Une histoire de l’Allemagne

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Une histoire de l’Allemagne

13 juillet 2017 – Voici une histoire de l’Allemagne qui n’a rien d’officiel, rien d’académique, rien d’estampillé conforme, rien de scientifiquement historiographique selon les canons de la chose. Mais elle ne me semble pas absurde et elle correspond complètement à une logique qui rejoint ma propre intuition métahistorique telle que je tente de l’exposer, notamment dans La Grâce de l’Histoire, à partir de l’événement dit du “déchaînement de la Matière”.

La chose vient d’un livre d’un nommé Jean Bardanne (de son vrai nom Jean Bauret), auteur prolifique et totalement inconnu, ou dans tous les cas complètement oublié. (Je parle là de ma propre expérience.) Né sans doute en 1894, il a publié près d’une trentaine de livres dont le dernier, semble-t-il, en 1952. La plupart d’entre eux, publiés entre les deux guerres, portaient sur l’Allemagne et faisaient partie de ces livres en si grand nombre, essentiellement sinon exclusivement de droite, très antiallemands, qu’on s’est empressé d’étouffer et d’oublier depuis parce qu’il n’est pas très sexy voyez-vous qu’on puisse se rappeler qu’entre les deux guerres ce fut la droite jusqu’à l’Action Française ô combien qui fut farouchement anti-allemande. (Même chose pour la résistance, et notamment les débuts de la résistance venus en très grande majorité de la droite et de l’extrême-droite, – pas sexy non plus.)

Il est difficile dans cette sorte de livres que publiait Bardanne de distinguer la fiction de la réalité, comme il est difficile de donner une appréciation de la fiabilité des sources, comme il est très-difficile j’en suis sûr de considérer Bardonne comme un auteur “sérieux”. Même lorsqu’il s’affirma jusqu’en 1941 comme un maréchaliste modéré, ce qui pourrait remplir de satisfaction nos moralistes courants de la presseSystème, il le fit en dénonçant furieusement la collaboration et resta constamment un ennemi de l’Allemagne, comme il s’affirma dans toute sa carrière (ses livres sont essentiellement politiques) comme un dénonciateur du danger allemand... Pas “sérieux” même dans la collaboration, mais patriote.

(Combien ce terme, “sérieux”, est trompeur, ambigu, vachard et manipulateur. Nous sommes noyés d’auteurs “sérieux“, diplômés, CNRSisés, académisés, réseau-socialisés, postmodernisés, déconstructeurisés, qui font pleuvoir sur nos pauvres esprits des déluges de sornettes infantiles écrites avec une gravité à ne pas croire, appuyés sur des sources à la fois fiables et magiques, et finalement inspirés du diable qui toujours a si bien inspiré les sots infantiles. Chaque époque a son fardeau, la nôtre porte l’abysse terrible et sans fond comme jamais le diable n’en inspira, lieu d’accueil de leur infantile et médiocre sottise.)

Je vais donc citer un passage (p.83-88) de son livre de 1946, aux éditions Siboney, La guerre pour 1948 ? D’une certaine façon, on comprend son absence de notoriété, lui qui continuait à dénoncer le danger allemand après 1945 alors que la politique générale, dictée par les USA, était l’intégration accélérée d’une Allemagne “démocratisée” dans le pseudo-Monde Libre.

Dans son livre, Bardanne semble décrire une enquête qu’il a effectuée en Allemagne en 1946, où il dénonce le danger d’un néo-nazisme destiné à s’allier aux puissances anglo-saxonnes contre le bolchévisme. Si l’on considère l’Histoire telle qu’on la raconte aujourd’hui aux enfants bien sages, cela ressemble à un complet délire... (Pour autant, qu’il me soit permis de rappeler qu’on peut fixer une époque extraordinairement incertaine, complètement étouffée par l’historiographie officielle, dans les années 1945 et 1948, qui est présentée dans le Glossaire.dde comme « Le “Trou Noir” du XXème siècle ». Dans ces années-là, bien des politiques qui nous paraissent insensées étaient envisageables.)

Au cours de ses pérégrinations, Bardanne rencontre un universitaire allemand, le professeur Kannengesser, qualifié par Bardanne d’« antitotalitaire intégral » et, pour mon compte, absolument inconnu. L’intérêt qui me conduit, c’est que ce Kannengesser, en voulant parler de la situation existante alors en Allemagne, est amené à faire un historique qui l’a conduit à la catastrophe de 1945. Il s’agit d’une vision absolument anti-prussienne qui nous permet de revoir certaines impressions générales d’une façon radicale. J’en énonce quelques-unes, à partir de mon savoir assez restreint...

• La Prusse est une imposture à tous égards y compris pour sa prétendue noblesse et sa grandeur, par rapport au reste de l’Allemagne, en termes de civilisation, d’organisation et de cohérence, de capacité de rangement des choses. Elle est en vérité un facteur de déséquilibre dont le seul argument par rapport aux autres composants allemands est la force ; elle n’est pas très loin d’être inspirée par des forces diaboliques et représente parfaitement ce que Guglielmo Ferrero nommait l’“idéal de puissance”.

• En voulant unifier l’Allemagne sous la férule de la Prusse, Bismarck a créé le pangermanisme qu’il ne cherchait nullement en tant que tel. Il a ouvert la boîte de Pandore, libéré le monstre qui a ensuite évolué de lui-même, sans discontinuer ni rupture réelle, jusqu’au nazisme.

• Il n’y a donc aucune “parenthèse démocratique” (thèse selon laquelle Weimar, bien que trop faible pour résister à Hitler, avait travaillé vec ardeur pour démocratiser l'Allemagne). Au contraire, il y a continuité et filiation directe ; comme l’affirme le professeur Kannengesser, Weimar “n’a pas démocratisé l’Allemagne, elle l’a nazifiée”, elle l’a préparée à Hitler. (C’était une idée assez proche de celle de Bainville, le nazisme en moins [Bainville mourut en 1935, avant de pouvoir apprécier le nazisme]. Bainville jugeait en 1923 les sociaux-démocrates allemands comme tout aussi pangermanistes que le Grand-Quartier-Général et comme les continuateurs à peine dissimulés de l’entreprise impériale. Il écrivait en 1924, à propos de Sadowa où la Prusse écrasa l’Autriche-Hongrie : « La France, en 1866, a crié : “bon débarras” à ce vieux particularisme allemand rossé par la Prusse; nous paierions cher pour le ressusciter aujourd'hui et nous saluerions avec plaisir sa renaissance... » Bainville chroniquait, est-il besoin de le rappeler, à L’Action Française.)

• Autrement dit, la Prusse est une ruse du diable dans le “déchaînement de la Matière”, pour emporter la masse allemande vers une folie qui déchira l’Europe pendant deux siècles. Dans ce cas, impossible d’exonérer la responsabilité dynamique allemande dans la guerre de 1914, avec cette Allemagne qui était avec sa puissance industrielle et démographique, en même temps que sa fureur pangermaniste, comme une formidable chaudière productrice d’énergie et de puissance au centre de l’Europe ; ainsi le pangermanisme a-t-il aussi un aspect mécanique, du progrès industriel irrésistible que représente l’Allemagne qui s’inscrit lui aussi dans le “déchaînement de la Matière”.

(Extrait des Âmes de Verdun : «Il y a un autre facteur important, auquel en Allemagne nous ne prêtons pas toujours attention : c'est l'impression que fait l'Allemagne vue du dehors ; on jette le regard sur cette chaudière européenne (c'est moi qui souligne [écrit von Bulow, en commentaire de la lettre de Rathenau]), on y voit, entourée de nations qui ne bougent plus, un peuple toujours au travail et capable d'une énorme expansion physique ; huit cent mille Allemands de plus chaque année ; à chaque lustre, un accroissement presque égal à la population des pays scandinaves ou de la Suisse ; et l'on se demande combien de temps la France, où se fait le vide, pourra résister à la pression atmosphérique de cette population.»)

• On notera que jamais les particularismes intérieurs allemands ne furent complètement vaincus, jusqu’à la catastrophe hitlérienne. Il y a cette anecdote du professeur Kannengesser de troupes bavaroises tirant sur des régiments prussiens en 1916, cette intervention suivie d’un ordre d’une très dure punition décidée par le Kaiser et transmise au général Ludendorff particulièrement contrariée ; puis Ruprecht de Bavière, qui commande les armées bavaroises menaçant de retirer ses forces et d’ouvrir ainsi le front aux Français si les sanctions n'étaient pas abandonnées et Guillaume II cédant finalement... Les traités (Versailles, Trianon) imposés par les Alliés en 1919 étouffèrent tous les particularismes allemands et liquidèrent la puissance stabilisatrice antiprussienne de l’Autriche-Hongrie, préparant ainsi parfaitement la guerre en confirmant la structure de l’unification allemande. (Bainville avait vu cela dans ses Conséquences politiques de la paix... Il me semble que, lorsqu’on voit l’Allemagne en action aujourd’hui, aussi bien avec l’épisode grec que dans sa façon de traiter les autres au sein de l’UE, y compris pour l’affaire des réfugiés, il s’agit bien de l’Allemagne décrite et décriée par le professeur Kannengesser... « L’État-molosse, étrangleur d’hommes » de Kannengesser, c’est aussi bien l’UE comme institution-lige de Berlin.)

Ci-dessous, le passage (p.83-88) du livre de Bardanne, publié en 1946 aux éditions Siboney.

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Extraits de La guerre pour 1948 ?

Le métier semble avoir repris le professeur Kannengiesser au point de se croire au pupitre devant sa classe sur laquelle il “déverse l’arrosoir” de sa science. Sa face rébarbative, soudain comme illuminé de foi, m’impressionne. Avec une passion qu’il a peine à contenir, il expose :

– La vieille Allemagne, monsieur, c’était la bonne et surtout la vraie Allemagne, au caractère débonnaire, d’une physionomie pittoresque, dont tous les gouvernements avaient, avec un charme désuet peut-être, une politique patriarcale. Chaque royaume, chaque duché, chaque principauté constituait un foyer de culture, une immense famille autour du “père du pays”. On ne pensait alors ni aux guerres, ni aux conquêtes, mais aux bonnes alliances de familles princières. Le malheur de cette bonne vieille Allemagne, celle des antiques familles (comme les Wittelsbach qui régnaient déjà au XIIème siècle), c’est que, justement, n’ayant pas d’ambition politique, elle laissa peu à peu, après la disparition de Napoléon, les aventuriers de Berlin mener les affaires de haute diplomatie... Ce fut l’origine de tous les malheurs.

» L’homme qui a transformé la Germanie et lui a changé non seulement le visage mais l’âme, c’est le prince de Bismarck. C’est lui qui, utilisant au profit de son maître, le pouvoir brutal adapté à la force scientifique, a mis en mouvement cette lourde masse populaire d’origine infiniment mêlée surgissant de cette Prusse froide, pauvre, déshéritée, inhospitalière, sans goût et presque sans autre histoire que la seule nomenclature fastidieuse de rapts, de pillages et de trahisons de ceux avec lesquels elle avait contracté des accords.

» C’est Bismarck qui a lancé les hordes de Brandebourgeois mêlées d’éléments slaves et conduites la plupart du temps par des Français renégats, – des grands noms de votre pays, monsieur, – venus servir le Prussien pour échapper au sectarisme religieux de vos souverains. C’est Bismarck qui a lancé ces barbares contre l’Autriche et la vraie Allemagne. C’est lui qui, pour placer à la tête de la Germanie les descendants de petits Burgraves de Nuremberg improvisés rois de Prusse, fit quitter à la vieille Allemagne “ses châteaux de la Belle-au-Bois-Dormant”, secoua sa philosophie accommodante qui avait charmé Renan et étouffa son lyrisme qui avait ravi Victor Hugo.

» C’est Bismarck, – dont les rêves ont dépassé d’ailleurs les espérances, – qui a lâché sur la civilisation allemande la brutalité prussienne sans se douter que la noblesse militaire créée par Frédéric le Grand, les hobereaux et les semi-intellectuels de Berlin n’auraient pas la robuste vertu de se contenir.

» Bismarck, en créant l’Empire allemand, en plaçant les princes allemands sous le joug despotique des Hohenzollern, a fait triompher l’autoritarisme prussien et implanté les théories des énergumènes du pangermanisme.

» L’inutile guerre de 1914 fut la conséquence de la domination des Hohenzollern sur les autres princes allemands. Jamais un Wittelsbach n’aurait consenti à semblable aventure.

– Mais il y participa avec toutes ses forces et sans protester.

– En 1916, sur le front français, dans un cantonnement de repos, les Bavarois étaient tellement exaspérés contre les chefs de l’Allemagne qu’ils ouvrirent le feu sur une compagnie prussienne.

» Le Quartier Général, très ennuyé de l’incident et connaissant l’état d’esprit des Bavarois, avisa Guillaume II qui ordonna qu’un soldat sur dix fût passé par les armes. Mais Ruprecht de Bavière, apprenant la décision du Kaiser, téléphona à Ludendorff, – depuis quelques jours quartier-maître de l’armée allemande, – pour lui notifier qu’il donnerait dans la nuit, lui Ruprecht de Bavière, l’ordre à ses troupes de quitter leur emplacement de combat, que le quartier-maître général veuille donc prendre toutes mesures pour assurer la relève, s’il ne voulait pas que le lendemain les adversaires de l’Empire n’aient plus de troupes devant eux dans le secteur d’Arras. Guillaume II fut prévenu. Il eut, par téléphone, un entretien violent avec Ruprecht qui ne céda point. Guillaume dut annuler son ordre.

– Les Bavarois ont bien changé ! Ils furent cette fois, et de leur plein gré, les plus fidèles collaborateurs des Prussiens.

– Précisément, et ceci par la faute des Alliés qui favorisèrent la destruction des vieilles dynasties princières, qui instaurèrent une république centralisatrice entièrement à la solde du capitalisme et de l’autoritarisme pangermaniste

» Pour satisfaire les uns leur sectarisme, les autres leurs formules creuses, vous avez tué le véritable esprit démocratique et patriarcal qui régnait chez nous. Vous avez commis la même erreur en Autriche. Et les gens auxquels vous faisiez confiance ont préparé, avec votre appui, l’explosion la plus violente du pangermanisme prussien, une explosion devant laquelle vous n’avez pas eu le courage de réagir lorsqu’il était encore possible de le faire.

» D’ailleurs, vos réactions n’eussent fait que retarder l’heure de la guerre puisqu’en face du pangermanisme prussien, il n’y avait pas le contrepoids des anciens États et de leurs petits souverains. Vous croyiez les avoir démocratisés, vous les avez nazifiés. »

Et se levant de son siège, me dominant de toute sa longue maigreur, le doigt tendu, le professeur me posa la question suivante :

– Savez-vous ce qu’est réellement l’autoritarisme prussien ?

Mais avant que j’ai pu répondre, il poursuivit :

– Inutile de chercher une définition politique, – une formule chimique conviendrait mieux. L’autoritarisme prussien, c’est le fumier sur lequel se sont vautrés les Hohenzollern et qui a été enrichi de leur fiente d’envie, d’orgueil, d’appétit, de vices. Le fumier a été répandu sur toute l’Allemagne et c’est sur ce fumier qu’ont poussé ces champignons vénéneux que l’on appelle : pangermanisme, bolchevisme, fascisme, hitlérisme. Tous ces cryptogrammes sont des moisissures sur le fumier prussien.

» L’autoritarisme prussien, que la politiquer des Alliés renforça en 1919, a étranglé la vraie Allemagne, qui a fait disparaître les particularisme régionaux, l’individualisme, en caporalisant les hommes. Il a créé une patrie factice, une patrie dont les Prussiens se prétendent les plus purs citoyens. Or, ils sont, pour la plupart, de race étrangère. Et, en adoptant notre langue, ils ne sont pas même arrivés à maintenir l’harmonie de celle-ci ; Croyez-vous, monsieur, que Goethe pourrait admettre l’Allemand prussianisé, maculé de grossières expressions étrangères, de termes triviaux, de casernes, d’argot d’étudiants ?

« Ils ont déformé notre pensée, souillé notre langue, écrasé notre civilisation qui était très belle et, sur les ruines, ils ont édifié un État-molosse, étrangleur d’hommes... »