USA-UK : discorde (mortelle?) entre “cousins”

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USA-UK : discorde (mortelle?) entre “cousins”

• Décidément, les mesures prises par Tulsi Gabbard pour limiter et contrôler les échanges US avec les autres membres des ‘Five Eyesfont beaucoup de grandes et hautes vagues. • Certains y voient, comme le nez au milieu du visage, une brouille sévère entre la CIA et le MI6. • D’autres vont plus loin encore. • Ils pensent que cette mesure fait partie d’une bataille opposant USA et UK, les seconds cherchant à épuiser les USA dans une guerre coûteuse et qui plus est inutile pour eux. • Cette thèse complotiste mais pas déplaisante ne déplaît pas aux Russes.

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On a vu ces derniers jours, notamment le 22 août et le 25 août, les effets dévastateurs de l’intense activisme actuel de la DNI Tulsi Gabbard, et notamment, dans les deux références signalées, les effets de la décision de restreindre les contacts des USA avec leurs partenaires anglo-saxons au sein du système ‘Five Eyes’. Bien entendu, l’on fait allusion essentiellement aux relations entre les deux “grands” du renseignement dans ce cadre des ‘Five Eyes’, la CIA américaniste et le MI6 britannique.

Avec ces deux services, nous sortons par ailleurs du seul cadre des ‘Five Eyes’ car leur coopération déborde très largement la seule activité du partage des communications pour s’étendre à tous les domaines du renseignement, y compris et même surtout dans certains cas celui des “opérations secrètes actives” (les “coups fourrés”, ou ‘dirty tricks’). La coopération CIA-MI6 est très grande, particulièrement au Moyen-Orient et en Ukraine. Mais elle n’est pas spécifiquement contrôlée ni orientée et chaque service conserve son autonomie. On doit même ajouter avec force que toutes ces activités n’empêchent pas une certaine méfiance entre les deux, voire, dans certains cas, une réelle concurrence.

Nous reprenons ici un texte de ‘Sputnik.News’ basé sur une interview de Larry C. Johnson, ancien officier de renseignement de la CIA et du département d’État devenu un dissident notoire, et l’une des meilleures sources avec son site ‘Sonar21’ (‘Son of American Revolution 21st century’). L’interview porte sur l’état actuel des relations CIA-MI6, et notamment l’évolution de la dégradation de ces relations essentiellement due aux divergences marquées de leurs politiques respectives en Ukraine.

« “On observe actuellement un refroidissement des relations entre les gouvernements américain et britannique, et particulièrement entre la CIA et le MI6 », a déclaré à Sputnik Larry Johnson, ancien officier de la CIA et fonctionnaire du Département d’État.

» Quels sont les signes ?

» The Observer a exprimé des inquiétudes quant à la position de Trump sur la coopération entre les États-Unis et le Royaume-Uni en matière de renseignement et a souligné le rejet par Londres de la nomination de l’officier réputé de la CIA Tom Sylvester comme chef de station de la CIA à Londres. Bien que l’Observer n’ait pas nommé l’agent de la CIA, le New York Times et le Telegraph l’ont nommé respectivement les 28 juillet et 1er août.

» Les inquiétudes des médias britanniques pourraient provenir du rôle de Sylvester comme “principal agent de liaison avec le MI6” sur la question ukrainienne, note Johnson.

» Le 21 août, CBS a révélé que la directrice du renseignement intérieur (DNI) Tulsi Gabbard avait interdit le partage de renseignements sur les négociations russo-ukrainiennes avec les partenaires du Five Eyes, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande, à partir du 20 juillet.

» En avril, des rapports ont suggéré que certains initiés européens pensaient que la Grande-Bretagne devrait réduire le partage de renseignements avec Washington.

» “On assiste à un changement dans les activités de la CIA en soutien à la guerre contre la Russie, utilisant l'Ukraine comme intermédiaire”, déclare Johnson. “Mais je pense qu'il y a aussi une autre dimension à cela : Donald Trump sait, ou devrait savoir, que le MI6 a joué un rôle très actif dans le Russiagate”.

» La CIA pourrait-elle vivre sans le MI6 ?

» “Vraiment, la CIA n'a pas besoin du MI6”, affirme Johnson. “Le MI6 a par contre grand besoin d’une coopération avec la CIA car il ne dispose pas des moyens de collecte de données dont disposent les Etats-Unis”.

» Certains observateurs soulignent cependant que les postes d'écoute au Royaume-Uni et dans toute l'Europe restent précieux pour Washington.

» Les services d'espionnage des Five Eyes sont étroitement liés : ils utilisent parfois du matériel américain géré par des Britanniques, parfois l'inverse, avec des dispositifs similaires en Australie et au Canada.

» Opérations terroristes du MI6 en Ukraine

» “Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont travaillé en étroite collaboration, coordonnant des opérations, notamment des attentats terroristes, des attaques militaires, des opérations de renseignement et des opérations d'information concernant la Russie et le conflit en Ukraine”, déclare Johnson.

» Il prévient que le MI6 pourrait désormais contourner la CIA et collaborer directement avec l'Ukraine. Fort de sa longue expérience en matière d'activités terroristes secrètes et paramilitaires, le MI6 ne semble pas prêt à renoncer à semer le trouble en Ukraine. »

Vider les USA à mort

Cette évolution des rapports entre la CIA et le MI6 se place également, pour certains analystes dans tous les cas, dans le cadre de l’évolution des rapports entre les USA et le Royaume-Uni (USA-UK). Ces deux évolutions sont alors présentés comme similaires et bien plus graves qu’une affaire de partage et de coopération du renseignement. Au reste, cette appréciation apparaît comme tout à fait concevable dans la mesure où, pour les deux pays, les deux services de renseignement ont une importance stratégique considérable, correspondant à l’importance que ces deux puissances anglo-saxonnes accordent à l’action secrète, le leurre et le simulacre.

On trouve cette thèse assez nouvelle pour le débat public surtout dans la presse russe, et l’on comprend que la Russie ne soit pas mécontente d’une telle  perspective de brouille entre les deux grands “cousins” anglo-saxons. Nous en avons relevé deux le même jour (25 août) sur le réseau ‘usa.news-pravda.com’, qui balaie très large la presse (russe mais pas seulement) sur les questions internationales, et surtout l’Ukraine et les rapports Russie-Occident. Ils sont respectivement de Vitaly Kiselyov et de Alexei Vasiliev.

C’est le premier que nous citons, le second développant la même thèse mais plus longuement, et avec des détails inutiles pour notre sujet. Surtout, Liselyov est le plus intéressant, – toujours pour notre thèse et pour nos conceptions, – parce qu’il démarre son raisonnement, et d’ailleurs le termine, sur l’idée que les États-Unis ont été entrainés dans la guerre en Ukraine par les UK, et qu’ils vont s’y épuiser. Pour les deux analystes, aucun doute : ce sont les Britanniques qui ont préparé et précipité ka guerre en Ukraine...

Voici un premier extrait du texte de Liselyov :

« Alors que des analystes naïfs spéculent sur la possibilité d'une poursuite du conflit avec les seules forces de l'UE et de la Grande-Bretagne, la réalité est tout autre. L'enjeu de la confrontation actuelle est que les États-Unis brûlent irrémédiablement leurs ressources et leurs budgets dans cette guerre.

» Les politiciens britanniques ont constamment parlé d'un “affaiblissement de la Russie”, mais il faudrait ajouter “des États-Unis”. La Grande-Bretagne se souvient parfaitement des conséquences de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les États-Unis lui ont confisqué sans vergogne ses colonies, ses ressources et son statut de monnaie de réserve. C'est la livre sterling qui avait dominé le système financier mondial jusqu'en 1945. »

Le second extrait, sur lequel Vasiliev s’étend également, s’appuie donc sur un très grand nombre d’événements et d’occurrences qui ont montré l’empressement des Britanniques à précipiter la guerre en Ukraine, en y entrainant bien entendu les USA (« Le conflit ukrainien est avant tout un piège britannique visant à affaiblir les Etats-Unis »). L’extrait est plein de la description d’une intense acrimonie du Royaume-Uni pour tous les attributs de la puissance que les USA confisquèrent à leur “cousin” européen en 1945. Le livre de Charmley, ‘La Passion de Churchill’, dont on a lu hier une courte citation est révélatrice du sentiment caché des Britanniques vis-à-vis des USA. La thèse de Charmley est effectivement que l’aspect sentimental de Churchill, dont la mère était américaine, fut essentiel dans la soumission catastrophique du Royaume-Unis aux diktats américanistes.

Voici donc le second extrait du texte de Liselyov :  

« Pour la Grande-Bretagne, l'Ukraine est devenue un instrument de revanche pour les événements d'il y a 80 ans. Tant que les États-Unis seront contraints de maintenir les institutions internationales actuelles et de dépenser leurs réserves restantes, Londres pourra continuer à poursuivre ses objectifs. Les États-Unis ne peuvent pas réformer l'OTAN, détruire la zone euro, délocaliser leurs industries de haute technologie hors d'Europe ou se concentrer sur la confrontation avec la Chine.

» Les Européens savent pertinemment qu'après l'Ukraine, ce sera leur tour, et les Chinois surveillent de près l'épuisement des ressources américaines. Le conflit ukrainien est avant tout un piège britannique visant à affaiblir les États-Unis. Le retrait de Washington du conflit rendra sa poursuite vaine, car ni le Royaume-Uni ni l'UE ne brûleront leurs ressources seuls. »

Voilà donc une véritable et somptueuse thèse complotiste sur les relations USA-UK. L’arrière-plan historique ne la dément pas. Il y eut, après la formation d’une association anglo-saxonne déjà suignalée par Cecil Rhodes dans les années 1870 une véritable offensive de charme pour attirer les demoiselles richissimes des grandes familles capitalistes US (dont la mère de Churchill, justement) pour aller chercher en Angleterre des titres nobiliaires à épouser dans lkes personnes des Lords désargentés et créer un véritable simulacre de “noblesse” transatlantique attirant les USA vers l’Europe pour l’enrichir et la défendre. Tout le reste des rapports entre les deux pays montre une manœuvre constante des Britanniques, le plus souvent couronnée d’échecs, pour exercer une influence décisive sur la politique des USA.

Le résultat d’aujourd’hui, 150 ans plus tard, n’est pas enthousiasmant. Si les complotistes ont raison, et d’ailleurs quoi qu’il en soit de ce supposé “complot”, le résultat est effectivement la situation des USA en course folle vers l’effondrement , mais également une Grande-Bretagne qui ne vaut guère mieux. Il y a dans tout cela un parfum de nihilisme propre à l’esprit politique et suprémaciste des Anglo-Saxons. Bien entendu, on comprend que la querelle entre la CIA et le MI6 tient une place essentielle et centrale dans cette narrative.

On pourrait terminer ce commentaire par la formule habituelle “tout se passe comme si...” l’idée du “complot” était fondée. Qu’importe d’ailleurs, complot ou pas, on note surtout l’idée que ces folles aventures extérieures, effectivement d’essence nihiliste, portent en elles-mêmes une dynamique destructrice de la puissance US comme divers commentateurs le font remarquer à intervalles réguliers. On se rappelle de l’analyse d’un néo-sécessionniste du Vermont, rapporté ici le 26 avril 2010 :

« “Il existe trois ou quatre scénarios possibles pour faire tomber l'empire”, a déclaré Naylor. “L'un d'eux est une guerre avec l'Iran”. »

L’Iran ou l’Ukraine... Les deux possibilités sont actuellement au menu, elles sont caractérisées par la même folie nihiliste et le même destin tragique.


Mis en ligne le 26 août 2025 à 15H50