elle-même, passant d’une vision fractionnée des propres intérêts de chacun à une vision générale des intérêts communs. (L’exemple de Kennedy-Krouchtchev durant la crise des fusées de Cuba de 1962 ; à partir d’un moment donné de la crise, ils ont en commun modifié leur perception en passant des intérêts stratégiques de chacune des deux parties à une appréciation commune du danger universel d’un affrontement nucléaire.) Ainsi ce sont les événements qui parlent, les “courants”, les impulsions emportant les psychologies, excitant directement le système de la communication et soumettant la politique à des situations imprévues et extraordinaires, et conduite à des décisions qui le sont tout autant. Il y a là une probabilité d’incapacité totale du facteur humain de prendre le contrôle de cette crise, et cela nécessairement au détriment du bloc BAO puisque la Russie se tient sur ses fermement sur ses marches, adossée à ses nécessités existentielles, nullement partie prenante de “l'aventure la plus folle”.

En d’autres termes, nous voyons cette crise ukrainienne comme totalement prisonnière du système de la communication et de ses exigences et déformations sans fin, y compris ses effets-Janus, dans une situation où rien ne pourra terminer cette crise d’une façon apaisée, ordonnée, satisfaisante, ce qu’on nomme une “sortie de crise”. Le modèle est déjà à l’œuvre en Syrie : du temps de la Guerre froide, une crise comme la crise syrienne, en admettant qu’elle ait pu être déclenchée (bien improbable), aurait été effectivement terminée lors de la réunion dite Genève-I, en juin 2012 (voir le 3 juillet 2012), au lieu de quoi l’on ne peut que constater le développement d’un affrontement sans fin, ouvert à toutes les possibilités. Ainsi “l’aventure la plus folle qui se puisse imaginer” est bien celle qui, en croyant faire tomber un “domino” de plus (drôle de “domino” déjà tombé, l’Ukraine de la “révolution Orange” de 2004), a en fait installé un foyer d’instabilité, un foyer d’infection au centre de la masse continentale euro-russe, avec comme premier effet de confronter la Russie à des tensions antagonistes inacceptables, c’est-à-dire à la mettre sur le pied de guerre selon le fait absolument fondamental que la crise actuelle est une crise existentielle pour elle et que rien, absolument rien ne peut figurer face à cet argument irrésistible et quasiment exclusif. Voici le bloc BAO, par la grâce du système de la communication, placé d’une façon déclarée devant son ennemi fondamental sur le pied de guerre, dans des conditions où seul l’affrontement militaire ou la déroute honteuse pourrait permettre de trancher le nœud gordien, alors que même les plus durs parmi les siens reconnaissent qu’on ne peut affronter la Russie militairement dans ces conditions (le sénateur McCain ne cesse de le répéter) ; ayant ainsi fait de la Russie son ennemi fondamental sans s’être donné les moyens de la vaincre ... Sans aucun doute, “l’aventure la plus folle qui se puisse imaginer” pour le bloc BAO, parce que le bloc BAO n’a pu à aucun moment imaginer sur quelle voie il était entraîné par le système de la communication.

D’où il ne reste plus qu’à se tourner vers les issues extrêmes, comme celles envisagées dans notre texte du 3 mars 2014. La perspective du processus d’effondrement du Système a toute notre faveur et tout notre intérêt intellectuel.

 

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