Ron Paul : la sécession en marche

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Ron Paul : la sécession en marche

On savait que Ron Paul, personnage contesté et plus actif que jamais à l’approche de ses 80 ans, estimait le droit à la sécession comme un des principes fondamentaux des USA. Aujourd’hui, il ne se cache plus pour affirmer que la sécession est en train de se faire sous nos yeux, donnant un corps opérationnel à ce qui pourrait devenir une pseudo-doctrine (ou doctrine anti-doctrinale) correspondant parfaitement aux temps en cours, – le sécessionnisme. Cet engagement public plus marqué de cet homme politique qui reste très influent dans les milieux libertariens se fait alors que le mouvement libertarien est très affirmé comme aile à tendance antiSystème du parti républicain. Bien entendu, le sécessionnisme selon Ron Paul (et selon les libertariens) renvoie à la l'idéologie ultralibérale, ultra-antiétatiste des libertariens...

(Ce dernier point semblerait contredire en théorie le jugement d’antiSystème qu’on peut porter, que nous portons sur Paul et les libertariens US, puisque les libertariens sont ennemis de l’État dans sa conception européenne et surtout française, qui représente pour nous, – qui représentait certes, lorsqu’on observe les dérives actuelles, – la matrice et le garant des principes fondamentaux à vertu structurante. Ce serait oublier que la position antiSystème n’est pas une idéologie, ni un concept, ni un principe, ni même une doctrine sinon cette sorte de “doctrine anti-doctrinale” qu'on a vue ; c'est une position contingente de résistance et de réaction contre le Système déterminée par la seule formule Delenda Est Systema, ou “tout ce qui concourt à la destruction totale du Système est bon” ; et aux USA, le Système c’est le centre, le pseudo-État américaniste qui n’a rien des vertus supposées d’un État, et cela en même temps que tout dans l’évolution crisique de désordre complet en cours montre que la notion d’État est elle-même mise en cause dans nombre de circonstances, essentiellement par l’action déstructurante et dissolvante du Système qui a fait de l’État son instrument favori. L’un des points qui montrent la plasticité des positions par rapport à la perception théorique qu’on en a, c’est l’opposition farouche des libertariens à la Federal Reserve. Cela pourrait être définie comme une position antiétatique mais c’est tout le contraire puisque la Fed est un organisme privé représentant les intérêts des grandes banques, auquel a été alloué le privilège de battre monnaie et donc de déterminer la politique monétaire, donc financière, donc économique des USA, et partant de l’univers globalisé type-bloc BAO, par l’intermédiaire du monopole actuel mais lui aussi en cours de dissolution du dollar. Au reste, l’indifférence du sécessionnisme US vis-à-vis de l’idéologie se mesure notamment dans le fait que les deux États de l’Union les plus sensibles à l’idée de sécession, et où les partis sécessionnistes recueillent un nombre appréciable de voix dans les consultations électorales, sont le Texas et le Vermont que tout oppose à l’extrême : la taille, la géographie, et naturellement l’idéologie entre le Texas ultra-conservateur et le Vermont ultra-progressiste.)

L’intervention de Ron Paul s’est faite au Cercle Mises de Houston, lors d’un séminaire Breaking Away : The Case for Secession qui s’est tenu à la fin janvier. (Le cercle, du nom de Edward von Mises, un des théoriciens de l’ultra-libéralisme des libertariens.) C’est Sputnik.news qui rapporte (le 21 février 2015) cette “nouvelle”, qui ne l’est plus tellement puisque vieille de près d’un mois, qui n’a reçu aucune publicité depuis, qui reste très intéressante non pas par la prise de position qu’elle marque mais par la description que fait Ron Paul de l’avancement du sécessionnisme. Ron Paul estime que le sécessionnisme n’est pas (ou plus) un projet, une théorie, mais une réalité opérationnelle en train de se faire sous nos yeux, que la sécession est un phénomène en cours aux USA qui s’accomplit de facto, par le désintérêt grandissant des États de l’Union pour les lois fédérales, donc par l’avancement d’une sorte de désobéissance passive, une sorte d’obstructionnisme de facto si l’on veut.

«Paul indicated that the breakup of the federal government was all but inevitable. “The good news is, it’s going to happen…it’s happening!” The statement was met with enthusiastic cheers from an audience gathered for the Mises Institute’s one-day seminar entitled “Breaking Away: The Case for Secession” in late January...

»In his address, Paul suggested that secession will not come about through congressional legislation, but will happen in a gradual, de facto manner, as more and more Americans disregard laws they disagree with. “When conditions break down, there is going to be an alternative… There is going to be a de facto secession movement going on. The states are going to refuse to listen to the federal government, ‘We’re not gonna listen to you anymore about the drug laws.’ And they’re getting out of it. I think the American people are waking up to that, and as far as I’m concerned, the more the merrier.”

»Referring to our current age as “the end of an era”, Paul argued that secessionism will rise as a means to amend the current failures and weaknesses of central governance. A key example he used to demonstrate this point is the current crisis in the Middle East with the rise of the terrorist group ISIS. The fact that nuclear-armed governments surrounding ISIS-captured territories are incapable of dealing with the group, he suggested, is “telling us that the old fashioned organization of the government and the state is very very weak and that what has gained strength is the countries and the movements that are dealing with ideas and getting people to do things.”

»Paul additionally predicted that, in association with the secessionist movement, the Federal Reserve will end. “What we are currently witnessing is the failure of Keynesian interventionist planned economies associated with the Federal Reserve System, and that too will end.”»

La description que fait Paul de l’avancement du sécessionnisme peut être acceptée comme une identification correcte d’une crise évidente, que nous ne cessons de décrire. La crise du pouvoir central washingtonien, du “centre”, se définit d’une part par son impuissance et sa paralysie, d’autre part par une politique-Système absurde de type compulsif d’hyper-interventionnisme, productrice de désordre géopolitique à l’extérieur au prix d’un endettement colossal, et de désordre psychologique à l’intérieur du fait d’un désintérêt complet pour la protection et le développement structurels de la situation intérieure US. Le résultat au niveau des citoyens autant que des États de l’Union est effectivement, au-delà de l’hostilité furieuse, un désintérêt grandissant pour ce “centre” en déliquescence avec des prises de position et des structures législatives installées dans les États eux-mêmes, par la législature de ces États. (Ainsi, des États comme le Colorado et le Texas ont-ils leurs propres nouvelles politiques de l’immigration face à l’énorme problème de leurs frontières avec le Mexique, alors que depuis près de deux décennies Washington affirme la nécessité d’une telle politique au niveau national/fédéral sans parvenir à la déterminer, au contraire affichant de plus en plus ses divisions paralysantes et productrices d’impuissance.)

Évidemment, là où nous différons grandement des conceptions et du point de vue des libertariens, c’est dans leur prospective optimiste selon laquelle le sécessionnisme, qui devrait plutôt s’appeler “dissolutionnisme”, conduira à une situation meilleure où les grands problèmes de notre contre-civilisation n’existeront plus. (Cette divergence se comprend parce qu’à ce point, au contraire de ce qui a été considéré, l'idéologie tient brusquement un rôle essentiel : l’hyperlibéralisme libertarien ne prévoit aucun frein sur le développement économique qui engendre la destruction du monde puisqu’il est par définition ennemi de toute régulation, et notamment d’une régulation principielle qui pourrait venir d’une entité régalienne, – ce qui était jusqu’à présent perçu comme l’État, et qui n’existe plus dans ses vertus structurantes, qui ne peut plus exister en tant que tel à cause de la puissance du Système.) Mais le schéma du sécessionnisme par “dissolutionnisme” nous paraît très conforme à la dynamique de la situation actuelle, et il est bon que le sécessionnisme soit ainsi désormais acclamé publiquement aux USA, favorisant une évolution des psychologies dans ce sens.

Ron Paul cite comme les catastrophes les plus récentes de la politique hyper-interventionniste de Washington-Système la création d’ISIS/“état islamiste”, favorisée par les USA et devenue la dynamique tentaculaire qu’on voit et qui menace la structure d’une région vitale pour la stratégie US, et l’Ukraine comme modèle de destruction par dissolution d’un État pourtant déjà réduit à une oligarchie avant le début de la crise. De fait, on pourrait penser que la production de désordre déstructurant et dissolvant de la politique étrangère US, notamment dans les deux cas cités, se retrouve dans une réplique intérieure, aux USA même, où les mêmes processus ont lieu sous une autre forme. Il est caractéristique que Dimitri Orlov, sur son site Club Orlov, cite les mêmes aventures extérieures récentes et décrites pour les USA, ou les USSA (ou URSS.02) comme une autre forme de “réplique sismique”, de l’URSS dans ce cas (le 17 février 2015.) Sa description pourrait en effet aussi bien correspondre à l’état de l’Ukraine qu’au phénomène de l’“état islamiste”  :

«The very interesting process of the USA becoming its own nemesis: the USSR 2.0, or, as some are calling, the USSA. The USA is best characterized as a decomposing corpse of a nation lorded over by a tiny clique of oligarchs who control the herd by wielding Orwellian methods of mind control... [...] The signs of this advanced state of decomposition are now unmistakable everywhere you look, be it education, medicine, culture or the general state of American society, where now fully half the working-age men is impaired in their ability to earn a decent living. But it is now particularly obvious in the endless compounding of errors that is the essence of American foreign policy...»

Nous avons toujours pensé que la dislocation des USA constituait le facteur essentiel de la phase finale de l’effondrement du Système. La persistance et le renforcement de cette idée de la dislocation est par conséquent une excellente chose, quelles qu’en soient les sources idéologiques ou conceptuelles. La description qu’en donnent Ron Paul et Orlov est assez conforme à ces phénomènes rampants et peu spectaculaires, derrière le battage des narrative, qui sont à l’œuvre dans la dynamique en cours. La question de savoir ce qui se mettra en place à la suite de cette dislocation est complètement inutile et vaine, irrelevent comme on dit aux USA, parce qu’on se trouvera alors devant une situation si radicalement nouvelle, essentiellement avec la destruction du mythe de la modernité et du Système que constitue l’Amérique, que notre psychologie en sera totalement bouleversée, à la mesure de la situation du monde elle-même, les deux allant de pair pour déterminer des situations complètement nouvelles. Une appréciation prospective de type politique et autre n’a donc aucun intérêt, la perspective devant être alors envisagée à l’aide d’outils conceptuels de type métaphysique qui ne dépendent plus des événements du monde.

 

Mis en ligne le 21 février 2015 à 09H18